Les valeurs traditionnelles chrétiennes de la modération vis-à-vis de la consommation : peuvent-elles encore faire sens pour supporter une attitude de déconsommation ?
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Description

Une grande partie de la morale chrétienne tire ses sources de la philosophie antique. Parler de modération aujourd'hui évoque les idées de privation, d'ascèse, de mesure en toute chose, de philosophie rigoureuse. L'état d'urgence écologique et les inquiétudes quant aux ressources disponibles sur la planète ont favorisé un regain d'intérêt pour l'idée de modération, surtout dans le modèle de la société de consommation. Quelle place le concept de modération du discours chrétien trouve-t-il dans ce contexte ? N'a t-il pas considérablement évolué pour se mettre au goût du jour ? Comment peut-il alors dialoguer avec d'autres discours critiques de la consommation ?
Elève en dernière année d'HEC, au sein de la majeure Alternative Management en 2008-2009. Actuellement étudiante dans le mastère OSE de l'Ecole des Mines de Paris (Optimisation des Systèmes Energétiques). Intérêt pour l'efficacité énergétique dans les bâtiments.

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Observatoire du Management Alternatif Alternative Management Observatory __ Cahier de recherche « Les valeurs chrétiennes traditionnelles de modération vis à vis de la consommation : peuvent-elles encore faire sens pour supporter une attitude de déconsommation ? » Diane de Zélicourt Juin 2009 Majeure Alternative Management – HEC Paris 2008-2009
de Zelicourt D. « Valeurs chrétiennes, modération, consommation, déconsommation »- juin 2009
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Genèse du présent document
Ce cahier de recherche a été réalisé sous la forme initiale d’un mémoire de recherche dans le cadre de la Majeure Alternative Management, spécialité de troisième année du programme Grande Ecole d’HEC Paris.
Il a été dirigé par Damien de Blic (EHESS) soutenu le 30 juin 2009 en présence de Damien de Blic et Eve Chiapello. Origins of this research This research was originally presented as a research essay within the framework of the “Alternative Management” specialization of the third-year HEC Paris business school program.
The essay has been supervised by Damien de Blic, (EHESS) and delivered on June, 30th 2009 in the presence of Damien de Blic and Eve Chiapello. Charte Ethique de l'Observatoire du Management Alternatif Les documents de l'Observatoire du Management Alternatif sont publiés sous licence Creative Commons http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/fr/pour promouvoir l'égalité de partage des ressources intellectuelles et le libre accès aux connaissances. L'exactitude, la fiabilité et la validité des renseignements ou opinions diffusés par l'Observatoire du Management Alternatif relèvent de la responsabilité exclusive de leurs auteurs.
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« Les valeurs traditionnelles chrétiennes de la modération vis-à-
vis de la consommation : peuvent-elles encore faire sens pour
supporter une attitude de déconsommation ? »
Résumé : Une grande partie de la morale chrétienne tire ses sources de la philosophie antique. Parler de modération fait aujourd’hui évoquer des idées de privation, d’ascèse, de mesure en toute chose, de philosophie rigoureuse. L’état d’urgence écologique et les inquiétudes quant aux ressources disponibles sur la planète ont favorisé un regain d’intérêt pour l’idée de modération, surtout dans le modèle de la société de consommation. Quelle place le concept de modération du discours chrétien trouve-t-il dans ce contexte ? N’a –t-il pas considérablement évolué pour se mettre au goût du jour ? Comment peut-il alors dialoguer avec d’autres discours critiques de la consommation ? Mots-clés : Modération- Consommation- Déconsommation “The traditional Christian concept of moderation in consumption: is it still appropriate to adhere to deconsumption?” Abstract : Antique philosophy is well-known for inspiring the Christian moral principles. This is why evocating the concept of moderation leads to think about ascesis, self control and rigourous behaviours. However, current worries regarding the environment and resource shortages make the idea of moderation regularly pop-up in public debates, above all when it comes to criticise our consumption society. How can the Christian idea of moderation find its place in these debates? How did it evolve to be expressed in a more modern way? Finally, is it possible to think about interactions between the Christian speech and other speeches that are critical towards the consumption society? Key words : Moderation- Consumption- Deconsumption
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Remerciements
Parvenue au terme de la rédaction de ce mémoire, je tiens à remercier particulièrement ceux qui y ont apporté une contribution non négligeable : àEve Chiapello et Karim Medjad, directeurs de la majeure Alternative Management d’HEC, pour leurs orientations méthodologiques et surtout pour la grande liberté offerte quant au choix du sujet, ce qui m’a donné une occasion d’étudier en profondeur des thèmes qui m’intéressaient, àDominique Bourg, ensuite, qui, en me proposant le sujet, m’a donné un moyen de relier les deux disciplines que j’étudie,
à Damien de Blic, tuteur de ce mémoire, pour son accompagnement régulier cette année, riche de conseils et d’apports très divers tant sur le contenu que la méthode, àFrédéric Dalsace, qui a gentiment accepté de faire partie du jury de la soutenance orale du 30 juin 2009, aux différentes personnes qui m’ont accordé beaucoup de leur temps,Alain Thomasset etJean-Yves Calvez du Centre Sèvres,l’équipe du Ceras, dont particulièrementChristian Mellon etBertrand Hériard Dubreuil, qui m’ont donné de nombreuses pistes de recherches appuyées de précieuses références, au groupe « scénario déconsommation », Yann Auger, Mariam Bouzoubaà, Yann Devaux, Jean Fox, Thomas Lebreuil et Nathalie Rusé, avec qui j’ai pu travailler sur la déconsommation dans le cadre du cours de prospective ; notre travail de cette année m’ayant été très utile tout au long de ce mémoire, ce qu’ils remarqueront certainement!
