La psychanalyse définit-elle le psychiatre d’enfant ?
5 pages
Français

La psychanalyse définit-elle le psychiatre d’enfant ?

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
5 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description


La psychanalyse joue un rôle important dans la construction de l’identité du psychiatre d’enfant car elle atteste de l’ouverture d’esprit du praticien et traduit une orientation enfin nouvelle. Il est important pour le psychiatre adepte d’une telle orientation de faire comprendre que son objectif général est le sujet, l’intimité de l’enfant et de l’adolescent, le regard rénové porté sur ses inadaptations.
  [Moins]

Informations

Publié par
Nombre de lectures 17
Langue Français

Extrait

La psychanalyse définit-elle le psychiatre denfant? ·37« Editorial »,op. cit., p. 2. ·38Serge Lebovici sera appelé ultérieurement à d’importantes fonctions au sein du mouvement psychanaly(...) 16Les éditorialistes dePsychiatrie de l’enfantne faisaient pas mystère de leur vif intérêt pour la psychanalyse. « L’apport de la psychanalyse, est-il précisé, à la connaissance de l’enfant, les études systématiques des psychologues de l’enfant, ont été à l’origine du mouvement dynamique en psychiatrie infantile qu’exprime le développement des « centres de guidance » dans les pays anglo-saxons. »37Serge Lebovici était au sein du triumvirat de direction de la revue le plus engagé à l’époque dans cette direction, étant membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris depuis 195238. Cette association entre psychanalyse e et centre de guidance se retrouve dans le cas du centre du XIIIarrondissement où exerçaient Lebovici et d’autres, comme son proche collègue René Diatkine (1918-1997), psychanalyste lui-même. Au congrès mondial de 1950, cette association entre guidance et psychanalyse semblait aller de soi parmi les intervenants, dépassant ainsi le seul cas de l’exemple français. ·39Serge Lebovici s’est singulièrement engagé en France dans la construction de la notion de psychose(...) ·40L’antisémitisme, les positions politiques (Lebovici a été membre du Parti communiste) et l’orientat(...) 17Sans pouvoir ici s’appuyer sur une statistique établie, il semble toutefois possible d’affirmer que le psychiatre s’occupant d’enfants est passé par l’analyse, à l’image de Lebovici. C’est en tout cas assez fréquent dans les années 1950 pour être constaté. Cela constitue une nouveauté pour qui s’intéresse à une histoire des pratiques de prise en charge de l’enfant et de l’adolescent. Ce travail ne peut toutefois pas embrasser la question de la diffusion de la psychanalyse et quelques autres questions annexes que cela entraînerait. Cette incursion de la psychanalyse dans certaines pratiques de prise en charge de l’enfant est importante à signaler car elle constitue un événement auquel l’historien ne peut rester insensible, indépendamment du jugement de valeur qui peut être porté sur la psychanalyse. Dans les échanges de pratiques et les réflexions autour de l’enfant et de l’adolescent, les regards se tournent notamment vers le sol britannique. La création d’un centre pour enfants par Anna Freud, par exemple, à Londres au milieu des années 1940 constitue un événement que les professionnels de l’enfance évoqués dans cet article n’ont pu que souligner. Les années 1950 marquent un investissement réel autour de certains des concepts du corpus psychanalytique tel que celui de psychose infantile, par exemple, qui introduit un changement de regard dans l’abord de l’enfant proposant ainsi une lecture alternative aux visions de l’enfant arriéré puisqu’il met l’accent sur le conflit intrapsychique39. Mais discussion sur les concepts et des notions plus ou moins nouvelles n’équivaut pas à diffusion et accord. Si les propos autour de la sexualité infantile sont parmi les plus novateurs du corpus psychanalytique, ils sont également parmi ceux qui suscitent le plus de résistances et de critiques. Les médecins demeurent dans une culture expérimentale, qui ne les porte pas
