Le sentiment de l unité cosmique chez Montaigne - article ; n°1 ; vol.14, pg 211-224
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1962 - Volume 14 - Numéro 1 - Pages 211-224
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1962
Nombre de lectures 28
Langue Français

Extrait

Michaël Baraz
Le sentiment de l'unité cosmique chez Montaigne
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1962, N°14. pp. 211-224.
Citer ce document / Cite this document :
Baraz Michaël. Le sentiment de l'unité cosmique chez Montaigne. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1962, N°14. pp. 211-224.
doi : 10.3406/caief.1962.2228
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1962_num_14_1_2228SENTIMENT DE L'UNITÉ COSMIQUE LE
CHEZ MONTAIGNE
Communication de M. Michael BARAZ
{Jérusalem)
au XIIIe Congrès de Г Association, le 26 juillet 1961.
Il existe à l'époque de la Renaissance une tendance à sou
ligner l'unité foncière de tout ce qui apparaît comme divers
et multiple 1. Elle se réalise à des degrés variés et sous des
formes différentes. On affirme par exemple l'unité de l'homme
et de l'univers, « chacun d'entre eux contient l'autre », selon
Charles de Bouelles 2. On va même jusqu'à dissoudre la
création entière dans l'unité divine : « Dieu est tout estre »,
écrit Marguerite de Navarre 3. On pourrait montrer qu'une
tendance semblable est présente dans les Essais.
Il y a au moins une vérité dont Montaigne n'a jamais
douté : celle du perpétuel écoulement. Il y revient sans cesse
avec une insistance qui ne pouvait échapper à aucun de ses
commentateurs, à ceux de notre temps moins qu'aux autres.
Cependant, sa pensée est moins proche qu'il ne semble des
tentatives modernes à ériger en absolu l'individuel et le mouv
ant. S'il attache une si grande importance à cette vérité,
c'est qu'il la considère comme la plus incontestablement
1. Les réflexions qui suivent présupposent comme point de départ les
considérations si importantes de Marcel Raymond sur l'esprit de cette
époque. Voir surtout le début de Baroque et renaissance poétique.
2. Caroli Bovilli Liber de Sapiente, publié dans Ernst Cassirer, Indiv
iduum und Kosmos in der Philosophie der Renaissance, Berlin, 1927 ; cf.
P- 343-
3. Dernières poésies, éd. Abel Lefranc, 1896, p. 227. MICHAEL BARAZ 212
universelle : « le monde n'est que branloire perenne ». La
diversité et la variété que le mouvement engendre sont, au
même titre, constantes et générales : « II n'est aucune qualité
si universelle en cette image des choses que la diversité et
variété » (III, 13, 360) 4.
Ses fréquentes méditations sur le vieillissement et la mort
ont pour objet moins le fait même de la fuite des jours que
son caractère d'universelle nécessité : « Tout ne branle-il
pas votre branle? Y a-il chose qui ne vieillisse quant et
vous ?» (I, 20, 118). Si le mouvement universel ne peut créer
la vie sans bâtir en même temps la mort, l'homme ne peut
accepter l'une sans consentir aussi à l'autre ; aussi doit-il
s'appliquer à regarder tout ce qui arrive « d'une vue pareill
ement ferme ». (De telles exhortations sont fréquentes dans
les Essais, notamment dans les chapitres Que philosopher
c'est apprendre à mourir, De la Phisionomie et De Г Expérience.)
A l'encontre de maint de nos contemporains, Montaigne
ne conçoit pas le mouvement comme constitué d'une multi
tude d'impulsions indépendantes, mais comme un tout indi
visible, où nul point n'est concevable sans l'ordre et l'encha
înement de l'univers entier. C'est là l'idée centrale du cha
pitre Du Repentir : « En tous affaires, quand ils sont passés,
j'y ai peu de regret. Car cette imagination me met hors de
peine, qu'ils devoyent ainsi passer : les voylà dans le grand
cours de l'univers et dans l'encheinure des causes Stoïques ;
votre fantasie n'en peut, par souhait et imagination, remuer
un point, que tout l'ordre des choses ne renverse, et le passé,
et l'advenir. » (III, 2, 35). Cette vision du monde comme en
chaînement unique de mouvements, dont chacun est déter