Toutes ces contributions ont largement nourri les pages qui suivent, et méritent de sincères remerciements.
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INTRODUCTION……………………………………………………………………………..7 PREMIERE PARTIE: LES RACINES CHRETIENNES TRADITIONNELLES DE LA MODERATION………………………………………………………………………………..9 1.Les sources pré-chrétiennes …………………………………………………………..9 a.L’hybris grecque : la modération comme rempart contre la démesure…..….…9 b.Le discours sur la vertu………………………………………………………..13 c.La tempérance, ancêtre de la modération……………………………………..16 d.La modération à travers les écoles de pensée, maîtrise de soi et des passions..18 2.Incorporation de ces notions dans le discours chrétien………………………………..20 a.Les emprunts à la morale antique dans les trois premiers siècles……………..20 b.Le monachisme chez les Pères de l’Eglise, la modération en actes……………24 c.L’approfondissement de l’idée de vertu……………………………………….29 3.La modération dans le discours chrétien : vers les débuts de l’enseignement social de l’Eglise………………………………………………………………………………….33 a.La propriété n’est jamais un absolu mais est ordonnée à une finalité d’ordre supérieur…………………………………………………………………………33 b.Le juste prix…………………………………………………………………..…34  Synthèse………………………………………………………………………………….…36 DEUXIEME PARTIE : CONSOMMATION ET DECONSOMMATION…………….…..…38 1.Qu’entendons-nous par le terme « consommation ? »………………………………….38 2.Qu’entendons-nous par le terme « déconsommation ? »……………………………….41 a.Quelques distinctions préalables………………………………………………..41 b.L’origine du néologisme………………………………………………………..44 c.Quel lien avec la décroissance ?...........................................................................47 3.Les portes d’entrée dans la déconsommation…………………………………………...51 a.Les motivations……………………………………………………………....….51 b.Quelques exemples de mouvements…………………………………………….55 TROISIEME PARTIE : L’ARGUMENTATION DES PARTISANS DE LA DECONSOMMATION FACE AU DISCOURS CHRETIEN DE LA MODERATION : DES ARGUMENTS QUI FONT EMERGER DES CATEGORIES D’APPUI RELIGIEUX……………………………………..64 A.Des Catégories binaires………………………………………………………………………66 1.Le pur et l’impur…………………………………………………………………………66 a.La modération chrétienne : une vision manichéenne, la recherche du « saint »…66 b.La critique de la consommation : une Vision manichéenne, la recherche du  « sain »……………………………………………………………………………67 c.Modération et identité……………………………………………………………70 2.Le profane et le sacré……………………………………………………...……………..72 a.L’inversion des valeurs dans la société de consommation……………………….72 b.Des chrétiens dans le monde mais pas du monde………………………………..73 c.La modération au service d’une hiérarchie de valeurs……………………...……75 3.La richesse et la pauvreté………………………………………………………………...77 a.Les paradoxes de la société d’abondance………………………………………..77
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b.Le sens biblique de la richesse et de la pauvreté………………………………....81 c.La modération au service de la redéfinition des termes………………………….84 4.Attachement et détachement……………………………………………………………..84 a.Allègement et dépouillement, des idées récurrentes dans le discours sur la déconsommation……………………………………………………………….....84 b.Le retour à l’essentiel chrétien………………………...…………………………87 c.La modération pour un passage du quantitatif au qualitatif……………………. .89 5.Individualisme et altruisme………………………………………………………………90 a.L’idéal d’une société conviviale…………………………………………………90 b.L’exigence de justice sociale dans le discours chrétien………………………….99 6.Autodétermination et aliénation…………………………………………………………100 a.La remise en cause des diverses sources d’aliénation issues de la société de consommation………………………………………………………………..…100 b.L’affirmation de la liberté dans le discours chrétien……………………………104 c.La modération au service d’un salutaire affranchissement……………………..108 7.Idolâtrie et vérité………………………………………………………………………..111 a.La critique vise la place démesurée des objets dans la vie humaine……………111 b.L’opposition entre biens matériels et bien spirituels……………………………113 c.Lamodération permet un rapport équilibré aux objets………………………….114 B.Des thèmes que l’on retrouve dans la pensée chrétienne…………………………….……116 1.La conversion…………………………………………………………………….……116 a.« La part du colibri » : chacun peut initier le changement……………….……116 b.La conversion, un changement de mode de vie……………………………..…118 c.La modération comme guide du « changement de trajectoire » ………………120 2.Le don……………………………………………………………………………….…121 a.L’économie du don dans le discours sur la déconsommation……………….…121 b.Don et charité dans le discours chrétien………………………………………..122 C.Un thème ambigu : le respect de la Création……………………………………………….125 1.La montée en puissance de la critique écologiste depuis les années 1970……………...125 2.Un discours chrétien sous l’influence du « vous soumettrez la terre » ………………...126 3.Une inflexion des propos depuis une dizaine d’années…………………………………128 4.Modération et écologie………………………………………………………………….133 Synthèse…………………………………….…………………………………………………..134 QUATRIEME PARTIE : LES ECHANGES ENTRE LE DISCOURS CHRETIEN SUR LA MODERATION ET LE DISCOURS SUR LA CRITIQUE DE LA CONSOMMATION…....140 1.Deux discours qui ont intérêt à s’enrichir d’apports mutuels. ……………………………..141 2.Les « points forts » du discours chrétien sur la modération………………………………..141 a.Le renouvellement du discours religieux…………………………………………...141 b.Ce que l’idée chrétienne de modération peut apporter à une critique de la consommation……………………………………………………………………....145 3.Les « points forts » du discours critique de la consommation…………………………..….146 CONCLUSION…………………………………………………………………………………150 BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………………...156
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INTRODUCTION
 Le choix du thème du mémoire de fin d’études dans la majeure Alternative Management permettant une grande liberté, il me tenait à cœur de traiter un sujet qui, tout en reprenant des problématiques abordées pendant l’année qui m’avaient intéressée, présente également une dimension personnelle. Ayant commencé cette année à suivre un cursus de licence de Théologie, j’ai ainsi souhaité que le sujet permette de faire un rapprochement entre l’enseignement d’une école de commerce et ces cours de licence, ce qui n’est pas évident au premier abord. A la fin du mois de novembre, Dominique Bourg est venu présenter une conférence sur l’économie de fonctionnalité dans le cadre du « séminaire d’invités » de la majeure. En charge de faire sa biographie avec une autre étudiante, j’ai vu qu’il avait suivi des études de théologie à l’université Marc Bloch de Strasbourg, qui est justement celle par laquelle je prends mes cours. C’est donc vers lui que je me suis tournée pour définir un sujet, et il m’a proposé ceci : « Les racines religieuses traditionnelles de la modération vis à vis de la consommation : peuvent-elles encore faire sens pour supporter une attitude de déconsommation ? »  Le sujet était trouvé ! Par la suite, j’ai préféré limiter le sujet à la religion chrétienne, qui offrait déjà à elle seule de nombreuses possibilités d’études, dans un cadre plus restreint et plus accessible, tout en permettant de mieux faire apparaître ce lien entre les cours de majeure et ceux de la licence. Le sujet définitif est donc devenu : « Les racines chrétiennes traditionnelles de la modération vis à vis de la consommation : peuvent-elles encore faire sens pour supporter une attitude de déconsommation ? » Une première étude du sujet a fait apparaître les idées suivantes, qui ont influencé la manière de traiter le sujet. En premier lieu, la déconsommation renvoie inévitablement à une critique de la société de consommation. Le discours chrétien sur la modération ne peut donc être évoqué dans ce sujet sans être mis en perspective avec d’autres critiques de la consommation, puisque
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la déconsommation a été définie et introduite par ces dernières. Il y a donc une démarche comparaison et de confrontation des deux discours. Par ailleurs, le sujet invite à regarder les « racines chrétiennes traditionnelles ». Cela suppose un parcours dans l’histoire de la pensée chrétienne, qui s’est formée au contact d’autres cultures et systèmes de pensée, dans une sorte de tiraillement entre assimilation d’un langage qui n’est pas le sien pour se faire comprendre des contemporains, et affirmation d’une spécificité chrétienne pour affirmer une identité. Mais, parler de tradition chrétienne, c’est aussi faire référence aux théologiens du Moyen Age, notamment Saint Thomas d’Aquin, donc ce parcours historique dépasse largement l’étude des premiers siècles ! Par cette ampleur, il a
cependant l’avantage de montrer les éléments de continuité et de rupture dans le discours sur la modération, de montrer comment sons sens à évolué, pour ensuite mieux comprendre la doctrine sociale actuelle. En effet, ces racines traditionnelles qui sont nées dans les premiers siècles se trouvent appliquées à un phénomène du XX° siècle, il est donc important de trouver le fil rouge de la modération à travers le temps. Un autre mot important était ce « encore ». Que s’est-il passé pour que l’on se pose la question de la pertinence dans le temps de ces valeurs traditionnelles? Un tel sujet contenait aussi l’incitation de chercher les tournants dans l’évolution des critiques de la consommation, et les facteurs qui les ont suscités. Enfin, le sujet postule une sorte d’incompatibilité entre le discours chrétien et le discours sur la déconsommation. Mais la question se pose de savoir si finalement, ces discours sont si éloignés l’un de l’autre ou si au contraire, ils ne sont pas plus proches que l’on pourrait le supposer. La démarche a donc été la suivante. La première étape a été l’étude des pierres d’angle du sujet, c’est à dire la définition de ces racines traditionnelles de la modération, puis l’étude d’une notion qui n’a pas encore de définition fixe, celle de déconsommation. Ensuite, à partir de cette étude préliminaire sur le point de vue chrétien d’une part, et sur les autres critiques de la consommation d’autre part, ces deux discours ont été mis en parallèle sur divers thèmes qui apparaissent dans l’idée de déconsommation, et se retrouvent sous un vocable différent dans le discours chrétien, pour voir comment la modération intervient dans chacun des cas. Enfin, nous avons identifié quelques points sur lesquels les deux discours pouvaient s’enrichir des apports de l’autre.
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PREMIERE PARTIE LES RACINES CHRETIENNES TRADITIONNELLES DE LA MODERATION Cette première partie a pour objectif de retracer l’histoire de la modération dans le discours chrétien. Elle montre comment les sagesses antiques ont constitué la base d’une notion chrétienne de modération, inséparable de la pensée des philosophes de la Grèce Antique qui ont considérablement détaillé des notions clés, comme celle de vertu, de démesure, de tempérance. Cependant, nous montrerons aussi comment s’est tout de même détachée une spécificité chrétienne de la modération, au rythme de l’histoire de l’Eglise et de l’élaboration d’une morale chrétienne, pour former progressivement un des débuts de l’enseignement social de l’Eglise. En effet, évoquer une tradition chrétienne ne signifie pas que l’on se réfère aux premiers siècles de l’histoire de l’Eglise. Les théologiens du Moyen Age sont aussi considérés comme des acteurs de cette tradition. Le questionnement qui anime cette partie est donc le suivant : -Quels éléments de la philosophie antique ont nourri la représentation chrétienne de la modération ? -Par quelles pratiques et quels changements de discours a émergé une spécificité chrétienne ? -Dans quelle mesure l’idée chrétienne de modération appartient aux fondements de la doctrine sociale de l’Eglise ?
