Lettre du 30 août 1675 (Sévigné)
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Description

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné
Lettres de Madame de Sévigné,
de sa famille et de ses amis
Hachette, 1862 (pp. 104-107).
438. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.
eÀ Paris, vendredi 30 août.
Je prends la résolution de partir le 4 du mois prochain : je vais droit à Orléans ; j’y trouverai M. d’Harouys, et nous nous y
embarquerons dimanche, après la messe. Je vous écrirai encore mercredi avant mon départ ; je serai quelque temps à Nantes, et
puis aux Rochers. Mon retour est assuré, si je suis en vie, pour le mois de novembre. J’ai un grand regret à notre commerce, qui va
1675 être tout déréglé ; mais la vie est pleine de choses qui blessent le cœur.
[1]Je reviens, ma bonne, du service de M. de Turenne à Saint-Denis . Mme d’Elbeuf m’est venue prendre, et m’a paru me souhaiter ;
[2]le petit cardinal m’en a priée d’un ton à ne pouvoir le refuser. C’étoit une chose bien triste : son corps étoit là au milieu de l’église ; il
est arrivé cette nuit avec une cérémonie si lugubre, que M. Boucherat, qui l’a reçu, et qui l’a veillé, en a pensé mourir de pleurer. Il n’y
avoit que cette famille désolée et tous les domestiques en deuil et en pleurs ; on n’entendoit que des soupirs et des gémissements. Il
n’y avoit d’amis que MM. Boucherat, de Harlay, de Barillon, et Monsieur de Meaux ; Mmes Boucherat y étoient, et les nièces. Mme
[3]d’Elbeuf a pensé crever de douleur ; sa vapeur s’y est mêlée, qui a fait un grand effet . Ç’a été une chose triste de voir tous ...

