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  • dissertation
  • cours - matière potentielle : la veillée mortuaire
1 Proposition pour un résumé du texte d'Alain Cugno Le mal est le scandale par excellence, à savoir la pierre d'achoppement entraînant ma chute, comme l'indique l'étymologie. A cette définition s'ajoute le scandale plus grave encore de la responsabilité intentionnelle d'un tiers dans ma déchéance. (41) Penser ce double scandale du mal se révèle dès lors impérieux mais aussi dangereux, car cela revient à donner au mal une essence, autrement dit une raison d'être.
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Proposition pour un résumé du texte d’Alain Cugno Le mal est le scandale par excellence, à savoir la pierre d’achoppement entraînant ma chute, comme l’indique l’étymologie. A cette définition s’ajoute le scandale plus grave encore de la responsabilité intentionnelle d’un tiers dans ma déchéance. (41) Penser ce double scandale du mal se révèle dès lors impérieux mais aussi dangereux, car cela revient à donner au mal une essence, autrement dit une raison d’être. Non seulement le mal se trouve alors doté d’une réalité positive, mais le bien se trouve absurdement sanctifié, et par voie de conséquence perverti. (94) Il faut donc refuser l’être au mal, sans pour autant nier son existence paradoxale. (109) Corrigé de la dissertation : Selon Alain Cugno, «le mal existe, et il n’a pas d’être. Ilsur-existeà sa nécessaire négation théorique. Sans essence, sans être, il fait plus qu’être et se moque de toute essence. On dira alors qu’au lieu même où l’essence reconnaît l’être de ce dont elle est l’essence, le mal refuse d’endosser cette reconnaissance langagière. Le mal perce à jour tout discours. Champ d’investigation Confrontée au mal, la pensée se trouve traditionnellement placée face à une double alternative dont aucun des termes ne peut pourtant la satisfaire. D’un côté, une essentialisation du mal qui substantifie ce dernier et conduit au plus dangereux manichéisme. De l’autre, une rationalisation du mal, ramené à sa relative inconsistance, à son vide intrinsèque, et qui mène à l’optimisme béat des théodicées. Comment peut-on penser le mal sans nier son existence pour autant ? Analyse de la citation Alain Cugno, dans un essai stratégiquement intituléL’Existence du maljustement d’affronter la contradiction, et de propose l’assumer intellectuellement. Dans une assertion explicitement paradoxale et rendue plus frappante par le recours à l’italique, il affirme ainsi «le mal existe, et il n’a pas d’être. » Ces deux propositions à la fois indépendantes et corrélées distinguent ainsi le plan de la manifestation actuelle du mal ou existence (la chose en tant qu’elle est indépendamment de toute connaissance possible), et le plan ontologique (à savoir les caractéristiques stables de l’être dont l’existence a été posée). Il creuse alors le sens du paradoxe en montrant que le mal continue d’exister en dépit du vide intrinsèque qui doit le caractériser si l’on veut éviter le manichéisme : c’est en ce sens que l’on peut dire qu’il «sur-existeà sa nécessaire négation théorique ». La nature toute négative du mal est ensuite soulignée par une série de compléments privatifs « sans essence », « sans être ». [L’ « essence » renvoie ici à la nature stable d’une chose indépendamment de déterminations accidentelles, et l’ « être » à la réalité positive du mal, c’est-à-dire à l’existence de l’essence.] Cette double négativité n’empêche pas une supériorité ironique du mal dans l’ordre de l’existence, même s’il s’agit d’une existence négative, perceptible à travers des destructions. En effet alors qu’en général la reconnaissance d’une existence est inséparable de celle de son essence (le terme «être »renvoie d’ailleurs simultanément à l’essence et à l’existence), le mal existe sans que l’on puisse affirmer ni sa réalité positive, ni sa nature. C’est en ce sens qu’il met le langage à mal et le rend impuissant, ce que Cugno exprime à travers une formulation frappante : « Le mal perce à jour tout discours ». Prise de