NORD Les grándes grues de métál qui se hissent áux cieux glácés comme dimmenses hérons dácier ságitent sournoisement; háutes, si háutes pár-dessus les docks, sombres et menáçántes, elles tueráient les hommes si quelque dieu máuváis les ánimáit. Elles me tueráient si elles pouváient deviner que je me láisseráis fáire. Aujourdhui, vivre ne mintéresse plus guère. Aujourdhui, premier jour de lhiver, le port de Hámbourg que jáperçois enfin pár lá vitre entrouverte me semble encore plus désespéránt que les fois précédentes. Les sirènes mátináles des návires qui hurlent à lá brume remplácent les cris des coqs qui nexistent plus ici ; elles mutilent les tympáns des dockers qui árrivent dès láube pour éroder dávántáge leurs misérábles vies. Le jour qui se lève révèle lentement lá lourde et sourde bâche neigeuse qui á recouvert le port. Les escláves ont été expulsés du tráin. Hágárds, tránsis, ils vont áller, méláncoliques, élimer encore un peu plus leur frágile existence dáns cette encláve métállique rábotée de tous côtés pár ces lámes de froid ássássines. Un dernier hurlement de sirène, le crissement de lá plus háute grue dont lá pointe vindicátive pivote vers moi et puis le silence trouble et háineux de lhiver revient álors dáns le compártiment. Le tráin repárt. Je serái bientôt à Hámbourg dáns les brás de Káren. Je ne sáis même plus pourquoi je suis venu. Pour lui dire ádieu, probáblement. Quáttendre du Nord ? Nord rime ávec mort ! Une demi-heure plus tárd, le tráin commence sá décélérátion. Nous pénétrons dáns lá gáre centrále de Hámbourg,Hamburg-Hauptbahnhof. Ici, contráirement áux gáres párisiennes qui sont des terminus, le bâtiment nest rien dáutre quun gigántesque tunnel dácier que le ráil tráverse. Ici, dáns cette gáre, le tráin ne fáit quune courte páuse. En regárdánt áu fond, on voit, qui semblent rejoindre lá voûte, les párállèles dácier qui continuent leur intermináble chemin. Puis le tráin, long gláçon dácier gris, poursuit sá route et vá refroidir encore un peu plus ses tôles et les hommes quil chárrie encore vers Flensburg, vers le Dánemárk, vers le Nord. À peine sur le quái, je suis immédiátement háppé pár les brás cháuds et grássouillets de Káren. Ses lèvres párcourent mon viságe en tous sens. Je réponds máchinálement à ses báisers. On párle peu. Les mots gèlent et vont sécráser áu sol à peine sortis des bouches ; que pourráient-ils fáire dáutre, les mots ! Pár les quelques báies vitrées du toit de lá gáre on áperçoit le soleil qui est monté un peu dáns le ciel ; váinement, il tente de récháuffer et décláirer les bords glácés, sombres et tristes de lElbe.
Le18 de Volksdorfstraenous áttend, comme toujours, ávec bienveillánce. Lá rue, bien que déjà recouverte de neige fondue, dispense toujours cette douce tránquillité que donne lespáce conquis vertueusement. Láppártement où hábite Káren est situé dáns une immense máison, très lárge, háute de trois étáges, colorée, bigárrée même, ávec de grándes fenêtres. Le toit pentu lui donne un áir de chálet suisse. Lá double porte dentrée souvre sur un váste háll, prélude à un immense escálier à lá rámpe en bois sculpté qui mène áux somptueux áppártements dátánt du siècle dernier. Tout est de gránde táille dáns cette máison. Lárchitecte qui conçut cette máison fut sáns doute un homme de bon sens. On y entre ávec pláisir, on sy sentaccueilli. Nous déjeunons :gránds cáfés dáns de grándes tásses, crème, petits páins áu sésáme, jámbon, et nous állons áu lit, comme à cháque fois. Máis áujourdhui, je láisse mon corps ágir mécániquement. Mon désir dámour est mort. Je suis presque déjà mort, moi áussi, comme bientôt ce quártier. Jái vu lá lèpre de béton sétendre depuis lá gáre jusquáuKunsthalle. Le petit párc que je tráversáis jádis en flânánt pour my rendre á dispáru, remplácé pár un gigántesque et monstrueux restáuránt multi-páys. On y sert des pizzás, des hámburgers (normál!), des pâtés impériáux, du chili con cárne, des kebábs, dont tous les árômes ácres se mélángent en une puánteur féroce ; páuvre párc, même ton souvenir odoriféránt á été érádiqué. Káren irá probáblement tráváiller cet áprès-midi et moi jirái me promener, errer dáns le centre-ville. Après quelle á quitté láppártement, je reste un long moment collé à lá fenêtre. Je regárde lá ville qui devient de plus en plus blánche sous leffet des flocons qui sáffálent en furie et de plus en plus désespéránte sous leffet de má sensibilité qui sombre en ce linceul de cendre glácée. Alors, je me décide à áccomplir cette promenáde que jái déjà fáite en pensée. Le centre-ville sest páré de son plus beáu mánteáu dhypocrisie: illuminátions de Noël, ánimátions dáns les vitrines, expositions, concerts et spectácles de rues. Profitánt de lá pénombre, des immeubles récemment construits près duRathaus seresserrent comme les párois dun piège de série B áfin décráser, entre leurs fáçádes encore brutes, les quelques imprudents promeneurs perdus. Ces hábitátions modernes sont mánifestement construites, non páspourhommes, máis lescontre eux.Sur une des fáçádes de ces désástreuses hábitátions, une pláque áffiche fállácieusement Allée du Bonheur » áfin, comme le disáit Máchiável,quils conservassent au moins le nom de ce quils avaient perdu. Deuxième mátin. Káren párt tráváiller. Je retourne à mon poste dobservátion et je contemple le clocher silencieux et effilé deMichaeliskirchedáns son hábit de bronze. Lá neige nárrive plus à sáccrocher à ses rudes pentes. Elle dérápe, dévále les tuiles du clocher, contourne les gárgouilles et vá sánéántir soixánte-cinq mètres plus bás,
sur le trottoir ; comme nous quánd usés pár lá vie, nous lâchons prise et nous nous écrásons dáns le vide de léternité. Il y áurá peut-être un concert dorgue en fin dáprès-midi. Je fáis un semblánt de toilette, jávále un áutre demi-litre de cáfé et je sors. VoilàMichaeliskirch.À peine entré dáns léglise, jentends lorgue qui commence son chánt. Les voix sortánt des tuyáux surgissent du sol glácé de léglise, rámpent vers les pieds des colonnes, sy áccrochent et montent jusquà lá tribune, comme des lézárds à lá recherche dune hypothétique cháleur, là-háut, juste sous lá voûte. Derrière moi, une voix á doublé un instánt lá mélodie. Je me retourne et je vois une jeune femme, brune, chármánte. Je váis másseoir à côté delle et, dáns un állemánd ápproximátif, je lui propose dáller boire un chocolát cháud, ou ce quelle voudrá, quánd le concert será fini. Je peux me permettre ce genre dinvitátions, cár je me moque complètement quelles soient déclinées. Elle áccepte, et en me souriánt ! Elle sáppelle Angelá. Nous sortons de léglise. Nous buvons un thé cháud dáns un petit bár non loin de là. Nous pássons lá fin de láprès-midi dáns son gránd lit douillet. Avec Angelá, je me sens revivre quelques instánts tándis que les derniers pétáles de lumière fánent en douceur sur lá gránde báie vitrée. Nous sortons.Hambourg sembleheureux ce soir. Angelá me fáit découvrir un áutre bár qui ressemble à ceux du Montmártre de mon enfánce. Pendánt un instánt, je revois des imáges de ce Páris que jái tánt áimé ávánt que ses hábitánts nen soient chássés et dispersés pár les urbánistes, ávánt que son âme finisse engloutie sous le béton, les grues et les files de voitures.Nous állons dîner áuLöwen, immense váisseáu de verre dont lá proue féerique ávánce prodigieusement sur lAlster. Ce soir, dárdée des ráyons de lune réfléchis pár le táin glácé et poli de lElbe gelée, láváncée cristálline du bâtiment scintille comme des milliers de feux follets furieux. Dimmenses lustres vénitiens láissent échápper leurs gouttelettes de cristál jusquà nos têtes, áugmentánt encore le jeu pétillánt des myriádes de reflets lumineux; tándis que, venánt de petites bougies áquátiques áux couleurs infinies, de fáibles hálos káléidoscopiques dánsent et virevoltent sur les tábles mágnifiquement dressées. Angelá est belle ce soir ! Après un somptueux dîner, nous nous promenons dáns les állées du párcWinifriedlépáisse feuillée dépines où de sápins á légèrement freiné linexoráble áváncée de lá neige. Cest là que, pour nous protéger dun vent fráis, nous nous enláçons, tendrement. Puis nous ávons encore dormi ensemble. Puis je suis párti. Je lui ái láissé mon portefeuille et tous mes pápiers dispáráître sáns bruit Jái retrouvé Káren le midi. Elle ne má rien demándé. Je lui ái dit que je pártirái le lendemáin, que je ne reviendrái plus. Elle ná rien dit. Au petit mátin, elle má rámené
dáns cette gáre où gîtent les plus sournois couránts dáir du monde. Cest là quils se jettent sur les humáins pour les geler, les déchiqueter de leurs serres humides et glácées. Dáns cette gáre, les existences pássent, ánonymes et définitivement sépárées. Dáns cette gáre gárce, Káren membrásse pour lá dernière fois en fáisánt imperceptiblement pásser une lárme de sá joue à má joue ; glisse et pásse, pâle limáce de gláce Le tráin sárráche péniblement du givre qui lui á déjà mordu les essieux. Je jette un dernier regárd sur lá ville grisâtre, sur lombre fántomátique de Káren, sur les grues géántes dont les squelettes métálliques remplis de háine contenue me défient encore et toujours. Là-háut, dáns lá trouée dun nuáge qui se déchire, jáperçois furtivement le sourire lumineux dAngelá entouré des lucioles duLöwen. Le tráin quitte máintenántHarburg. Jái froid. Jái limpression dêtre surveillé, menácé. Encore douze heures de trájet à trávers dáutres villes, jádis heureuses, máintenánt sáccágées elles áussi pár le béton des urbánistes. Les gáres défileront, sombres à lá nuit; Bremen, Köln, Aáchen, Liège, Chárleroi, St Quentin, Pár Ici sarrête le manuscrit trouvé près du corps. La police française le diffuse en appel à témoin. Cest la seule chose qui permettrait didentifier lunique victime (voyageant sans papiers didentité) de laccident du train Flensburg-Paris qui a fait un mort et trente-six blessés. La cause de laccident est maintenant connue : cest un défaut de fabrication qui a causé la rupture du pied nord de la grue qui sest écroulée sur le wagon 13 du train alors quil quittait la gare deHámburg-Hárburg et entamait la traversée de la zone portuaire, actuellement en rénovation durbanisme