Le déclic scolaire
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Pamphlet socio-politique sur la vision de l'éducation et son inégalité. 5 pages pour développer une idée : l'école est discriminatoire.

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Publié le 13 août 2011
Nombre de lectures 732
Langue Français

Extrait

Le déclic scolaire
selon Jonathan Dehoust
J’ai doublé deux fois durant mes années secondaires et je n’en suis pas mort.
Ce n’est pas tellement le fait d’être montré du doigt comme un cancre qui me tuait mais celui
de devoir suivre une seconde fois des cours qui ne m’intéressait pas et que, avec le minimum
d’effort et d’attention, j’aurais pu réussir les doigts dans le nez.
Mais voila, les premières heures du matin, je préférais m’étaler sur le banc pour récupérer ma
courte nuit plutôt que d’étaler plumier et bloc de feuilles. Les jours de bulletin étaient des
journées d’enfer, le résultat pitoyable de mes siestes et de mes interrogations blanches.
Des « Heureusement qu’il ne ronfle pas » et des « Un véritable touriste » s’enchaînaient dans
les commentaires de mes professeurs désespérés. Il m’était impossible pour moi d’étudier, de
vouloir apprendre, d’être intéressé par la trigonométrie ou la littérature médiévale. Je côtoyais
des étudiants plus jeunes que moi et en pleine adolescence, je me suis créé une image. Enfin
je me trompe, « Ils » m’ont collés une image et j’ai décidé de la garder. Un provocateur n’en
devient pas un si on ne lui dit pas selon moi. J’étais devenu un personnage à la barbe
naissante, les cheveux en pétard, tantôt comique tantôt endormi, dragueur et grande gueule.
Cela me valait des poignées de mains serrées ou des regards de pitié.
J’ai eu très tard le « déclic scolaire ». Il n’y a pas eu d’éléments déclencheurs proprement dit,
un jour je me suis simplement mis à m’intéresser au monde qui m’entourait et à comprendre
que les études sont importantes pour ma vie. C’est si joliment dit que cela frôle la poésie fleur
bleue, je sais. Bien que ma sensibilité d’être humain ait joué devant l’actualité constamment
mélodramatique ; le monde des informations est devenu pour moi une porte ouverte à la
connaissance. Je me suis mis à m’intéresser, à lire, à écrire et à écouter.
Certains ont le déclic scolaire dès le plus jeune âge, l’intelligence n’est pas une notion d’inné
mais d’acquis et les parents jouent leur rôle. D’autres l’ont plus tard, et d’autres encore ne
l’ont jamais. Ce n’est pas tellement leur faute.
Le constat est là, noir sur blanc, les familles ouvrières ou à bas salaires ne pondent jamais de
médecins ou d’avocats et les familles à salaires convenables et modestes ne pondent jamais
d’ouvriers, ou cas extrêmement rares. Il ne faut pas avoir fait des années de sociologie ou
d’anthropologie pour voir ce que la société nous met sous les yeux.
Aucun riche n’habite à côté d’un pauvre
. Hommage à la Seconde Guerre mondiale, les
ghettos ne nous ont jamais quittés. Dans les quartiers et cités où s’entassent les chômeurs,
ouvriers et femmes de ménage, les enfants, sauf exceptions qui confirment la règle,
n’évoluent pas dans un environnement propice à la bonne scolarité.
Tout d’abord les parents, qui sont l’exemple premier des enfants, sont des gens qui eux-
mêmes n’ont pas trouvé l’école intéressante et effectuent aujourd’hui des boulots qu’ils
regrettent. De ces regrets et fins du mois difficiles, les parents n’en tirent généralement qu’une
vision pessimiste du monde que la mémoire des enfants emmagasine. Il faut donc une grande
force mentale à l’enfant pour comprendre que « les parents sont dans le faux et l’école est
dans le vrai. »
Et puis il y’a l’entourage qui intervient. Avant de développer mon idée, je voulais préciser
qu’il n’est pas dans mes intentions de caricaturer, j’ai grandi jusqu’à mes vingt ans dans une
simple cité wallonne du Hainaut, à Soignies, qui n’est ni dans les pires ni dans les meilleures
selon mes échos, et mes réflexions portent sur ce que j’ai observé, entendu et compris durant
mon évolution. Pour reprendre, les voisins jouent un rôle important chez l’enfant.
