Orphée au miroir : l élaboration de la nostalgie - article ; n°1 ; vol.55, pg 139-154
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2003 - Volume 55 - Numéro 1 - Pages 139-154
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 29
Langue Français

Extrait

Antonella EMINA
Orphée au miroir : l'élaboration de la nostalgie
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2003, N°55. pp. 139-154.
Citer ce document / Cite this document :
EMINA Antonella. Orphée au miroir : l'élaboration de la nostalgie. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 2003, N°55. pp. 139-154.
doi : 10.3406/caief.2003.1490
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2003_num_55_1_1490ORPHEE AU MIROIR :
L'ÉLABORATION DE LA NOSTALGIE
Communication de Mme Antonella EMINA
(ISEM- CNR Turin)
au LIVe Congrès de l'Association, le 8 juillet 2002
Toute lecture pose un problème de relation à une tradi
tion qui serait un mixte entre histoire de la littérature et
modalité d'acquisition imaginaire du réel. La lecture, tout
comme l'écriture, est un acte relevant d'une tradition : lire
serait donc souvent reconnaître. Cependant, à l'inverse,
toute lecture critique, de son côté, renferme une flagrante
vocation à l'innovation.
D'ailleurs, je me demande s'il y a une spécificité franc
ophone dans la relation de l'écrivain à son lecteur, sauf
éventuellement une difficulté d'accès au circuit editorial
parisien, pour certaines zones géographiques, ce qui ne
me paraît pas le cas des Antilles ; et, à l'inverse, dans la
relation du lecteur au texte.
Le but de ma participation à cet effort collectif de
réflexion sur le discours littéraire antillais s'articule autour
de « l'écriture, l'art et le style : l'écrivain francophone et son
lecteur ; poétiques francophones des Antilles ; le réel,
l'imaginaire, le symbolique », selon la consigne qui
m'avait été confiée. La nécessité de restreindre le sujet
s'est donc imposée, d'autant plus que les études dans le
domaine de la littérature caraïbe ont beaucoup avancé, en
abordant avec pertinence le thème d'une esthétique spéci
fique, dont la poétique serait l'aspect qui nous toucherait 140 ANTONELLA EMINA
le plus à cette occasion. Cependant, puisque tout ouvrage,
toute écriture, tout style contribuent à inventer une tradi
tion, il nous faut insister sur l'œuvre de chaque écrivain
pour tracer des poétiques mobiles. Cette mobilité serait la
seule raison plausible de son existence, parce que j'envisage
une Poétique comme une théorie — a posteriori — de la
création poétique et de la littérarité, même s'il y a aussi
l'urgence d'une réflexion sur ce qui se révèle de plus en
plus comme un canon antillais, comme cet ensemble de
règles auxquelles certains auteurs puisent parfois, comme
s'il s'agissait d'une sorte d'ancrage, d'une étiquette d'au
thenticité.
Pour démêler la question, j'ai descendu l'échelle de
l'abstrait d'une théorisation vers un fondement concret, je
suis revenue sur les deux faits constitutifs d'une littéra
ture, c'est-à-dire le texte et son lecteur.
Puisqu'il n'y a pas de lecture vierge, je vous explicite
l'arrière-pensée la plus marquante de la mienne. Il s'agit
de la complexe question de la relation aux mythes
anciens. J'ai donc choisi Orphée, qui est un mythe assez
diffusément répandu en littérature francophone. J'avais
suivi ses ébats en Afrique sub-saharienne et au Maghreb,
en trouvant autant de confirmations au postulat que le
mythe viendrait d'un archétype universel. Tous mes
efforts se concentraient sur les modalités de son éclosion à
des latitudes culturelles si diverses ainsi que sur ses finali
tés.
La question, par contre, s'est beaucoup compliquée
quand j'ai abordé la littérature antillaise qui, d'un côté,
étale un bon nombre de mythes et en exclut d'autres, et,
de l'autre, montre quelques réticences envers la réélabora
tion de certains mythes extérieurs.
Je n'y ai repéré pour l'instant que quelques citations
sporadiques de notre Orphée dans des ouvrages très
