"Croire avec Freud ?  / Freud, spinoziste./ Freud, l homme qui aimait être père
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"Croire avec Freud ? Quête de l’origine et identité", j'ajoute la plus belle éloge, celle de Marcel Gauchet:
"c'est l'une des études les plus stimulantes sur la genèse de la pensée freudienne qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps".
Cordiales salutations!
Emmanuel Schwab
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Extrait

Freud, l'homme qui aimait être père
Loin d'être formel, distant ou protocolaire, l'inventeur de la psychanalyse fut le plus proche et le plus moderne des «pater familias». On publie aujourd'hui les «Lettres à ses enfants», volumineux recueil d'inédits.
SIGMUND FREUD MUSEUM/AP/SIPA
Freud, dans la vie courante, je le vois très peu père», s'amusait à dire Lacan en 1960, à Bruxelles, dans son«Discours aux catholiques». Il est vrai qu'en ce temps-là on pouvait fantasmer sur le style de Freud père de famille. Car cela restait un mystère. On connaissait Freud (1856-1939) en père fondateur du mouvement psychanalytique. Il s'est, du reste, lui-même chargé de se présenter en 1925 dans un de ses textes, sa Selbstdarstellung (Sigmund Freud présenté par lui-même), où il rend compte de son rapport à sa découverte. On connaissait aussi Freud correspondant avec ses élèves et confrères, comme Wilhelm Fliess, Sandor Ferenczi, Carl Gustav Jung ou Karl Abraham. On connaissait enîn Freud déployant à travers son œuvre les concepts de la psychanalyse et la logique de la cure analytique. Mais on ne connaissait pas encore Freud en famille. La volumineuse et canonique biographie de Freud par son élève Ernest Jones nous
présente, certes, les événements qui ont rythmé la vie intime de Freud (îançailles, mariage, naissances, deuils), mais, aussi riche fût celle-là, l'homme Freud en tant que père restait un chapitre ignoré de l'histoire de la psychanalyse.
Pourtant, la question «quel père était Freud ?» ne pouvait pas ne pas traverser les esprits tant Freud avait fait lui-même du père, aussi bien sous la îgure du père tyrannique de la horde primitive que sous celle du père tué par le îls, dans la tragédie sophocléenne, une îgure centrale de la psychanalyse. Au point que Lacan en vint à considérer que, s'il y avait une question qui n'avait cessé de tourmenter Freud, de ses premiers écrits sur les hystériques jusqu'à son dernier écrit, l'Homme Moïse et la religion monothéiste, c'était bien la question«qu'est-ce qu'un père ?»,question à laquelle lui-même s'employa à répondre à son tour pendant tout un temps de son enseignement, en distinguant le père imaginaire, le père réel et le père symbolique. Il est vrai que, dans les psychanalyses que Freud nous rapporte, aussi bien celle de Dora, de la jeune homosexuelle, de l'homme aux loups ou de l'homme aux rats, le père est au carrefour de toute la problématique du patient, qu'il s'agisse d'un père amoureux, d'un père sévère ou d'un père mort. Le symptôme du sujet se présente à chaque fois comme une forme de message adressé au père.
Alors, celui qui a découvert l'inconscient et qui a consacré sa vie à l'essor de la psychanalyse dans le monde, de 1898 jusqu'à sa mort, en 1939, celui qui a participé sans le vouloir peut-être au déclin de l'autorité du père, en diusant des idées subversives au sein de la civilisation, allant à l'encontre de la soumission inconditionnelle au surmoi et luttant contre le refoulement du désir, quel père était-il, lui, dans sa vie intime, auprès de ses enfants ? A-t-il été un patriarche à l'ancienne, père conformiste et conservateur, un homme se consacrant à son œuvre et délaissant ses enfants, ou se pourrait-il au contraire qu'il ait été un père moderne, en avance sur son temps, voire un père avant-gardiste ? Comment Freud a-t-il conjugué les découvertes qu'il faisait sur l'inconscient, la névrose et la sexualité avec sa propre existence de père auprès de ses enfants ?
