Erotisme et philosophie chez Diderot - article ; n°1 ; vol.13, pg 367-390
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1961 - Volume 13 - Numéro 1 - Pages 367-390
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 98
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Aram Vartanian
Erotisme et philosophie chez Diderot
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1961, N°13. pp. 367-390.
Citer ce document / Cite this document :
Vartanian Aram. Erotisme et philosophie chez Diderot. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1961,
N°13. pp. 367-390.
doi : 10.3406/caief.1961.2210
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1961_num_13_1_2210ÉROTISME ET PHILOSOPHIE
CHEZ DIDEROT
Communication de M. Aram VARTANIAN
{Minnesota)
au XIIe Congrès de l'Association, le 27 juillet i960.
Les tendances nettement erotiques dans l'œuvre littéraire
comme dans la personnalité de Diderot, quoiqu'on les ait
encore peu approfondies, n'ont certes pas échappé à la cri
tique. Ainsi M. Franco Venturi a constaté, à propos des
Bijoux indiscrets, que « dans le naturalisme de Diderot, il y
avait implicitement une forme de pan-sexualité qui semble
un moment sur le point de se déchaîner » (1). Dans la savante,
étude de caractérologie que M. Pierre Mesnard a consacrée
au philosophe encyclopédiste, celui-ci fait figure d'un « colé
rique débridé... à sexualité accusée », dont la vie ardente et
active aurait été nourrie d'une « sensualité puissante et fruste,
éprise des satisfactions les plus élémentaires » (2). Malgré de
tels aperçus et maints autres qu'on pourrait y ajouter, il est
resté beaucoup plus facile de sentir toute l'étendue de ce
fonds d'érotisme intarissable que d'en faire une analyse ca
pable de préciser ses qualités particulières et d'éclaircir le
rôle qu'il a dû jouer dans la création artistique ou scienti
fique de Diderot. La raison en est, évidemment, que chez lui
l'élément erotique a paru, le plus souvent, ou dans un état
(1) Jeunesse de Diderot, Paris, 1939, p. 123.
(2) Le cas Diderot, étude de caractérologie littéraire, Paris, 1952, p. 113, 368 ARAM VARTANIAN
de sous-entendu trop vague et de résonance trop diffuse pour
se laisser dégager par l'analyse, ou bien sous une forme assez
commune, et même vulgaire, lorsqu'il a surgi — d'ailleurs
avec une grande fréquence — à la surface du discours. Si l'on
cherchait donc à rendre compte de la présence de l'érotisme
dans l'œuvre de Diderot, on ne saurait peut-être mieux s'y
prendre que par une analyse de style, propre à faire ressortir
ce qui ne se laisse qu'entrevoir obscurément derrière le sens
apparent des mots. C'est ce qu'a déjà entrepris M. Leo
Spitzer, qui, moyennant un examen dont l'acuité et la r
ichesse laissent peu à désirer, a pu établir que l'originalité
saillante du style de Diderot consiste, précisément, en une
reproduction rythmique de l'expérience psycho-physiolo
gique de l'acte sexuel ; de sorte que l'auteur, en s 'animant par
le jeu d'un automatisme intime, aura suivi l'élan expansif
de l'instinct erotique qui pénétrait et dominait sa sensibil
ité (3). Le procédé de M. Spitzer a donné jusqu'à présent la
meilleure appréciation qu'on ait de l'érotisme de Diderot.
Pour nous, cependant, il ne sera point question de reprendre
la même voie. Tout en estimant à leur juste valeur les opi
nions déjà émises sur la pan-sexualité de Diderot, nous pro
posons ici d'en aborder un aspect spécial, en nous demandant
de quelle manière les divers thèmes erotiques ont collaboré
à la formation, voire à la formulation, de sa pensée philoso
phique.
Voyons d'abord brièvement ce qu'on pourrait considérer
comme déjà acquis sur un sujet pareil, afin de mettre dans
une perspective suffisamment large notre propre discussion.
