Rapport d information fait au nom de la Commission des affaires économiques et du plan par le groupe de travail sur la délocalisation des industries de main d oeuvre
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Description

Les délocalisations se sont accélérées depuis 2001, en raison du ralentissement de l'économie européenne et de l'émergence de nouveaux pays industriels. Le rapport tente de faire le point en répondant à plusieurs questions : quelle est l'ampleur exacte de ces délocalisations ? Sont-elles néfastes à l'économie ? Quelles stratégies adopter pour en limiter les conséquences sociales et territoriales ? Quelle politique mettre en oeuvre pour mieux positionner la France et l'Union européenne dans le champ concurrentiel international ? Il suggère des solutions pour développer l'emploi domestique, est favorable à la définition d'une politique industrielle communautaire et appelle à un néo-colbertisme européen.

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Publié le 01 juin 2004
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Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

N° 374 ____________
S É N A T
SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004
Annexe au procès-verbal de la séance du 23 juin 2004
RAPPORT DINFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) par le groupe de travail (2) sur ladélocalisationdesindustriesdemain-duvre,
Par M. Francis GRIGNON,
Sénateur. (1) Cette commission est composée de :M. Jean-Paul Emorine,président ; MM. Marcel Deneux, Gérard César, Pierre Hérisson, Bernard Piras, Mme Odette Terrade, M. Francis Grignon,vice-présidents; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin, Gérard Cornu, Jean-Marc Pastor,secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard Barraux, MmeMarie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard Claudel, Marcel-Pierre Cléach, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Détraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Bernard Dussaut, André Ferrand, Hilaire Flandre, François Fortassin, Alain Fouché, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kergueris, Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, René Monory, Jacques Moulinier, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Henri de Richemont, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Yannick Texier, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial. (2) Ce groupe de travail est composé de :M. Christian Gaudin,président ;MM. Jean-Pierre Bel, Gérard Cornu, vice-présidents ;MM. Yves Coquelle, Bernard Joly,secrétaires ; M. Francis Grignon,rapporteur ;André Ferrand, Hilaire Flandre, Jean-René Lecerf, Philippe Leroy, Max Marest, Jacques Moulinier, Bernard Piras, Daniel Raoul, Yannick Texier, Pierre-Yvon Trémel. Emploi.
PRÉFACE
Rien nest permanent, sauf le changement
Héraclite dEphèse Délocalisations, désindustrialisation, mondialisation, moindre attractivité du territoire, déclin de la France, décollage économique de la Chine et de lInde Le débat public se nourrit depuis plusieurs mois de ces thèmes, dans un climat anxiogène. Controverses dexperts, inquiétudes syndicales, souffrances populaires et appels aux pouvoirs politiques locaux et nationaux se renouvellent à chaque annonce de plan social et de mesures de restructurations. Doctes ouvrages et pamphlets passionnés, épais dossiers journalistiques, points de vue déconomistes, dindustriels, de représentants syndicaux et délus de tous bords se succèdent pour analyser la profonde mutation que connaît depuis quelques années léconomie-monde. Face à ce maelström dinformations, à cette avalanche de statistiques, à ces cris dalarme auxquels répondent comme en écho des propos rassurants, il est difficile de faire la part des choses et de se forger une opinion. Les sénateurs que nous sommes, représentants constitutionnels des territoires, souvent investis en outre de mandats locaux, se trouvent trop fréquemment confrontés aux difficultés économiques et aux drames humains résultant de la fermeture dune usine. Nous en connaissons le prix collectif, le coût social et économique : désarroi des familles frappées par le chômage, effets immédiats sur le tissu local du commerce et de lartisanat, voire des sous-traitants industriels lorsquil sagit dun établissement dune certaine importance, dangereux déséquilibres auxquels se trouve soudain exposée la collectivité tout entière. Souvent, nos concitoyens nous interpellent pour exprimer leur incompréhension et leur colère, nous recherchant comme ultimes recours pour tenter de sopposer à des événements qui les écrasent. Mais comment agir, si lon ne connaît les forces qui déterminent les mouvements de léconomie ? Quelles réponses apporter pour apaiser les angoisses sociales si lon ne comprend les mécanismes qui forgent les décisions des entrepreneurs ? Quels outils de politique économique privilégier dans ce cadre historique doublement nouveau, constitué à la fois par le processus dintégration européenne et par lémergence de formidables puissances économiques, si lon nanalyse les enjeux et les raisons qui conditionnent ces mouvements ?
