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maîtrise, Supérieur, Maîtrise (bac+4)
  • mémoire - matière potentielle : sur la physique
13 Joachim Bouvet et le Premier Voyage de l'amphitrite Joachim Bouvet et le Premier Voyage de l'amphitrite Jean-Paul Desroches(戴浩石) 法國吉美博物館主任研究員 Quand en 1643, Louis XIV accède au trône, il n'a guère que cinq ans, la régence étant assurée par sa mère la reine Anne d'Autriche (1601-1666), infante d'Espagne et du Portugal qui n'a de cesse que de le protéger. Dix-huit ans plus tard, quand Kangxi succède à son père le 17 février 1661, le jeune prince Xuanye est âgé seulement de six ans.
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Joachim Bouvet et le Premier Voyage de l’amphitrite
Jean-Paul Desroches (戴浩岳) 法國峥秙鄯物枛尾峌厼究穵
Quand en 1643, Louis XIV accède au trône, il n’a guère que cinq ans, la régence étant assurée par sa mère la reine Anne d’Autriche (1601-1666), infante d’Espagne et du Portugal qui n’a de cesse que de le protéger. Dix-huit ans plus tard, quand Kangxi succède à son père le 17 février 1661, le jeune prince Xuanye est âgé seulement de six ans. Le pouvoir est alors entre les mains de quatre régents, et c’est sa grand-mère, l’impératrice douairière Xiao Zhuangwen (1613-1688) d’origine mongole qui le prend en charge et l’entoure de conseils et d’affection (cat.IB-4). Ces deux orphelins de père connaîtront les périls d’une régence difficile et devront assumer très jeunes les responsabilités du pouvoir (cat.IB-1). On comprend que certains auteurs aient cherché à dresser des parallèles, et en particulier le premier d’entre eux le père Joachim Bouvet. Dans son ouvrage «Portrait historique de l’Empereur de Chine» (cat.II-7) publiéen 1697, traduit en plusieurs langues et qui va bénéficier de trois rééditions successives, Bouvet va même jusqu’à affirmer que les deux monarques se ressemblent « en plusieurs endroits » non seulement leurs visages portent les traces d’une variole enfantine, mais plus encore, leur tempérament, leur maîtrise de soi, leur goût pour les arts, présentent nombre d’affinités.
Le premier voyage de l’ « Oyseau » (1685)
Joachim Bouvet nous intéresse particulièrement car il va devenir le personnage-clé du «Premier Voyage de l’Amphitrite», le premier vaisseau français qui, de façon certaine, ait atteint les côtes de la Chine à la fin du XVIIe siècle. Il fut également un des rares privilégiés à avoir côtoyé les deux souverains. Il avait notamment donné des cours de mathématiques entre 1689 et 1691 à Kangxi en langue mandchoue. Issu d’une famille de petite noblesse de robe, né le 18 juillet 1656 près du Mans, il était entré dans la Compagnie de Jésus à 17 ans, avait étudié la rhétorique, la philosophie, les mathématiques et la physique au collège Henri IV de La Flèche. A partir de 1680, il avait commencé à enseigner à Quimper, puis au collège Sainte-Marie à Bourges. C’est là qu’il avait compris sa vocation, celle d’aller au loin pour porter l’Evangile. A l’époque c’était un jeune professeur qui abordait la trentaine et c’est précisément en raison de sa jeunesse et de ses capacités d’assimilation qu’il avait dû être envoyé à la cour de Chine. Il avait quitté le royaume de France trois ans auparavant, venant tout juste de terminer sa troisième année de théologie à Paris, au collège Louis-le Grand. Et même devant l’imminence de son départ il avait été ordonnéextra tempora, célébrant sa première messe le 14 janvier