Après ses parents, l’enfant va se demander : Et c’est comment ailleurs ?
Je vais prendre l’exemple de là où j’ai grandi. Si les autres familles n’étaient pas comme les
miennes : un père ouvrier qui fume et ne rejette jamais une invitation au café et une mère
sensible maniaque du ménage, ils étaient sous le chômage.
Je ne sais pas si je peux en tirer une généralité mais j’ai la forte impression qu’il y a plus de
« couche-tard lève-tard » que de « couche-tôt lève-tôt » dans les cités peuplées de Wallonie.
Je connaissais, et connais toujours d’ailleurs, un homme dont je tairais le nom, qui est sous le
chômage depuis plus de vingt ans et est dans la parfaite capacité à travailler. Il a un écran plat,
un ordinateur portable, va dormir aux environs de 4 heures du matin et fait la grasse matinée
de manière quotidienne et banale. « Il faut être fou pour aller travailler » tels sont ces mots.
Sauf faute de ma part, je ne pense pas que cela soit un cas unique en Belgique.
« La Belgique est un pays de merde » lance-t-il régulièrement. Ce type de personnes est
appelé par les honnêtes travailleurs, les libéraux et les gens comme moi :
des profiteurs
ignorants du système social belge
. Cette catégorie sociale mélangée aux ouvriers et femmes
de ménages est balancée dans des cités aux blocs d’appartements qui n’en finissent plus avec
un zeste de délinquance juvénile dans la nuit. Chez l’enfant va se créer une réflexion logique
et instantanée : « Si je rate l’école, au pire je deviendrais chômeur » et cette analyse peut se
développer jusqu’à la fin de l’adolescence : « Des gens profitent, pourquoi je serai le seul con
à ne pas le faire ? ». Le chômage attire le cancre : on fait ce qu’on veut et l’on est payé pour.
Durant mes années de scolarité primaire, les professeurs ou parents demandaient souvent aux
enfants ce qu’ils voulaient faire plus tard. Astronome, pompier, policier ou acteur n’ont plus
tellement la côte. Chômeur est devenu un métier à plein temps.
Si l’exemple des parents et l’attirance du chômage n’intéressent pas l’enfant, il va se porter
vers un autre monde encore, plus lointain, métaphysique et idéal : celui des bourgeois.
Leurs ghettos ne ressemblent en rien aux leurs. Pas de police qui arrive une fois par mois pour
une dispute familiale qui a finit aux poings, pas de petits trafics de drogues douces, pas de
gosses qui courent dans les rues en pleine soirée, pas de petits appartements entassés, pas de
chiens qui errent dans les rues, pas de jardins ouvertement montrables ou de mobylettes qui
font un vacarme la nuit. Chez eux, tout le monde a un travail et ceux qui font les couche-tard
lève tôt sont des retraités bien méritants. L’enfant est éduqué avec la notion du travail.
Les parents, premier exemple de l’enfant je le rappelle, sont des gens qui n’ont peut être pas
trouvé l’école intéressante mais ont été jusqu’au bout et ont fait des études.
Ils ont un travail convenable, parfois comme indépendant, qu’il soit un homme ou une femme.
Le simple fait que la femme travaille comme le père et ne soit pas une simple mère au foyer
qui nettoie, repasse et prépare à manger, cela va instaurer dans l’esprit de l’enfant une logique
égalité des sexes, égalité qui n’est pas présente dans les cités où « la jeune fille » admire une
mère qui fait le ménage et laisse l’Homme travailler pour nourrir sa famille.
L’enfant va dés lors avoir une mentalité vers la réussite. « Je veux faire comme papa et
maman : avoir un boulot, une famille, une belle maison. »
L’entourage est pareil. Tout le monde a sa maison, entourée de grillages ou de grands sapins
et quelques fois des caméras de surveillance qui filment constamment l’entrée et le jardin.
