Critique de la raison numérique (extrait) de Dominique Mazuet
18 pages
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Critique de la raison numérique (extrait) de Dominique Mazuet

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Description

Avertissement Cet extrait numérisé n'est qu'une ébauche artificielle et partielle de facsimile, approximative et appauvrie, diffusée à titre de succédané, par défaut de l'objet matériel. L'objet original a été réalisé par un typographe et des compagnons, élaboré, façonné et diffusé par une chaîne humaine d’œuvre collective, rassemblant les travailleurs qualifiés des métiers du livre. Cet ersatz ne permet aucunement de s'approprier l'ouvrage imprimé sur papier choisi, dûment encré de caractères en plomb refondu, par une machine Linotype. Il ne permet pas davantage d'en apercevoir véritablement le sens, pas même de cette partie qui est ici reproduite. Il en donne néanmoins une idée, confuse mais encore susceptible d'inciter à l'acquisition et à la lecture de la petite brochure militante dont il est issu. Bien que l'auteur du texte n'en tire aucun revenu, cette brochure est disponible à la vente, exclusivement à titre onéreux et en librairie, pour valoriser et rémunérer le travail concret accumulé par l'ouvrage qualifié de ceux et celles qui l'ont réalisée et la diffusent. L'auteur n'a pas voulu qu'elle puisse être commercialisée par les marchands du temple dématérialisé sur l'internet, la réservant au monde réel et matériel des libraires et des lecteurs de livres, dont elle est issue et auquel elle est destinée.

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Publié le 27 septembre 2015
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Langue Français

Extrait

Avertissement
Cet extrait numérisé n'est qu'une ébauche artificielle et partielle de fac-simile, approximative et appauvrie, diffusée à titre de succédané, par défaut de l'objet matériel. L'objet original a été réalisé par un typographe et des compagnons, élaboré, façonné et diffusé par une chaîne humaine d’œuvre collective, rassemblant les travailleurs qualifiés des métiers du livre. Cet ersatz ne permet aucunement de s'approprier l'ouvrage imprimé sur papier choisi, dûment encré de caractères en plomb refondu, par une machine Linotype. Il ne permet pas davantage d'en apercevoir véritablement le sens, pas même de cette partie qui est ici reproduite. Il en donne néanmoins une idée, confuse mais encore susceptible d'inciter à l'acquisition et à la lecture de la petite brochure militante dont il est issu. Bien que l'auteur du texte n'en tire aucun revenu, cette brochure est disponible à la vente, exclusivement à titre onéreux et en librairie, pour valoriser et rémunérer le travail concret accumulé par l'ouvrage qualifié de ceux et celles qui l'ont réalisée et la diffusent. L'auteur n'a pas voulu qu'elle puisse être commercialisée par les marchands du temple dématérialisé sur l'internet, la réservant au monde réel et matériel des libraires et des lecteurs de livres, dont elle est issue et auquel elle est destinée. Enfin, il ignore si des bibliothèques publiques s'en sont portées acquéreuses, mais il a souhaité réserver à ce seul cadre institutionnel la gratuité d'accès à l'objet et à ce qu'il contient.
Épreuve non corrigée
ISBN : 978-2-xxxxxxxxxxx © Éditions Delga, juillet 2013
Éditions Delga 38 rue Dunois 75013 Paris 0144239089 www.editionsdelga.fr
L'acte gratuit (valeur, profit et circulation)
Les défenseurs de la« liberté de circulation de l'art », dont les pos-turesnous ont incités au bref rappel de ces rudiments d’écono-mie politique, conçoivent donc la production, la diffusion et la consommation des livres, comme un« acte gratuit ». Et il est vrai que lagratuitéà quoi se réduit cettelibertéet le pro-cès decirculationdétermine, relèvent bien de qu’elle l’acte gratuit, à tous les sens qu’on peut lui donner. On en revient audon, mais un don un peu particulier puisqu'à la différence de celui que les so-ciologues théorisèrent comme un des fondements du rapport an-thropologique, il ne porte en lui ni partage, ni sollicitation inter-subjective, ni demande réciproque. Car dans cette modalité du rapport socialnon marchand qui est ici en germe, non seulement la marchandise (c’est à dire laforme marchandise) est refoulée, mais de même le besoin réciproque qui est à la source de l'acte social d'échange. C'est ledésirqui est invo-qué comme moteur de cettedynamique de gratuité. La cohérence de cette conception est assurée par le refoule-ment de lavaleurdite d'échange. Mais elle implique aussi le refou-lement del'échangequi porte cette détermination de la valeur. Le rapportnon marchand, tel qu'il est conçu ici, est donc un rapport social de partage sans échange. Il procède bien de l'acte véritable-mentgratuit, au sens que lui donnaient généralement les surréa-listes, c'est à direréalisé pour se prouver sa liberté et pour ainsi se libérer des normes socialescaractérisées par lesur-moi marchand. Dès lors, si la valeur d'échange est congédiée, le seulcontenuqui puisse rester à faire circuler, s'il a une valeur de partage quel-conque (et sinon à quoi bon?), serait de la valeurd'usage.