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1685, juste avant son départ. En fait, il ne prononcera ses vœux définitifs qu’à Pékin, le 2 février 1692. Il avait été embarqué au milieu d’un aéropage de savants distingués sur un vaisseau de la marine royale, l’«Oyseau», une nef jaugeant 600 tonneaux et de 36 canons avec 200 hommes d’équipage à bord dont une dizaine d’officiers. La frégate «La Maligne», une embarcation de 150 tonneaux sera jointe comme vaisseau de support. Il s’agissait d’une expédition officielle patronnée par la couronne, avec à sa tête le chevalier de Chaumont (c.1640-1710), un homme raide, catholique fervent, sans humour, ne parlant aucune langue étrangère et devant conduire une mission à la fois diplomatique scientifique et commerciale. On lui doit une «Relation de l’ambassade de Mr le Chevalier de Chaumont à la cour du Roy de Siam, avec ce qui s’est passé de plus remarquable durant son voyagepublié en 1685 » (cat.IA-14). Ce choix guère heureux fut compensé par la présence à bord de l’abbé de Choisy (1644-1724), également auteur d’un récit, le «Journal de voyage de Siam fait en 1685 et 1686en », 1687, un courtisan habile, étrange et fantasque que Sainte-Beuve considérait « comme une curiosité du Grand Siècle, et comme une gentille bizarrerie de la nature ». Nous possédons également les versions écrites par le père Bouvet lui-même et parues en 1686 et 1689 sous le titre «Voyage au Siam ». L’« Oyseau» quitta Brest le 3 mars 1685 et rentrera l’année suivante avec à bord trois ambassadeurs du roi Phra Naraï (r. 1657-1688). Au retour le vaisseau est signalé au Cap, le 13 mars et arrivera en rade de Brest le 18 juin.
L’ambiance à l’aller avait été très studieuse en raison de la douzaine d’ecclésiastiques dont six Jésuites, véritablebrain trust, composé de quatre mathématiciens confirmés et deux jeunes, Claude de Visdelou (1656-1737) et Joachim Bouvet (1656-1730). Leur supérieur Jean de Fontaney (1643-1710) enseignait depuis huit ans les mathématiques au collège Louis-le-Grand, dénommé alors collège de Clermont, institution parisienne des Jésuites. Il emportait avec lui une liste d’observations dont l’avait chargé l’Académie des Sciences, un vaste choix de mémoires sur la physique, l’astronomie, l’anatomie, la botanique, les tables des satellites de Jupiter de Cassini pour calculer les longitudes, une sélection des meilleures cartes de la Bibliothèque royale, des recueils gravés des châteaux royaux, en particulier de Versailles, tout juste achevé, de ses jardins, de ses fontaines, de ses statues. Parmi ses collègues mathématiciens et enseignants, Jean-François Gerbillon (1654-1707), Louis le Comte (1655-1728), Guy Tachard (1651-1712), des hommes qui laisseront leurs empreintes dans l’histoire de la Compagnie. Avant leur départ ils avaient tous reçu des lettres patentes « scellées du grand sceau jaune » qui leur conféraient la qualité de mathématiciens du roi dans les Indes et la Chine. Louis XIV leur accorda également un pécule de 20.000 livres pour le voyage assorti d’une pension. En fond de cale, on avait aussi réuni toute une batterie complète d’instruments scientifiques fournis par l’Académie des Sciences et payée par le roi, pendules, cadrans solaires, demi-cercles géométriques, miroirs, lunettes, microscopes, baromètres, thermomètres ainsi que deux globes terrestres et célestes en cuivre doré à piètement en argent.