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1.Les sources pré-chrétiennes a.L’hybris grecque : la modération comme rempart contre la démesure Expression de la démesure: hybris et châtiment dans la mythologie grecque  L’idée de modération comme nécessité dans le comportement individuel apparaît dans la mythologie grecque à travers un discours qui se montre extrêmement méfiant face aux
différentes formes que peut prendre la démesure dans l’action. Ainsi, la modération n’est pas toujours prônée explicitement, mais s’impose tacitement dans la mesure où toute attitude qui irait à son encontre, toute manifestation de l’hybris, est lourdement châtiée par les dieux. L’orgueil ou encore l’emprise des passions sont les deux facteurs qui rendent un personnage incapable se maîtriser et le conduisent toujours à poser des actes de transgression face aux limites de sa condition.  L’hybrisainsi à un franchissement de limites symboliques qui servent correspond normalement de périmètre à une action en adéquation avec la finitude de la condition humaine. A travers la portée didactique des mythes surgissent de nombreux exemples de figures de transgression, et de limites franchies. Lorsque Prométhée dérobe la foudre de Zeus et tente de faire d’un attribut des dieux un attribut de l’homme, il brouille la frontière établie entre l’humain et le divin. De même, Eschyle relate comment Xerxès tente de passer outre la
frontière qui sépare l’homme de la nature en voulant établir un pont sur le bras de mer de 1 l’Hellebont et dompter par sa force les forces de cette dernière . La frontière entre la vie et la mort est un autre motif de transgression, qu’illustre le personnage d’Achille. Fou de colère après avoir appris la mort de Patrocle, il tue Hector sur le champ de bataille et outrage son 2 cadavre en le traînant, attaché à son char, autour de la ville de Troie . On peut également citer la frontière que représentent les lois et coutumes, qui sont des principes avec lequel l’esprit grec ne transige pas. Le tyran est pourtant l’archétype du personnage qui les transgresse par sa volonté de conquête et de domination. Enfin, la frontière qui attribue à l’individu une place dans une génération humaine et une famille, lorsqu’elle est déplacée, devient elle aussi une manifestation de l’hybris, que l’on retrouve notamment dans le mythe d’Œdipe. En tuant son
1 Eschyle, Les Perses, (2002), Les Belles Lettres, Paris 2 Homère, L’Iliade, chant XXIV de Zelicourt D. « Valeurs chrétiennes, modération, consommation, déconsommation »- juin 2009
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père et en épousant Jocaste sa mère, il brouille totalement le schéma familial qui était 3 clairement établi et avait attribué à chacun une place déterminée et facilement identifiable.  Par ces exemples, nous voyons apparaître ce qui est à la racine de l’hybris. L’orgueil et les passions, non retenus, font jaillir l’excès, conduisent à franchir un seuil critique qui ne devait pas être dépassé, et viennent perturber un ordre en portant atteinte à une harmonie originelle. Dans les récits, de tels actes sont indissociables d’un châtiment divin qui vient rappeler aux héros et aux mortels que leur existence est inscrite dans un certain cadre et doit se maintenir dans l’espace ainsi défini. L’expression de la justice divine est donc le chemin de retour vers l’ordre, de retour vers l’équilibre de relations immuables. C’est ainsi que Zeus fait lier Prométhée à un pic rocheux, qu’Œdipe se crèvera lui-même les yeux, et que Xerxès court vers la défaite militaire. Dans le mythe tel que le rapporte Hérodote, ce dernier est châtié par Némésis, déesse de la vengeance et de la justice divine, chargée de punir les mortels qui rivalisent avec les dieux.
 Puisque le mythe est le lieu de la mise en scène de figures héroïques, on pourrait objecter à cela que l’hybrisn’est pas un comportement humain, et que la modération comme réponse à l’excès et à la démesure n’est pas une leçon à en tirer, mais ce serait ignorer deux éléments inhérents au récit mythique : le rôle d’exemplarité du héros, et le rôle de transmission de valeurs fédératrices de la société grecque. La démesure des héros et les châtiments divins sont donc de réels avertissements, et leurs enseignements ont une vraie portée morale. Tragédie et Catharsis  Le rôle de la tragédie est un autre élément qui illustre la place de la modération dans la civilisation grecque. On peut en effet la comprendre comme un instrument au service de la modération car au service de la mesure des actes des citoyens grecs. La mise en scène du
tragique, dans un contexte de célébration publique, était en effet vue comme facteur de purgation des passions, decatharsis, dans la mesure où les spectateurs pouvaient plus que jamais prendre conscience de la fragilité de leur existence, et de ses limites. Comme l’écrit Aristote dans La Poétique, un des mécanismes de la tragédie réside dans l’identification très forte qui s’opère entre les spectateurs et les personnages mis en scène. Les spectateurs étaient en proie au sentiment d’effroi devant les malheurs des
3 Sophocle, Œdipe Roi, (1999), Librio de Zelicourt D. « Valeurs chrétiennes, modération, consommation, déconsommation »- juin 2009
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