à intégrer spontanément ce corpus, surtout s’il est porté par des psychanalystes non médecins. Le récit par Lebovici de l’hostilité de Heuyer à son égard donne un aperçu des tensions existantes dans le champ de l’enfance autour de la présence de la thérapie de type analytique40.
·41E. Miller, « Introduction to the topic of the symposium »,Organisation et fonctionnement des Child(...)
18La psychanalyse joue un rôle important dans la construction de l’identité du psychiatre d’enfant car elle atteste de l’ouverture d’esprit du praticien et traduit une orientation enfin nouvelle. Il est important pour le psychiatre adepte d’une telle orientation de faire comprendre que son objectif général est le sujet, l’intimité de l’enfant et de l’adolescent, le regard rénové porté sur ses inadaptations. Dans cette logique, le but n’est pas de construire des nosographies improbables, ni d’être soumis à l’impérialisme du dépistage, ni de perpétuer l’esprit du centre de triage tel qu’on voulait les instaurer dans les années 1930-1940 en vertu d’une culture de l’observation quelque peu scientiste. Dès lors la psychanalyse est utilisée comme d’autres méthodes pour attester de la nouveauté et de la reformulation de l’intervention du psychiatre. C’était sous cet angle que le britannique E. Miller abordait la question de la psychanalyse au sein des centres de guidance infantile lors du symposium tenu à Paris, déjà évoqué. Il ne présentait pas la présence de psychanalystes comme la manifestation d’une conquête idéologique nécessaire et incontournable ; il la présentait – ou à tout le moins l’imaginait – comme une chance à la fois pour les centres de guidance et pour les professionnels attachés à s’appuyer sur le corpus psychanalytique. Cela permettait aux psychanalystes d’éviter un certain isolement tandis que les équipes de guidance bénéficiaient d’un nouveau regard méthodologique et conceptuel41. Cette vision pragmatique ne traduit peut-être pas parfaitement la réalité des pratiques mais reflète cette idée d’ouverture et de ne rien s’interdirea prioriface à la question de la compréhension de l’enfant et de l’adolescent.
·42La place de la psychanalyse comme élément caractéristique de ce centre de santé mentale demeure enc(...)
·43Louis Le Guillant,op. cit., p. 176.
·44Serge Lebovici,op. cit., p. 54.
·45Après avoir suivi une analyse didactique, Julian de Ajuriaguerra fut nommé dans une chaire de neuro(...)
·46Par exemple, cette opposition est contestée, encore récemment, par le psychiatre et psychanalyste,(...)
19Dans les exemples évoqués, Mâle est tenu, à juste titre, pour avoir développé sa pratique à partir du corpus freudien tout en demeurant plutôt éclectique comme il l’affirmait lui-même. e Quant à l’association de santé mentale du XIIIarrondissement, il passe pour avoir été un lieu, sinon le lieu par excellence, où la psychanalyse a pu être développée à loisir puisque les psychiatres y travaillant en étaient des adeptes42. Le psychiatre d’enfant était-il dès lors un psychanalyste également ? C’est incontestablement un élément d’identité qui revient souvent. Doit-on se permettre d’en faire une généralité et d’en proclamer la nécessité ? Cela dépasse l’objectif de ce travail. Il m’apparaît plus important de signaler ces exemples
d’insertion de la psychanalyse dans certaines pratiques de prise en charge des enfants et adolescents. Le Guillant estimait que cette participation à des structures de prise en charge, précisément, ferait le plus grand bien aux psychanalystes43. Les concepts devaient être testés sur le terrain et dans la rencontre avec l’enfant ou l’adolescent. Puisque précisément aucun des représentants des sciences du psychisme n’avait la formation ou le bagage pour revendiquer une exclusivité, la psychanalyse n’avait de sens que si d’autres corpus et d’autres méthodes d’investigation étaient mobilisés. Les