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Le roi Très Chrétien et sa Marine
Pourquoi pareille expédition sous les auspices du roi Très Chrétien ? D’abord Louis XIV se considérait comme un monarque de droit divin, et se voulait un défenseur de la foi catholique. A partir de 1660, on le voit mener une politique véhémente à l’encontre des protestants au sein même du royaume qui culmine le 18 octobre 1685 avec la révocation de l’Edit de Nantesinterdisant le protestantisme et condamnant quelque 300.000 sujets à quitter le territoire national pour la Suisse, les Pays-Bas, la Prusse ou l’Amérique. Quant à l’évangélisation de l’Asie, elle avait été prise en main par les Jésuites dès la fondation de la Compagnie, notamment avec François Xavier (1506-1552) apôtre de l’Inde puis du Japon et qui voulait gagner la Chine mais mourut le 3 décembre 1552 sur l’île de Shangchun à 14 kilomètres des côtes du Guangdong. Matteo Ricci (1552-1610) prenant la relève commença par assimiler la langue et la culture chinoise donnant le ton en apportant ses connaissances en mathématiques, en astronomie et en cartographie. Ainsi parviendra-t-il à séduire la cour, déplaçant le centre de gravité des Jésuites de Macao à Pékin, lorsqu’il s’y installe en 1601. Désormais les Jésuites vont s’inscrire dans son sillage, mais ces porte-paroles du Christ sont aussi le plus souvent des agents du roi d’Espagne ou de celui du Portugal. Bien que des rivalités existaient entre eux, ils parvenaient à s’unir pour éjecter de leur zone d’influence un intrus non ibérique et principalement français. Louis XIV informé de cette situation était parvenu auprès du Saint-Siège à faire nommer trois évêques apostoliques français destinés à l’évangélisation de la Chine, François Pallu (1624-1684), Pierre Lambert de la Motte (1624-1679) et Ignace Cotolendi (1630-1662). Cette nomination allait être à l’origine de la plus ancienne société missionnaire française, laSociété des Missions étrangères de Paris, constituée en 1659 et installée depuis le 7 décembre 1663 rue du Bac, où elle se trouve toujours. Envoyer une poignée de Jésuites français, spécialement formés dans les sciences, permettait non seulement de prolonger l’action entreprise par Matteo Ricci, mais aussi de redistribuer les rôles aux bénéfices du roi Très Chrétien et de sa politique.
Louis XIV allait d’autant mieux pouvoir asseoir cette stratégie qu’il avait compris que pour rayonner au-delà des frontières, il fallait une marine forte. A partir de 1661 en une décennie, l’effectif de la flotte va être quadruplé, aidé dans cette tâche par Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), contrôleur général des finances qui devient, de 1669 à sa mort en 1683, Secrétaire d’Etat à la Marine. Le marquis de Seignelay (1651-1690), son fils lui succède et prolonge l’action entreprise par son père, la même année le jeune comte de Toulouse (1678-1737) , fils légitime de Louis XIV et de Mme de Montespan devient Grand Amiral de France, une charge qu’il prendra lui aussi très au sérieux. La flotte royale va passer de 9 à 120 vaisseaux en 1672, permettant de faire jeu égal avec les flottes anglaises et hollandaises.
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L’effort principal sera fourni entre 1667 et 1671, l’apogée se situant en 1695, avec 137 vaisseaux. Chantiers navals, fonderies de canons, corderies, manufactures de toile permettent la réalisation de navires prestigieux ou d’initiatives novatrices comme la mise au point de la frégate, une petite nef d’appui à deux ponts et trois mâts gréés de trois ou quatre voiles carrées avec une voile latine ou une brigantine sur l’artimon. Les grands vaisseaux sont confiés à des chefs de chantier dits « maîtres de hache » qui se transmettaient les secrets techniques de père en fils. Les plus beaux des navires s’inspirent des fastes de Versailles. Tout en effet doit concourir sur les mers au prestige du roi. Afin de garantir une unité de style, Charles Le Brun (1619-1690), Premier peintre du Roi est désigné pour superviser la décoration. Ainsi de nombreuses sculptures baroques viennent embellir la coque depuis le sommet de l’étrave avec une figure de proue jusqu’à l’arrière constituant une sorte de façade de château sommée d’énormes lanternes. L’un de ses fleurons, le «Soleil royaljaugeait 2400 tonneaux portant » 900 hommes à bord. Il fut construit à Brest en 1669 et disparut en 1692. «La Reale de France» dont on conserve encore aujourd’hui des beaux éléments sculptés fut achevée en 1694 et montre un style et une codification du langage allégorique très similaire au vocabulaire iconographique en usage à Versailles. C’est aussi le cas du «Louis le Grand» datant de 1700. Jean Berain (1640-1711) élève de Charles Le Brun lui succède en 1689 et le décor gagne encore en élégance et en homogénéité.
