Comment lire l’Évangile

Léon Tolstoï

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• Publié par: thioz
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Comment lire l’Évangile

Léon Tolstoï

Il y a tant de choses qui sont étranges, improbables, inintelligibles, et même contradictoires dans ce qui se dit l’enseignement du Christ que les gens ne savent pas comment le comprendre.

Il est compris très différemment par différentes personnes. Les uns disent que le salut est la question de la plus haute importance. Les autres disent que la chose la plus importante est la grâce, qui s’obtient par les sacrements. D’autres encore, disent que la soumission à l’Église est ce qui est vraiment essentiel. Mais les Églises elles-mêmes ne s’entendent pas, et interprètent l’enseignement différemment. L’Église Romaine Catholique considère que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils; que le pape est infaillible, et que le salut s’obtient principalement par les œuvres. L’Église Luthérienne n’accepte pas cela, et considère que la foi est ce qui est surtout nécessaire pour le salut. L’Église Orthodoxe Russo-Grecque considère que le Saint-Esprit procède du Père seulement, et que les œuvres et la foi sont nécessaires pour le salut.

Et les Anglicans et autres Épiscopaliens, les Presbytériens, les Méthodistes, sans mentionner les centaines d’autres Églises interprètent chacun l’enseignement du Christ à sa propre façon.

De jeunes hommes, et des gens du peuple, doutant de la vérité de l’enseignement de l’église dans lequel ils ont été élevés, viennent souvent me voir pour me demander ce qu’est mon enseignement, et comment je comprend l’enseignement du Christ. De telles questions me chagrinent toujours, et même me choque.

Christ, de qui les Églises disent qu’il était Dieu, est venu sur terre pour révéler la vérité divine aux hommes, pour leur conduite dans la vie. Un homme – même un homme ordinaire, stupide – s’il veut donner aux gens une directive d’importance pour eux, verra à la communiquer de telle façon qu’ils comprennent ce qu’il dit. Est-il donc possible que Dieu, venant spécialement sur terre pour sauver les gens, n’était pas capable de dire assez clairement ce qu’Il voulait dire pour empêcher les gens de mal interpréter Ses paroles, et ne pas s’entendre entre eux à leur propos ?

Il ne pouvait pas en être ainsi si Christ était Dieu; de même si Christ n’était pas Dieu mais seulement un grand enseignant, est-il possible qu’Il ne réussisse pas à s’exprimer lui-même clairement ? Car un grand enseignant est grand, justement parce qu’il est capable d’exprimer la vérité de telle façon qu’elle ne peut pas être cachée ni obscurcie, mais est aussi clair que la lumière du jour.

Dans les deux cas, les Évangiles qui transmettent l’enseignement du Christ doivent contenir la vérité. Et vraiment, la vérité est là pour tout ceux qui liront les Évangiles avec un désir sincère de connaître la vérité, sans préjugé, et surtout, sans supposer que les Évangiles contiennent une espèce de sagesse spéciale qui dépasse la raison humaine.

C’est ainsi que je lis les Évangiles, et je trouve en eux une vérité assez évidente pour que les enfants la comprennent, comme, en fait, les Évangiles le disent eux- mêmes. Aussi, quand il m’est demandé ce qu’est mon enseignement, et comment je comprends l’enseignement du Christ, je réplique : je n’ai pas d’enseignement mais je comprend l’enseignement du Christ comme il est expliqué dans les Évangiles. Si j’ai écrit des livres à propos de l’enseignement du Christ, je l’ai fait seulement pour montrer la fausseté des explications données par les commentateurs des Évangiles.

Pour comprendre l’enseignement véritable du Christ, la chose principale est de ne pas interpréter les Évangiles, mais de les comprendre comme ils sont écrits. Et donc, à la question de savoir comment l’enseignement du Christ devrait être compris, je réponds : si vous voulez le comprendre, lisez les Évangiles. Lisez-les en mettant de côté toutes les conclusions décidées d’avance; lisez avec le seul désir de comprendre ce qui est dit là. Mais seulement parce que les Évangiles sont des livres saints, lisez-les avec considération, raisonnablement, et avec discernement, et non à l’aventure, mécaniquement, comme si tout les mots avaient un poids égal.

Pour comprendre quelque livre que ce soit, il faut identifier les parties qui sont tout à fait claire, et les séparer de ce qui est obscur ou confus. Et de ce qui est clair, nous devons nous former notre idée de la tendance et de l’esprit de l’ensemble de l’œuvre. Par la suite, sur la base de ce que nous avons compris, nous pouvons continuer en démêlant ce qui est confus ou pas tout à fait intelligible. C’est ainsi que je lis toute sortes de livres. Et c’est particulièrement nécessaire de lire ainsi les Évangiles, qui sont passés par diverses compilations, traductions, et transcriptions, et ont été composés il y a mille huit cents ans, par des hommes qui n’étaient pas très instruits et étaient superstitieux.

Ainsi, pour comprendre les Évangiles, nous devons premièrement séparer ce qui est tout à fait clair et intelligible de ce qui est confus et inintelligible, et ensuite, lire cette partie claire et intelligible plusieurs fois de suite, en essayant de l’assimiler. Par la suite, avec l’aide de la signification générale, nous pouvons tenté de nous expliquer la portée des parties qui semblent compliquées et obscures. C’est ainsi que je lis les Évangiles, et la signification des enseignements du Christ m’est devenue si claire qu’il était impossible d’en douter. Et je conseille à quiconque souhaite comprendre la signification véritable des enseignements du Christ de suivre la même méthode.

Que chacun, quand il lit les Évangiles, détermine ce qui semble pour lui tout à fait évident, clair et compréhensible, et qu’il marque, en soulignant, disons avec un crayon bleue, puis, en prenant les passages marqués en premier, qu’il fasse une distinction entre les paroles du Christ et celles des évangélistes en marquant les paroles du Christ une seconde fois avec, disons, un crayon rouge. Qu’elle lise ensuite plusieurs fois de suite ces passages notés. Seulement quand elle les aura complètement assimilées, qu’il lisent les autres paroles attribuées au Christ, qu’il n’a pas compris la première fois qu’il les a lut, et qu’il note, en rouge, ceux qui sont devenus clairs pour lui. Qu’il laisse non soulignés les paroles du Christ qui lui sont demeurées inintelligibles, et aussi les paroles inintelligibles des écrivains des Évangiles. Les passages en rouge fourniront au lecteur l’essence de l’enseignement du Christ. Ils donneront ce dont tous les hommes ont besoin, et ce que le Christ a donc dit de telle façon à ce que tous puissent le comprendre. Les endroits marqués seulement en bleu indiqueront ce que les auteurs des Évangiles ont dit qui était intelligible.

Fort probablement, en distinguant ce qui est de ce qui n’est pas parfaitement compréhensible, les gens ne retiendront pas les mêmes passages. Ce qui est clair pour moi ou un tel peut être obscur pour un autre. Mais tous s’entendront certainement sur ce qui est le plus important, et il y a des choses qui seront tout à fait intelligible pour tout le monde.

Et c’est juste cela – juste ce qui est parfaitement compréhensible pour tous les gens – qui constitue l’essence de l’enseignement du Christ.