Expérience sociale et imagination romanesque dans les romans de Mme de Tencin - article ; n°1 ; vol.46, pg 31-51
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1994 - Volume 46 - Numéro 1 - Pages 31-51
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 31
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Henri Coulet
Expérience sociale et imagination romanesque dans les romans
de Mme de Tencin
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1994, N°46. pp. 31-51.
Citer ce document / Cite this document :
Coulet Henri. Expérience sociale et imagination romanesque dans les romans de Mme de Tencin. In: Cahiers de l'Association
internationale des études francaises, 1994, N°46. pp. 31-51.
doi : 10.3406/caief.1994.1830
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1994_num_46_1_1830EXPÉRIENCE SOCIALE ET IMAGINATION
ROMANESQUE DANS LES ROMANS
DE MME DETENCIN
Communication de M. Henri COULET
(Université de Provence)
au XLVe Congrès de l'Association, le 20 juillet 1993
Avant le XIXe siècle, un auteur de romans ne se pro
pose pas de rivaliser avec l'état civil, ni de représenter
dans toutes ses relations et dans tout son environnement
concret un moment de l'histoire ou un état de société.
Nous ne chercherons pas dans les romans de Mme de
Tencin ce qu'offrent les romans de Balzac, de Flaubert,
de Zola ou de Jules Romains. Ni le réalisme social, ni
le réalisme matériel ne peuvent être l'objet d'un romanc
ier dans la première moitié du XVIIIe siècle, mais bien
la psychologie, qui analyse ou «anatomise» le cœur
humain, et la morale, au double sens que ce mot avait
alors, de peinture des caractères et des comportements
et de réflexion sur la vie et la condition humaine.
Entre l'expérience vécue, directement ou indirecte
ment, par le romancier et la fiction qu'il raconte le
rapport n'est jamais d'un objet à son reflet, d'une réalité
à sa simple transcription, mais il n'est jamais inexistant ;
il est seulement plus ou moins étroit, plus ou moins
déterminé par des intermédiaires culturels. Or aucune
femme écrivain n'a peut-être plus que Mme de Tencin HENRI COULET 32
pris part activement et intensément à la vie publique de
son temps, et aucune ne semble avoir moins fait passer
de cette réalité dans ses œuvres. C'est ce paradoxe que
nous essaierons d'interpréter.
*
* *
Claudine-Alexandrine Guérin de Tencin était au cen
tre de ce qu'on pourrait appeler un groupe de pression
où figuraient Fontenelle, La Motte, l'abbé Trublet,
l'abbé Houtteville, Marivaux, et naturellement l'abbé
de Tencin, qui sera cardinal et ministre. Grâce aux
travaux de Pierre-Maurice Masson, de Charles de Coy-
nart, de Jean Sareil, de René Vaillot, on connaît assez
bien le rôle de ce groupe et de son animatrice dans
l'entourage du Régent et du cardinal Dubois, auprès de
Law, puis des frères Paris, auprès de Fleury qu'ils aidè
rent, qui se méfia d'eux, enfin qui se servit d'eux. En
art, en littérature, en philosophie, en matière de goût,
ce sont des Modernes; en politique, ils sont partisans
de l'ordre et d'un pouvoir fort, et gardent pour leur
usage personnel un scepticisme qui annonce la pensée
des Lumières; en religion, ils sont hostiles aux jansé
nistes, travaillent à l'application de la bulle Unigenitus,
sont les alliés des jésuites; en économie, ils sont de
hardis spéculateurs. Mme de Tencin tint un salon où
étaient présentées des œuvres nouvelles et où se faisaient
les réputations littéraires; elle intervint dans les cam
pagnes académiques et fit élire Marivaux contre Voltaire
à l'Académie française; elle fonda (en 1719, au moment
où Law imposait son «système») une société d'agio;
elle favorisa et peut-être même suscita la carrière poli
tique de son frère et appuya son action contre les jan
sénistes ; chez elle se réunissaient, après le concile d'Em- LES ROMANS DE MME DE TENCIN 33
brun, les prêtres « constitutionnaires » qui, poussés par
Mgr de Tencin, voulaient aller plus loin que Fleury
dans la répression anti-janséniste. Elle faisait sans doute
servir ses amours à ses intrigues; parmi ses amants
certains ou supposés, dont la liste est longue, on a
compté Philippe d'Orléans, l'abbé puis cardinal Dubois,
le chevalier Destouches dont elle conçut d'Alembert,
Schaub, ministre d'Angleterre à Paris, et La Fresnaye,
dont le suicide chez elle et le testament calomnieux en
1726 firent scandale et valurent à Mme de Tencin d'être
emprisonnée. Bien que le duc d'Orléans ait déclaré à
son propos « qu'il n'aimait pas les putains qui parlaient
d'affaires entre deux draps » (1) et que le cardinal Fleury,
après l'avoir exilée à quinze lieues de Paris en 1730,
l'ait invitée à se tenir dans les bornes que son sexe lui
imposait, cette «religieuse défroquée», «la plus intr
igante créature du monde», toujours selon Fleury, était
aussi la plus intelligente et la plus efficace (2).
Rien de tout cela ne transparaît dans ses romans.
Mise à part une nouvelle qui serait « le fruit des premiers
amusements de la jeunesse de cette dame» (3) et qui ne
fut publiée qu'en mai 1786 dans la Bibliothèque univers
elle des romans, elle écrivit ses œuvres à partir de
1730, pendant la période où ses intrigues furent répri
mées par le cardinal Fleury, puis dans les dernières
années de sa vie. Mais on ignore la date exacte où fut
rédigé chacun de ses récits. Les Mémoires du comte de
Comminge ont paru en 1735, Le Siège de Calais, nou-
(1) Mot de Duclos {Mémoires secrets sur les règnes de Louis XIV et de
Louis XV), cité par Jean Sareil, Les Tencin, mémoires d'une famille au dix-
huitième siècle d'après de nombreux documents inédits, Genève, Droz, 1969,
p. 44.
(2) Jean Sareil, op. cit., p. 200 et 210.
(3) C'est ce que déclara à l'éditeur de la Bibliothèque universelle des romans
« feu l'abbé Trublet », de qui il avait reçu ce texte (cité par Ch. de Coynart,
Les Guenn de Tencin, (1520-1758), Paris, Hachette, 2e édition, 1911,
p. 306). 34 HENRI COULET
velle historique, en 1739, Les Malheurs de l'amour en
1747. On peut admettre qu'il ne s'était écoulé que quel
ques mois, quelques années au plus, entre la rédaction
et la publication. Les Anecdotes de la cour et du règne
d'Edouard II avaient été laissées inachevées par la marq
uise, morte en décembre 1749; en 1776, Mme Élie de
Beaumont les publia avec une troisième partie qu'elle
ajouta aux deux parties authentiques.
Toutes ces œuvres sont sentimentales: dans sa vie,
celle que Diderot appellera «la scélérate Tencin» fut
ambitieuse, intrigante, immorale peut-être ; dans ses ro
mans, il n'est guère question que de ce qu'un de ses
titres désigne comme «les malheurs de l'amour», ma
lentendus irréparables, fidélités trahies ou récompensées
après de cruelles épreuves, mariages malheureux, r
enoncements, sacrifices, remords, désespoirs, exaltation
de la douleur, aspiration à la mort (4)...
Ces romans nous permettent-ils de savoir quelle idée
Mme de Tencin se faisait de la société de son temps?
Nous remarquerons d'abord qu'un seul d'entre eux, Les
Malheurs de l'amour, se situe dans un temps relativ
ement proche de celui où vivait la romancière. Le marquis
de La Valette, personnage de l'histoire d'Eugénie, a
pris part au siège d'Amiens, lorsque «le feu roi» faisait
la guerre en Picardie; l'événement a dû avoir lieu en
1636. C'est au mariage du roi — il s'agit du roi Louis
XIV, et la date est le 9 juin 1660—, que La Valette et
Mlle d'Essei se remarquent l'un l'autre (notons que si
(4) II existe deux éditions récentes des Mémoires de Comminge : l'une par
Jean Decottignies (Lille, Giard, 1969), précédée d'une importante introduction
historique et critique, l'autre par Michel Delon (Paris, Desjonquères, 1985).
C'est cette dernière que nous citerons. Pour Le Siège de Calais, nous citerons
celle de Pierre-Jean Remy (Pans, Desjonquères, 1983), et pour les Anecdotes
du règne d'Edouard II, celle des Oeuvres de Mesdames de Fontaines et de
Tencin, Paris, Garnier, s.d. Nous avons publié des extraits de YHistoire
d'une religieuse dans Le Roman jusqu'à la Révolution, Paris, A. Colin,
1968, t. 2, p. 261-265. LES ROMANS DE MME DE

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