Lord Littleton
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— Alfred de VignyLord Littleton[1]Poème inachevé ― 1847 Si vous me demandiez ce qu’il fut, je diraisQu’il était pâle et grand, triste et blond, que ses traitsN’étaient pas de ceux-là qui font que l’on s’écrie :Je ne croirai jamais qu’il danse ni qu’il rie.Au contraire, il avait un front calme et des yeuxTrès doux, très bienveillants, distraits mais gracieux.Son esprit était grave et simple était sa vie,Simples ses sentiments ; aucune folle envie ;Il était de la cour sans y demander rien.Dédaignant les honneurs, content de peu de bienEt de beaucoup d’amour pour une jeune femmeDont il avait gagné le cœur et perdu l’âme.Il avait en horreur tout pouvoir exceptéCelui de la pensée et de la vérité,Incontestable empire, immortelle influence,Droit populaire et droit divin d’intelligenceQu’exerce l’esprit fort sur l’esprit indécis,Comme la Galigaï dit de la Médicis.La mâle république était, dit-on, son rêve.Non celle de Platon ou celle de Genève,Car il craignait beaucoup le règne des Pédants,Mais une qui passait dans ses songes ardentsComme dans le chaos roule, passe et repasseUn astre nouveau-né qui se perd dans l’espaceEt qui, cherchant sa route et son temps et son lieu,Tourne encor lentement sous le souffle de Dieu.Du reste il s’ennuyait beaucoup et, sur la terre,Ce qu’il aimait le moins, c’était son AngleterreA cause du brouillard et de la libertéQui dans ce pays-là rime à captivité.Cependant il riait de bon cœur au théâtre,Espérant s’amuser ...

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Extrait

Alfred de Vigny
Lord Littleton [1] Poème inachevé ― 1847
Si vous me demandiez ce qu’il fut, je dirais Qu’il était pâle et grand, triste et blond, que ses traits N’étaient pas de ceux-là qui font que l’on s’écrie : Je ne croirai jamais qu’il danse ni qu’il rie. Au contraire, il avait un front calme et des yeux Très doux, très bienveillants, distraits mais gracieux. Son esprit était grave et simple était sa vie, Simples ses sentiments ; aucune folle envie ; Il était de la cour sans y demander rien. Dédaignant les honneurs, content de peu de bien Et de beaucoup d’amour pour une jeune femme Dont il avait gagné le cœur et perdu l’âme. Il avait en horreur tout pouvoir excepté Celui de la pensée et de la vérité, Incontestable empire, immortelle influence, Droit populaire et droit divin d’intelligence Qu’exerce l’esprit fort sur l’esprit indécis, Comme la Galigaï dit de la Médicis. La mâle république était, dit-on, son rêve. Non celle de Platon ou celle de Genève, Car il craignait beaucoup le règne des Pédants, Mais une qui passait dans ses songes ardents Comme dans le chaos roule, passe et repasse Un astre nouveau-né qui se perd dans l’espace Et qui, cherchant sa route et son temps et son lieu, Tourne encor lentement sous le souffle de Dieu. Du reste il s’ennuyait beaucoup et, sur la terre, Ce qu’il aimait le moins, c’était son Angleterre A cause du brouillard et de la liberté Qui dans ce pays-là rime à captivité. Cependant il riait de bon cœur au théâtre, Espérant s’amuser, sans prendre un air folâtre Et sans dire non plus :J’ai vécu trop longtemps Comme fait à Paris tout homme de quinze ans.
Celui-là résista ferme à la Destinée. A chaque instant du jour, chaque jour de l’année Il lutta fortement et ne lui permit pas De gagner le terrain contre lui d’un seul pas, Si ce n’est une fois ; et certes la victoire N’est pas franche et loyale. Or, voici son histoire.
Il voyageait. Comment n’eût-il pas voyagé, Puisqu’il était Anglais ? Chacun s’est ménagé Des logements divers sur le globe. En Afrique, Des ruches pour de noirs frelons. En Amérique. Les Peaux-rouges ont tous des hamacs où le vent A bercé La Fayette et René ; l’un rêvant La souveraineté du Peuple immense et l’autre Le droit divin. (Que Dieu choisisse son apôtre.) Moi je crois au pouvoir du plus intelligent, Comme à la Bourse on croit au pouvoir de l’argent. Les immobiles Turcs ont des tentes de soie Qu’avec tout un harem sur des chameaux on ploie : Et les Parisiens mobiles sont couchés Dans des réduits les uns sur les autres juchés, Comme dans les tiroirs d’une armoire de pierre D’où l’on prend, quand on veut, une famille entière Toute joyeuse et prête à se battre en chantant. Mais le mot seul d’Anglais signifie : habitant
D’une maison de bois qui va sur quatre roues, De l’onde des ruisseaux à l’épaisseur des boues.
