Le film, expression renouvelée du rythme collectif
44 pages
Français

Le film, expression renouvelée du rythme collectif

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
44 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

  • cours - matière potentielle : la seconde moitié des années
CHAPITRE 5 Le film, expression renouvelée du rythme collectif Il est courant de présenter la période qui suit immédiatement la fin de la Première Guerre mondiale comme celle de l'irruption de la moder- nité (voir 1.1.). En fait, cette coupure semble surtout avoir servi, sur le plan des théories esthétiques, à prolonger sous une nouvelle forme des aspirations surgies déjà depuis la fin du XIXe siècle. Outre la recherche symboliste du mouvement pur censé traduire les nuances les plus subtiles de l'univers intérieur et invisible, l'exemple le plus frappant de cette tendance se situe certainement dans la rencontre entre art, science et mysticisme poursuivie par les
  • cinéma pren
  • struc- ture des mythes
  • cinéma artistique
  • antique magnificence
  • mythe des enve- loppes étrangères
  • rythme collectif
  • reformulation moderne de la tragédie antique
  • art
  • arts
  • cinémas
  • cinéma

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 26
Langue Français

Extrait

CHAPITRE 5
Le film, expression renouvelée
du rythme collectif
Il est courant de présenter la période qui suit immédiatement la fin
de la Première Guerre mondiale comme celle de l’irruption de la moder-
nité (voir 1.1.). En fait, cette coupure semble surtout avoir servi, sur le
plan des théories esthétiques, à prolonger sous une nouvelle forme des
easpirations surgies déjà depuis la fin du XIX siècle. Outre la recherche
symboliste du mouvement pur censé traduire les nuances les plus
subtiles de l’univers intérieur et invisible, l’exemple le plus frappant de
cette tendance se situe certainement dans la rencontre entre art, science
et mysticisme poursuivie par les utopies synesthésiques postromantiques
eau tournant du XX siècle. Loin de disparaître, ce courant s’épanouit
au contraire dans les années 1910-1930. Cette époque voit notamment
la reprise de la conception néo-hellénique d’«œuvre d’art totale» théo-
risée par Richard Wagner. Celle-ci est alors reformulée via la prise en
compte des transformations socioculturelles provoquées par la moder-
nisation, en particulier l’apparition de nouvelles techniques de commu-
nication internationale. C’est sur cette base, où le rythme joue le rôle de
principe unificateur, que s’édifie alors une vision du cinéma comme art
collectif par excellence, vers lequel pourraient converger les foules
animées d’une volonté participative. Une telle revendication s’inspire
largement du fantasme de fusion extatique entre subjectivité et ordre
cosmique idéalisé par les tenants du Gesamtkunstwerk.
5.1. La résurgence du «théâtre synthétique»
Le 26 novembre 1917, Guillaume Apollinaire (1918: 386-387, 397)
consacre une conférence à «L’Esprit nouveau et les poètes», dans laquelle
il rappelle que l’émergence d’une mentalité poétique moderne, produc-
trice de «poèmes synthétiques», n’oblitère pas deux héritages: d’une part
celui qu’il nomme classique, issu de l’Antiquité, porteur de valeurs
morales et tendant à l’harmonie formelle; et d’autre part celui qu’il
qualifie de romantique, lié au rêve de «synthèse des arts, de la musique,
de la peinture et de la littérature». Apollinaire voit ce croisement s’ac-216 CHAPITRE 5
complir avec le cinéma et le phonographe, deux outils mécaniques pro-
pres à la vie moderne – «époque de téléphone, de télégraphie sans fil et
d’aviation» –, autant de «nouveaux moyens d’expression qui ajoutent à
l’art le mouvement». Trop souvent réduites à leurs aspects les plus icono-
clastes, les mouvances modernistes des années 1910, dont Apollinaire
est l’un des incontestables chefs de file en France, se caractérisent en fait
par une pensée complexe, où les proclamations de nouveauté célébrant
l’avènement d’un monde gouverné par la science et la technique s’ac-
compagnent de l’influence de tendances romantiques tardives et symbo-
listes. Par ailleurs, la volonté de faire résonner la production artistique
au rythme de l’existence contemporaine, et du «nouvel homme» qui
lui est associé, passe souvent par le modèle de l’Antiquité, caractéris-
tique d’une période souvent moins férue de rupture que de renouveau
esthétique.
La distinction posée par Apollinaire entre les aspects néoclassique et
postromantique de cet « esprit nouveau » s’efface lorsqu’on considère les
soubassements de la seconde de ces influences, qui renvoie elle aussi aux
idéaux antiques. En effet, cette esthétique est celle de l’œuvre d’art totale
