Les Ascètes (Leconte de Lisle, première version)
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Leconte de Lisle — Poèmes divers[1]Les Ascètes ILouve des bois latins, que le sang désaltère,Tes hardis nourrissons avaient dompté la terre,Et dans l'arène immense, à leurs pieds abattu,Comme un gladiateur le monde s'était tu.Le César, dévoré d'une soif éternelle,Desséchait le lait pur de l'antique Cybèle ;L'ardente priapée et les mornes ennuisDe honte et de terreurs alimentaient ses nuits,Et, sombre dieu, maudit de la famille humaine,Il pourrissait, couché dans la pourpre romaine.Irrésistible mer, du sommet des sept monts,Couvrant l'empire entier de ses impurs limons,Nue, horrible, hurlant sur sa couche banale,La débauche menait la grande saturnale.Les satyres lascifs et les faunes fourchus,Restes du vieil Olympe et de ses fils déchus,Secouaient de leurs mains, avec un sombre rire,Les torches d'Erynnis sur un monde en délire !Le sol en frissonnait : et les races au frontDes baisers de la mort semblaient subir l'affront,Depuis qu'au joug d'airain, blanche esclave enchaînée,La Grèce avait fini sa belle destinée,Et qu'un dernier soupir, un souffle harmonieuxAvait mêlé son ombre aux ombres de ses dieux !Les cités de la terre, humbles et prosternées,Criaient vers Rome assise aux Alpes couronnées ;Et Rome inattentive aux cris de leurs douleurs,Pâle, la main sanglante et le front ceint de fleurs,Aveugle aux premiers feux des jours expiatoires,Affamait ses lions au fond des vomitoires.Ô louve, ô vieille Rome, ô fatale cité,Reine ceinte ...

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Langue Français

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Leconte de LislePoèmes divers
[1] Les Ascètes
I Louve des bois latins, que le sang désaltère, Tes hardis nourrissons avaient dompté la terre, Et dans l'arène immense, à leurs pieds abattu, Comme un gladiateur le monde s'était tu. Le César, dévoré d'une soif éternelle, Desséchait le lait pur de l'antique Cybèle ; L'ardente priapée et les mornes ennuis De honte et de terreurs alimentaient ses nuits, Et, sombre dieu, maudit de la famille humaine, Il pourrissait, couché dans la pourpre romaine. Irrésistible mer, du sommet des sept monts, Couvrant l'empire entier de ses impurs limons, Nue, horrible, hurlant sur sa couche banale, La débauche menait la grande saturnale. Les satyres lascifs et les faunes fourchus, Restes du vieil Olympe et de ses fils déchus, Secouaient de leurs mains, avec un sombre rire, Les torches d'Erynnis sur un monde en délire ! Le sol en frissonnait : et les races au front Des baisers de la mort semblaient subir l'affront, Depuis qu'au joug d'airain, blanche esclave enchaînée, La Grèce avait fini sa belle destinée, Et qu'un dernier soupir, un souffle harmonieux Avait mêlé son ombre aux ombres de ses dieux ! Les cités de la terre, humbles et prosternées, Criaient vers Rome assise aux Alpes couronnées ; Et Rome inattentive aux cris de leurs douleurs, Pâle, la main sanglante et le front ceint de fleurs, Aveugle aux premiers feux des jours expiatoires, Affamait ses lions au fond des vomitoires. Ô louve, ô vieille Rome, ô fatale cité, Reine ceinte d'opprobre et d'impudicité, Qui, par deux fois déjà, du fiel que tu respires, Dans leur sève as séché les terrestres empires ! Ô mer d'iniquité qui, depuis deux mille ans, Opprimes notre sol de tes flots accablants, Rien ne balaîra donc tes fangeuses écumes ? Et les dieux ont tenu les promesses de Cumes ! Or, quand loin du beau ciel et des bords où fleurit La molle violette, où l'homme chante et rit ; Lorsque l'Eurus joyeux, aux clartés des étoiles, De son aile mobile arrondissait les voiles, Et qu'ignorant César, quelque jeune Ionien Touchait de sa carène au sable ausonien ; Voyant surgir au sein des eaux napolitaines, Dans le parfum des fleurs et l'argent des fontaines, Sur l'Océan latin un vert abri flottant, Détaché par les flots du rivage éclatant, Il disait dans sa langue assouplie et dorée : Quelle est cette île heureuse ? — On répondait : Caprée ! Caprée ! — antre maudit où de ses derniers jours Tibère use la trame en d'atroces amours, Où d'impures fureurs raffinent les martyres, Où la vierge en lambeaux râle aux bras des satyres ! Où la corruption, implacable et sans frein, Bouillonne de ce cœur fait de boue et d'airain... Où, des bras de la mort, la vieillesse livide D'un sang vermeil et chaud repaît sa lèvre avide !