C'est surtout dans les domaines de la morale, de la psycholog
ie et de l'esthétique que se laissent apercevoir, de la façon
la moins équivoque, les rapports étroits qui lient les idées de
Diderot à son tempérament sensuel. Il est assez reconnu,
par exemple, que le genre d'enthousiasme grâce auquel les
actions justes ou généreuses poussent l'âme sur la pente de
la vertu sans nulle conscience du devoir (ce qui pour Diderot
équivalait à la motivation éthique), n'était au fond que l'écho
(3) Linguistics and Literary History, Princeton, 1948, p. 135-191. ÉROTISME ET PHILOSOPHIE CHEZ DIDEROT 369
d'une volupté corporelle, dont les douces vibrations comp
osent, pour ainsi dire, la base énergétique de toute sympat
hie humaine. Ce moteur erotique dont la sublimation restait
fort incomplète, c'est Diderot lui-même qui nous en a offert
la description la plus saisissante, lorsqu'il a avoué à Sophie
Volland : le spectacle de l'équité « me remplit d'une douceur,
m'enflamme d'une chaleur et d'un enthousiasme où la vie,
s'il fallait la perdre, ne me tiendrait à rien : alors il me semble
que mon cœur s'étend au dedans de moi, qu'il nage ; je ne sais
quelle sensation délicieuse et subtile me parcourt partout ;
j'ai peine à respirer ; il s'excite à toute la surface de mon
corps comme un frémissement... etc. » (4). Il ne serait pas
difficile d'indiquer maints endroits des Salons, où l'amateur
de peinture fait entrer une émotivité toute pareille dans les
jugements qu'il porte sur l'œuvre d'art. Et pour souligner
l'emploi très varié du sentiment sexuel chez Diderot, on peut
mettre à côté du passage ci-dessus cet autre texte où la sensi
bilité erotique du philosophe, se donnant une forme perverse,
arrive à une notion du sublime qui semble annoncer l'esthé
tique baudelairienne : « Les grands effets naissent partout
des idées voluptueuses entrelacées avec les idées terribles ;
par exemple de belles femmes à demi nues qui nous pré
sentent un breuvage délicieux dans les crânes sanglants
de nos ennemis. Voilà le modèle de toutes les choses
sublimes (5). » Par ailleurs, Diderot s'est chargé résolument
de soutenir, en psychologue avant-coureur de notre temps, les
valeurs salutaires de la volupté physique, tout en insistant sur
le côté inoffensif de ce qu'il a bien voulu qualifier « l'action
génitale, si naturelle, si nécessaire et si juste ». L'article « Jouis
sance » de l'Encyclopédie (pour n'en choisir que le meilleur
morceau) a repris, par ses louanges lyriques à l'adresse
d'Eros (ce dieu tant calomnié par la religion chrétienne), une
tâche dont s'était déjà occupé La Mettrie, avec moins de
goût et plus d'entêtement, dans ses deux ouvrages, La Vo
lupté et L'Art de jouir. A travers la correspondance avec So
phie Volland, on observe un Diderot colporteur d'aventures
(4) Diderot, Correspondance, éd. G. Roth, III, 156.
(5) IV, 196. ARAM VARTANIAN 37О
galantes et d'histoires polissonnes, manie dont il fera, du reste,
un fort bon usage en composant Jacques le Fataliste. Mais de
ces mêmes tendances il fera, dans le Supplément au voyage
de Bougainville, une application bien autrement féconde. Le
Supplément ne gagne certes pas à être lu comme un traité
de psychologie ; mais il n'en reste pas moins vrai que Diderot,
malgré un utopisme par trop sentimental, y rencontre Г idée-
maîtresse qui s'est avérée, par la suite, d'une importance iné
puisée dans la recherche psychanalytique, à savoir, la suppos
ition que le « mal » de l'homme moderne provienne surtout
du fait que la civilisation n'a pu s'accomplir qu'en contrar
iant, et en contraignant, ses besoins sexuels. On se rappelle
aussi que Diderot fut le premier, par une inspiration marquée
au coin du génie, à mettre en une formule tranchante la vérité
essentielle du complexe d'Œdipe. Et peut-être n'était-ce
qu'en suivant attentivement les mouvements de sa propre
clairvoyance erotique, qu'il fut même porté, plus d'une fois,
à élever les réactions sexuelles à la dignité d'un sixième sens.
Sans chercher plus loin, affirmons que Diderot n'eut guère
de rival à l'époque — sauf peut-être La Mettrie — quant à sa
compréhension intuitive de toute la portée du facteur sexuel
dans le comportement de l'homme évolué.
On conçoit

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