(Gesamtkunstwerk) prônée par Richard Wagner, référence majeure des
réflexions visant à définir la forme d’expression synthétique par excel-
lence. Au début des années 1910, l’édition française des Œuvres en prose
du compositeur allemand témoigne de l’actualité renouvelée de ses textes
théoriques, et notamment de son essai L’œuvre d’art de l’avenir (1849).
Dans cet ouvrage, tout comme dans Opéra et drame (1851), Wagner
cherche à faire renaître l’alliance, déjà accomplie dans le théâtre grec
antique, entre poésie, musique et danse pour favoriser une fusion des
arts basée sur une expression authentiquement populaire (alliance du
Peuple et du Poète). Notamment sous l’influence des écrits polémiques
de Friedrich Nietzsche – portant sur la tragédie grecque et Wagner lui-
1même –, l’idée d’œuvre d’art totale se retrouve au centre des préoccu-
pations de nombreux théoriciens et critiques, dans la première moitié du
e 2XX siècle. En témoignent en France les multiples rééditions d’un livre
fondamental d’Edouard Schuré, le célèbre théoricien du mysticisme, et
une bibliographie fournie où se détachent des critiques musicaux inté-
ressés par le cinéma, comme René Dumesnil (1929 ; 1933) ou, plus tard,
3Jacques Bourgeois (1959) . Pour Schuré (1928: 273), Wagner a abouti
à une reformulation moderne de la tragédie antique et de ses ver-
tus d’édification morale, qui reposent autant sur un grand dépouille-
ment («simplicité») qu’une puissance monumentale («majesté surhu-
maine»). Le critique met l’accent sur les sources d’influence du compo-
4siteur. D’une part, la musique s’impose, sur le modèle du théâtre grec ,
comme le cœur du drame synthétique, sa garantie d’efficacité émotion-
nelle maximale. La subordination du discours musical aux impératifs du
récit ne signifie nullement son inféodation à la parole; au contraire, elle
saisit l’occasion de développer sa propre structure dramatique, grâce
5aux acquis techniques de la symphonie beethovénienne . D’autre part,LE FILM, EXPRESSION RENOUVELÉE DU RYTHME COLLECTIF 217
le fond mythologique de l’Antiquité est remplacé par la «poésie mythi-
que et populaire», à l’instar du recours à la légende faustienne chez
Goethe et dans le Freischütz de Weber. Cette plongée dans les sources
culturelles les plus profondes permettrait au drame musical de s’adres-
ser à l’inconscient collectif des spectateurs contemporains, de consti-
tuer ces derniers en tant que groupe social homogène, c’est-à-dire un
«peuple». Wagner renouerait ainsi avec le caractère à la fois épuré et
grandiose du spectacle antique:
«Le génie spécial de Richard Wagner consiste à dépouiller le mythe des enve-
loppes étrangères, dont il s’est successivement revêtu sous l’influence de la
littérature ou de l’Eglise, et à le ressaisir au point où il ressort de l’imagina-
tion du peuple avec le caractère imposant et fatal d’un phénomène de la nature.
En lui restituant ainsi sa grandeur primitive, son coloris original, il sait en
même temps y approprier les passions et les sentiments qui sont les nôtres,
parce qu’ils sont éternels, et subordonner le tout à une idée philosophique. Il
transporte l’imagination dans les âges reculés et remue les fibres intimes
de l’homme moderne.» (Schuré 1928: 286-287)
Claude Lévi-Strauss (1964 : 23-24) a dégagé les liens privilégiés entre
mythe et musique, ces deux «langages qui transcendent, chacun à sa
manière, le plan du langage articulé, tout en requérant comme lui, et à
l’opposé de la peinture, une dimension temporelle pour se manifester».
Ils sont l’un et l’autre capables d’invalider «l’antinomie d’un temps histo-
rique et révolu, et d’une structure permanente». Lévi-Strauss perçoit juste-
ment en Richard Wagner le «père irrécusable de l’analyse structurale des
mythes », et se réfère à la « découverte wagnérienne [du fait] que la struc-
ture des mythes se dévoile au moyen d’une partition». Il définit le «temps
psychologique» de l’auditeur à la fois comme «irréversiblement dia-
chronique» et comme la transmutation de celui-ci en «une totalité syn-
chronique et close sur elle-même». Ce sont justement ces propriétés musi-
cales d’explicitation des mythes qu’évoque Edouard Schuré lorsqu’il
exige du Gesamtkunstwerk un sens de l’épure, non seulement pour clari-
fier la compréhension du spectacle mythologique, mais aussi pour assurer
l’articulation rythmique des différents moyens d’expression convoqués
sur scène. En effet, le drame wagnérien s’appuie essentiellement sur
l’exploitation de conventions nouvelles, qui ne visent à conserver de
la psychologie narrative qu’une série d’accentuations fondamentales.
Leur portée symboliq

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents