Messianisme ou chauvinisme : l engagement des Etats-Unis à l égard de la paix par le droit - article ; n°1 ; vol.31, pg 59-113
56 pages
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Messianisme ou chauvinisme : l'engagement des Etats-Unis à l'égard de la paix par le droit - article ; n°1 ; vol.31, pg 59-113

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Description

Annuaire français de droit international - Année 1985 - Volume 31 - Numéro 1 - Pages 59-113
55 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1985
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Extrait

Professor Thomas M. Franck
Jerome M. Lehrman
Messianisme ou chauvinisme : l'engagement des Etats-Unis à
l'égard de la paix par le droit
In: Annuaire français de droit international, volume 31, 1985. pp. 59-113.
Citer ce document / Cite this document :
Franck Thomas M., Lehrman M. Messianisme ou chauvinisme : l'engagement des Etats-Unis à l'égard de la paix par le droit. In:
Annuaire français de droit international, volume 31, 1985. pp. 59-113.
doi : 10.3406/afdi.1985.2650
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1985_num_31_1_2650MESSIANISME OU CHAUVINISME :
L'ENGAGEMENT DES ETATS-UNIS
EN FAVEUR DE LA PAIX PAR LE DROIT
Thomas M. FRANCK et Jerome M. LEHRMAN
Qui voyage jusqu'au bout d'un che
min rocailleux mérite plus d'éloges que
celui qui descend les Champs-Elysées en
carrosse
« Vieux dicton français » forgé par le
juge Philip C. Jessup
Les Etats-Unis annoncèrent, le 19 janvier 1985, qu'ils allaient quitter la Cour
internationale de Justice en plein milieu d'un procès intenté contre eux par le
Nicaragua. Le 7 octobre, ils notifièrent la fin de leur acceptation générale de la
juridiction de la Cour en application de l'article 36, paragraphe 2, du statut.
Washington semblait ainsi tourner le dos à deux siècles d'engagement — et de
leadership — américain pour la cause de la paix mondiale à travers le droit et les
institutions juridiques.
Cette manière de voir, bien qu'elle ne soit pas tout à fait erronée, est une
simplification excessivement sommaire et une déformation monumentale de l'his
toire. Depuis longtemps, les Etats-Unis manifestent une attitude profondément
schizophrénique à l'égard de l'idéal actuellement incarné, même imparfaitement, par
la Cour mondiale (C.I.J.). Cet état de choses se traduit par deux tendances
américaines intellectuelles et politiques profondément enracinées, mais contraires
et irréconciliées : la tendance messianiste et la tendance chauviniste. Bien que les
deux visions soient radicalement différentes, elles sont toutes deux nées de l'idée
que l'Amérique est unique dans l'histoire par son acceptation du rôle des juges
comme arbitres des conflits entre les détenteurs du pouvoir : les Etats, la Prési
dence, le Congrès, etc. Les messianistes en déduisent la mission de convertir le reste
du monde à une extrapolation de ce qui fonctionne chez eux : en l'occurrence,
l'habitude de recourir à des tribunaux pour le règlement des conflits entre Etats.
Fondamentalement optimistes, ils sont convaincus que cette conversion est possible
si les Etats-Unis, en tant que nation-phare, n'ont cessé de montrer la voie.
Contrastant nettement avec eux, les chauvinistes sont enclins à une perception
pessimiste des choses, qu'ils préfèrent parfois appeler « réalisme ». Ils voient le
reste du monde, au pire, hostile, au mieux, socialement imperméable à l'idée
(*) Thomas M. Franck, professeur de droit à la New York University School of Law,
rédacteur en chef, American Journal of International Law.
(**) Jérôme M. Lehrman, Fellow Center for international Studies, New York University
Schood of law.
Les auteurs tiennent à remercier pour leur aide le Filomen d'Agostino and Max E. Greenberg
Research Fund of New University School of Law. 60 MESSIANISME OU CHAUVINISME
américaine d'un pouvoir judiciaire puissant, impartial, doté de larges compétences
vis-à-vis d'importants choix de société. Ils rejettent donc la conception selon laquelle
les Etats-Unis devraient se soumettre, sous une forme ou sous une autre, à un
système global de règlement judiciaire, de crainte que le caractère unique de
l'expérience américaine ne soit englouti et perdu dans des tribunaux comportant
des majorités juridictionnelles aux traditions légales et sociales très différentes.
Cette lutte intestine de l'âme américaine entre les tendances messianiste et