Caprée ! — Et tout pâli des frissons de la peur, L'étranger, reculant loin de l'antre trompeur, Nageait vers la patrie harmonieuse et belle De qui le nom si doux est parfumé comme elle, Vers la riche Ionie au beau ciel adoré, Où ses yeux enchantés jamais n'avaient pleuré ! Il fuyait, mais nourri d'amour et d'harmonie, Nul éclair indigné n'enflammait son génie ; Jamais il n'arrosa de vos sublimes pleurs Le sol universel des humaines douleurs, Ô bien-aimés d'un juste, enfants d'un divin père, Qui ne déviez point vivre en un siècle prospère, Qui, pareils à Moïse au sommet d'Abarim, Vîtes le sol promis à l'horizon serein, Mais qui, toujours liés à votre temps immonde, Mourûtes comme Christ aux jours sombres du monde !
II Au désert, au désert, les sages et les forts ! Seigneur ! vous avez bu l'amertume et la lie... Le monde se comptait dans sa vieille folie, Et s'attarde en chantant aux pieds de ses dieux morts ! Et ses yeux n 'ont point vu la lumière éclatante, Et les vains bruits du siècle ont étouffé nos voix... Seigneur, jusques à quand durera notre attente ? Jusques à quand, Seigneur, resterez-vous en croix ? D'une sueur de sang cette terre est trempée Où des bourreaux d'un Dieu la main vous souffleta ! Et les fils de Satan hurlent la priapée Du lointain Capitole au rouge Golgotha ! Le sombre tentateur aux haleines mortelles Sèche le grain du ciel sur le sol dévasté... Vos blanches légions se voilent de leurs ailes, Et l'homme sans frémir attend l'éternité ! Au désert, au désert, ceux que l'Esprit convie, Ceux que le siècle enivre à ses coupes de feu, Ceux qu'a longtemps battus l'orage de la vie, Ceux qui dormaient hier dans le sein de leur Dieu !
Oublions ! oublions la jeunesse fleurie, Et le toit paternel et les douces amours ! La gloire et l'amitié, le sol de la patrie Et les songes menteurs de nos premiers beaux jours !
Nos biens étaient d'une heure, et l'âme est infinie ! Le cœur de l'homme est plein d'un mensonge odieux ! L'amour est vanité, l'orgueil blasphème et nie ! La patrie est auprès de notre père aux cieux !
Étouffons dans nos cœurs les voluptés infâmes ! Vers la gloire des deux éternels, déployons L'extase aux ailes d'or sous la dent des lions... Au désert, au désert, les hommes et les femmes !
Seigneur ! chargé d'opprobre et couronné d'affronts, Vous gravîtes, pieds nus, la cime du supplice... Laissez-nous, ô Seigneur, tarir votre calice ! Qu'une épine sanglante auréole nos fronts !
Comme vous, sans défense, errants et misérables, Le mépris nous est doux, l'outrage nous est cher ! Multipliez en nous vos douleurs adorables. D'un soleil dévorant desséchez notre chair !
O morne solitude, ô grande mer de sables,
Où dorment enfouis les dieux et les cités, Assouvis nos regards de choses périssables, Balaie à tous les vents les vieilles vanités !
Ouvre ton sein de flamme aux transfuges du monde... Au désert, au désert ! voici les temps prédits, Voici le dernier jour de la matière immonde, Et la mort va l'étreindre entre ses bras maudits !
Vieillards, enfants, fuyons vers les sables torrides... De l'heure où tout fut fait épaississant l'oubli, Sur le sombre univers l'âge a creusé ses rides ; L'univers au néant s'écroule enseveli !
Au désert, au désert ! fuyons, l'heure est prochaine ! En expiation du crime renaissant, Déchirons notre chair et versons notre sang : Des âmes et des corps il faut briser la chaîne !
Et quand luira sur nous le jour mystérieux, Le jour sombre où, pareil au songe qui s'efface, Comme un peu de poussière aux quatre vents des cieux, L'univers en éclats plongera dans l'espace...
Lorsque la race humaine, éperdue, à genoux, Frémira sous les yeux de son juge sublime !... Oh ! combien rouleront dans l'éternel abîme... Mais la face de Dieu resplendira pour nous !
III Rêveurs des anciens jours, pâles anachorètes, L'oreille ouverte au Dieu qui vous parlait tout bas, De sa loi bien aimée indomptables prophètes, Tels vous vous élanciez à vos rudes combats ! Ardents, pieds nus, armés d'un courage invincible, Avec le crucifix et le bâton noueux, Tels, bien loin des cités aux flots tumultueux, Vous fuyiez, l'œil tendu vers le monde invisible ! L'un montait pour mourir sur d'inféconds sommets, Et confiait son âme aux souffles des orages ; L'autre creusait sa tombe aux cavernes sauvages, Et le regard humain ne les revit jamais ! Fous sublimes, martyrs, vaillantes créatures, Que fatiguait la vie et qu'altérait le ciel, Qui dans l'effort sacré de vos fortes natures, Poussiez vers l'idéal un sanglot éternel ! Vous qui n'avez connu que les larmes amères, Orgueilleux qui, marchant seuls dans votre chemin, Avez cherché la mort et blasphémé vos mères, Et qui désespériez de l'avenir humain !
Ah ! fuir le toit natal, les tendresses premières, Étouffer dans son cœur les souvenirs amis, L'amour et la beauté, ces divines lumières... C'était commettre un crime, et vous l'avez commis !
Mais l'amour renaissait dans votre âme flétrie ! Le terrestre lien ne s'était pas brisé... Oh ! que d'amers sanglots poussés vers la patrie ! Que de pleurs orageux sur le sable embrasé !
À l'ardent horizon que de chères images D'un monde bien aimé repeuplaient votre cœur ! Le siècle, à votre insu, recevait vos hommages, Et les deux s'oubliaient, et l'homme était vainqueur !
Puis, déchirant vos flancs d'une main éperdue, Vous rougissiez le sol du sang des repentirs... Et la mort, tour à tour, à vos voix descendue, Dispersait au désert la cendre des martyrs !
Vos temps étaient mauvais ! — Dans sa gloire entachée, Astre fatal errant au ciel des nations, Rome opprimait la terre, à ses feux desséchée, Et corrompait le sang des générations !
Les heureux et les forts étaient pris de vertige, Les faibles abattus dormaient d'un lourd sommeil, Comme des arbrisseaux viciés dans leur tige Qui n'ont verdi qu'un jour et n'ont vu qu'un soleil !
Tous les sages anciens hésitaient, pleins de doutes ! Le siècle remuait dans l'étroit horizon, Et, captif colossal, ébranlant sa prison, En efforts surhumains se creusait mille routes.
Voici le divin jour d'éternelle terreur ! Disiez-vous : c'est la mort ! voici le char d'Élie... L'ange aux cris éclatants, terrible avant-coureur, Réveille aux noirs tombeaux la race ensevelie !
Vous vous êtes trompés : le monde vit toujours, Et des lueurs se font sur la terre bénie. La sainte humanité n'est pas à l'agonie, Votre jour n'était pas le dernier de ses jours !
D'un culte nouveau-né vous avez vu l'aurore, L'avenir a tenu votre sombre défi ! Et ce culte s'éteint, et l'homme cherche encore, Et pour user un Dieu vingt siècles ont suffi !
Combien sont là, couchés dans le secret des âges, Dont les peuples à naître encenseront l'autel ! Leur loi mûrit déjà dans le cerveau des sages... Mais les dieux passent vite, et l'homme est immortel !
Note 1. ↑ Ce poème (publié en1846) est la première version, très différente, du poèmeLes Ascètes, paru dansPoèmes et Poésies en1855 puis les Poèmes barbaresen 1862. (Note Wikisource)
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