Une marine forte pour rayonner sur les mers du globe avec à bord des Jésuites français passeurs de culture et notamment en Chine, telle était l’objectif mis en œuvre. N’oublions pas que le roi dans sa jeunesse avait été un lecteur passionné des premières descriptions de la Chine. Il marqua alors son intérêt pour cette culture lointaine en faisant construire par Louis Le Vau (1612-1670) en 1670-71 au fond du parc de Versailles, cette sorte de pastiche pseudo-chinois, le Trianon de Porcelaine. Cette parenthèse orientaliste, à mi-chemin entre un château et une fabrique, ornée de faïence européenne, fragile aux intempéries, sera démolie dès 1687 et remplacée par le Trianon de marbre. Il semble que cette architecture éphémère fut inspirée des descriptions des missionnaires et notamment de la fameuse tour de Nankin (cat.II-4). A dire vrai, les mers d’Asie depuis plus d’un siècle étaient couramment fréquentées par les Européens. Les Portugais en premier lieu, qui abordèrent la Chine dès 1513 et s’installèrent en 1557 à Macao, puis les Espagnols solidement implantés aux Philippines et qui fondèrent en 1571 la ville de Manille, les Hollandais qui à leur tour vont édifier en 1619 Batavia, une position stratégique dans le Sud-Est asiatique, les Anglais établis d’abord dans l’Ouest de l’Inde, à Surate également en 1619 et qui bientôt ouvrirent des comptoirs à Madras, Bombay et Calcutta… Quant aux Français, leur rôle restait mineur voire insignifiant. On mentionne bien la première entreprise des frères Parmentier sur les vaisseaux laPenséeet leSacrequi quitteront
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Dieppe le 3 avril 1529 tentant de déjouer le monopole portugais, toutefois les initiatives furent nombreuses mais toutes vouées à l’échec. Qu’il s’agisse d’une première compagnie sous Henri IV en 1604, ou sous Louis XIII avec Richelieu qui vers 1640 s’est intéressé à une implantation sur la côte méridionale de Madagascar à Fort-Dauphin… Une nouvelle compagnie tentera de voir le jour en 1660 et fera construire à Amsterdam le «Saint Louis », mais le vaisseau sombrera en Mer du nord, le 19 décembre de la même année et avec lui et la compagnie. Au milieu de ce tableau peu engageant pour les Français, entre l’Inde et la Chine, prospérait le royaume de Siam, qui cherchait à se dégager notamment de l’influence hollandaise, d’où vint l’idée d’une première ambassade en 1681. Celle-ci n’ayant pas apporté les résultats escomptés, un second voyage sera organisé avec des moyens plus substantiels. Les trois ambassadeurs seront accueillis à Versailles dans la galerie des Glaces avec faste, devant quelques mille cinq cents courtisans, au début de septembre 1686 (cat.IA-15). Ils viendront s’incliner devant le Roi-soleil entouré de son mobilier d’argent pour porter la lettre de leur souverain ainsi que les nombreux cadeaux, majoritairement chinois, porcelaines, laques, pierres dures, soieries… stimulant une nouvelle vague d’attrait pour l’Asie (cat.IA-13 et 14).
Joachim Bouvet, un personnage clé.
Pendant ce temps, à l’autre bout du monde, cinq des Jésuites, le père Tachard ayant accompagné les Siamois, chercheront à gagner la Chine qu’ils atteignent le 23 juillet 1687 en débarquant à Ningpo. On va donc retrouver le père Bouvet à Pékin, le 7 février 1688 et le 21 mars, il est reçu avec ses confrères par Kangxi. Il s’affaire alors à traduire plusieurs traités de mathématiques en mandchou, un complément à l’enseignement qu’il prodigue à l’empereur et qui lui a été expressément demandé. Gagnant ainsi son estime, il va devenir le porte-parole de la mission auprès du souverain et se voir bientôt chargé par le monarque de rentrer en Europe pour revenir avec un nouveau contingent de savants français.