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L’acte gratuit (valeur, profit, circulation)
Pourtant si on en croit un de ses théoriciens les plus compé-16 tents :« L'acte gratuit le plus simple consiste revolver au poing, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule.» Lavaleur d'usagevéhiculée par ce type derapport social sans échange fait donc incontestablement problème... Alors qu'est-ce donc qu'il s'agit de faire circulerlibrement? Et comment lamutualisation des désirsva-t-elle pouvoir s'y réali-ser socialement et durablement ? Nous avons vu que le don, s’il est un rapport social de partage, au même titre que la prédation, n’est pas davantage un rapport d’échange réciproque, fusse-t-il sollicité. Par ailleurs lavaleur d’usagesociale, y comprisculturelle, est toujours« pour l’autre » comme notre auteurcapitall’a bien montré. Dans le cadre du transfert numérisé decontenuset « textes » dans la perspective de« liberté de circulation de l'art »,on a pourtant bien affaire à une confrontation d'offreet dedemande. Socialement elle s'incarne dans un rapport intersubjectif : présenté comme ce-17 lui ducréateurà face l'amateur. Mais cette confrontation, quand bien même elle ne relève pas du réel puisqu'elle s'opère dans le monde virtuel, demeure pourtant tributaire d'unemise en rapport qui n'est pas le fruit du seul hasard et du mouvement brownien de particules de subjectivités autonomes. Il faut bien unclinamenpour infléchir, en toute liberténaturellement, les trajectoires libres et spontanées qui sans cela auraient peu de chance de se rencontrer.
16 André Breton 17 Dans l’univers de la libération dématérialisée de l'art et de sa circulation, le créateur s'est substitué à l'auteur, à l'écrivain et plus généralement à l'ar-tiste. Créateur est en effet un terme générique qui a l'avantage de ne plus être déterminé par un rapport avec un objet produit (livre, peinture, etc.) ce qui est bien commode lorsque l'objectivité de l’œuvre devient elle-même évanescente.
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Ledésirest réputé être à la source de tout ça mais encore faut-il que son obscur objet se manifeste et se fasse connaître de son su-jet. D'autre part il faut bien que ce qui doit circuler librement, cir-cule tout de même, fusse au travers de l'éther virtuel … Dans le monde matériel, celui des rapports sociaux concrets, des échanges d'objets entre humains physiquement présents, cette mise en rapport ducréateuret del'amateurest réalisée par desmédia-teurs et ce rapport est objectivé par uneréalisation: lacession de la 18 création . Dans le cas des livres, ces médiateurs constituent une 19 longue chaîne des métiers du livre qui assure ces médiations, de-puis l'éditeur jusqu'aux tables des libraires. Dans le cas d'espèce qui nous occupe, pour le téléchargement (gratuit) d'un fichier texte, nous sommes dans le monde merveilleux d'Internet où tous les médiateurs habituels ont disparu, c'est le prix de laliberté. Il en reste quelques-uns cependant, si discrets « qu'on n'y pense plus » : le logiciel autrement appelénavigateur, leterminaldontl'écrandonne accès auréseau qui alimente lescontenus, le marchandfournisseur de cet accès et le»de recherche « moteur  qui va permettre l'expression formatée du désir decontenude l'amateur. Cemoteurest le seul à se présenter sous la formegratuite, du moins pour l'amateurclient, car en réalité, à l’instar de la publicité qui le finance il n'est gratuit que pour celui qui le regarde, et en tout état de cause il ne procède au-cunement d'un acte gratuit. Quand, au motif de»« supprimer tous les intermédiaires , on sup-prime toutes lesmédiations humaines, sociologiques, culturelles, et toutes celles qu’assure la transmission, il n’en reste plus qu’une : le marché. Lorsque ce rejet dédaigneux desvils marchandsprétend s'ap-pliquer au marché desproduits culturels qui pour l'essentiel ne compte nultrader, courtier ou maquignon, et où en France les
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Autrement dit... sa vente. En France plus de 150 000 personnes, occupant autant d'emplois quali-fiés.