miné par tous les autres, est incompatible, sinon avec l'idée
de repentir elle-même, du moins avec certains de ses aspects ;
car notre nature est elle aussi une création, non moins néces
saire que les autres, de « l'ordre des choses » : « mes actions
sont réglées et conformes à ce que je suis et à ma condition.
Je ne puis faire mieux. Et le repentir ne touche pas les choses
4. Les nombres indiquant les pages renvoient à l'édition Municipale
des Essais. LE SENTIMENT DE L'UNITE COSMIQUE CHEZ MONTAIGNE 213
qui ne sont pas en notre force, ouy bien le regretter » (32).
Est-ce renoncer à l'effort de perfectionnement moral ? Aussi
peu que l'acceptation de la souffrance et de la mort implique
un affaiblissement du soin d'augmenter la joie.
L'idée considérée comme montaignienne par excellence,
celle de l'inconstance et de la volubilité de l'homme, se rat
tache étroitement à la même vision du monde : l'homme est
ondoyant et divers parce qu'il fait partie de l'ordre cosmique,
à la nécessité duquel il ne peut se soustraire : « Nous n'allons
pas ; on nous emporte, comme les choses qui flottent, ores
doucement, ores avecques violence selon que l'eau est ireuse
ou bonasse » (II, 1, 3). « L'air même et la sérénité du ciel
nous apporte quelque mutation » (II, 12, 314). « Ce ne sont
que mousches et atomes qui promeinent ma volonté » (III,
2, 34). La coutume nous saisit « de telle sorte qu'à peine soit-il
en nous de nous r'avoir de sa prinse et de r'entrer en nous,
pour discourir et raisonner de ses ordonnances ».
Hâtons-nous de préciser qu'il ne s'agit pas là de ce déte
rminisme purement mécanique que le XVIIIe siècle a extrait
de la pensée de ses prédécesseurs en y négligeant très souvent
le reste. Pour Montaigne, l'unité intérieure du monde est
plus réelle que les objets et les mouvements qui frappent nos
sens. Le sentiment de l'irréalité de l'existence semble lui
être familier : « Ceux qui ont apparié notre vie à un songe,
ont eu de la raison, à l'avanture plus qu'ils ne pensoyent »,
écrit-il dans Y Apologie de Raimond Sebond (360) ; dans la
suite du chapitre il justifie ce sentiment par l'idée de l'écoul
ement universel : « ce qui souffre mutation ne demeure pas
un mesme, il n'est donc pas aussi » (369). Il choisit souvent,
pour désigner le concret, des images suggérant l'inconsis
tance et l'insubstantialité. Dans les Essais, les images de l'eau
« reviennent jusqu'au vertige », remarque Marcel Raymond ;
celles du vent n'y sont pas moins fréquentes ; elles servent
à décrire tant les choses extérieures (« le vent des occasions »,
« le vent des accidens »), que la vie psychique elle-même :
« moi qui me vente d'embrasser si curieusement les commo-
ditez de la vie... n'y trouve... à peu près que du vent. Mais
quoy, nous sommes partout vent » (417). Et réciproquement, MICHAEL BARAZ 214
les épithètes solide et massif caractérisent presque toujours
des réalités constantes à travers le changement : ainsi, la vérité
est une « viande plus massive et plus ferme » que « les gent
illesses » de la rhétorique.
Conçue comme réalité ultime, la passivité de l'homme à
l'égard du déterminisme universel serait sans doute acca
blante — elle l'est, par exemple, dans Candide. Elle ne l'est
pas pour Montaigne, parce qu'il l'éprouve comme quasi
irréelle. Cette existence passive, il la regarde plutôt comme un
jeu, auquel on se plaît, mais qu'on évite de prendre au sérieux.
D'autre part, il convient d'observer qu'il n'affirme presque
jamais la versatilité de l'homme dans l'absolu, mais par rap
port à un niveau plus profond de l'être, celui de la sagesse,
dont le propre est justement la solidité. Ainsi, les réflexions
qui constituent le contenu du chapitre De V Inconstance de
nos actions (II, i), découlent de la constatation que la plu
part des hommes sont loin de l'idéal réalisé par les quelques
sages véritables : « en toute l'ancienneté, il est malaisé de
choisir une douzaine d'hommes qui ayen

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