Cette importance des libertés individuelles et de la sécurité va pousser l’enfant à se méfier des
autres et encore plus des autres qui ne vivent pas « comme lui » et va déclencher sans qu’il
s’en aperçoive un début d’idéologie politique, si j’ose dire, vers la droite.
Ce début d’idéologie disparaît avec le temps - vu que les enfants de bourgeois s’intéressent
plus à l’école, ils lisent plus, connaissent plus et agrandissent leur répertoire politique et
rencontrent des idées auxquelles ils s’accordent plus - ou bien, et le plus souvent c’est comme
cela que cela se passe, l’adolescent et le jeune adulte qu’il devient a agrandit cette fierté
droitiste et cela peut aller jusqu’à des déclarations ouvertes lors de discussions : « Oui, je suis
quelqu’un de droite. » à une haine des partis de gauche, notamment socialistes, qui laissent
vivre des profiteurs de la sécurité sociale exemplaire du pays. Les ghettos où s’entassent
ouvriers, chômeurs et femmes de ménages deviennent des jungles urbaines dans lesquels ils
n’oseraient même pas mettre un pied.
Ils ont grandit, se sont baignés depuis tout petit dans un environnement social propice. Tout le
monde travaille et mène la belle vie et l’enfant veut faire comme tout le monde et pour faire
comme tout le monde, ça commence par l’école. On est bien obligés. « Les travailleurs sont
les bons et les chômeurs et les ouvriers sont les méchants », leur vision simpliste et
caricaturale ? Excusez-moi, je n’ai pas pu me retenir.
Et de toute façon, tout se joue dans les premières années secondaires.
Oui, je vous le jure, tout se joue durant ses années où l’enfant quitte le monde du primaire
pour « la grande cour » et met du temps à comprendre ce qui lui arrive, la puberté vient
d’arriver, les filles commencent à lui faire de l’effet, les parents deviennent ennuyeux, on a
envie de voler de ses propres ailes et de faire ce que l’on veut et en plus de cela, ils doivent
faire des choix qui importent énormément sur leur avenir scolaire : Anglais ou néerlandais ?
Informatique ou latin ? Morale ou religion ? Sport ou musique ?
Ma première année secondaire, je l’ai faite à l’Athénée Royal Jules Bordet de Soignies. Dans
ma classe, je côtoyais plusieurs camarades venant de la même école primaire que moi et on
aimait rire. On était encore des gamins du primaire qui avaient envie de jouer au football dans
la cour de récré et qui jouaient au Game boy alors la biologie, la physique, le néerlandais ou
encore l’histoire avec son antiquité qui fait bailler, on en avait rien à cirer. Le Conseil de
classe du mois de Juin n’avait pas été tendre avec moi :
Trois examens de passage
et il l’avait
été encore moins avec la plupart de mes amis blagueurs :
Refusé, dirigée vers les options
professionnelles
. Ils venaient d’avoir treize ans et en une année, un groupe d’une quinzaine de
personnes avait mis une croix sur leurs chances de poursuivre des études supérieures et décidé
de leur avenir professionnel. Mais de quel droit ?
Ils avaient le choix entre tous les travaux manuels : menuisier, électricien, maçon, cuisinier,
mécanicien. Certains ont « accepté » la décision du Conseil et sont devenus chauffagiste,
maçon ou mécanicien. D’autres ont demandé une seconde chance et ont doublé leur année,
ont pris en maturité et ont réalisé des humanités exemplaires.
Je constate une chose grave, une discrimination évidente. Je ne dis pas que les Conseils de
classes magouillent avec les gouvernements nationaux, ne soyons pas stupides mais je
remarque que cette catégorisation « tu feras un travail manuel et vivra dans une cité-ghetto ou
tu feras des études et vivra dans une quartier-bobo » fondée sur l’analyse globale d’une seule
année scolaire nouvelle pour des prés-adolescents est, selon moi, inacceptable.