distance critique Il faut souligner le caractère intenable pour la pensée de ce paradoxe, qui risque de nous empêcher de saisir le mal. Pour éviter le vertige de cette insupportable contradiction, on voit effectivement les auteurs des œuvres au programme (les présenter), en revenir à l’alternative traditionnelle que nous évoquions: ou bien affirmer l’inexistence du mal, découlant de son vide ontologique, ou bien au contraire induire de l’existence indéniable du mal une essence, même si celle-ci n’est que négative. Dans cet effort, on doit remarquer une confiance accordée au langage. L’auteur lui-même parvient à poser la contradiction en distinguant dans l’être l’essence et l’existence, ce qui tend à montrer que le discrédit porté par le mal sur le langage n’est pas complet. Problématique Il conviendra donc de se demander jusqu’à quel point la contradiction inhérente au mal (une existence qui ne résulte pas d’un être positif) peut être appréhendée par la pensée. Annonce du plan La nature paradoxale du mal paraît indubitablement mettre en échec le langage (I). Toutefois, le paradoxe peut être partiellement déjoué grâce à un effort de clarification conceptuelle : le langage peut percer le mal son tour. (II) Mais l’élucidation conceptuelle restant incomplète et à certains égards vaine, c’est à l’homme que revient le pouvoir défaire cette puissance négative du mal en lui opposant sa propre existence. [au sens sartrien du terme, c’est-à-dire le déploiement d’une volonté libre] (III)
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I) La réalité paradoxale du mal : une existence dépourvue d’essence Le mal ne se définissant que comme l’envers du bien, il paraît dépourvu de toute réalité positive : pourtant, ses effets se font sentir chaque jour, à travers l’expérience de la souffrance, de l’angoisse ou du remords. Ce paradoxe paraît constituer pour les auteurs au programme une véritable aporie. 1) Le mal existe… Les trois œuvres au programme s’accordent à reconnaître l’existence du mal. Etymologiquement, exister, c’est « sortir de ». Et de fait, le mal est de l’ordre de l’actualisation explosive des potentialités mauvaises de l’homme. DansMacbeth, il se traduit tout d’abord par un crime, le pire de tous : un régicide, doublé d’un parricide symbolique à l’égard du protecteur. Ce crime est décrit comme une « horrible action » (« deed » en anglais) ou une « sanglante chose faite » (« most bloody piece of work »). L’horreur est reconnue par tous et avec la même intensité au moment de la découverte du cadavre de Duncan, et personne ne songe à ne nier le fait que le mal à l’état pur se manifeste bel et bien à travers cet acte odieux.Pour le vicaire mis en scène par Rousseau dansLa Profession de foi, le mal existe également : il s’extériorise, se concrétise et s’exhibe sous les espèces d’un spectacle horrible : « Le tableau de la nature ne m’offrait qu’harmonie et proportions, celui du genre humain ne m’offre que confusion, désordre ! » DansLes Âmes fortes,l’existence universelle du mal, sa réalité actuelle, ne sont pas davantage discutées. En dépit d’une variation dans l’intensité criminelle, il existe bien une unité dans l’appartenance au mal des diverses actions narrées : médisances des vieilles au cours de la veillée mortuaire, commérages de Châtillon, ruine des Numance, violences conjugales, hypocrisie et mensonges. 2)… Mais il n’est pas Pourtant, l’essence du mal se dérobe systématiquement. Les œuvres nous confrontent à ce paradoxe d’une existence qui ne renverrait ni à un être positif, ni à une essence identifiable. En effet, le mal est seulement de l’ordre de la négation de ce qui devrait être ou de ce qui était. Sa réalité paraît strictement négative. C’est ainsi que Giono nous montre que la méchanceté pure n’est pas l’essence du mal : « Je n’étais même pas méchante », avoue contradictoirement Thérèse au cœur du récit de ses forfaits. Par ailleurs, il montre que le mal ne peut se manifester qu’à travers un bien détruit : la fortune des Numance réduite à néant, la santé de M. Numance devenue absence de santé. La destruction