PULSION DE VIE
La parution deSigmund Freud, lettres à ses enfants, chez Aubier, en cet automne 2012, dans l'excellente traduction de Fernand Cambon, et dont l'édition critique est de Michael Schröter, constitue à cet égard un véritable événement. Mieux que toute biographie de Freud, en particulier écrite par ceux qui n'ont jamais connu Freud et ne connaissent pas non plus la psychanalyse, n'hésitant pas à s'emparer de la vie d'un homme en y projetant tous les fantasmes que sa renommée hors du commun a pu alimenter, cette correspondance nous introduit dans les coulisses de la vie du grand homme. On y découvre concrètement quel père singulier Freud était, et, n'en déplaise à ses détracteurs actuels, c'était un père exceptionnel. Pourquoi ? Rappelons d'abord que Freud eut six enfants avec sa femme Martha, tous nés entre 1887 et 1895 : Mathilde, Martin, Oliver, Ernst,
Sophie et Anna. Et que ce ne fut pas simplement en vertu d'une nécessité de la nature. Car Freud, on le perçoit à travers ses lettres et à la façon dont il accueille la naissance de chacun de ses petits-enfants, considérait que quelque chose de l'humanité s'accomplissait dans l'engendrement. Bref, il aimait que les générations se renouvellent comme si à chaque fois qu'un nouveau venu arrivait sur Terre, quelque chose de la pulsion de vie l'emportait sur la pulsion de mort.
La correspondance de Freud renvoie à l'époque où ses enfants, devenus de jeunes adultes, ont quitté la maison familiale de Vienne, la fameuse Berggasse 19, pour s'installer dans d'autres villes, comme Berlin ou Hambourg. Ce document précieux contient les lettres de Freud à Mathilde et Robert, Martin et Ernestine, Oliver et Henny, Ernst et Lucie, Sophie et Max. Car gendres et belles-îlles sont considérés au même titre que îls et îlles, comme des enfants de papa Freud. La correspondance avec Anna fait aussi l'objet d'une autre publication chez Fayard, dans une traduction d'Olivier Mannoni (Sigmund Freud,Anna Freud, correspondance, 1904-1938). Papa Freud, donc, écrivait beaucoup à ses enfants devenus de jeunes adultes.
Ce qui séduit en tout premier lieu, à la lecture de ces lettres, c'est le ton de Freud et sa liberté de parole. Loin de toute identiîcation au père de la pure fonction, père qui se tiendrait à l'écart pour n'intervenir que sur un mode symbolique aîn d'exercer son autorité formelle, Freud y apparat comme un père extrêmement présent et concerné par le tour que prend l'existence de chacun de ses enfants, sans jamais s'opposer à leur choix profond. Père et beau-père exceptionnel, Freud fut d'abord un homme qui sut soutenir înancièrement tous ses enfants. Nombre de lettres ont pour objet le versement d'argent, le don d'un cadeau, et on découvre que tous les droits d'auteur de ses ouvrages, dès l'Interprétation des rêves, étaient transmis à ses enfants. Freud ne laissa donc jamais tomber personne et considéra qu'il était de son devoir, dans la mesure où cela lui était possible, de porter secours à ses enfants, parfois dans des dicultés înancières, et de les aider dans leurs ambitions familiales et professionnelles en leur apportant un soutien matériel. Mais ce premier aspect n'est pas le plus profond.
Ce qui frappe, comme le note l'auteur de l'appareil critique, c'est la franchise avec laquelle il s'adresse à chacun d'eux.«Du sérieux qu'irradiait Freud faisait partie un ethos de sincérité. [...] Dans l'esprit de cet ethos, il exigeait de ses enfants de la franchise et parlait avec eux avec franchise»(p. 18). En eet, la lecture de ces lettres nous dévoile ce trait de caractère de Freud : loin d'être un père formel, distant, coincé ou protocolaire, il apparat comme un père qui parle et qui parle franchement à ses enfants, leur donnant la possibilité de faire de même. Un père qui a quelque chose à leur dire, à chacun, et qui sait s'adresser diéremment aux îlles et aux îls, aux belles-îlles et aux gendres, aux petits-îls, aîn de créer avec chacun une relation unique. Son goût pour la parole, qui le conduisit à inventer la cure de parole, fondée sur l'association libre et les réminiscences inconscientes, son intérêt pour les symptômes des femmes qui l'amena à être le premier à les écouter et à ne pas considérer leur sourance comme une supercherie se manifestent ainsi dans sa correspondance, dans son
aptitude à s'adresser à ses îlles et belles-îlles en ne passant pas sous silence leur rapport à leur féminité, dans sa capacité à ne pas fermer les yeux sur les déceptions existentielles dont peuvent lui faire part ses îls.