chauviniste dure depuis deux cents ans. Elle a, bien entendu, son pendant dans
d'autres aspects de la politique étrangère. Il se peut toutefois qu'elle vienne
précisément d'atteindre un point culminant en aboutissant à une victoire décisive
des chauvinistes. Quelles que soient les conséquences de cette issue, elle fournit une
occasion salutaire de dissiper les mythes et les illusions qui ont creusé un gouffre
béant entre l'apparence et la réalité de la politique américaine. Une telle « décan
tation » constitue le point de départ indispensable pour un nouvel et raisonnable
examen des options qui se présentent et des voies futures.
La vision messianique
L'idée que l'abandon américain de la Cour mondiale en 1985 représente un
revirement complet dans la politique pratiquée par les Etats-Unis provient d'une
confusion entre la politique professée depuis longtemps par ce pays et sa mise en
œuvre effective. Il est de fait que la notion de tribunal mondial tire son origine avant
tout de propositions formulées et d'initiatives entreprises par les Américains
pendant le siècle qui a précédé la première guerre mondiale. Les efforts déployés
par eux lors des Conférences de la paix de La Haye, en 1899 et 1907, ont été les
premiers pas importants faits par un gouvernement pour présenter un projet de
tribunal mondial, et c'est avec une certaine justification que le secrétaire d'Etat
John Hay devait, en 1899, faire allusion à « l'intérêt constant et très répandu
que le peuple des Etats-Unis porte à la mise en place d'une cour internationale » (1).
La soumission effective des Etats-Unis à des tribunaux internationaux comporte
cependant bien plus d'ombres que ne le reconnaît la vaillante rhétorique.
1794-1899 : Dissonance entre rhétorique et engagement
L'arbitrage est le précurseur du règlement judiciaire. Les débuts de l'ère
moderne du règlement arbitral de différends entre Etats (2) datent du 19 novembre
1794 lorsque le secrétaire d'Etat américain John Hay signa avec la Grande-Bretagne
un traité (3) créant trois commissions d'arbitrage pour résoudre plusieurs litiges en
souffrance entre les deux nations. L'une d'elles s'employa à déterminer et définir
le tracé du fleuve Sainte-Croix, les trois arbitres arrivant à un accord général sur
des parties de frontière qui séparaient le Nord-Est des Etats-Unis et l'Amérique du
reproduit (1) U.S. dans Dept. J. SCOTT, of State, The Hague Instructions Peace Conferences to the International (Documents) (Peace) 1909, Conference vol. 2, pp. 6, at 8 the (ci-après Hague, « 1899, 1899
Instructions »). Voir aussi U.S. Dept. of State, 1899 Foreign Relations of the United States, 1901, pp. 511,
512 (ci-après « (année) Foreign Relations U.S. »).
(2) J. RALSTON, International Arbitrations From Athens to Locarno, 1929, p. 191.
(3) Traité d'amitié, de commerce et de navigation entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, du
19 novembre 1974, Stat., vol. 8, p. 116; T.S. no 105. L'ENGAGEMENT DES ETATS-UNIS EN FAVEUR DE LA PAIX PAR LE DROIT 61
Nord britannique (4). Une deuxième commission s'occupa des réclamations intro
duites par des ressortissants britanniques contre des Américains au sujet de dettes
contractées avant l'établissement de la paix entre les deux pays (5). Pendant près
de deux ans, la commission statua avec succès dans des affaires portant sur
quelques 25 millions de dollars, jusqu'au moment où en 1799, ses réunions furent
suspendues à la suite du retrait de ses membres américains à propos de la question
de l'obligation d'un des demandeurs d'épuiser les voies de recours judiciaires dont
il disposait (6). Cette impasse conduisit finalement à un règlement négocié du
restant des revendications sous la forme d'un versement forfaitaire de 2 664 000
dollars par les Etats-Unis à la Grande-Bretagne (7).
La troisième et la plus importante des commissions du traité Jay (8) eut à
connaître d'actions en revendication au titre de saisies effectuées pendant la guerre
franco-britannique (9). En dépit de quelques perturbations, elle accorda, en fin de
compte, 11 650 000 dollars aux demandeurs américains et 143 428 dollars aux
Britanniques (10). Malgré des crises périodiques, l'arbitrage devint le modèle de
règlement civilisé, par un raisonnement fondé sur des principes, de litiges suscept
ibles d'engendrer des attitudes émotionnelles

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