du bien entraîne ainsi à terme celle du mal, comme le confirme le désoeuvrement passager de Thérèse après la disparition de Sylvie Numance. DansLa Profession de foi du vicaire savoyard, le mal est également négatif: il réside dans un retrait d’espérance, dans une suspension définitive et systématisée du jugement, autrement dit dans le scepticisme, dans une «insuffisance de l’esprit humain». Le dogmatisme des philosophes, qui détruisent et ne proposent rien en retour, est la pure affirmation d’un rien. Shakespeare paraît davantage tenté par l’essentialisation et la substantialisation du mal que les autres auteurs du programme. Mais cette dernière reste évanescente et problématique. Ainsi, les sorcières ne sont peut-être que le produit d’une imagination malade, de simples spectres dépourvus de réalité tangible : « Êtes-vous un fantasme, ou en réalité / Ce que vous montrez au dehors ? » demande ainsi Banquo en s’adressant aux « weird sisters ». Le mal paraît ainsi relever d’une pure élucubration de songe-creux, et son origine reste insaisissable. 3) Il relève dès lors de l’indicible Dès lors, le mal « perce le langage », pour reprendre l’expression d’Alain Cugno. La contradiction paralyse la pensée et met à mal le langage, qui cherche à tenir ensemble des éléments incompatibles. Le langage échoue lorsqu’il cherche à rendre supportable cette tension de l’existence et du non-être. C’est ainsi que Macbeth, à l’acte I scène 3, se trouve obsédé par des pensées criminelles prenant une consistance étrange et niant le réel, alors que précisément, elles ne se trouvent pas encore actualisées. Il ne peut dès lors que constater la contradiction dans une formulation incohérente : « Ma pensée, où le meurtre encor n’est que fantasme, / Secoue à tel point mon faible état d’homme / Que la raison s’étouffe en attente, etrien n’est / Que cela qui n’est pas. » Après le meurtre, la tension sera reconduite et seulement déplacée, entre le constat du caractère irréparable de ce qui est fait, et l’incapacité à assumer moralement et intellectuellement cet « être là » du mal. Des contradictions du même ordre sont perceptibles dansLa Profession de foi: le vicaire pose sans cesse l’existence de la « méchanceté », dénonce le « méchant » (exemple « Le méchant se craint et se fuit », p. 86) mais en même temps, il ne cesse d’affirmer la bonté originelle de l’homme, et il assimile le méchant à un frère ou à un autre lui-même. Le mal n’est plus l’autre absolu, il se confond avec nous-mêmes, ou bien au contraire il paraît s’émanciper des hommes qui le commettent. La contradiction de l’existence du mal et de la bonté de l’homme, posée sereinement dans toute l’œuvre de Rousseau, devient ainsi dans ce texte une pierre d’achoppement, et se traduit par de
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multiples paradoxes, voire des propos apparemment incohérents (ainsi les joies de la chair ne sont pas condamnables, mais le mal vient de la voix du corps). Cet échec du langage se retrouve dans le roman de Giono : la superposition de versions contradictoires des mêmes faits finit par annuler toutes les certitudes du lecteur concernant la nature morale des personnages et l’origine du mal. De Firmin, Thérèse dit qu’il « n’aurait pas fait de mal à une mouche », tandis que sa contradictrice le peint en vampire : « Faites du sang : il en boit ». A la fin du roman, il ne reste que l’évidence selon laquelle des actions atroces ont été commises. Mais comment ? Par qui ? Au nom de quels mobiles ? Le langage romanesque échoue pour le moins à offrir une vérité univoque concernant le mal. Transition :Cependant, la présence même des œuvres semble infirmer l’hypothèse d’un mal entièrement indicible. Penser le mal comme intrinsèquement contradictoire et donc « impensable » n’est pas renoncer à le penser, comme l’investigation même qui est menée par Alain Cugno dans son ouvrage le confirme. De la même manière que dire qu’une chose est indicible n’équivaut pas à se taire, ce que confirment les entreprises littéraires et philosophiques du corpus. II) Ce que le langage sait du mal : le refus du vertige Si la pensée ne peut nier la contradiction de l’existence du mal concomitante à son non-être, il lui faut néanmoins la tourner si elle ne veut pas se renoncer elle-même. La réalité du mal peut être en partie réduite par un effort de raisonnement, c’est-à-dire déduite de son vide intrinsèque. Le résidu incompressible pourra quant à lui être rapporté à une essence, même si celle-ci est négative. 