experts internationaux réunis par Lebovici à l’OMS étaient très clairs sur ce point puisqu’ils insistaient pour souligner que la démarche des guidances infantiles se caractérisait par une prise en compte des dimensions psychomotrices, cérébrales et mentales. L’abord neurologique et la dimension psychiatrique devaient faire cause commune car l’une ne pouvait exclure l’autre44. L’itinéraire de J. de Ajuriaguerra avait de ce point de vue valeur de symbole puisqu’il alliait neurologie et psychanalyse45. Cette tonalité me paraît très caractéristique de la psychiatrie de l’enfant. Depuis quelques années, on met en avant les oppositions entre une culture de l’autonomie absolue du psychique face aux partisans du tout organique. Cette opposition me semble relever d’une lecture très contemporaine d’une réalité nettement plus complexe dans la mesure où ces oppositions sont loin d’être aussi systématiques et aussi définitives. En tout cas, à l’intérieur du monde médical, cette opposition n’apparaît pas aux yeux de tous les professionnels comme ayant beaucoup de sens46.
20À travers les trois parcours évoqués de Pierre Mâle, Louis Le Guillant et Serge Lebovici, je n’ai pas tenté de trouver à tout prix des éléments communs mais plutôt de rendre compte des modalités différentes de l’itinéraire professionnel du psychiatre s’aventurant sur le chemin de la compréhension des troubles du comportement juvénile. Louis Le Guillant est un psychiatre sensibilisé aux problèmes de la jeunesse, sans pour autant s’engager dans la voie de l’éducateur, et à leur adaptation au sein d’une société qui ne les comprend pas en tout point. Il traduit le développement d’une psychiatrie sociale qui porte son regard sur de nouvelles catégories de population, qui ne sont pas définies à partir des seuls critères biologiques et cliniques. Pour sa part, Pierre Mâle est plus inséré que Louis Le Guillant dans une pratique médicale s’ouvrant chaque jour un peu plus à la psychanalyse. Tout à la fois pragmatique pour ce qui relève de la thérapeutique et déterminé dans ces choix intellectuels, Mâle se retrouve un passeur de plusieurs concepts développés au sein de la psychanalyse et porte durablement son attention, plus que d’autres, sur l’adolescent et son caractère problématique. Enfin Serge Lebovici, le plus ancré dans le développement de la psychanalyse d’enfant, incarne le dynamisme, tant d’un point de vue intellectuel qu’organisationnel, de la psychiatrie de l’enfant en France, n’hésitant pas à puiser dans les œuvres de ses collègues étrangers.
·47Pierre Mâle,Cinquantenaire …, op. cit., p. 50.
e ·48« Le Rapport national de conjoncture scientifique préparatoire au VII plan (1974) »,Psychologie f(...)
·49Alain Milon,Rapport sur la prise en charge psychiatrique en France, Paris, Office parlementaire d’(...)
21Chacun incarne ainsi une manière d’entrer dans le territoire incertain et complexe du jeune âge : période de la vie au cours de laquelle les problématiques du développement, de l’adaptation et de l’apprentissage obligent le psychiatre à mobiliser tout un ensemble de
techniques et de savoirs parfois délicats à réunir en une seule personne. Ce qui les unit, ou à tout le moins les réunit, est d’avoir ouvert des voies, d’avoir emprunté des chemins de traverse, de s’être aventuré dans des directions qui peuvent paraître aujourd’hui évidentes mais qui, lorsqu’ils ont fait de tels choix, ressemblaient bien plus à un pari sur l’avenir. Plutôt que d’évoquer ces itinéraires sur un mode triomphaliste, la tâche de l’historien revient à tenter de mettre en avant quelques éléments caractéristiques des professionnels de l’enfance autour du savoir « psy ». C’est d’une part son caractère expérimental et tâtonnant ; d’autre part, c’est un savoir qui s’est construit en cherchant précisément à refuser les « solutions passe-partout »47. Enfin en observant leurs itinéraires, on peut les interpréter comme des trajectoires professionnelles accomplies