Elu dun bassin demplois, le Choletais, dont les entreprises traditionnelles de la chaussure et du textile sont cruellement touchées depuis plusieurs décennies par la désindustrialisation et les délocalisations, il ma semblé nécessaire de prendre le temps de la réflexion et dinviter le Sénat à contribuer au débat. Cest dans cette perspective que la commission des affaires économiques, grâce à lintérêt que le Président Gérard Larcher a bien voulu alors accorder à ma démarche, a créé en décembre 2003 le groupe de travail sur la délocalisation des industries de main duvre, dont jai eu lhonneur de présider les travaux pendant six mois et dont mon collègue et ami Francis Grignon a été désigné rapporteur. Une inquiétude prégnante en France 
Je lai dit, notre propos sinscrit dans un très vaste champ de questionnements témoignant de lampleur des craintes que suscitent dans les pays développés les mutations économiques actuelles. En France, la problématique des délocalisations a déjà été analysée, il y a quelque dix ans, par notre collègue Jean Arthuis. Dans un rapport dinformation qui a fait date (1), il sonnait lalerte sur les conséquences auxquelles les différences de coûts salariaux exposaient l'économie française, industrie et services confondus. La place grandissante des Etats du Maghreb et de la Turquie dans les secteurs de lhabillement, du cuir et du textile, la chute du Mur de Berlin et louverture des pays de lEst à léconomie de marché, ou encore le devenir industriel et technique des colosses en puissance quétaient déjà lInde ou la Chine, constituaient selon lui autant de signes annonciateurs dun dramatique affaiblissement de notre tissu économique. Au-delà de la prise de conscience de ces dangers, il préconisait une réaction des pouvoirs publics afin de donner aux entrepreneurs les moyens de lutter contre cette concurrence nouvelle. Force est hélas de constater que bien peu dactes ont suivi cette alarme. Pas plus en France quau niveau européen nont été engagée une politique industrielle, définies des priorités sectorielles et forgés des outils structurels permettant danticiper et de réagir, à moyen terme, aux évolutions quil annonçait. Bercées par une croissance mondiale dune incontestable vigueur et tout occupées par la création de la monnaie unique, les autorités nationales et communautaires ont négligé, dans les dernières années du siècle, de sinterroger sur la redistribution mondiale des facteurs de production qui avait cours. Bien pire, pour des raisons parfois doctrinaires, les unes ont diminué le temps de travail et alourdi les charges de nos entreprises tandis que les autres faisaient de la concurrence, entendue dans son acception anglo-saxonne résolument libérale, lalphaet lomégade lintégration européenne et la clef de voûte de lédification du marché intérieur.
(1)Lincidence économique et fiscale des délocalisations hors du territoire national des activités industrielles et de servicecommission des finances du Sénat présidé par Groupe de travail de la M. Jean Arthuis, rapporteur général  Rapport dinformation du Sénat n° 337 (1992-1993)  1993.
