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Honte !Léon TolstoïIl fut un temps entre 1820 et 1830 quand les officiers du régiment Semenof – la fleurde la jeunesse à cette époque; des hommes qui étaient pour la plupart Francs-maçons, et par la suite Décembristes – ont décidé de ne plus utiliser le châtimentcorporel dans leur régiment, et qui, malgré la discipline rigoureuse alors requise,continua d’être un régiment modèle sans châtiment corporel.L’officier en charge d’une des compagnies de ce même régiment Semenof,rencontrant Serge Ivanovitch Muravief – un des meilleurs hommes de son temps ou,vraiment, de tout les temps – parla d’un certain soldat, un voleur et un ivrogne,disant qu’un tel homme ne pouvait être dompter que par les verges.Serge Muravief n’était pas d’accord avec lui, et proposa de transférer l’hommedans sa compagnie.Le transfert fut fait, et presque le jour suivant le soldat vola les bottes d’uncamarade, les vendit pour boire, et fit du tumulte. Serge Ivanovitch rassembla lacompagnie, en fit sortir le soldat, et lui dit : « tu sais que dans notre compagnienous ne frappons les hommes ni les fouettons, et je ne vais pas te punir. Je paierai,de ma propre poche, les bottes que tu as volées; mais je vous demande, pas dansmon intérêt, mais pour le vôtre, de revoir votre façon de vivre, et de l’amender. » Etaprès avoir donné un conseil amical à l’homme, le laissa partir.L’homme se saoula encore et se battit, et il ne fut pas encore puni, mais seulementexhorté :- « Tu te fais beaucoup de ...

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Honte ! Léon Tolstoï
Il fut un temps entre 1820 et 1830 quand les officiers du régiment Semenof – la fleur de la jeunesse à cette époque; des hommes qui étaient pour la plupart Francs-maçons, et par la suite Décembristes – ont décidé de ne plus utiliser le châtiment corporel dans leur régiment, et qui, malgré la discipline rigoureuse alors requise, continua d’être un régiment modèle sans châtiment corporel. L’officier en charge d’une des compagnies de ce même régiment Semenof, rencontrant Serge Ivanovitch Muravief – un des meilleurs hommes de son temps ou, vraiment, de tout les temps – parla d’un certain soldat, un voleur et un ivrogne, disant qu’un tel homme ne pouvait être dompter que par les verges. Serge Muravief n’était pas d’accord avec lui, et proposa de transférer l’homme dans sa compagnie. Le transfert fut fait, et presque le jour suivant le soldat vola les bottes d’un camarade, les vendit pour boire, et fit du tumulte. Serge Ivanovitch rassembla la compagnie, en fit sortir le soldat, et lui dit : « tu sais que dans notre compagnie nous ne frappons les hommes ni les fouettons, et je ne vais pas te punir. Je paierai, de ma propre poche, les bottes que tu as volées; mais je vous demande, pas dans mon intérêt, mais pour le vôtre, de revoir votre façon de vivre, et de l’amender. » Et après avoir donné un conseil amical à l’homme, le laissa partir. L’homme se saoula encore et se battit, et il ne fut pas encore puni, mais seulement exhorté :- « Tu te fais beaucoup de mal. Si tu t’amendes, tu t’en trouveras mieux. Par conséquent, je te demande de ne plus faire ces choses. » L’homme fut si étonné par cette nouvelle sorte de traitement qu’il changea complètement, et devins un soldat modèle. Cet incident me fut raconté par le frère de Serge Ivanovitch, Matthieu Ivanovitch, qui, comme son frère, et tous les meilleures hommes de son temps, considérait le châtiment corporel comme une relique honteuse du barbarisme, honteuse pour ceux qui l’inflige, plutôt que pour ceux qui le reçoive. Quand il me racontait cette histoire, il ne pouvait s’empêcher de verser des larmes d’émotion et de joie. Et, vraiment, pour ceux qui l’ont entendu, c’était difficile de me pas suivre son exemple. C’est ainsi que les russe éduqués considéraient le châtiment corporel il y a de cela soixante-quinze ans. Et de ne jour, après soixante-quinze ans, les petits-fils de ces hommes ayant pris leur place comme magistrats, discutent calmement si tel ou tel homme (souvent un père de famille, ou parfois même un grand-père) devrais ou ne devrais pas être fouetté, et combien de coups de la verge il devrait recevoir. Les plus avancés de ces petits-fils, s’assemblant dans des comités et des conseils gouvernementaux locaux, rédigent des déclarations, discours et pétitions, à l’effet que, sur la base de certains principes hygiéniques ou pédagogiques, il serait beaucoup mieux de ne pas fouetter tous les muzhiks (gens de la classe des paysans) mais seulement ceux qui ne sont pas passé par toutes les classes des écoles nationales. Évidemment, un grand changement est survenu dans ce que nous appelons les classes supérieures instruites. Les hommes des années vingt, considérant que le châtiment corporel était une chose honteuse pour eux-mêmes, furent capables de s’en débarrasser même dans le service militaire où il était jugé indispensable; mais les hommes d’aujourd’hui l’applique calmement, non seulement aux soldats, mais a n’importe qui d’une classe spéciale du peuple Russe, et prudemment, diplomatiquement, dans leurs comités et leurs assemblées rédigent des discours et des pétitions au gouvernement, avec toutes sortes de réserves et de circonlocutions [périphrases], disant qu’il y a des objections hygiéniques au châtiment du fouet, et que par conséquent, son utilisation devrait être restreinte; ou qu’il serait souhaitable de ne fouetter que ces paysans qui ne sont pas passé par