Entre temps, Kangxi apparemment témoignait d’un intérêt réel pour cette poignée de Jésuites qui œuvraient au Palais. Ainsi leur accorda-t-il leDécret rouge, cet édit du 22 mars 1692 les autorisant à la libre prédication du Christianisme, où l’on note évidemment la signature de Joachim Bouvet (cat.II-18). En fait l’entente reposait sur un malentendu. Kangxi montrait de la bienveillance aux missionnaires car il voulait s’assurer le bénéfice de leurs connaissances scientifiques, les missionnaires faisaient œuvre de savants pour acquérir une autorité qui leur permît de développer leur apostolat. Ce qui était essentiel pour l’un était accessoire pour les autres. Quoiqu’il en soit, l’année suivante le 4 juillet, le souverain allait octroyer aux Jésuites français une maison dans la ville impériale. Quatre jours plus tard Bouvet avec le titre de « délégué imperial » quitte la capitale chinoise pour rejoindre la France et accomplir sa mission.
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er Le 1 mars 1697 il débarque à Brest et cherchera immédiatement un moyen de parvenir jusqu’au roi. Ainsi dans le Premier registre desLivres acquis pour la Bibliothèque du roi depuis l’année 1684, le 27 mai 1697, il « fait apporter à la Bibliothèque quarante et un volumes en langage chinois lesquels ont été envoyés au Roy par l’Empereur de la Chine ». Ne s’agissant pas d’éditions impériales, on a affaire en réalité à un pieux mensonge du révérend père quant à leur provenance. Cet élément est révélateur des stratagèmes auxquels il va devoir recourir pour faire avancer ses desseins. Sa situation de « délégué imperial » n’est qu’un piètre sauf-conduit sans réelle valeur face à la haute administration
royale. Bien qu’il ait été reçu en audience par Louis XIV à Versailles le 3 avril et qu’il ait été gratifié d’une somme d’argent non négligeable pour la mission française à Pékin, il n’est pas arrivé avec dans les mains une lettre de Kangxi pour le roi, alors que dix ans auparavant le souverain français avait adressé une missive à son homologue chinois (cat.II-6). Une fois de plus Bouvet est placé dans une situation délicate entre deux mondes fort éloignés et qu’il s’efforce de rapprocher, ne pouvant compter pour cela que sur son sens du compromis et son approche « figuriste » des événements. Dans un premier temps, il va s’ingénier à apparaître comme un personnage bien informé de l’état actuel de la Chine en publiant «L’Etat présent de la Chine en figures…ainsi que la mêmeen 1697 (cat.II-8)  » année ce «Portrait historique de l’Empereur de Chine » mentionné plus haut et dédié au roi. Puis il passe véritablement à l’action en devenant la cheville ouvrière du premier voyage de l’Amphitrite. Bouvet a vite saisi qu’il ne pouvait s’adresser à la marine royale pour armer un navire. Il lui fallait un intermédiaire. Il aura donc recours à un entrepreneur privé, à un brasseur d’affaires, qui dans cette opération pourra y trouver son compte. C’est finalement Jean Jourdan, seigneur de Groussé, un armateur marseillais, autrefois marchand épicier à Paris avec qui, il s’accordera. Pour ce dernier, la question délicate était évidemment d’obtenir l’autorisation de la Compagnie des Indes orientales. Cet organisme d’Etat, créé par Colbert en 1664, bénéficiait de statuts comparables à ceux d’une manufacture royale associés au monopole du commerce dans la sphère orientale, arborant cette orgueilleuse devise « Florebo quocumque ferar », littéralement « Je Fleurirai partout où je serai portée ». Jean Jourdan en vint à l’idée de créer sa propre société. En outre il parvint à bénéficier d’un appui important en la personne de Jérôme Phelypeaux de Pontchartrain (1674-1747) qui très tôt fut associé par son père à des responsabilités ministérielles et qui allait lui succéder le 6 septembre 1699 comme Secrétaire d’Etat à la Marine. La compagnie lui accorda le droit d’envoyer deux vaisseaux, lesquels ne pourraient faire du commerce que dans la limite des ports situés sur l’itinéraire de France en Chine. Sur chacun d’eux, en outre, deux commis de la Compagnie veilleront aux tractations et « seront nourris à la table du capitaine aux frais de Sieur Jourdan », le tout homologué le 22 janvier 1698. L’Amphitrite était un vaisseau de la Royale, une frégate semble-t-il, un trois-mâts à deux ponts converti en navire de commerce jaugeant 600 tonneaux avec vraisemblablement une centaine d’hommes à bord. Le vaisseau est signalé au Québec le 8 septembre 1697. Puis on le retrouve à Rochefort où il sera armé au début de 1698 sous la direction du capitaine de frégate de la Roque avec la notification suivante du roi adressée
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le 8 février : « La Roque doit se plier aux instructions des armateurs, par ailleurs il réunira tous les renseignements utiles d’ordre maritime, militaire, économique qui pourraient servir au gouvernement du roi et de bien déclarer que le vaisseau qu’il commande n’est pas un vaisseau de sa Majesté mais un navire de commerce ». Toutefois, l’ignorance des mœurs et de la langue allait mettre les occupants du bateau sous la dépendance des Jésuites et en particulier de Bouvet. Il avait presque gagné la partie en assurant le passage de sept de ses confrères, les Jésuites Charles Dolze (1663-1701), Louis Pernon (1664-1704), Jean-Charles-Etienne de Broissia (1660-1704), Joseph-Henri de Prémare (1666-1736), Jean-Baptiste Régis (1663-1741), Dominique Parrenin (1665-1741), Philibert Geneix (1667-1699) ainsi que le sculpteur frère Charles de Belleville (1657-1730) et le peintre italien Giovanni Gherardini (1654-1723?). Quant à Jourdan, il entendait gagner de l’argent. Mais il fallait maintenant embarquer au plus vite, alors que l’administration réagissait avec lenteur, théoriquement avant la fin de février si l’on voulait bénéficier de la mousson. Le navire en plus de ses passagers emportait une grosse cargaison de glaces avec huit miroitiers, prêts à retailler les œuvres en cas d’accident. L’Amphitrite quitta le port de la Rochelle le 7 mars. Le voyage allait durer huit mois, souvent dans une atmosphère tendue au niveau de la capitainerie, le chevalier de la Roque, un homme de cinquante ans à l’esprit inquiet, avare pouvant parfois devenir violent. L’un de ses seconds, un certain François Froger de la Rigaudière, allait composer une relation de voyage qui aurait du être mise sous presse dès son retour, mais son éditeur mourut interdisant la parution, un dommage qui allait être réparé par la redécouverte au début du XXème siècle de son manuscrit à la bibliothèque du palais d’Ajuda sur les hauteurs de Lisbonne intitulé «Relation du premier voyage des Français à la Chine présenté à Monseigneur le Comte de Pontchartrain ». Le document est complété d’un routier illustrant l’itinéraire suivi. Le journal du chevalier de la Roque est perdu mais Paul Pelliot signale unAbrégé du journal du voyage de la Chine que j’ay fait commandant l’Amphitrite l’année 1698en 13 pages conservé aux Archives nationales de France. Cependant le véritable best-seller de cette affaire reste le récit du peintre Giovanni Gherardini « Relation du Voyage fait à la Chine sur le Vaisseau l’Amphitrite, en l’année 1698 » (cat.II-10). C’est Bouvet qui avait entrainé Gherardini dans cette aventure. Il l’avait rencontré alors qu’il achevait la décoration de la bibliothèque des Jésuites à Paris. L’artiste avait été remarqué par le duc de Nevers en Italie et qui l’avait fait venir en France. Natif de Modène, il avait été formé à Bologne et son œuvre majeure reste aujourd’hui le décor de la voûte en trompe l’œil de l’église St-Pierre de Nevers, l’ancienne chapelle du collège des Jésuite dans cette cité. Son style baroque, pleinement inscrit dans l’illusion optique ne pouvait que séduire le « figuriste » Bouvet. « Dieu me voulait en Chine, il m’y a conduit au travers des écueils et des abîmes », écrit Gherardini, bien que son récit soit plus littéraire que précis, il sous-entend que le voyage ne fut pas toujours une sinécure.
