La Correspondance de Vigny, ce chef-d œuvre inconnu - article ; n°1 ; vol.45, pg 241-263
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1993 - Volume 45 - Numéro 1 - Pages 241-263
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 35
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madeleine Ambrière
La Correspondance de Vigny, ce chef-d'œuvre inconnu
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1993, N°45. pp. 241-263.
Citer ce document / Cite this document :
Ambrière Madeleine. La Correspondance de Vigny, ce chef-d'œuvre inconnu. In: Cahiers de l'Association internationale des
études francaises, 1993, N°45. pp. 241-263.
doi : 10.3406/caief.1993.1820
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1993_num_45_1_1820LA CORRESPONDANCE DE VIGNY,
CE CHEF-D'ŒUVRE INCONNU
Communication de Mme Madeleine AMBRIÈRE
(Université de Paris-Sorbonne)
au XLIVe Congrès de l'Association, le 23 juillet 1992
Les Correspondances, il faut s'en réjouir, ont au cours
de ces dernières décennies conquis leurs lettres de no
blesse. Les éditions croissent et se multiplient, les col
loques fleurissent en toute saison, et l'on a commencé à
s'interroger sur l'épistolaire, à ébaucher des théories, à
redonner vie à de vieux débats : les Correspondances
sont-elles ou non un genre littéraire ? Si depuis la déné
gation catégorique de Lanson les choses ont certes évo
lué, aujourd'hui encore tel spécialiste répond par la
négative, tel autre par l'affirmative. Bref, « chacun sa
vérité », selon le titre célèbre de Pirandello, et j'ai choisi
à dessein, pour mon propos, un titre un peu provocant,
à la résonance balzacienne : « La Correspondance de
Vigny, ce chef-d'œuvre inconnu ».
Dans une communication publiée par Romantisme
(1) et consacrée au renouvellement des Correspondances
littéraires, Claudine Gothot-Mersch a résumé avec per
tinence la situation, à la lumière de la Correspondance
(1) 1991, numéro 72. MADELEINE AMBRIÈRE 242
de Flaubert : une Correspondance n'est une œuvre, ni
dans sa conception, ni en cours de route, ni dans son
achèvement; aucun projet d'ensemble ne l'inspire, et
l'unité manque du côté de la réception, puisque les
destinataires sont nombreux. Mme Gothot-Mersch r
econnaît toutefois que ces lettres de Flaubert tirent leur
valeur de l'ensemble qu'elles constituent, ce qui justifie
qu'on étudie sa Correspondance « comme une œuvre »,
dit-elle, reprenant là une formule ambiguë que j'avais
utilisée à dessein lors du Colloque sur les Correspon
dances inédites (2).
Je ne rouvrirai pas ici le débat et me contenterai de
revenir en conclusion sur cette notion d'œuvre et de
chef-d'œuvre, à propos de la Correspondance de Vigny.
Ce que je voudrais d'emblée souligner, c'est la spécif
icité de cette Correspondance. Si chez Vigny comme
chez tout autre existent une typologie de la lettre et
même une rhétorique de l'écriture épistolaire, on s'a
perçoit vite que les facteurs de dissemblance se révèlent
plus importants que les points communs à toutes les
Correspondances et que même ceux-ci, loin d'être fleurs
de rhétorique, prennent sous la plume de Vigny une
résonance toute personnelle, une expression qui est celle
d'un poète. Du temps qu'il fait il ne parle guère mais
de la santé il parle tout le temps, sans que ses propos
relèvent d'une banale politesse. La maladie, qui repré
sente pour lui une réalité obsédante et quotidienne,
occupe une place pathétique dans ses lettres, et nous
verrons ce que fut pour lui l'écriture de cette permanente
et désolante actualité. Deux constatations toutes simples
s'imposent : la première concerne l'étonnante ampleur
de cette correspondance, qu'il s'agisse des lettres de
Vigny ou plutôt, telles qu'elles sont conservées dans les
(2) Organisé par les professeurs Goyard et Françon. Actes publiés en 1984,
aux éditions Economica. CORRESPONDANCE DE VIGNY 243 LA
Archives de Jean Sangnier qu'on ne remerciera jamais
assez de son enthousiaste collaboration, des minutes
abondamment raturées, ou qu'il s'agisse des lettres de
ses nombreux destinataires, soigneusement gardées et
classées par lui pour une bonne part. Enrichi encore
d'un nombre appréciable de lettres recueillies dans les
fonds publics ou privés, en France et dans le monde
entier, cet ensemble (dont la publication, à 70 % inédite
environ, remplira une dizaine de volumes) constitue un
exceptionnel dialogue, poursuivi dans la continuité des
liens amicaux ou familiaux, dans la durée d'une vie
fertile en événements intimes ou historiques, dont l'
écriture — et c'est là la deuxième caractéristique de cette
correspondance — révèle une extraordinaire qualité li
ttéraire. Le dialogue ou plutôt ces dialogues de Vigny
— à propos desquels on ne saurait parler du degré zéro
de l'écriture, tant le nombre et l'importance des ratures
attestent le travail d'un épistolier hanté par la perfection
de la forme — , avec des correspondants lettrés et spiri
tuels, souvent des écrivains, en particulier des poètes,
auxquels le talent littéraire ne faisait pas défaut, est-il
ou n'est-il pas littérature?