1) La possible réduction du mal Si le mal se caractérise d’abord par une pure négativité d’être, sa réalité actuelle doit pouvoir être en partie niée. On retrouve cette tentative tout particulièrement dansLa Profession de foi, qui fait du mal métaphysique un bien –dans la mesure où celui-ci, lié à la nécessaire imperfection de la création, limite la puissance de destruction de l’homme. Quant au mal physique, il est réduit à très peu de choses : d’une part à un ensemble de signes par lesquels la nature nous signale que « la machine se dérange », autrement dit à un bienfait; d’autre part à une conséquence du mal moral, c’est-à-dire à un produit de la corruption des mœurs. Le «mal général » est contredit par l’harmonie de l’ensemble, et le « mal particulier n’est que dans le sentiment de l’être qui souffre. » Si Thérèse cherche à effacer le mal, c’est plutôt en se situant dans un « par-delà le bien et le mal » qui la place sur le même plan que Sylvie Numance, à savoir du côté des «âmes fortes», qui cherchent avant tout à se réaliser elles-mêmes, à éprouver toutes les jouissances de l’imagination et à donner un sens à leur existence. Symétriquement, Madame Numance cesse de souffrir à partir du moment où sa destinée de victime a été librement et volontairement choisie. Son empressement à choisir le mal comme un bien est la meilleure façon pour elle de neutraliser ses bourreaux. De fait, sa détermination à se déposséder désarçonne Firmin au point de faire vaciller ses certitudes morales : « Il était rempli d’étonnement et vide d’espérance quoique les mains pleines. » (p. 256) En revanche, la négation de l’existence du mal par Macbeth se révèle vouée à l’échec. Dès avant le crime, elle sent l’autopersuasion « La sollicitation surnaturelle / Ne peut être le mal, ni le bien. » (I, 3, p. 69). Dans la suite de la pièce, elle est illusoirement accomplie par des crimes nouveaux qui aggravent le mal. Ainsi Macbeth se persuade que le meurtre de Fleance l’aurait rendu « sans faille / Entier comme le marbre » (III, 4, p. 169) 2) Les caractéristiques de l’essence du mal : une excessive négativité Si le vide substantiel du mal ne conduit qu’au moyen de détours trop sophistiqués à la négation complète de son existence, il reste toujours l’option inverse : revenir à la définition d’une essence de ce mal constaté. Le mal, en effet, n’est pas simple privation de ce qui n’est pas et dont l’absence ne se remarque pas. Il est manque de ce quidevraitêtre, produit d’un travail de mutilation et de destruction, et en tant que tel, il est une « grandeur négative », pour reprendre l’expression de Kant (Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négativeabsence de mouvement, mais au contraire de l’opposition de forces de vie et de) : le néant qu’il crée n’est pas le produit d’une forces de mort. D’autre part, l’essence positive du mal serait justement à chercher du côté de l’excès, de la disproportion, de la démesure. Cette idée se retrouve dans les trois œuvres au programme : Rousseau qualifie ainsi de «trop abominable philosophie» celle qui dénigrerait les actions vertueuses des hommes en les rapportant à quelque intérêt caché. Shakespeare décrit le mal à la fois comme ce qui inverse le beau et le laid, le juste et l’injuste, autrement dit ce qui pervertit les catégories («le clair est noir le noir est clair ») et comme un principe de débordement de la juste mesure. C’est ainsi que le meurtre de Duncan est dit par Banquo « trop cruel » (p. 125, III, 3), ou que la dimension maléfique de la suppression du jeune Macduff et de sa mère, à l’acte IV, tient à l’écart entre l’innocence des victimes et la monstruosité du meurtre.
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On retrouve dans le roman de Giono ces deux caractéristiques du mal : le brouillage des catégories, qui permet à Thérèse d’utiliser le feu de la haine pour imiter l’amour (« Il fallait se servir de l’un pour imiter l’autre », p. 303) et l’excès révoltant par rapport à une norme supposée, ainsi les bienfaits de Mme Numance payés par le crime, ou la prospérité du « gros blond » évoqué au début de la veillée, produite par des activités malhonnêtes. 3) La force contondante du langage Cette triple essence du mal –dynamisme, excès, subversion –, c’est le langage qui la perce à jour. Par une inversion inattendue, le langage peut trouver une éloquence singulière quand il s’agit de décrire le mal, de le montrer dans son odieuse vérité. Dans le théâtre de Shakespeare, le mal s’énonce en sentences frappantes, mettant à jour l’hypocrisie foncière de celui qui s’y livre « Visage faux doit cacher ce que le cœur faux connaît » (I, 7, p. 95). Il se donne à voir à travers les tableaux épiques de « confus événements nouvellement éclos pour des époques noires ». Il est rendu sensible par la prolifération d’un bestiaire inquiétant, des corbeaux aux choucas, des loups aux tigres d’Hyrcanie. Le vicaire de Rousseau trouve des accents de persuasion redoublée quand il s’agit de décrire le spectacle du chaos terrestre, l’angoisse qui saisit l’homme misérable et seul face à l’immensité de l’univers, ou encore le remords qui ronge l’homme qui fait le mal : « Qu’est-il besoin d’aller chercher l’enfer dans l’autre vie ? il est dès celle-ci dans le cœur des méchants. » Quant à Giono, il excelle à donner au langage de Thérèse une couleur et un piquant tout particuliers, une froideur analytique tempérée par une oralité riche en images, relevée d’argot, et qui perce à jour aussi bien la cruauté du mal que son irrésistible potentiel de séduction : « Je savais que tous ces messieurs était égoïstes. C’était visible. […] Mais égoïsme contre égoïsme, on ne risque rien. Il n’y avait qu’à les faire cracher au bassinet. » (p. 285) Transition :Toutefois, si le langage peut donner à voir le mal – à défaut de l’expliquer entièrement –, il risque de rester impuissant à rendre toute son intensité, et plus est à soulager les douleurs inhérentes à la condition humaine. Face à une affirmation aussi inéluctable et insupportable que « le mal existe », l’homme peut-il se contenter de la consolation esthétique ? S’il ne veut pas lui-même être réduit à une essence maléfique ou pécheresse, il lui revient de poser sa propre existence face à celle du mal, soit sa liberté. III) Ce que l’homme peut face au mal : la question de la responsabilité 1) Le mal n’existe pas sans l’homme Il peut tout d’abord sembler étonnant qu’au moment même où Alain Cugno explique le danger qui ferait suite à une substantialisation du mal, transformé en « être en acte selon sa perfection », il l’évoque néanmoins dans des termes qui l’hypostasient, voire le personnifient. Le mal «se moque», le mal «refuse »,le mal «perce ».Il se trouve systématiquement sujet de verbes de pensée ou d’action dans son propos, et indépendamment de ton intervention humaine. Il y a sans doute là un effet rhétorique plus que l’indice d’une croyance, mais cet effet en dit long sur le prestige du mal et sans capacité à s’abstraire de la réalité humaine. Face à cette tentation, il faut donc rappeler que le mal n’existe pas sans l’homme auquel il se rapporte. On voit bien que Macbeth est tenté de rapporter le mal à des puissances nocturnes transcendantes, à des créatures démoniaques, et ainsi à se désolidariser de son acte. Mais l’échec de cette tentative est signé par son aveu : « J’ai l’horreur de penser à cela que j’ai fait » (II, 2, p. 113). Giono, en revanche, ne fait jamais du mal un sujet autonome. Le mal est toujours un complément d’objet, quelque chose que l’on fait : « Quand on veut faire le mal, ce n’est pas une culotte ou une robe qui vous en empêche. » Quant à Rousseau, il met plus souvent l’accent sur la figure du « méchant » que sur le « mal ». Le mal est perpétré par ceux qui retirent aux hommes l’espérance, qui font de leur scepticisme un système, qui tournent en dérision les aspirations spirituelles de leurs semblables. Et même lorsque le vicaire s’étonne à la suite de Saint Paul du paradoxe selon lequel « je vois le bien, je l’aime, et je fais le mal », il ne rapporte cette passivité de l’homme àl’égard des passions qu’au figement en habitude d’une liberté de choisir primitivement entière. 2) L’homme comme existence, non comme essence Pour autant, si le mal trouve bien son origine dans l’homme, l’homme n’est pas dans son essence méchant. Les trois œuvres s’accordent à réfuter l’idée d’une nature intrinsèquement eta priorimauvaise de l’homme, et à montrer que le mal est avant tout affaire de responsabilité et de liberté. Dès lors, l’action méchante relève de l’existence au sens où pour Sartre, l’homme existe avant d’être. Tant que sa