divers. Mais du brillant roman de Suzanne Dracius-Pina-
lie, L'Autre qui danse, à l'émouvant poème que Daniel
Maximin consacre à la mémoire de Sony Labou Tansi,
Cendre fertile, je n'ai trouvé que des citations littéraires, ORTHÉE AU MIROIR 141
des exercices qui n'influencent ni le déroulement de l'his
toire, ni l'agencement des vers ; ce qui signale une mise au
ban du mythe plutôt qu'une récupération fructueuse et
convaincante.
Cette absence m'a beaucoup surprise, surtout parce que
le mythe d'Orphée est lié à double fil au thème de la nost
algie, qui me paraissait, à l'inverse, l'un des motifs essent
iels de cette littérature. Je suis donc parvenue à une pre
mière définition de mon parcours qui utilise la loupe
d'Orphée pour repérer les modalités de l'élaboration de la
nostalgie. L'esprit ne s'apparente donc pas à celui exprimé
par Sartre au milieu du XXe siècle, où Orphée renvoyait
tout droit au poète. Le but était celui de légitimer une li
ttérature naissante appartenant à une civilisation soi-
disant noire par une métonymie relevant de la
gréco-latine, qui est censée être la mère de toutes les civil
isations. Il paraît bizarre de parler d'une civilisation noire
dans le domaine Antillais qui a su actualiser une philoso
phie de la civilisation du multiple, mais l'élaboration de
cette perspective porte une date postérieure, et elle est
redevable aussi au défrichage, quelque peu maladroit
dans ses convictions raciales, de la part de la génération
de la Négritude.
Mon objectif est différent, il relève surtout d'une situa
tion de lecture. J'ai donc limité mon champ d'investigaà la poésie antillaise où j'ai puisé l'une des pièces fon
damentales, le poème Black Label (1) de Léon Gontran
Damas, pour témoigner d'un parcours, en formulant aussi
des hypothèses interprétatives.
Il serait facile d'utiliser Orphée en tant que symbole de
tout poète où la musique aurait un pouvoir incantatoire
(1) Paris, Gallimard, 1956. Toutes les citations renvoient à cette édition. 142 ANTONELLA EMINA
surhumain. Au moyen de sa lyre, Orphée subjuguait les
animaux sauvages, les arbres et même les roches ; les
objets inanimés se déplaçaient et le suivaient pour écouter
le son de son instrument olympien.
Je pourrais donc commencer en plaçant cette lecture
sous l'égide de Company Segundo, comme Daniel Maxi-
min l'a fait dans son poème Trova, qui invite par son ép
igraphe à chanter « cosas que solo saben mujeres y poetas ».
L'écriture poétique damasienne y entrerait d'emblée pour
ses qualités musicales et rythmiques essentielles.
Cependant, Orphée étant le chantre de la nostalgie, de
la douleur du retour, pour revenir au signifié étymolo
gique du mot, ce sont plutôt les modalités d'expression de
la qui ont notamment retenu mon attention :
Damas m'a paru, entre autres, un extraordinaire poète du
regret, ménageant toutes les cordes de sa lyre, des plus
graves aux plus aiguës. Tout comme le grotesque, l'ironie
et la satire côtoient la confession candide, des allusions à
des accidents biographiques coudoient les événements
historiques. De cette manière, en singularisant l'expérience,
le texte capture le lecteur dans les mailles de la participa
tion dramatique ; à ce moment-là, il est en mesure de
superposer par flashs son aventure personnelle à celle du
poète. La clôture du cercle paraît inévitable :
- Un départ souhaite un retour souvent difficile sinon
impossible.
- Orphée est le poète de la douleur du retour.
- Tous les poètes qui sont partis et chantent le départ
incarnent Orphée.
Vérifions la justesse du syllogisme.
Dans le poème damasien, cette douleur paraît montrer
dès le début tous les traits de la nostalgie, étant donné que
le poète met en relation deux lieux, qui sont autant de ter
ritoires de l'esprit, fortement spécifiés, l'un in presentia,
l'autre in absentia.
L'ici est présent dès le début, suggéré par l'étiquette
d'une bouteille de whisky et un person

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