Le personnage du roman épistolaire
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1 Le personnage du roman épistolaire : rôle, fonctionnement et perspectives1 Odile Richard-Pauchet L'étude du personnage dans le roman épistolaire ne va pas sans esquisser une brève histoire de l'émergence de cette forme littéraire. En effet, il faut rappeler que cette formule romanesque, pour reprendre un terme de Jean Rousset (que l'on interrogera beaucoup au cours de cet exposé), représente au seuil de l'époque moderne, une possibilité commode et séduisante de bâtir un roman, en ce XVIIIe siècle naissant où tout récit à caractère romanesque est frappé de soupçon2 (comme il le sera d'ailleurs à nouveau au temps du Nouveau Roman, au milieu
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1Le personnage du roman épistolaire : rôle, fonctionnement et perspectives


Odile Richard-Pauchet


L’étude du personnage dans le roman épistolaire ne va pas sans esquisser une brève histoire
de l’émergence de cette forme littéraire. En effet, il faut rappeler que cette formule
romanesque, pour reprendre un terme de Jean Rousset (que l’on interrogera beaucoup au
cours de cet exposé), représente au seuil de l’époque moderne, une possibilité commode et
e
séduisante de bâtir un roman, en ce XVIII siècle naissant où tout récit à caractère romanesque
2
est frappé de soupçon (comme il le sera d’ailleurs à nouveau au temps du Nouveau Roman,
eau milieu du XX siècle, lorsque l’on aura abusé une fois de plus des ficelles de
l’imagination et des ressorts de la psychologie, pour complaire au lecteur). Reprenons donc le
roman épistolaire à son commencement, en étudiant d’abord le rôle du personnage épistolaire
dans sa mission « d’émissaire de la vérité », puis le fonctionnement proprement dit de ses
personnages (à l’aide d’une classification du roman épistolaire par leur nombre), enfin
quelques éléments de pragmatique épistolaire, autour des catégories du savoir et du pouvoir.

*

I . Le rôle du personnage épistolaire – (dans sa mission « d’émissaire de la vérité »)

Le roman au dix-huitième siècle est d’abord une affaire de pacte avec le lecteur, et de projet
e
pédagogique d’écrivain. Or ce qui frappe particulièrement, en ce début de XVIII siècle, c’est
l’irruption de la réalité dans la conscience et le travail du philosophe et de l’artiste (peut-être
en sera-t-il de même en cet après-guerre de 1945, où tout divertissement semblera soudain
dérisoire). Toujours est-il qu’un Montesquieu, qu’un Diderot auront à cœur, sans déplaire, de
forger des esprits critiques et d’éveiller des consciences par le biais d’un renvoi permanent au
réel exploré, découvert, interrogé par un sujet qui dit je :


1
Cette étude doit faire partiellement l’objet d’une communication qui sera prononcée à Madrid lors du colloque
« Métamorphoses du roman français », organisé par José Manuel Losada à l’Universidad Complutense
(departamento de Filologia Francesa) les 21, 22, et 23 avril 2008, sous le titre : « Contribution du cercle
d’Épinay au renouveau du genre romanesque : métamorphoses et variations du roman épistolaire ».
2
Nous faisons allusion ici au titre de l’ouvrage de Nathalie Sarraute, L’Ère du Soupçon, recueil de quatre articles
(1947-1956), Paris, Gallimard, qui a pu servir de manifeste au Nouveau Roman.
1 Dans ses Réflexions pour la réédition de 1754 des Lettres Persanes, [Montesquieu], cet
auteur d’un des premiers romans par lettres à personnages multiples, esquisse une
explication des vertus de la formule, à une époque où elle s’est beaucoup développée depuis
1721, date de parution de son livre : « Ces sortes de romans réussissent ordinairement parce
que l’on rend compte soi-même de sa situation actuelle, ce qui fait plus sentir les passions
que tous les récits qu’on en pourrait faire. Et c’est une des causes du succès de quelques
3
ouvrages charmants qui ont paru depuis les Lettres Persanes ».

« Faire sentir les passions » : le grand mot est lâché. Plutôt que de « provoquer à la réflexion
sur les passions », comme le moraliste de l’âge classique, le romancier des Lumières désire
fournir à son lecteur les pièces même du dossier, pour mieux le « toucher », puis l’en laisser
juge en son âme et conscience. Voilà pour la formation de l’esprit :

Par un roman, on a entendu jusqu’à ce jour un tissu d’événements chimériques et frivoles,
dont la lecture était dangereuse pour le goût et pour les mœurs. Je voudrais bien qu’on
trouvât un autre nom pour les ouvrages de Richardson, qui élèvent l’esprit, qui touchent
l’âme, qui respirent partout l’amour du bien, et qu’on appelle aussi des romans.
Tout ce que Montaigne, Charron, La Rochefoucauld et Nicole ont mis en maximes,
Richardson l’a mis en action .Mais un homme d’esprit, qui lit avec réflexion les ouvrages de
Richardson, refait la plupart des sentences des moralistes ; et avec toutes ces sentences il ne
4
referait pas une page de Richardson.