J'ai parlé de dialogue et c'est en effet sous le signe de
la communication que se place mon propos. Je ne m'at
tarderai pas aujourd'hui sur le fascinant autoportrait
qui s'esquisse, se voile et se brouille dans son lent deven
ir, ni sur l'histoire d'une âme et d'une œuvre dont
l'exécution capricieuse, ponctuée d'élans, de repentirs
et de rêves avortés s'inscrit dans ces lettres écrites au
jour le jour, ni même de la fresque d'une époque turbul
ente, qui prend un relief saisissant sous l'éclairage du
vécu, lorsque ce vécu est perçu et exprimé par un poète.
Ce dont je souhaite parler, à la lumière de cette corre
spondance, c'est de la coexistence d'une présence et d'une
distance au réel (grâce à l'écriture), de la subtile dialec
tique de la présence et de l'absence, dans cet espace de 244 MADELEINE AMBRIÈRE
communication où se tissent et s'enchevêtrent d'innomb
rables réseaux, qu'anime avec vigilance cet homme de
relation que fut authentiquement l'auteur des Destinées : au réel, au quotidien, aux autres, à la vie, mais
aussi relation à l'écriture, à l'œuvre, à la poésie.
Non que les lettres disent tout. Vigny, comme tant
d'autres, avait pleinement conscience des limites de la
communication épistolaire ; deux exemples choisis parmi
les plus éloquents suffisent à le montrer :
Vous savez mon dédain pour les Correspondances, la dif
ficulté que j'ai pour m'asseoir devant un insuffisant papier
qui ne dira pas la moitié de ce que j'éprouve, (à Lacoudrée,
17 janvier 1831)
J'irai vous y voir et entendre tout ce que vous ne voulez
pas et ne pouvez peut-être pas m'écrire. (à Louise Lachaud
qui partait pour la Corrèze, 7 mars 1852)
Les variations sur l'insuffisance des Correspondances
abondent tout au long de la vie de Vigny, mais il faut
écouter, en contrepoint, les propos, si souvent répétés
aussi, sur le plaisir de la lettre, sur la présence qu'elle
apporte, car l'absence « est le plus grand des maux » (à
Marie d'Agoult, 21 septembre 1843), et la lettre, comme
le poète le dit magnifiquement, est un « pont jeté sur
l'absence et la distance » (à Brizeux, 1er septembre 1853).
La lettre est une voix, qu'on peut réécouter à loisir :
Pour moi les lettres vivent, les lettres parlent et sont des
amies mélancoliques qui portent la date des jours écoulés et
racontent des choses trop souvent oubliées. Moi, j'aime à les
garder pour leur faire répéter leurs bons propos, (à Alexandre
Guiraud, 13 décembre 1843) LA CORRESPONDANCE DE VIGNY 245
Cette présence de la lettre peut même se révéler supé
rieure à la réelle, comme en témoigne cette
lettre à Marie d'Agoult, qui séjournait alors en
Touraine :
Venez donc ici que l'on vous voie et que l'on vous parle.
Cependant, quand j'y réfléchis, il me semble que je vous
vois plus souvent en Touraine qu'à Paris. Une lettre c'est
une présence faite pour moi tout seul, je vous tiens là, sans
partage. Mais à Paris, c'est autre chose, mondaine amie
[..

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