Les professeurs et directeurs des écoles sont les maîtres du marché de l’emploi. Dans le fond
si le Conseil de classe accordait à tout le monde un passage dans l’année suivante ou une
seconde session en Septembre, les options professionnelles n’existeraient pas. Et si elles
n’existeraient pas, les travaux manuels seraient moins importants et le marché de l’emploi
irait mal. Quoiqu’ils puissent penser, les professeurs et les directeurs ont « le devoir de faire
échouer des étudiants », c’est une honte qui existe depuis Charlemagne.
Lorsque j’étais au Collège Saint-Vincent de Soignies, grande école réputée à forte
concentration d’enfants de milieux plus bourgeois, il était fréquent que mes oreilles captent
des paroles non fondées et stéréotypées qui frôlent le populisme de bas niveau. « Les
chômeurs y en a marre – L’économie va mal. » Cela provenait d’étudiants qui se disaient de
droite mais n’avaient pas fait les sciences politiques et lu un seul livre politique, ils répétaient
simplement ce que pensaient leurs parents car les autres ont faux, dirait-on. Absence d’esprit
critique notable.
Il m’arrivait de mettre mon grain de sel lorsque les choses me dépassaient complètement, et
ce pour leur faire comprendre qu’ils n’ont pas forcément raison parce qu’ils s’identifient à
leurs parents. Je ne me dis ni de gauche, ni de droite, ni de centre. J’aime la politique et selon
moi toute idéologie (nationaliste et communiste y compris) ont le droit d’être entendu et ne
sont pas toutes dans le faux. Ainsi, je pourrais me décrire en toute modestie comme un
pluraliste dont la culture politique est encore trop faible pour pouvoir se situer dans
l’échiquier. Et dans le fond, qui peut affirmer réellement sa position ? Qui vote pour un parti
avant d’avoir lu complètement ses idées et écouté les discours de ses représentants ? Très peu
je pense. Malgré cela, la politique est ce qui a de plus important dans notre société puisqu’elle
peut décider de sa gouverne et de son mode de vie.
Toujours dans ce fameux Collège, « créateur de faux-culs baby-libéraux », il m’arrivait de
converser avec des rhétoriciens en latin-grec. Ils faisaient parti de l’élite et étaient voué à un
bel avenir estudiantin et professionnel. Ils provenaient d’un de ces quartiers bourgeois pour la
grande (et parfois totale) majorité bien entendu et ne savaient rien. Ils avaient passés leurs six
années à apprendre par cœur mais en dehors de l’école, ces personnes étaient littéralement
ignares. L’absence de gouvernement en Belgique ? Il ne savait rien dire là-dessus. Le
réchauffement climatique ? Rien. L’inculpation pour agression sexuelle du Président du
FMI ? Rien. La peur du terrorisme dans le monde ? Ah si, en géographie, on a appris que …
Oui mais toi tu en penses quoi ? Rien. Les écoles secondaires qui produisent des élites,
produisent également une vague d’ignares et d’incultes qui remplissent les auditoires
universitaires : preuve que l’on peut avoir le déclic scolaire proprement dit et tenir des
conversations et des débats aussi pauvres qu’un analphabète. Alors, lequel est le mieux : le
déclic scolaire ou « le déclic de la vie » ? La société nous impose le premier mais ce n’est pas
forcément le bon.
Aujourd’hui, je peux me dire chanceux d’avoir échappé des mailles de ce filet de « cancres
scolaires voué aux basses classes sociales » et j’écris cela à la mémoire de toutes ses autres
personnes, que j’ai côtoyé ou non, qui ont été prisonniers de ce filet et rejetaient dans les eaux
du monde du travail manuel sans espoir de pouvoir un jour mordre un nouvel hameçon. Je les
admire et les défends et ne serait jamais contre le fait d’aller nager dans leurs eaux
certainement plus claires et respectables que les autres.
Il aurait suffit d’accepter une des décisions du fameux Conseil de classe ou que le déclic
scolaire m’ait oublié pour ne jamais vous écrire ces mots. Un autre l’aurait fait, pas moi.
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