Aussi nest-il pas surprenant quavec le retournement de cycle advenu en 2002, les questions de la désindustrialisation, des délocalisations et de lattractivité du territoire français soient brutalement revenues sur le devant de la scène. La multiplication des réflexions menées sur ces thèmes, et dont ne témoigne que partiellement la bibliographie figurant en annexe à ce rapport, en apporte la preuve. Quil me suffise ici de citer les travaux entrepris par la délégation de lAssemblée nationale pour laménagement et le développement durable du territoire (DADDTAN) sur la désindustrialisation du territoire (1), létude prospective menée par la DATAR sur la compétitivité du territoire (2) ou encore le cycle de conférences organisé par le Centre détudes prospectives et dinformations internationales sur les délocalisations (3). Tout naturellement, ces interrogations se sont également exprimées au niveau politique. Le thème des délocalisations a bien souvent été placé par les différents candidats au cur des campagnes pour les élections régionales et européennes. Le 19 février dernier, le Président de la République a réuni à lElysée une table ronde déconomistes, de chefs dentreprises et de syndicalistes pour réfléchir aux moyens de défendre les emplois industriels. Le 2 mars suivant, lAssemblée nationale a examiné une proposition de loi de M. Maxime Gremetz et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains tendant à instaurer des mesures durgence pour lutter contre les délocalisations. Une proposition de loi identique a été déposée au Sénat par notre collègue Yves Coquelle et les membres du groupe Communiste républicain et citoyen (4), tandis que notre collègue Claude Biwer et les membres du groupe de lUnion centriste déposaient, le 30 avril, une proposition de résolution tendant à la création dune commission denquête sur le rôle des centrales dachat dans la fixation des prix à la consommation et les délocalisations dentreprises (5). Enfin, le 4 mai, lors de sa première conférence de presse en tant que ministre dEtat, ministre de léconomie, des finances et de lindustrie, M. Nicolas Sarkozy est longuement intervenu sur ce sujet, indiquant notamment quil envisageait de conditionner lattribution des aides dEtat à lengagement des chefs dentreprise de ne pas délocaliser leurs activités. De son côté, M. Bernard Accoyer suggérait le 10 mai, lors de sa première interview économique en tant que nouveau président du groupe UMP de lAssemblée nationale, un traitement différencié des charges sociales selon les secteurs afin de les alléger dans les branches où les risques de délocalisation de la main duvre sont importants (6). (1) ? mythe ou réalité :La désindustrialisation du territoire  Rapport dinformation n° 1625 (XIIème législature) fait par M. Max Roustan, député  Mai 2004.(2)La France, puissance industrielle. Une nouvelle politique industrielle par les territoires. Réseaux dentreprises. Vallées technologiques. Pôles de compétitivité  Délégation à laménagement du territoire et à laction régionale  Février 2004.(3) Cycle de huit sessions mensuelles organisé par leClub du CEPIIentre septembre 2003 et mars 2004.(4) Proposition de loi n° 295 (2003-2004) tendant à instaurer des mesures durgence pour lutter contre les délocalisations  11 mai 2004.(5) Proposition de résolution n° 284 (2003-2004).(6)La TribuneMardi 11 mai 2004  p. 4.
Cest dire si, en France, la crainte et la condamnation des délocalisations sont unanimes.
 qui nest pas partagée par tous les pays industrialisés Apparemment, rien de surprenant à ce que notre pays, ayant fondé sa prospérité depuis 150 ans sur un développement industriel constant, sinquiète de lirruption dans le commerce mondial de nouveaux acteurs. Si les géants économiques que sont lInde et la Chine sont les plus visibles, et font de ce fait lobjet dune extrême attention de la part des médias, dautres puissances émergentes sont aussi en passe de simposer prochainement comme des concurrentes redoutables : demain, le Brésil, lAfrique du Sud ou lIndonésie, un peu plus tard sans doute, la Russie. A ces nations sajoutent, à nos frontières immédiates, les pays dEurope centrale et orientale (PECO) qui, bien que dune taille non comparable aux précédents, présentent cependant des caractéristiques de développement économique permettant de craindre leur concurrence pendant de nombreuses années. Dans ce contexte, la France nest pas seule à sinquiéter des délocalisations. Chacun sait quaux Etats-Unis, confrontés depuis plusieurs mois à de vastes mouvements de transferts en Inde et en Chine, qui affectent désormais bien davantage le secteur des services que celui de lindustrie, le candidat démocrate, John Kerry, en a fait lun des axes