un certain cours d’école; ou de ne pas fouetter les paysans dont il s’agit dans le manifeste à l’occasion du mariage du Tsar. Évidemment un grand changement est survenu parmi les classes soit disant supérieures de la société Russe. Et ce qui est le plus étonnant, qu’il est survenu alors que – dans cette classe même où il est considéré nécessaire d’exposer à cette torture révoltante, grossière et stupide par la flagellation, - durant ces mêmes soixante-quinze années (depuis l’émancipation des serfs), un changement également important est survenu dans la direction opposée. Alors que les classes supérieures, gouvernantes, sont tombés à un niveau si grossier et moralement si dégradé, qu’ils légalisent la flagellation, et peuvent en discuter calmement, la niveau mental et moral de la classe paysanne s’est si élevé, que le châtiment corporel est devenu pour eux une torture non seulement physique, mais morale. J’ai entendu et lu à propos de cas de suicides commit par des paysans condamnés à la flagellation, et je ne peux douter que de tels cas soient survenus, parce que j’ai moi-même vu un paysan des plus ordinaires devenir blanc comme un drap, et perdre le contrôle de sa voix, à la simple mention, dans le Tribunal du District, de la possibilité qu’on la lui inflige. J’ai vu comment un autre paysan, de quarante ans, qui avait été condamné au châtiment corporel, pleura, et quand – en réponse à ma question à savoir si la sentence avait été exécutée – il devait dire que oui elle l’avait été. Je connais aussi le cas d’un paysan âgé, respectable, parmi mes connaissances qui fut condamné à être flagellé parce qu’il se querella avec la starosta, sans s’apercevoir que la starosta portait son insigne de service. L’homme fut amené au Tribunal du district, et de là au hangar où le châtiment est généralement infligé. Le gardien vint avec les verges, et il fut ordonné au paysan de se déshabiller. « Parmen Ermil’itch, vous savez que j’ai un fils marié, » dis le paysan, s’adressant au starshina, ou aîné, et tremblant de tout son corps. « Est-ce que ceci peut être évité ? Vous savez que c’est un péché.» « Ce sont les autorités, Pétrovitch; j’en serais heureux moi-même, - mais il n’y a pas de recourt contre cela » réplique l’aîné, tout interdit. Pétrovitch se déshabilla et se coucha.« Christ a souffert et nous a dit d’en faire autant.» dit-il.
Le clerc, un témoin oculaire, me racontât l’histoire, et me dit que personne de ceux qui était présents ne pouvait se regarder dans les yeux des autres, sentant qu’ils faisant là quelque chose de terrible. Et voilà les gens pour qui il est considéré nécessaire, et pour quelque raison probablement avantageux aussi, de battre avec des verges comme des animaux –même s’il est même interdit de torturer les animaux.
Pour le bénéfice de notre chrétien et éclairé pays, il est nécessaire d’assujettir à ce châtiment le plus stupide, le plus indécent, et le plus dégradant, non pas tous les habitants de ce pays chrétiens et éclairés, mais seulement cette classe qui est la plus industrieuse, la plus utile, morale, et nombreuse. Les autorités les plus élevées d’un énorme empire chrétien, mille neuf cent ans après le Christ, pour prévenir l’infraction à la loi, imaginer rien de mieux ou de plus moral que de saisir les transgresseurs, - adultes et parfois aînés – les déshabiller, les coucher sur le sol, et leur battre le derrière avec des verges.
Et les gens qui se disent les plus avancés, et qui les sont les petits enfants de ceux qui, il y a soixante-quinze ans se sont débarrasser du châtiment corporel, maintenant, de nos jours, respectueusement et tout à fait sérieusement, présente une pétition à son excellence le ministre, ou qui de droit, pour qu’il n’y ait plus de flagellation d’adultes russes, parce que les médecins sont d’avis que ce n’est pas sain; ou que ceux qui ont un diplôme d’école ne devraient pas être fouetté avant que le mariage de l’empereur soit pas terminé [let off]. Et le sage gouvernement reçoit des pétitions si frivoles avec un profond silence.
Peut-on sérieusement faire des pétitions sur ce sujet ? Y a –t-il vraiment une question ? Sans doute y a-t-il des actions, quelles soient perpétrées par des individus ou par des gouvernements, qu’on ne peut discuter calmement, et condamner seulement dans certaines circonstances. Et la flagellation de membres adultes d’une classe particulière du peuple Russe, de nos jours, et parmi nos gens doux et éclairés de façon chrétienne, est une action de la sorte.
Pour empêcher de tels crimes contre toute loi, humaine et divine, on ne peut pas approcher diplomatiquement le gouvernement sous couvert de considérations
hygiénique, ou éducative, ou loyaliste. De tels actions nous devons, soit ne pas parler du tout, soit aller droit au fait, et toujours avec haine et horreur. Demander que seulement les paysans lettrés soient exempts d’être battus sur leur derrière mis à nu, c’est comme si, dans un pays où la loi décrète que les femmes infidèles devraient être punis en étant dévêtues et exposées dans les rues, les gens devraient pétitionner pour que ce châtiment soit seulement infligé à ceux qui ne peuvent pas tricoter des bas, ou faire quelque chose du genre.
À propos de telles actions, on ne peut pas « prier humblement », ou « présenter des pétitions au pied du trône, » etc. ; de telles actions ne doivent et ne peuvent seulement qu’être dénoncées.
Et de telles actions devraient être dénoncées parce que quand on leur donne une apparence de légalité, ils déshonorent tous ceux qui vivent dans un pays où ils sont commis. Car s’il est légal de fouetter un paysan, cela a été mis en vigueur pour mon bénéfice, pour assurer ma tranquillité et mon bien-être. Et cela est intolérable. Je ne vais pas, et ne peut pas, reconnaître une loi qui enfreint toute loi, humaine ou divine; et je ne peux pas m’imaginer être confédéré ["confederate"; complice] de ceux qui commettent et confirmer de tels crimes légalisés.
Si de telles abominations doivent être discutées, il n’y a qu’une façon, c’est-à-dire qu’une telle loi ne peut exister; qu’il n’y pas d’ukase, ou d’insigne, ou de seaux, ou de commandement impérial, qui puisse faire une loi d’un crime. Mais qu’au contraire, le déguisement de tels crimes (comme que les hommes adultes d’une classe – une seule – classe, peuvent être selon la volonté d’un autre, une pire, classe, -les nobles et les officiels, - être sujet à un châtiment indécent, sauvage et révoltant) montre, mieux que tout, qu’où une telle légalisation factice du crime et possible, il n’y a pas de loi du tout, mais seulement la licence sauvage de la force brute.
Si quelqu’un doit parler de châtiment corporaux infligés aux paysans seulement, la chose utile est, non pas de défendre les droits du gouvernement local, ou d’en appeler d’un gouverneur (qui a opposé son veto à une pétition pour exempter les paysans lettrés de la flagellation) à un ministre, - et du ministre au sénat, et du sénat à l’empereur, - comme fut proposé par l’assemblé locale de Tambof, - mais on doit proclamer sans cesse, et crier tout haut, que de telles applications d’un châtiment brutal (déjà abandonné pour les enfants) à une – et la meilleure – classe des russes, est honteuse pour tous ceux qui, directement ou indirectement, y prenne part.
Petrovitch, qui s’est étendu pour être battu après avoir fait le signe de la croix et dit « Christ a souffert et nous a dit d’en faire autant. » a pardonné à ses tortionnaires, et après la flagellation est resté le même homme qu’avant. Le seul résultat de la torture qui lui fut infligé fut de lui faire mépriser l’autorité qui décrète de tels châtiments. Mais pour beaucoup de jeunes,non seulement le châtiment lui-même, mais souvent même la connaissance que c’est possible, agit de manière avilissante sur leurs sentiments moraux, brutalisant quelques hommes et rendant les autres désespérés. Pourtant même cela n’est le mal principal.
Le plus grand mal est dans la condition mentale de ceux qui organisent, sanctionnent et décrètent ces abominations, de ceux qui les utilisent comme des menaces, et de ceux qui vivent dans la conviction que de telles infractions de la justice et de l’humanité sont des conditions utiles d’une vie bonne et ordonnée. Quelle perversion morale terrible doit exister dans les esprits et les cœurs de ceux – souvent des jeunes – qui avec un air de profonde sagesse pratique, disent (comme je l’ai moi-même entendu dire) que ça ne fera pas de ne pas fouetter les paysans, et qu’il est mieux pour les paysans eux-mêmes d’être fouettés.
Voilà les gens pour qui il faut avoir le plus de pitié à cause de l’avilissement moral dans lequel ils sont tombé, et dans lequel ils stagnent.
Par conséquent, l’émancipation du peuple russe de l’influence dégradante d’un crime légalisé, est, à tout point de vue, une question d’énorme importance. Et cette émancipation sera accomplie, non quand l’exemption du châtiment corporel est obtenu par ceux qui ont un diplôme d’école, ou par n’importe quel autre groupe de paysans, pas même quand tous sauf un en sera exempté; mais il sera accompli seulement quand les classes gouvernantes confessent leur péché et se repentent humblement.
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