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« agents » d'écrivains constituent encore une pratique très margi-nale, alors au travers du livre, ce qui est visé c'est l'essentiel des ac-tivité humaines nécessaires à sa conception, réalisation et diffu-sion. Ainsi lorsque l'amas zone annonce sans fard :« Désormais (avec le livre numérique) plus d’intermédiaire entre les auteurs et les lecteurs ». Il faut bien comprendre cette annonce pour ce qu’elle préconise : « désormais plus d’intermédiaire entre le consommateur et les dé-bouchés de l’industrie ‘‘Hi-Tech’’ en mal de profits, sinon nous (amas zone) ». Mais souvenons-nous que nous sommes dans le cadre d'un acte gratuit, et que par conséquent lesintermédiairessont congédiés, l’amas zone comme les autres, hors du Temple virtuel de la libre circulation de l'Art. Constatons simplement que nous venons de découvrir comment, par quellegooglesque médiationnon marchande lamutualisation des désirspeut se réaliser virtuellement. Parvenu à ce stade d'élaboration de l'acte gratuit, conçu selon 20 la logique propre à laraison numérique, il nous reste cependant un dernier élément decomplication à affronter. Cette complication consiste en ceci que les promoteurs de lalibre circulationnous qui intéresse et les protagonistes supposés de ce rapport si transpa-rent, sont malgré tout des êtres de raison, tangibles, réels et contingents, qui ne se revendiquent pas comme de purs esprits (du moins pas complètement). À ce titre ils réclament un statut rémunéré pour lescréateurs descontenus circulantsqui doivent rem-placer les livres.
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La présente brochure était principalement consacrée à la critique de la rai-son numérique, cette question est évidemment développée plus loin.
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Ils exigent fort justement la rétribution de leur créativité « en actes », et il s'agit donc à la fois de la valoriser et d'envisager la réalisation monétisée de cette valeur. Quevaut cette activité et comment la rétribuer dans le cadre d'une circulationnon marchandeet libérée de (presque) toute média-tion ? Pour nous orienter dans cette affaire, il n’est pas inutile de rap-peler ce fait d’expérience que dans une juste économie des choses, ces choses valent ce qu'elles coûtent, et ce qui coûte, ce qui donc est reconnu socialement (par sa réalisation ou monétisation) comme de lavaleur ajoutée (ajoutée à lasourcenaturelle de toute ri-chesse), c’est toujours, in fine, del’activité humaine, dont letravail désigne laforme sociale. Une vérité assez communément admise de-puis les origines de la science économique puisque déjà Adam Smith énonçait ce constat élémentaire que «le travail est à l'origine 21 de la richesse », et non pas l’inverse comme on tend à nous le faire croire aujourd’hui. À telle enseigne que les économètres modernes 22 en ont fait la définitionuniverselleduProduit Intérieurd’un pays . Alors quid de lacirculation libre et dématérialisée descréatifs actes gratuitsqu’appellent de leurs vœux nos modernes zélotes du télé-chargement de fichiers? Eh bien il est désormais assez facile de voir que cettepuretéde l'acte gratuitest une des productions fantasmatiques de ce qui vient d'être dit ducaractère énigmatique du produit du travail, dès qu'il revêt la forme d'une marchandise.