Les lettres seront la plupart du temps présentées comme authentiques, trouvées dans une
malle, recueillies par un éditeur désireux d’édifier ses contemporains. Les textes fourmillent
ainsi de préfaces servant de « bons de garantie » à la fraîcheur et l’authenticité du produit,
même si tout cela est de la « fiction du non-fictif ». C’est ce que Jean Rousset appelle
5
« l’exigence anti-romanesque ». Ce procédé nous apparaît comme le comble du subterfuge, à
e nous lecteurs du XXI siècle pour qui la lettre et les conversations par lettres relèvent d’un
monde ancien, fleurant bon l’artifice de salon et le jeu mondain. Il n’en va pas de même à une
époque où la lettre revêt une valeur terriblement documentaire, où la vie économique,
politique se gère à coups d’échanges de lettres, où les échanges humains, sentimentaux,
familiaux n’ont guère d’autre existence solide que par le biais de ce support. Les écrivains du
e
XIX siècle ont déplacé le critère du vrai du côté de l’extériorité, de l’observation
balzacienne, de l’enquête de terrain à la Zola. Mais en un temps où les détails du quotidien
sont bannis du roman pour leur caractère bas, seul demeure accessible de la vérité de

3 Montesquieu, Œuvres complètes, éd. Roger Caillois, Bibl. de la Pléiade, Paris, 1949, T.1, p. 129. Les
« ouvrages charmants » auxquels Montesquieu pense sont Paméla de Richarson et les Lettres péruviennes de
Mme de Graffigny. Cité d’après Jean Rousset, Forme et signification, Paris, José Corti, 1962, dans « Une forme
littéraire : le roman par lettres », p.65 et sq.
4 Diderot, Eloge de Richardson, dans Œuvres, éd. André Billy, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », p. 1059-1060.
5 Op. cit., p. 75.
2 l’individu naissant (et instruit), ses confidences et le récit de ses faits et gestes, tels qu’ils ont
pu se déposer dans ses lettres.

1/ D’une part, un lettre dont l’auteur dit je, c’est plus qu’un témoignage, c’est un
morceau de chair, c’est la vie même :
« Une lettre, dit Dorat, de tous les genres d’écrire, est le plus vrai, le plus rapproché de
6l’entretien ordinaire, et le plus propre surtout au développement de la sensibilité » . Confiants
dans un sensualisme et un matérialisme diffusés par Locke (Essai sur l’Entendement humain,
notamment sa critique des idées innées), les écrivains du temps feront largement place à ce
matériau tiré du réel pour convaincre le lecteur ou mieux, l’émouvoir, puisque l’émotion vaut
désormais comme un mode de connaissance. On rapproche le roman du théâtre, on veut
donner à voir au lecteur des situations, des sentiments, à entendre des conversations non
feintes, ou plutôt assumée par leurs auteurs mêmes – en l’occurrence les personnages
« épistolaires », sans passer par un romancier omniscient dont on se méfie des dérives
absolutistes. La méthode du roman épistolaire se rapprocherait donc d’abord du théâtre, mais
aussi, mutatis mutandis, d’une des premières techniques de « stylo caméra », ou mieux, de
celle de la « caméra à l’épaule » qu’utilisera plus tard La Nouvelle Vague au cinéma. En effet
l’on suit le personnage pas à pas, puisqu’on lit ses sentiments par-dessus son épaule tandis
qu’il écrit - lecture où l’on est placé en tiers par la complicité de l’éditeur-écrivain.
Un personnage épistolaire s’exprimant « librement » :
Nous sommes à présent à Paris, cette superbe rivale de la ville du Soleil […].
Rica jouit d’une santé parfaite : la force de sa constitution, sa jeunesse et sa gaieté
naturelle le mettent au-dessus de toutes les épreuves.
Mais pour moi, je ne me porte pas bien : mon corps et mon esprit sont abattus ; je me
livre à des réflexions qui deviennent tous les jours plus tristes ; ma santé, qui
s’affaiblit, me tourne vers ma patrie et me rend

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