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Langue Français

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Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis Hachette, 1862(pp. 104-107).
438. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.
e À Paris, vendredi 30août.
Je prends la résolution de partir le 4 du mois prochain : je vais droit à Orléans ; j’y trouverai M. d’Harouys, et nous nous y embarquerons dimanche, après la messe. Je vous écrirai encore mercredi avant mon départ ; je serai quelque temps à Nantes, et puis aux Rochers. Mon retour est assuré, si je suis en vie, pour le mois de novembre. J’ai un grand regret à notre commerce, qui va 1675être tout déréglé ; mais la vie est pleine de choses qui blessent le cœur.
[1] Je reviens, ma bonne, du service de M. de Turenne à Saint-Denis. Mme d’Elbeuf m’est venue prendre, et m’a paru me souhaiter ; [2] le petit cardinalm’en a priée d’un ton à ne pouvoir le refuser. C’étoit une chose bien triste : son corps étoit là au milieu de l’église ; il est arrivé cette nuit avec une cérémonie si lugubre, que M. Boucherat, qui l’a reçu, et qui l’a veillé, en a pensé mourir de pleurer. Il n’y avoit que cette famille désolée et tous les domestiques en deuil et en pleurs ; on n’entendoit que des soupirs et des gémissements. Il n’y avoit d’amis que MM. Boucherat, de Harlay, de Barillon, et Monsieur de Meaux ; Mmes Boucherat y étoient, et les nièces. Mme [3] d’Elbeuf a pensé crever de douleur ; sa vapeur s’y est mêlée, qui a fait un grand effet. Ç’a été une chose triste de voir tous ses gardes debout, la pertuisane sur l’épaule, autour de ce corps qu’ils ont si mal gardé, et à la fin de la messe porter la bière jusqu’à une [4] chapelle au-dessus du1675. Cette translation a été touchante, et tout étoit en pleurs, et plusieursgrand autel, où il est en dépôt crioient sans pouvoir s’en empêcher. Enfin on a été dans cette chapelle ; Mme d’Elbeuf a crié les hauts cris. Il y avoit entre autres un [5] petit page qui devenoit fontaine. Enfin nous sommes revenus dîner tristement chez le cardinal de Bouillon, qui a voulu nous avoir ; il m’a priée par pitié de retourner ce soir, à six heures, le prendre pour le mener à Vincennes, et Mme d’Elbeuf : ils m’ont fort parlé de vous. Le Cardinal dit qu’il vous écrira aujourd’hui ; mais je m’en vais fermer mon paquet avant que de les aller prendre, afin de n’être point en inquiétude de revenir de bonne heure : la lune nous conduira jusqu’où il lui plaira. Peut-être que j’irai demain passer le soir à Livry, pour jouir de cette belle Diane, et dire adieu à l’aimable abbaye. L’abbé y est depuis trois jours ; il ne nous parle plus que de [6] retraite ; c’est la grande mode. Que dites-vous du nom de Monsieur le Prince qui a fait lever le siège d’Haguenau, comme il les fit [7] fuir l’année passée à Oudenarde? Voilà ce qu’il y a de1675vrai. Je ne sais nulle nouvelle de Fontainebleau ; seulement qu’on y [8] jouera quatre belles comédies de Corneille, quatre de Racine, et deux de Molière. Je ne puis pardonner à Cavoied’être à Fontainebleau plutôt qu’à Saint-Denis ce matin.
Adieu, ma chère bonne, embrassez-moi, je vous en conjure, et ne me dites point que vous ne méritez pas mon extrême tendresse ; et pourquoi, ma bonne, ne la méritez-vous pas, s’il est vrai que vous m’aimiez ? Par quel autre endroit en seriez-vous indigne ? Embrassez-moi encore, ma chère enfant, et soyez aise que je vous aime plus que moi-même, puisque vous m’aimez un peu.
Les gens du pauvre Sanzei reviennent ; et quoiqu’on n’ait pas retrouvé son corps, ils le croyoient mort. On dispose sa femme à cette triste nouvelle, sans pourtant oser encore lui faire prendre le deuil. La comtesse de Fiesque fut ainsi trois mois du marquis de [9] Piennes, son premier mari, qui est encore à revenir.
e 1. ↑LETTRE 438. — « Le corps de Turenne fut apporté à SaintDenys le 29d’août 1675 (de Brie-Comte-Robert, où il avoit été mis en dépôt, dans l’église des minimes). Dom Claude Martin, pour lors grand prieur, accompagné de ses religieux, le reçut huit ou dix pas avant dans la nef, à la distinction des princes du sang, au-devant desquels on a coutume d’aller jusqu’au parvis. Après les harangues réciproques, le corps fut porté dans le chœur, sur une estrade couverte d’un dais aux armes du vicomte de Turenne. Le lendemain on lui fit un service solennel auquel assistèrent le cardinal et le duc de Bouillon, ses neveux, et plusieurs autres personnes de qualité. » (Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denys en France, par dom Félibien, p. 515.) 2. ↑Dans les éditions de Rouen (1726) et de 1754 : « le cardinal de Bouillon. » — À la ligne suivante, il y ad’un tour, dans l’édition de la Haye (1726) ; mais on litd’un tondans celles de 1725, de Rouen (1726), et dans les deux de Perrin. 3. ↑On lit ici de plus dans les éditions de Perrin : « On ne peut pas douter de la douleur de cette pauvre femme. » 4. ↑« Outre l’autel des Saints-Martyrs…. qui remplit toute l’arcade du milieu du rond-point ou chevet de l’église, jusqu’à la hauteur des galeries, il y a autour du même chevet, au delà des bas côtés, neuf autels dans des chapelles fermées de grilles de fer, et deux autres chapelles plus grandes, savoir celle de Saint-Eustache où est le tombeau du vicomte de Turenne et la chapelle neuve de Saint-Louis, qui sert aujourd’hui de sacristie. » (Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France, par dom Félibien, p. 531.) e 5. ↑Àdevenoit fontainel’éditeur de la Haye a substituépleuroit beaucoup. — Mlle de Scudéry a dit dans laClélie(suite de la II partie, tome II, p. 1249, édit. de 1660) : « Si vous en croyez aujourd’hui Artaxandre…. il vous dira qu’il faut s’enterrer dans le tombeau de ceux qu’on aime, ou que du moinsil faut se faire fontaine, et pleurer éternellement. » 6. ↑Depuis la retraite du cardinal de Retz ? 7. ↑Dans l’édition de 1754 : « Comme il fit fuir les ennemis l’année passée, etc. » — LaGazette, dans un numéro extraordinaire, p. 651-662, donne une relation intitulée : « Levée du siège par l’armée de l’Empereur, sous le commandement du comte Montecuculi,au seul bruit de la marche du prince de Condé. » 8. ↑Il avoit été fort aimé de M. de Turenne. (Note de Perrin.) Voyez la fin de la lettre du 20 septembre suivant, p. 142. 9. ↑Il avait été tué au siège d’Arras, en 1640. Voyez la note de M. Chéruel au tome I, p. 113, desMémoires de Mademoiselle.
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