mais elles n’étaient pas tracées par avance. Elles peuvent apparaître aujourd’hui banales et évidentes mais il faut bien se garder de les appréhender ainsi car ce serait oublier les combats et les efforts multiples et variés que ces hommes ont entrepris pour réaliser ce qu’ils sont parvenus à faire. En 1975, il était noté l’insuffisance des structures pluridisciplinaires de prise en charge de l’enfance en France et l’avantage du secteur psychopédagogique anglais en la matière48. Encore plus récemment les auteurs d’un rapport parlementaire évaluant la prise en charge psychiatrique en France, constataient que l’un des points sombres concernait les enfants et les adolescents car leurs troubles étaient considérés comme « mal connus »49, ce qui entraînait logiquement une prise en charge inadéquate voire défectueuse. L’identité professionnelle des psychiatres investis dans la prise en charge des jeunes est ainsi interrogée, voire même déstabilisée par ces observations et ces évaluations critiques. C’est pourquoi cette identité est traversée par des processus de légitimation à travers un rapport au passé qui emprunte plus souvent aux représentations qu’à une prise en compte minutieuse du réel.
39Serge Lebovici s’est singulièrement engagé en France dans la construction de la notion de psychose infantile.
40L’antisémitisme, les positions politiques (Lebovici a été membre du Parti communiste) et l’orientation psychanalytique ont pu s’accumuler pour construire un mur d’incompatibilités entre lui et l’ambiance de la Salpêtrière.
41E. Miller, « Introduction to the topic of the symposium », Organisation et fonctionnement des Child Guidance Clinics, Paris, Herman, 1952, p. 73.
42La place de la psychanalyse comme élément caractéristique de ce centre de santé mentale demeure encore forte. Cf. Nicolas Henckes, Réformer la psychiatrie. Organiser les pratiques de secteur. La construction de la psychiatrie de secteur dans « l’expérience du treizième arrondissement », Rapport à la Mire, Ministère de la Santé, 2005, notamment p. 79 et suivantes.
43Louis Le Guillant, op. cit., p. 176.
44Serge Lebovici, op. cit., p. 54.
45Après avoir suivi une analyse didactique, Julian de Ajuriaguerra fut nommé dans une chaire de neuropsychologie du développement au Collège de France.
46Par exemple, cette opposition est contestée, encore récemment, par le psychiatre et psychanalyste, Pierre Delion : « Pierre Delion et l’autisme », Journal des psychologues, n° 277, mai 2010, p. 15.
47Pierre Mâle, Cinquantenaire …, op. cit., p. 50.
e 48plan« Le Rapport national de conjoncture scientifique préparatoire au VII (1974) », Psychologie française, vol. 20, déc. 1975, p. 205.
49Alain Milon, Rapport sur la prise en charge psychiatrique en France, Paris, Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé - Sénat, n° 328, 2009, p. 21.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Christophe Coffin, « La construction d’une identité professionnelle : l’exemple de la psychiatrie de l’enfant dans la France des années 1950 », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 12 | 2010, 65-83.
Référence électronique Jean-Christophe Coffin, « La construction d’une identité professionnelle : l’exemple de la psychiatrie de l’enfant dans la France des années 1950 », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière » [En ligne], 12 | 2010, mis en ligne le 30 novembre 2012, consulté le 30 novembre 2012. URL : http://rhei.revues.org/3186 Auteur Jean-ChristopheiffonC Université Paris-Descartes,faculté de médecine, centre A. Koyré (UMR 8560).
Articles du même auteur
·letrouscentetepxretlbeedlpLaalelodloraede[Texte intégral]
Paru dans Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière »,11oNrému|0092
·tnpetnertelle-tueleoiévdfaenlraLpyshcaitriedesannées?[Texte intégral]
Paru dans Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière »,méNu6ro|2004Droits d’auteur © PUR
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents