Le marché du travail britannique vu de France
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Les créations nettes d'emplois au Royaume-Uni ont été au cours des vingt dernières années supérieures à celles observées en France, notamment en raison du différentiel de croissance par tête. Le fonctionnement du marché du travail britannique s'avère cependant paradoxal. Les réformes radicales sont à l'origine d'une certaine capacité d'adaptation, en termes d'effectifs globaux et de salaires relatifs. Mais ce marché reste à maints égards « rigide », avec une inflation salariale toujours vivace et peu sensible au niveau de chômage, une domination persistante des formes traditionnelles d'emploi et une mobilité microéconomique des travailleurs somme toute relativement faible. Ces caractéristiques résulteraient notamment de la nature duale du marché du travail britannique : la pérennité d'un « coeur » du marché du travail marqué par une certaine stabilité dans l'emploi et des hausses de salaires relativement soutenues s'opposerait à une « périphérie » supportant l'essentiel des ajustements nécessaires. Une conséquence majeure et sans ambiguïté des réformes passées est l'augmentation de la pauvreté et des inégalités de revenus. Ce degré d'inégalité est seulement comparable au sein de l'OCDE à celui observé aux États-Unis.

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Langue Français

Extrait

COMPARAISONS INTERNATIONALES
Le marché du travail
britannique vu de France
Michel Fouquin, Sébastien Jean et Aude Sztulman*
Les créations nettes d’emplois au Royaume-Uni ont été au cours des vingt dernières
années supérieures à celles observées en France, notamment en raison du différentiel de
croissance par tête.
Le fonctionnement du marché du travail britannique s’avère cependant paradoxal. Les
réformes radicales sont à l’origine d’une certaine capacité d’adaptation, en termes
d’effectifs globaux et de salaires relatifs. Mais ce marché reste à maints égards « rigide »,
avec une inflation salariale toujours vivace et peu sensible au niveau de chômage, une
domination persistante des formes traditionnelles d’emploi et une mobilité
microéconomique des travailleurs somme toute relativement faible.
Ces caractéristiques résulteraient notamment de la nature duale du marché du travail
britannique : la pérennité d’un « cœur » du marché du travail marqué par une certaine
stabilité dans l’emploi et des hausses de salaires relativement soutenues s’opposerait à
une « périphérie » supportant l’essentiel des ajustements nécessaires. Une conséquence
majeure et sans ambiguïté des réformes passées est l’augmentation de la pauvreté et des
inégalités de revenus. Ce degré d’inégalité est seulement comparable au sein de l’OCDE
à celui observé aux États-Unis.
* Michel Fouquin est directeur-adjoint du Cepii. Sébastien Jean est économiste au Cepii. Aude Sztulman est doctorante au Ceresa, Univer-
sité de Paris-IX Dauphine.
Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 332-333, 2000 - 2/3 97’expérience britannique est une référence ré- En France, en revanche, le taux d’emploi a presqueLcurrente dans le débat public français sur le continûment baissé sur cette période. Son niveau
marché du travail, mais elle joue alternativement le s’est stabilisé aux alentours de 59 % au cours des
rôle de modèle et de repoussoir. Le caractère tran- quatre dernières années, alors qu’il était de 64,7 %
ché des opinions sur la question s’explique sans en 1979. Mesurée en termes de volume d’heures
doute largement par la radicalité des réformes en- travaillées par personne en âge de travailler, la dif-
treprises au Royaume-Uni (1) avec l’arrivée au férence est plus importante encore : ce volume était
mepouvoir de M Thatcher. Les mesures adoptées en 1997 de 1 221 heures par an au Royaume-Uni,
sont à l’origine d’un affaiblissement très marqué contre 906 en France (contre respectivement 1 286
du pouvoir des syndicats et d’un déclin de la pro- et 1 108 heures en 1979) (3). Quelle que soit la
tection de l’emploi. Elles ont également entraîné mesure adoptée, le taux d’emploi en France appa-
une décentralisation des négociations collectives raît donc à la fois inférieur et décroissant par rap-
au niveau de l’entreprise et l’individualisation des port au Royaume-Uni.
salaires et des temps de travail. Mais ces opinions
tranchées sont aussi alimentées par la complexité Entre 1979 et 1998, la population en âge de travail-
des évolutions observées et par la difficulté d’en ti- ler a augmenté de près de quatre millions et demi
rer un diagnostic clair. en France, contre moins de deux et demi
au Royaume-Uni. La croissance de l’emploi a
pourtant été plus forte au Royaume-Uni. Sur la
Une bonne performance en termes même période (1979 étant un point haut relatif de
l’emploi dans les deux pays) l’emploi total a aug-d’emploi
menté de 780 000 environ en France, et de plus de
1,6 million outre-Manche, avec toutefois de trèsAlors qu’il dépassait 10 % fin 1992, le taux de chô-
fortes variations cycliques. La différence de ten-mage officiel au Royaume-Uni est passé en février
dance est manifeste : l’évolution globale de1998 sous la barre des 5 %. En taux standardisé
l’emploi a été plus favorable au Royaume-Uni(définition OCDE-BIT), le chômage britannique
qu’en France au cours des vingt dernières années.est certes plus élevé, mais il est passé à6%en
décembre 1999, alors qu’il demeurait supérieur à
10,5 % en France. La performance britannique est
cependant l’objet d’intenses controverses, tant
dans son évaluation que dans son interprétation. 1. Le Royaume-Uni regroupe la Grande-Bretagne et l’Ulster.
2. Selon l’OCDE (1996a), les personnes percevant une indemnité
d’invalidité représentaient 5 % de la population active en 1994. En
Certains y voient un artifice statistique, arguant avril 1995, l’allocation d’invalidité a été remplacée par une alloca-
tion d’incapacité, assortie d’un contrôle rigoureux de l’inaptitudenotamment de la forte augmentation du nombre de
au travail.personnes percevant une indemnité d’invalidité (2)
3. Estimations des auteurs à partir des données des Perspectives
(et à ce titre non comptabilisées comme chômeurs), économiques et des Perspectives de l’emploi de l’OCDE.
et plus généralement de la hausse supposée du
Graphique Inombre de travailleurs découragés. D’autres met-
Taux d’emploi en France et au Royaume-Uni,tent en avant la faible croissance de la population
1970-1998en âge de travailler au Royaume-Uni, qui limite le
chômage. Par ailleurs, la forte cyclicité de l’éco- En %
75
nomie britannique – souvent en décalage par rap-
port à la France –, peut induire en erreur si, comme
c’est parfois le cas, le dynamisme de l’emploi est
70
apprécié sur une partie seulement du cycle.
Royaume-Uni
L’examen du taux d’emploi (cf. graphique I), qui
65
rapporte l’emploi total à l’ensemble de la population
en âge de travailler (de 15 à 64 ans), et n’est pas
affecté directement par les variations du taux d’acti- 60
France
vité, permet de répondre à la première critique.
Légèrement supérieur à 70%àlafindes années 70
au Royaume-Uni, il était revenu à un niveau presque 55
1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 19961998
équivalent fin 1997, en hausse de 3 points environ
depuis son dernier point bas en 1993. Il a subi de for-
Lecture : le taux d’emploi rapporte l’emploi total à l’ensemble de la
tes fluctuations durant les deux dernières décennies,
population en âge de travailler de 15 à 64 ans.
mais ne présente pas de nette tendance à la baisse. Source : Perspectives économiques, OCDE.
98 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 332-333, 2000 - 2/3L’une des explications de la différence de créations croissance comparable à celle des autres pays du
d’emplois tient au niveau de la croissance du PIB continent en temps normal.
réel par habitant : elle a été, depuis 1979, de 40 %
au Royaume-Uni, contre 30 % seulement en Dans tous les pays industrialisés, la croissance de
France. Les politiques monétaires et budgétaires l’emploi global recouvre des évolutions sectorielles
depuis le début des années 90 ont sans doute contri- contrastées ; partout, les emplois de services pro-
bué pour une large part à cet écart de croissance. gressent rapidement, tandis que les emplois indus-
Une estimation centrale, publiée à l’occasion de la triels régressent. La comparaison des structures
conférence nationale sur l’emploi (4), fixe entre sectorielles d’emploi montre que ce « déversement »
4%et5%le déficit d’activité de la France à fin des emplois depuis l’industrie manufacturière vers
1997. La politique monétaire française a été guidée les services est un peu plus rapide au Royaume-Uni
par le souci de maintenir le franc dans le SME, et la qu’en France (cf. tableau 1). La part de l’industrie
politique budgétaire a été moins contra-cyclique manufacturière dans l’emploi salarié en
(déficit public inférieurà6% depuis le début de la Grande-Bretagne a chuté de 29,7 % en 1978 à
décennie, alors qu’il s’est approché de8%au 18,2 % en 1996, soit 11,5 points, tandis qu’en
Royaume-Uni). Le Royaume-Uni, qui n’avait France le recul n’était

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