majeurs de sa campagne électorale. Plusieurs Etats élaborent des législations protectrices et le Congrès lui-même serait sur le point dadopter des dispositions visant, notamment, à interdire lattribution de fonds fédéraux à des entreprises ayant délocalisé. Il en est de même en Allemagne où, tout en engageant une polémique avec le patronat à propos de son manque supposé de « patriotisme social », le Chancelier Gerhard Schröder envisage une augmentation de la durée hebdomadaire du travail pour renforcer la compétitivité de léconomie. Pourtant, tous les pays industrialisés ne réagissent pas aussi violemment à cette problématique. Si, en Italie ou en Grande-Bretagne, le mouvement syndical sen est aussi emparé récemment pour demander un engagement des pouvoirs publics nationaux et locaux dans la lutte contre les délocalisations, il n'a pas été pour le moment en mesure de susciter un débat public. En effet, sans nécessairement adopter le flegme tout britannique du Premier ministre Tony Blair qui, commentant devant la Chambre des communes, en octobre 2003, lannonce par le groupe bancaire HSBC de la délocalisation en Inde, en Chine et en Malaisie de quelque 4.000 emplois en moins de deux ans, déclarait simplement que le gouvernement ne pouvait pas empêcher les sociétés privées de transférer leurs emplois hors du pays, nombre dexperts et de gouvernements relativisent les difficultés posées par les délocalisations. A titre dexemple, communiqué par la direction des relations économiques extérieures (DREE), on relèvera que la Belgique, dont les caractéristiques industrielles sont, toutes proportions gardées, similaires aux
nôtres, ne connaît pas de débat politique national denvergure sur cette question. Si lélargissement de lUnion européenne a bien suscité un questionnement tout légitime, le gouvernement belge, sappuyant sur une étude universitaire commandée pour loccasion, a estimé infondée la crainte dune délocalisation massive dentreprises, sinquiétant bien davantage de la « dépendance étrangère » dont serait victime le royaume en raison de linternationalisation accélérée de son économie depuis dix ans. Quant au Japon, ses délocalisations dans lensemble de la zone asiatique relèvent même dune stratégie organisée de manière concertée entre les entreprises et les autorités nippones, ces dernière veillant essentiellement à protéger la propriété intellectuelle afin de ne pas perdre leur leadership technologique au profit de la Chine. Une inquiétude justifiée ? Ces différences d'attitude assez significatives des vieilles nations industrielles laissent perplexe. Elles invitent aussi à s'interroger sur la nature même des questionnements portant sur les délocalisations. Ainsi, la nouvelle donne économique internationale justifie-t-elle, en elle-même, les inquiétudes relatives aux délocalisations et, plus largement, à la désindustrialisation ? En dautres termes, les délocalisations sont-elles un phénomène de grande ampleur statistiquement avéré ? Sont-elles aussi un phénomène réellement nouveau ? Par ailleurs, nos mandats de sénateurs et délus locaux font de nous des observateurs privilégiés de nos territoires, ayant une connaissance intime des difficultés quils peuvent rencontrer. Mais cette proximité attentive permet-elle de garantir que notre appréhension des mouvements généraux de léconomie est pertinente ? D'assurer que le transfert que nous opérons spontanément du niveau local au niveau global est légitime ? D'affirmer que les délocalisations sont objectivement perverses et condamnables ? D'être certains qu'il faut absolument lutter contre les délocalisations ? Toutes ces questions ont surgi dès les premières auditions du groupe de travail, en janvier 2004, remettant immédiatement en cause nos plus fortes certitudes. Car les analyses des experts et des industriels, voire des syndicalistes, sont apparues bien moins monolithiques que ne le laissent supposer les manchettes des journaux ou les discours politiques. En outre, de nombreuses questions connexes ont vite émergé, démontrant que lanalyse de lemploi industriel devait assurément prendre en compte les profonds bouleversements intervenant dans les modes dorganisation des entreprises : lexternalisation de certaines fonctions (aussi appelée« outsourcing »), le recours croissant à lintérim, la segmentation des processus de production. Enfin, il est apparu quau-delà du secteur industriel, la nouvelle division internationale du travail était également susceptible d'affecter, en aval, des pans entiers du secteur des services aux entreprises, tels la comptabilité, le marketing, le service après-vente, les services financiers, etc., ainsi que, en amont, des activités comme la recherche et le développement.