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vie n’est pas terminée, il peut réorienter sa liberté dans la direction du bien et modifier l’appréhension par autrui de sa supposée « nature ». Il lui appartient même d’opposer sa propre existence à celle du mal. « Homme, ne cherche plus l’auteur du mal ; cet auteur, c’est toi-même » martèle le vicaire de Rousseau. Mais la compensation de ce constat sévère est la certitude selon laquelle Dieu m’a donné « la conscience pour aimer le bien, la raison pour le connaître, la liberté pour le choisir ». On sait que Thérèse, de manière comparable, refuse de se reconnaître une nature stable quelconque («Je n’étais même pas méchante »), mais souhaite jusqu’au bout s’accorder la liberté d’actions cruelles, interrompues par de bonnes actions destinées à la purger. Quant à Malcom, dans le drame de Shakespeare, il est certain que l’autoportrait moral qu’il réalise pour Macduff acte IV scène 3 « luxurieux, avaricieux, faux et trompeur » ne nous dit rien directement de sa prétendue « nature ». En revanche, il témoigne d’un maniement du langage qui peut paraître suspect : là encore, seules les actions du nouveau monarque, non décrites dans la pièce, peuvent nous renseigner après-coup sur la vérité du mal qui ronge cet homme. 3) L’œuvre littéraire comme acte ? En dernier recours, il n’y a pas lieu d’opposer les actes et les paroles, si l’on considère la puissance performative de celles-ci. En ce sens, les œuvres peuvent être lues autrement que comme de simples évocations du mal perçant celui-ci à jour à travers un travail d’analyse ou de description. Elles peuvent être également considérées comme des actes, la manifestation d’un certain regard porté sur le mal. Ceci est tout à fait évident dans le texte de Rousseau qui se désigne lui-même comme une « profession de foi », autrement dit un discoursqui est simultanément unacted’adhésion au dogme de la religion naturelle. Cette adéquation du fond et de la forme se donne à lire à travers la rhétorique persuasive, et volontiers répétitive du vicaire. De leur côté, Shakespeare et Giono ne nous livrent pas d’œuvres à thèse, mais grâce à la lucidité et à l’obstination avec lesquelles ils traitent la question du mal, ils nous montrent une voie possible pour la pensée et pour l’art : dire l’indicible, penser l’impensable. C’est là l’effort qu’exige de nous l’existence du mal. Quand Macduff s’écrie « Horreur ! horreur ! horreur ! La langue, ni le cœur / Ne peuvent te nommer », il nomme tout de même l’innommable, par la négative, l’exclamation et la répétition. De la même manière que Giono fouille sans relâche les motivations de son héroïne paradoxale à travers le montage narratif de son récit, tout en nous suggérant que la vérité ne compte pas, ce qui signifie d’abord qu’elle n’est jamais absolue ou univoque. « Ne nous soucions pas de savoir si c’était un niais ou un rusé » est-il ainsi écrit de Firmin. Conclusion C’est donc de cette manière là, en dernière instance, que le paradoxe du mal doit être compris. L’existence indéniable du mal, inséparable de son vide substantiel, risque de nous renvoyer par désespoir à la négation du mal ou au contraire à sa substantialisation. Il faut lutter contre cette tentation et continuer à appréhender le mal dans la tension qui le caractérise en propre, c’est-à-dire le dire comme indicible devant être dit, et le penser comme impensable devant être pensé. Seule cette tension permanente, même si elle relève plus de la quête que du résultat concret, peut opposer à l’existence du mal la résistance de l’esprit humain. Toute la difficulté, bien perçue par Saint-Paul dansL’Epître aux Romains, vient en effet de ce que c’est bien moi qui fais le mal, mais que dans ce mal commis, je suis à la fois moi-même et un autre. Pour reprendre la formule de Patrick Vignoles, le mal est d’abord « l’inhumain en l’homme ». (La Perversité. Essai et textes sur le mal).
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