Mere Lionne avoit perdu ſon fan. Un Chaſſeur l’avoit pris. La pauvre infortunée Pouſſoit un tel rugiſſement
Que toute la Foreſt eſtoit importunée. La nuit ny ſon obſcurité, Son ſilence & ſes autres charmes, De la Reine des bois n’arreſtoit les vacarmes Nul animal n’eſtoit du ſommeil viſité. L’Ourſe enfin luy dit : Ma commere, Un mot ſans plus ; tous les enfans Qui ſont paſſez entre vos dents, N’avoient-ils ny pere ny mere ? Ils en avoient. S’il eſt ainſi, Et qu’aucun de leur mort n’ait nos teſtes rompuës, Si tant de meres ſe ſont teuës, Que ne vous taiſez-vous auſſi ? Moy me taire ? moy malheureuſe ! Ah j’ay perdu mon fils ! Il me faudra traiſner Une vieilleſſe douloureuſe.
Dites-moy, qui vous force à vous y condamner ? Helas ! c’eſt le deſtin qui me hait. Ces parolles Ont eſté de tout temps en la bouche de tous. Miſerables humains, cecy s’adreſſe à vous : Je n’entens reſonner que des plaintes frivoles. Quiconque en pareil cas ſe croit hai des Cieux, Qu’il conſidere Hecube, il rendra grace aux Dieux.
XII. La Lionne & l’Ourſe
Fables de La Fontaine: Barbin & Thierry | Georges Couton