UNE GÉNÉROSITÉ PROFONDE
A Mathilde, sa îlle anée, qui s'inquiète de ne pas être susamment jolie pour rencontrer un homme, il sait parler en lui démontrant ses charmes et en lui apprenant aussi que la destinée d'une jeune femme ne gt pas tout entière dans la beauté plastique mais tient beaucoup à l'impression qui se dégage de sa personnalité. A Martin, qui se tracasse que son cursus de baccalauréat ne le conduise sur une fausse route et qui envie le sort de ses deux frères réussissant mieux dans la vie que lui, Freud sait répondre en lui assurant de sa place dans la famille. A Esti, la femme de Martin qui croit que son mari l'a délaissée parce qu'elle devenait moins jolie et qui s'en plaint à Freud, celui-ci répond que ce n'est pas sur cela que repose l'entente ou la mésentente d'un couple et qu'il regrette qu'elle se soit «gâché tellement de chances d'être plus heureuse par les jugements précipités» qu'elle portait sur les gens.
A Lux, sa belle-îlle préférée, celle qui est venue illuminer sa vie à la suite de la mort de sa îlle bien-aimée Sophie alors qu'elle n'avait pas encore 27 ans, il conîe :«De même que tu as perdu un père aimé, de même j'ai perdu il y a peu une Ille, et depuis, je suis si meurtri que je ne me risque pas à croire au bonheur. Mais il semble tout de même que cela soit encore possible, que tu sois le bonheur»(p. 284). A Sophie, mariée à 20 ans à Max Halberstadt et exilée à Hambourg, loin de ses racines familiales, qui lui évoque son vague à l'âme, il répond :«Tu as, à n'en pas douter, un peu le mal du pays, ce dont nous ne pouvons être qu'un peu Iers», saisissant que ce qui lui manque peut-être, c'est aussi les intérêts intellectuels auxquels elle s'est habituée dans les conversations familiales, et l'invitant à cultiver cela avec son mari. Il trouve ainsi pour chacune et chacun des mots, un style, qui témoignent de sa passion pour la parole et de sa générosité profonde. Ce père qui sait comment parler, aussi bien à ses îlles devenues femmes qu'à ses îls fragilisés par l'expérience de la guerre, ou à son gendre meurtri par la mort de Sophie, est aussi un homme qui a de l'humour. On retrouve, en particulier dans la correspondance avec Lucie, la femme d'Ernst, une complicité intellectuelle et aective dont témoignent les mots d'esprit de Freud. Ainsi lorsqu'il lui écrit pour son anniversaire, car il ne manquait jamais de faire parvenir de l'argent à chacune à ces occasions-là, d'une seule phrase il signe sa lettre«Chère Lux, pour un petit luxe»... Après sa rencontre avec Romain Rolland, il écrit à Ernst et Lux sa joie en ses termes :«On est toujours étonné que tout le monde ne soit pas des canailles» (p. 321). En 1934, s'adressant à Ernst en espérant que la barbarie hitlérienne «ne franchira pas la frontière», ayant de surcroît appris qu'il Igurerait «en tête de la liste nazie»(p. 395), il conclut d'un
trait d'humour noir à propos du fascisme allemand, s'il en venait à pénétrer en Autriche :«En tant que juifs, nous n'aurons pas de quoi rire»(p. 395).
UN PÈRE QUI NE SE TAIT PAS
Lacan aurait certainement adoré pouvoir lire cette correspondance, et peut-être aurait-il pu voir quel père singulier était Freud. Non pas seulement un père aimant, non pas seulement un père soutenant, mais un père dont la passion profonde fut la parole et qui toute sa vie fut îdèle à cette éthique qui est aussi celle de la psychanalyse. Par-delà les anecdotes de la vie de chacun, par-delà les rendez-vous de vacances et les fêtes d'anniversaire, par-delà les drames tragiques de l'existence, ce qui émerge de ces lettres d'un père, c'est le désir de l'homme Freud. Un désir de transmettre à ses enfants, non pas tant la psychanalyse, puisque seule Anna embrassa la voie de son père, mais ce qui fut sa passion la plus constante, la passion de la parole. Le message de ces lettres, celui qui court sous tous les mots de Freud, c'est ce désir d'apprendre de ses propres enfants ce que lui-même acceptait de ne pas savoir. On découvre que Freud, ce père qui ne se tait pas, ce père qui ne se défausse pas, ce père qui sait répondre lorsqu'on s'adresse à lui, est un homme qui a aimé plus que tout la paternité. A lire cette correspondance, on se dit que, en dernier ressort, avoir quelque chose à dire à ses enfants, c'est ce qu'un père peut faire de mieux. C.L.
Sigmund Freud, lettres à ses enfants, Aubier, coll. «Psychanalyse», traduit de l'allemand par Fernand Cambon, 609 p., 27 €.
Freud, spinoziste.
ParPhilalèthele lundi 14 décembre 2009, 15:49
A F., qui connaît déjà bien les Ins de vie.
Arthur Koestler a rendu visite à Freud à Londres pendant l'automne 1938. Rendant compte de cet entretien, il rapporte le passage suivant:
" J'avais prononcé je ne sais quel lieu commun sur les nazis. Freud regardait d'un air lointain la fenêtre et les arbres, et avec un peu d'hésitation dit : - Vous savez, ils n'ont fait que déclencher la force d'agression refoulée dans notre civilisation. Un phénomène de ce genre devait se produire, tôt ou tard. Je ne sais pas si, de mon point de vue, je peux les blâmer."
Koestler ajoute :
" Il employa probablement des mots tout diérents, mais il ne pouvait y avoir méprise sur le sens. Il n'avait fait que donner une expression normale à la neutralité éthique inhérente au système freudien - et à toute science strictement déterministe. Pas même "tout comprendre, c'est tout pardonner" - car le pardon implique un jugement éthique, mais simplement : "Tout comprendre, c'est tout comprendre."" (Hiéroglyphes1955 p.495)
Bien sûr on pense à :
" Je veux revenir à ceux qui préfèrent maudire les Aects et actions des hommes, ou en rire, plutôt que de les comprendre (intelligere). Ceux-là, sans aucun doute, trouveront étonnant que j'entreprenne de traiter les vices et inepties des hommes à la façon géométrique, et que je veuille démontrer de façon certaine (certa ratione demonstrare) ce qu'ils ne cessent de proclamer contraire à la raison (rationi repugnare), vain, absurde et horrible." (SpinozaÉthiqueIII Préface trad. Bernard Pautrat)
Mais cette attitude est à mettre en perspective avec la suivante, relative à son cancer et rapportée aussi par Koestler:
" Je demandai à Freud s'il voyait à Londres beaucoup d'amis et de confrères. Il dit que "les docteurs" ne lui permettaient pas de voir beaucoup de monde, à cause de "cette chose sur ma lèvre". Il continua en disant qu'on le traitait aux rayons X et au radium. Puis le regard absent et lointain reparut dans ses yeux. il reprit : "Les docteurs disent qu'ils peuvent guérir cela. Mais sait-on s'il faut les croire ?"
Freud savait que la "chose" sur sa lèvre était un cancer. Mais le mot ne fut jamais mentionné par lui ni dans ses discours ni sans ses lettres à des amis; et personne ne le prononça jamais en sa présence. Il savait qu'il n'y avait pas d'espoir et que "les docteurs" le savaient. L'homme qui, plus qu'aucun autre mortel, connaissait les tours de la tromperie de soi-même, avait choisi d'entrer dans la nuit un voile transparent sur les yeux." (ibid. p.496)
Est-ce pesant de rapporter encore deux autres îns, bien diérentes malgré un commun silence ?