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Le premier voyage de l’ «Amphitrite» (1698)
Il est évident que nous ne pouvons entrer ici dans le déroulement des 230 jours passés à bord du vaisseau. Finalement, c’est par gros temps que l’Amphitrite quitta, le vendredi 7 mars le port de La Rochelle. Il lui faudra deux semaines pour atteindre les Açores, puis le bateau entrera dans le calme tropical, poussé par un léger vent arrière sur une mer d’huile et sous un ciel serein. Le mardi 27 mai l’Amphitrite arrivera au Cap, et tout l’équipage descend à terre, dans un paysage très beau au milieu des orangers et des citronniers. Le vin blanc local est bon. Puis du Cap jusqu’à Java, le temps devient très variable, frais voire froid et venteux, en fin juillet le vaisseau approche de Batavia. Le 30 juillet règne un calme inquiétant, un typhon se prépare. La tempête se lève, la pluie est continue des jours durant, la violence des éléments cause sans cesse des dégâts à bord. Le 18 août enfin la terre est en vue et l’Amphitrite pourra mouiller dans la rade d’Archen au milieu d’une végétation luxuriante, d’un habitat fait de roseaux et d’écorces et d’une population fortement métissée. Le 23 août le vaisseau entre dans le détroit de Malacca, suivi à nouveau de dix-huit jours de tourmente et parvient à Malacca le 10 septembre. Quatre semaines plus tard, il aborde Shangchun, le dimanche 5 octobre où une messe est célébrée à l’endroit où mourut st François Xavier. Le 24, il entre à Macao. Alors Bouvet en tant que « délégué imperial » redevient le nouveau maître de la situation. Le 31 à 6 heures du soir, il quitte l’Amphitrite et reviendra sur une jonque presqu’aussi longue que le vaisseau français, entouré d’égards de la part de l’administration impériale et plaidant efficacement la cause de ses compatriotes. Il rencontrera non seulement des notables à Canton mais aussi les pères Suarez et de Visdelou venus l’accueillir. Par contre, il se gardera bien de révéler aux autorités chinoises que l’Amphitrite n’était qu’un vaisseau commercial, laissant penser qu’il s’agissait d’un navire de la couronne. Désormais en compagnie de ses amis et entouré d’une escorte officielle, il allait pouvoir gagner le Nord. C’est quelque temps après, le 12 avril 1699 que se situe cette anecdote significative de son intégration au sein même de la cour impériale que Bouvet rapporte: « A l’heure qu’il est, écrit-il, je suis avec Monsieur Gherardini et notre frère de Belleville sur une barque où l’empereur tous les jours passe une partie de la journée ; ils travaillent tous les deux à leur coup d’essai pour la portraiture de l’empereur qui est sensible aux beautés de la peinture et les regarde déjà tous les deux comme d’excellents sujets…» L’histoire prend place lors de la deuxième tournée d’inspection dans le Sud (cat.IB-9 et 10). Gherardini de même que de Belleville durant leur séjour au palais formeront plusieurs élèves. Bouvet est arrivé à ses fins, et sans doute en raison du succès de sa mission, il devient précepteur du septième fils de Kangxi, le prince Yinreng, désigné un temps comme l’héritier présomptif. Quant à Jourdan, il persuada les administrateurs de sa société d’organiser un second voyage. L’Amphitrite rentre à Port-Louis le 3 août 1700 et sa cargaison
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est vendue à Nantes à partir du 4 octobre. Six mois plus tard, cette fois avec Froger aux commandes, la frégate repart de Port-Louis le 7 mars 1701 arrive à Macao le 5 août et rentrera à Brest deux ans plus tard, le 17 août.
A la Chine des missionnaires succéda progressivement une Chine des négociants dont l’histoire longue et mouvementée débuta en 1698 avec l’Amphitrite. Ce n’est qu’au terme de ème nombreuses péripéties que le commerce s’organisa, la 2 Compagnie des Indes, créée le 23 mai 1719, lui apportant un cadre institutionnel stable et propice à son développement. Que deviendra Bouvet pendant ce temps? Il se retire de l’action, très affecté par les conséquences de la querelle des rites. Vieillissant, il s’enlise quelque peu dans un comparatisme formel avec certains de ses collègues adeptes comme lui des théories figuristes, mais continuant d’entretenir une belle correspondance notamment avec le philosophe Leibnitz. Il meurt le 28 juin 1730 à l’âge de 73 ans.
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