Une méthode Face à ce constat, nous avons décidé, avec Francis Grignon et nos collègues membres du groupe de travail, de structurer notre réflexion autour dun « fil rouge » : lemploi, point névralgique des inquiétudes soulevées par les délocalisations dans les industries de main duvre. Cela signifie que le périmètre de nos travaux a été circonscrit afin de ne pas empiéter sur dautres études menées concomitamment à la nôtre. Nous avons en effet voulu éviter, autant que possible, toute redondance avec les rapports mentionnés ci-dessus de la DADDTAN sur la désindustrialisation ou de la DATAR sur lattractivité du territoire, comme avec les conclusions que devraient prochainement adopter nos collègues de la commission des finances du Sénat réunis dans un groupe de travail sur les substituts à la taxe professionnelle, ou avec celles du groupe de travail sur lavenir de la recherche, commun aux trois commissions des affaires économiques, des affaires culturelles et des finances du Sénat. Ainsi nous sommes-nous délibérément inscrits aux confins dautres problématiques plus larges, qui constituent en elles-mêmes des sujets autonomes (la désindustrialisation, les restructurations, lattractivité de la France, lélargissement de lUnion européenne), en empruntant à celles-ci ce qui nous paraissait juste nécessaire pour étayer notre propos. Aussi est-il possible que le lecteur ne trouve pas, en toute occasion, les développements que certaines questions soulevées permettraient, en dautres circonstances, de susciter. Je souhaite quil conserve à lesprit que nous avons simplement souhaité apporter une contribution au débat - laquelle, au reste, ne saurait nullement être définitive -et participer à la réflexion générale portant sur la puissance économique de la France sous un angle particulier et circonscrit. Mais la modestie de cette démarche conceptuelle ne nous a pas empêchés de réaliser un travail très approfondi et de longue haleine au surplus réellement collectif, ce dont je me réjouis vivement. Entre la mi-janvier et le début juin 2004, nous avons ainsi procédé à une cinquantaine dauditions au Sénat, qui nous ont permis de recueillir les analyses très pertinentes de près de quatre-vingt personnalités : ministres, économistes, entrepreneurs, représentants de fédérations industrielles, représentants syndicaux, fonctionnaires de lEtat et autres experts (1). Ces contributions ont été enrichies par trois déplacements en province destinés à en apprécier, sur le terrain et avec les acteurs locaux, la pertinence. Nous nous sommes rendus dans le Maine-et-Loire, département dont jai lhonneur dêtre lélu, dans le Bas-Rhin, à linvitation de Francis Grignon, et dans la Drôme, à celle de notre collègue Bernard Piras. Nous y avons rencontré plus de quatre-vingt entrepreneurs, élus locaux, fonctionnaires de lEtat et des collectivités territoriales, responsables consulaires et partenaires sociaux qui
(1) Voir la liste des personnalités auditionnées en annexe 1, page 293.
uvrent quotidiennement, non sans difficultés mais non sans passion ni constance, pour assurer le développement économique de nos territoires (1). Nous avons également fait, naturellement, le voyage de Bruxelles afin dappréhender les enjeux européens du problème, bénéficiant à cette occasion des contributions éclairées de MM. Jacques Barrot et Pascal Lamy, Commissaires européens, de MM. Jean-Paul Mingasson et Robert Verrue, Directeurs généraux, et de M. Pierre Sellal, Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès de lUnion européenne, ainsi que dune dizaine de leurs collaborateurs (2). Ce programme de travail, très fructueux, a été complété par trois initiatives nous ayant semblé indispensables à la formation de notre opinion. Dune part, nous avons confié une étude territoriale au cabinet de conseil Formules économiques locales, spécialisé dans laccompagnement des collectivités locales et des entreprises en butte à des situations de restructurations industrielles. Il nous paraissait opportun, en effet, de confronter les analyses macro-économiques entendues à Paris ou à Bruxelles aux réalités micro-économiques vécues dans les divers bassins demplois. Il était également utile de connaître de manière synthétique, au-delà des exemples recueillis lors de nos déplacements en province, les stratégies mises en uvre au plan local pour accompagner le phénomène des délocalisations et favoriser la reconversion des bassins concernés. Cest la matière de cette étude qua travaillée Francis Grignon pour rédiger la deuxième partie de son rapport. Dautre part, pour conforter cette analyse territoriale, nous avons sollicité les vingt-deux régions métropolitaines, acteurs essentiels du développement économique local, au travers dun questionnaire leur ayant été adressé au début du mois de février (3). Cependant, malgré une relance réalisée après les élections régionales, peu dentre elles ont été en mesure dy répondre à temps, sans doute en raison même de ces élections. Enfin, il nous a paru intéressant dobtenir de notre réseau dexpansion économique à létranger des analyses sur le phénomène des délocalisations et sa perception politique tant dans les Etats industriels comparables à la France que dans les pays daccueil des investissements concernés (4). Cest donc dun ensemble très volumineux dinformations, émanant de sources multiples et diverses et complété par une épaisse bibliographie (5), que nous avons pu disposer pour mener nos travaux. A l'issue de cette réflexion collective de cinq mois, quelles conclusions principales tirer ? La plupart d'entre nous sont aujourd'hui convaincus de deux certitudes nouvelles, radicalement différentes de celles qui fondaient notre démarche originelle, et qui ne manqueront pas de surprendre, sinon de choquer.