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Notre auteur capital observait à ce propos que«Le travail n'est pas la source de toute richesse. La nature est tout autant la source des valeurs d'usage (qui sont bien, tout de même, la richesse réelle !) que le travail, qui n'est lui-même que l'expression d'une force naturelle, la force de travail de l'homme » « Le PIB est égal à la somme desvaleurs ajoutéesdesagents économiques rési-dents, calculée aux prix du marché, à laquelle on ajoute la part de la valeur ajoutée récupérée par l'État (Taxe sur la valeur ajoutée et droits de douane) et à laquelle on soustrait les subventions. »
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Ce caractère énigmatique est issu de la forme elle-même qui en tant que telle est une modalité de la représentation consciente. Il est donc construit par le sujet même de cette conscience en même temps que cette représentation. L'acte gratuit, est une des mani-festations, en quelque sorte inversée, dufétichismesuscité par cette représentation. En récusant la valeur au sein de la forme marchandise et sous cette forme elle-même, la gratuité symbolique est donc la repré-sentation d'unrefoulement, celui de lavaleur économique et sociale sous sa forme marchandise. La représentation prend alors un tour névrotique. Pour s'en convaincre il suffit de considérer le trouble qu'ex-prime Roland Barthes lorsque, à une époque où cette névrose se généralisait, il s’interroge avec sa lucidité coutumière et à sa ma-nière (sidégagéecontingences autres que mondaines ou des affec-tives) surl'économiesous-jacente à son propreplaisir du texte: « Une grande œuvre de plaisir (celle de Proust, par exemple) participe-t-elle de la même économie que les pyramides d'Egypte? L'écrivain est-il au-jourd'hui le substitut résiduel du Mendiant, du Moine, du Bonze: improduc-tif et cependant alimenté? Analogue à la Sangha bouddhique, la communauté littéraire, quel que soit l'alibi qu'elle se donne, est-elle entretenue par la société mercantile, non pour ce que l'écrivain produit (il ne produit rien) mais pour ce 23 qu'il brûle? Excédentaire, mais nullement inutile? » Il observait déjà, en cette préhistoire de la postmodernité, à quel point le moderne (qu’il n’était pas) était rétif à cette pré-gnance de la valeur dans le rapport dutexteà sa circulation et s’ef-forçait dedéborder l’échange, dans la foulée dusignede la et bonne sexualité: « La modernité fait un effort incessant pour déborder l'échange: elle veut résister au marché des œuvres (en s'excluant de la communication de masse),
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Roland Barthes,Le plaisir du texte, éditions du Seuil, 1973
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au signe (par l'exemption du sens, par la folie), à la bonne sexualité (par la perversion, qui soustrait la jouissance à la finalité de la reproduction). » Il avait cependant assez de clairvoyance pour déplorer : 24 « Et pourtant, rien à faire: l'échange récupère tout, en acclimatant ce qui semble le nier: il saisit le texte, le met dans le circuit des dépenses inutiles mais légales: le voilà de nouveau placé dans une économie collective (fût-elle seulement psychologique). » Bref : 25 « C’est l'inutilité même du texte qui est utile, à titre de potlatch . » Pour en déduire que : « Autrement dit, la société vit sur le mode du clivage: ici, un texte su-blime, désintéressé, là un objet mercantile, dont la valeur est... la gratuité de cet objet. » Et enfin pour conclure : « Mais ce clivage, la société n'en a aucune idée: elle ignore sa propre per-version: « Les deux parties en litige ont leur part: la pulsion a droit à sa sa-tisfaction, la réalité reçoit le respect qui lui est dû. Mais, ajoute Freud, il n'y a de gratuit que la mort, comme chacun sait. Pour le texte, il n'y aurait de gratuit que sa propre destruction. » Dutexteausujet, il n'y a qu'un pas... qui fut franchi hardiment. On sait quel usage fructueux les psychanalystes firent de cette ré-cusation freudienne de la gratuité, et on voit chez ce fin lecteur qu'était Barthes, doublé d'un dilettante mondain, peu soupçon-
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Les révolutionnaires des années 70 étaient très soucieux d’éviter larécupé-ration, sous-entendue « par lesystème». La référence au potlatch, système rituel de don / contre-don amérindien, initialement introduite par Mauss dans les années 20, fut souvent reprise par les modernes jusqu'à Deleuze, tous un peu fâchés avec le réel ration-nel, et donc presque toujours, comme ici, à contre-sens. Une tournure coutumière des intellectuels de l'époque qui pratiquaient volontiers ainsi dans une ambiance mondaine relativiste de confusion générale où échange, économie, valeur, utilité, gratuité dansaient une sarabande des mots jouant à la chaise musicale. Le refoulé de cette figure rhétorique de Barthes n'en demeure pas moins clair.
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nable de matérialisme mercantile, à quel point ces choses-là étaient une sérieuse préoccupation. Et elles étaient d'autant moins prises à la légère que le problème était tout sauf résolu. Il est vrai que Roland Barthes n'était pas très convaincu par les possibilités de l’inconscient moléculaire, peu confiant dans le potentiel desrhizomeset ne se préoccupant guère sociaux des foyers d'unifica-tion, des nœuds de totalisation, des processus de subjectivation, toujours rela-tifs.Bref, dans son rapport au plaisir du texte (et dans bien d'autres domaines encore), Barthes n'était pas trèsmoderne. Mais tout ça ne nous explique toujours pas comment, en toute gratuité, on va pouvoir rémunérer les créatifs descircuits courts du numériquenon marchand. Pour cela il va nous falloir revenir aux éclairages de cet auteur e du XIX siècle qui nous a déjà alertés sur les subtilités de laforme marchandise.
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