Roger Vailland (1965):
" "J'ai eu (c'est Claude Roy qui parle) une seule et franche conversation sur le sujet de la "vérité" avec Élisabeth (la compagne de Vailland). Je lui ai dit : "Tout ce qu'était, voulait et disait Roger avant de tomber malade penche vers le choix de dire la vérité. C'est à lui (d'une certaine manière) et à toi (en déînitive) qu'incombe la responsabilité de choisir l'illusion ou la vérité. Je t'approuverai dans l'un ou l'autre cas, mais il faut tout bien peser." Nous décidâmes que je consulterais le docteur Mario Bianchi. Celui-ci me dit : "Même si un malade, avant ou après être tombé malade, a professé et professe la volonté desavoir, il ne faut pas se îer à ce qu'ildit, mais à ce qu'ilveutinconsciemment. Si Roger a
accepté en quelques instants une explication "illusoire" de sa maladie, si le professeur Jean Bernard a décidé en quelques instants de lui donner cette version, c'est que tout en Roger, malgré ses dires, malgré sa volonté de "vivre et mourir en fauve de la Renaissance", montrait le refus de dévisager la réalité. Il faut donc respecter son choix vital. Il a besoin pour vivre sa mort de ne pas la nommer. Aidons-le dans cette voie." Et jamais plus je n'ai parlé du problème avec Élisabeth, encore moins présenté d'éternelles suppliques." Jamais Claude Roy n'oublia cette rencontre avec Roger Vailland au célèbreBar Vertde la rue Jacob, une heure avant que son ami rencontrât le professeur Jean Bernard. - Si c'est un cancer, lui dit-il, je choisirai ma mort. Sortant de chez l'illustre cancérologue, Vailland téléphona aussitôt à son vieux copain : - J'ai une veine inouïe... C'est bien un virus." (Roger Vailland ou un libertin au regard froidYves Courrière 1991 p.939)
Michel Foucault (1984):
" Il n'avait pas peur de la mort, il le disait à ses amis lorsque la conversation en revenait au suicide (en bon samouraï, il portait les deux sabres dont le plus court sert à se donner la mort), et les faits ont prouvé qu'il ne se vantait pas. Les tout derniers mois de sa vie, il travaillait à écrire et récrire ses deux livres sur l'amour antique, à liquider cette dette envers lui-même. Il me faisait quelquefois vériîer une de ses traductions et il se plaignait d'une toux tenace et d'une légère îèvre incessante ; par courtoisie, il me faisait demander des conseils à ma femme qui est médecin et qui n'en pouvait mais. "Tes médecins vont sûrement croire que tu as le sida", lui dis-je par plaisanterie (les taquineries mutuelles sur la diérence de nos goûts amoureux étaient un des rituels de l'amitié)."C'est précisément ce qu'ils pensent, me répondit-il en souriant, et je l'ai bien compris aux questions qu'ils m'ont posées." Mon lecteur aura peine à croire qu'en ce mois de février 1984 une îèvre et une toux ne donnaient de soupçons à personne ; le sida était encore un éau si lointain et ignoré qu'il en devenait légendaire et peut-être imaginaire (à cet endroit, on lit la note suivante: "aucun de ses familiers ne s'est douté de quelque chose ; nous n'avons su qu'au lendemain de sa mort. Au témoignage de Daniel Defert, lui-même avait noté dans son calepin :
"Je sais que j'ai le sida, mais, avec mon hystérie, je l'oublie.") "Au fait, lui demandais-je par simple curiosité, ça existe réellement, le sida, ou c'est une légende moralisatrice ?" -"Eh bien, écoute, me répondit-il après une seconde de réexion, j'ai étudié la question, j'ai lu pas mal de choses là-dessus : oui, ça existe, ce n'est pas une légende. Les médecins américains ont étudié cela de près." Et il me donna des détails techniques en deux ou trois phrases. "Après tout, me dis-je, il est historien de la médecine." Des entreîlets d'origine américaine sur le "cancer des homosexuels" paraissaient alors dans les journaux, où la réalité de ce éau était mise en doute. Rétrospectivement, son sang-froid lors de ma sotte question me coupe le soue ; lui-même à dû prévoir qu'il en serait ainsi un jour, méditer la réponse qu'il m'avait faite et compter sur ma mémoire." (Foucault, sa pensée, sa personnePaul Veyne 2008 p.210-211)
De ces trois illustres personnages, y a-t-il un candidat au titre d'exemplum?
Paul Veyne, qui reprend dans ce livre un article paru dans le numéro spécial deCritique, août-septembre 1986, n'avait pas hésité alors à ajouter immédiatement après le passage que je viens de citer:
" Donner de vivantsexemplaétait une autre tradition de la philosophie antique."
22 ans après, il n'a pas jugé bon de reprendre la phrase. Visiblement il préfère la îgure du samouraï (le titre du dernier chapitre est en eet "Portrait d'un samouraï"). À cause de la référence à l'hystérie ?
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Si « l'épuisement du règne de l'invisible » est bien, selon la formule de Marcel Gauchet, la déînition contemporaine du désenchantement, Freud occupe à coup sûr une place centrale dans cette nouvelle conîguration du sens qui en appelle à l'impératif de subversion des zones enfouies dans le plus intime des consciences. C'est à ce prix que chaque être humain peut s'accomplir sujet, et se dire tel. Mais cela n'implique pas le renoncement aux questions fondatrices de l'origine et de la constitution de l'identité singulière de chacun, qui ne se posent pas d'emblée, tant s'en faut, ni ne se résolvent, dans l'évidence d'une exacte lumière, et raison. Au contraire, telle subjectivité ne se construit et ne s'atteint que sous condition de croyances irrésolues et d'illusions sans avenir, qui instituent le moi comme réceptacle et foyer ardent de toutes les incertitudes et conits de l'existence. L'objectivisme absolu, l'appel à un rationalisme sans faille dans le « mécanisme » fondateur de la personne comme sujet, la « puissance de l'intelligence » – qui qualiîent les bases de l'analyse freudienne –, ne s'entendent que dans le recours permanent aux phénomènes de « croyance » et d'« illusion » au principe même de tout accomplissement personnel. Il n'est alors chez Freud de « rationnel » que sous condition de prise en charge radicale d'une logique relevant d'autres réquisits. C'est à l'exposition et l'analyse de ce paradoxe qu'E. Schwab se consacre, suivant pas à pas la formulation, hésitante parfois, dans la douleur
toujours, de la théorie analytique, au rythme d'événements qui mettent Freud à l'épreuve de lui-même, et de ce que l'on nommerait aujourd'hui sa résilience.
2Croire, donc, pour mieux connatre autrui, et se connatre. Croire pour mieux (se) savoir. Accepter toute croyance comme ce qui tend à rendre visible quelque invisible, ou avouable quelque indicible. Prendre la croyance non comme modalité irrationnelle de pensée, mais comme ce qui donne accès à cette pensée même, en sa stricte raison. Et de l'illusion, savoir repérer de quel monde intérieur elle témoigne, pour métamorphoser son avenir en un passé qui peut enîn s'assumer. Croyance est créance, jamais crédulité. Illusion est exploration, jamais égarement. Pour suivre l'argument d'E. Schwab, ceci, en liminaire : croire est « l'acte par lequel un sujet se noue à lui-même et à son monde », à condition de « se rendre présent à sa perception ». Au « poids de réalité » dont la croyance se veut attestation, la « présence de soi » au cœur de ce témoignage est gage paradoxal. Il faut passer par la porte étroite du croire pour entrer dans le vif du sujet. Et il est clair que ce qui « vaut » pour le sujet (« patient »), vaut pour l'analyste (Freud).
Et qu'un double jeu du croire se déploie entre deux îgures ainsi mises en réciprocité. L'auto-analyse à laquelle se livre Freud ne peut se décider que sur fond de recherche, partagée entre lui-même et tout autre, d'une origine de soi, et de ce qui compose une identité singulière.
3Mais on pressent très vite que solliciter les concepts de croyance et d'illusion, si tel est l'acte nécessaire pour se rendre matre de sa pensée et son « destin », n'est pas sans convoquer une interrogation sur la religion comme système où l'une et l'autre se déclinent. Si Freud déînit la religion comme « réponse à un état de détresse », ou à une « absence de recours », encore faut-il aller au fond de ces failles et faillites pour en nommer la raison. La genèse psychique de la religion, rappelle E. Schwab, se fonde sur « la tendance à créer des îgures connues, puis à leur attribuer l'origine de tout ce qui est vécu ». Le nom du Père, on le sait, n'est pas loin. Nostalgie qui le qualiîe, séduction qui fut fantasme mis en scène, disparition dont on se croit coupable, mais d'un croire qui est de l'ordre du savoir, culpabilité qui s'en suit, obéissance rétrospective à ses interdits et ses actes d'autorité, et tout ce qui constitue l'ambivalence du rapport du îls à cette îgure paternelle. Ainsi en va-t-il de « l'image du Père ». Ainsi en va-t-il des « images religieuses » qui, rapportées à l'exigence de sécurité du sujet, soutiennent son « sentiment d'existence ». E. Schwab note très justement que Freud ne tient pas l'illusion pour erreur, car telle illusion – ici référée à l'économie de la religion, mais rapatriée aussi bien dans celle de la subjectivité – « relève de la logique du désir ». Logique originaire, à « portée-identitaire » et qui, parce que toute « illusion », dans le îl de la théorie analytique, « acquiert la fonction de représenter le sujet », permet au sujet d'être présent à lui-même. Si Freud oppose au pouvoir narcotique de la religion, le « primat de l'intelligence », c'est, rappelle E. Schwab, en distinguant résolument ce qui appartient au registre religieux, et ce qui concerne l'univers de la croyance, et n'exempte pas celle-ci de raison ni de vérité : « Le savoir certain ne congédie pas le registre de la croyance ». Car il n'est pas, selon la métaphore devenue courante, de « carte »
(représentation) sans « territoire » (ce qui est représenté). Mais rien n'assure, cependant, qu'une association immédiate et évidente de l'une à l'autre s'impose, et, moins encore, s'expose. Seule une « croyance athée » peut nouer un « rapport d'incertitude » entre les deux ordres de signiîcation qui se répondent sans correspondre. Les thèses que Feuerbach soutient dansL'Essence du christianisme(1841), son « athéisme radical », sa conception de « dieu » comme l'homme total et réel, ne sont pas reprises telles quelles par Freud, qui introduit le marqueur fondamental de la subjectivité dans l'acte de croire, et, en l'homme « total », révèle au contraire les fêlures et inachèvements. Mais il retiendra du philosophe allemand qu'il faut être deux pour « penser », qu'un « je » est toujours « face à toi », et ne « se relie à lui-même et à son monde (que) par la médiation de la conscience de l'autre ».
4C'est à l'évidence de cet « autre », l'autrui « généralisé » ou le monde intersubjectif, qu'il va désormais être question. Comment aborder ce « continent » nouveau, intérieur/extérieur, fondé en croyance et en vérité, en aveu et dénégation ? L'analyse du fétichisme peut être une première étape dans la compréhension de ce que croire veut « dire ». Si le fétiche est bien cet « objet de substitution » qui peut aller jusqu'à « remplacer complètement le rapport à une personne réelle », la croyance qui soutient cette dimension substitutive indique que « le rapport à la réalité extérieure perd son statut de critère dernier » au bénéîce d'une autre dimension, qui ouvre le champ de l'imaginaire, c'est-à-dire de la fonction proprement symbolique constitutive du moi. L'autre, ici par son « absence », est garant du moi, en tant qu'il participe de ce « processus interne structurant ».
Par ailleurs, de la conception de Winnicott qui déînit « au cœur de chaque personne (...) un élément de non-communication qui est sacré et dont la sauvegarde est très précieuse », à la formulation « je sais bien... mais quand même », qui pose le maintien paradoxal d'une croyance par delà l'évidence d'un réel aussitôt déniée, E. Schwab en vient au centre de sa quête. Dans l'un et l'autre cas, le « réel » ne se conçoit que par le détour d'une croyance qui ne nie tant la « réalité » que pour attester la puissance synthétique du moi, et de l'appareil psychique en sa dynamique. En ce sens, l'initiation ne se réduit pas à quelque rite de passage, mais, à la mise en évidence, au principe du rite, du « mystère » qui le fonde, cette « croyance » – qui est toute conscience – du rapport nécessaire aux « îgures tutélaires ». L'initiation consiste ainsi à révéler ce qui doit demeurer caché, et à recouvrir aussitôt d'un voile ce qui vient d'être révélé. Jeu complexe où s'interpénètrent savoir et croyance, science des choses du monde et relation intime, et sacrée, à l'« origine » du moi.
5C'est dans la période même où Freud aborde la question de l'initiation, qu'il traverse lui-même, dans les années 1895-1901 ce qu'E. Schwab appelle une « crise initiatique », où incertitudes théoriques et malaises du corps se mêlent en une même détresse. Ce qui se dira « lutte avec l'ange », et prend signiîcation singulière par le jeu entre le Jacob biblique et Jacob, le prénom du père. Freud, saisi par « l'ombre de la mort », et dans l'urgence de constituer « une œuvre originale » qui doit lui survivre comme garantie d'« éternité », analyse alors la
transformation du moi « face à une situation excessive ». Crise traversée par des « enjeux de croyance », note E. Schwab, seuls capables de « soutenir l'existence et la conîance fondamentale du sujet ». Hors la croyance (en la îgure protectrice du père, en la possibilité de penser l'origine, en la capacité thérapeutique des fantasmes), point de « salut » pour un sujet, point de survie. Peut-être sommes-nous là à la racine du « sentiment religieux ». Mais à coup sûr sommes-nous à la source de la pensée, et de la subjectivité. Cela ne s'expose pas en toute netteté, mais dans le véritable « nuage d'inconnaissance » que constitue l'acte de mémoire, cette machinerie à produire l'oubli. Pour Freud, « la vérité psychique reste en général inconnue des patients ». De l'hystérique, il convient de « croire » en la sourance qu'il exhibe. Mais à son encontre, il faut « tenir ferme » l'idée que ce « réel » dont parle cette sourance renvoie « à un processus psychique » rapporté à des « circonstances passées ». Faire crédit à la douleur d'être pour tenter de connatre de quelle source aveuglante/aveuglée le sujet est le débiteur. De quel traumatisme ce sourir procède. L'acte d'analyse ne se peut que dans le partage de la croyance, jusqu'à ce que le patient puisse se transformer en « collaborateur » de l'analyste. Bref, jusqu'à ce que la croyance, émancipée du non-sens où elle se perpétuait, prenne force « intellectuelle », et par là participe en tant que telle de sa « matrise rationnelle ». De la croyance à la « raison », patient et analyste opèrent même traversée, chacun devant « donner crédit à un sens caché ». Récuserait-on par principe cette croyance, nulle rationalité ne vaudrait. Voilà pourquoi, dit Freud, il faut « faire entrer l'âme dans la science », en donnant aux processus psychiques une « existence objective ». En accordant, par subversion du projet scientiste, « un sens psychique à la totalité des symptômes nerveux ».
6Symbolisation et subjectivation vont de pair. Commentant la théorie freudienne, E. Schwab précise le risque couru par toute croyance et toute illusion, de confronter le moi « à une épreuve redoutable », de générer des « souvenirs non domptés » par le travail même du psychisme. Ce sont ces mémoires, agissantes d'autant plus qu'abolies, que l'analyse doit réhabiliter et matriser en faisant retour sur le passé. Au travers et par le canal des croyances, fantasmes et rêves du sujet, enclencher « la quête de l'origine », ce point d'appui ultime, aîn que ce sujet puisse se « réapproprier le sens de son existence ».
Le coup de force de Freud est bien alors de fonder une nouvelle épistémologie, dans laquelle l'ordre du croire et du doute, loin d'être rejetés aux marges de la science de l'homme, « appartiennent totalement au système du moi conscient », et permettent précisément d'accéder à ce système en toute clarté. Ainsi se crée « un tissu de sens qui organise l'identité du sujet ». La question de l'origine occupe en ce moment théorique précis, une place centrale. Adhérant auB'naï B'rith, les « Fils de l'Alliance », Freud ne renoue pas seulement avec la tradition juive ancestrale, mais avec le temps indécidable de l'origine, dans le moment même où il constitue et parachève le fondement de sa doctrine. Si l'origine est indécidable, c'est de ne pouvoir, par principe, être « déînie » par surplomb. Les « premières conîgurations fantasmatiques » ne renvoient à aucune « réalité traumatique originaire extérieure », note E. Schwab dans le sillage de Freud et de Winnicott. Aussi bien faut-il « donner consistance au sujet à partir de sa réalité
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