(1) Voir la liste des personnalités rencontrées en annexe 2, page 299.(2) Voir la liste des personnalités rencontrées en annexe 3, page 305.(3) Ce questionnaire figure en annexe 4, page 307.(4) Le questionnaire figure en annexe 5, page 309.(5) La bibliographie figure en annexe 6, page 311.
Un constat démythificateur Première certitude : contrairement aux affirmations les plus courantes, il nexiste pas de mouvement de délocalisations massives de nos industries de main duvre, même si une tendance récente accentue probablement un flux séculaire. Il est vrai que de nombreux secteurs industriels ont perdu des emplois, parfois en quantités impressionnantes. Certains, tels le textile ou le cuir, connaissent même cette évolution depuis plusieurs décennies. Dautres y sont confrontés depuis moins longtemps, mais de manière apparemment plus prégnante ces dernières années. Toutefois, une part essentielle de cette réalité résulte de lamélioration de la productivité, de la substitution capital-travail et des modifications intervenues dans les modes dorganisation des entreprises qui, avec loutsourcinget le recours au travail temporaire, affectent de manière artificielle la répartition statistique des emplois entre les services et lindustrie. En outre, latonie de la croissance française a naturellement renforcé les difficultés ces trois dernières années. Or, toutes ces évolutions auraient également pu survenir dans une économie fermée et donner des résultats relativement similaires en termes de pertes demplois industriels. Certes, au-delà de cette réalité, il existe à lévidence des délocalisations dentreprises et dactivités. Mais ni leur nombre, ni la place quelles semblent occuper dans la réalité des mutations industrielles ne correspondent à limage quon sen fait. Comment expliquer alors lemballement médiatique dénonçant lhydre des délocalisations ? zDabord, sans aucun doute, à labsence de définition consensuelle et clairement établie du phénomène. Dans son acception la plus stricte, la délocalisation est le transfert de capacités de production dun site national vers un site étranger afin dimporter, pour satisfaire la consommation nationale, des biens et services jusqualors produits localement. Tous les observateurs compétents, économistes, industriels, experts publics, s'accordent sur le fait que ce type de délocalisation est, au regard de lensemble de léconomie, extrêmement résiduel. Il ne concerne de manière significative quun nombre limité de secteurs et, pour beaucoup, ne touche même que certains segments du processus de production. Lautre définition, plus large, qualifie de délocalisations les investissements directs à létranger (IDE) ou les accords de sous-traitance conduisant à produire à lextérieur des biens et services qui, dans dautres circonstances, auraient pu lêtre localement pour être exportés. Ce modèle est, lui, plus important en termes de flux financiers. Sagit-il pour autant de « délocalisations », dès lors quil ninduit pas de pertes locales demplois ? Lexemple de notre industrie automobile permet den douter. On ne peut cependant pas totalement exclure ce processus du champ de lanalyse si lon estime quà terme, la production délocalisée ne sera pas seulement consommée sur place mais viendra aussi concurrencer, sur le marché intérieur, la production nationale. zLe deuxième biais tient à labsence doutils statistiques fiables permettant de distinguer précisément les délocalisations. Des évaluations sont tirées du croisement des indicateurs de lemploi et de la production industriels, du
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