Quel est-il donc l’instant qui nous jette en avant ? Invisible et fougueux comme un souffle du vent, Il saisit l’homme au fond des retraites qu’il aime, Tout au fond du repos, au fond du bonheur même, Dans l’asile choisi qu’il croyait pour toujours Suffisant à sa joie, ainsi qu’à ses amours.
Il lui parle à l’oreille et lui dit : Marche. Il rêve Aussitôt une chose inconnue et se lève. Il se lève et s’en va, comme pour ne plus voir Ce qu'il aimait le mieux et quitte, sans savoir Pourquoi. Parce qu’il faut qu’incessamment il aille, Comme un brave au canon lointain de la bataille, Parce qu’il faut quitter sa pensée aussitôt Qu’on jouit d’elle et fuir sans en savoir le mot. Parce qu’il faut chercher, toujours triste et farouche, Cet aliment divin qui manque à notre bouche, Ce fruit d’arbre de vie et de bonheur humain Qui remonte toujours quand s’élève la main.
Donc il voyageait. Où ? C’était en Italie. Ainsi me l’a conté cette Anglaise jolie De qui les sourcils noirs forment un double arceau Dessiné sur le front comme avec un pinceau Et qu’à son parler pur, qu’à ses yeux de Sultane L’oreille croit française et le regard persane. Clarinda, sa maîtresse, était seule avec lui Dans un palais vivant jadis, mort aujourd’hui. Mort ? Oui, tout monument bâti pour la famille Est vivant seulement alors qu’elle y fourmille, Que la présence humaine est là qui le défend Et que chaque fenêtre a des regards d’enfants, Chaque porte une voix qui parle, qui commande, Qui chante, qui soupire, ou murmure ou demande, Alors que les rideaux ont à voiler des feux, Comme fait la paupière en tombant sur les yeux, Que les grilles de fer ouvrent leurs doubles ailes, Vont et viennent sans fin comme deux sentinelles, Quand le toit lentement fume et qu’en tournoyant S’allume par degrés l’escalier flamboyant Et que la nuit on voit la lumière agrandie Eclater sur la vitre ainsi qu’un incendie. La vie est là. Mais moi je vois avec douleur Tout seuil désert. Toujours j’y lis inscrit : Malheur. La fenêtre sans flamme avec son lambris frêle Ressemble à l’œil éteint d’un cadavre au corps grêle, Dentelé comme l’est une scie et mouvant Sur tes côtes sans chair où vient siffler le vent.
O douce Clarinda ! vous aimiez ces ruines Et ces marbres chargés de pendantes racines ; Ces longs appartements pleins d’échos où vos pieds Formaient trois pas lorsque d’un pas vous les frappiez ; Les sièges de Romains où s’assirent trois Doges Dont le porphyre usa manteau ducal et toges ; La colonnade immense et triste où le Zéphyr Passe timidement avec un doux soupir Et vous a, maintes fois, dans la nuit rencontrée Tenant, comme Psyché, la lampe timorée Et seul vous entendit un soir que le soleil Tremblait dans le flot bleu qu’il teignait de vermeil. Vous aviez sur sa lèvre et sur sa tête blonde Passé votre main blanche en jouant et, dans l’onde, Vous regardiez ses traits et les vôtres, flottant A vos pieds et par l’air troublés de temps en temps, Car le large balcon se prolonge et domine L’eau qui baigne les murs et par degrés les mine. Vous éleviez la voix la plus tendre et parfois
Vous vous parliez ou bien vous taisiez à la fois. Le jeune Lord cherchait dans vos yeux vos pensées, Vous, les siennes ; vos mains dans ses doigts enlacées Dans ses doigts palpitaient et ces reflets accents Des nerfs avaient pour vous un ineffable sens. — « Je vous aime, ô Mylord, mon Seigneur et mon âme, Parce que vous savez bien aimer une femme Et tout abandonner, parce que la fierté Vous revêt à mes yeux de force et de beauté. »
Littleton raconte ceci à Clarinda : « Un jour j’étais à Londres et je passais devant le Poet’s Corner à Westminster. Un pauvre me regarda et me dit : Il y a des gens marqués d’avance, vous mourrez tel jour à minuit. » Ce jour c’est aujourd’hui. » ― Il dort la sieste et s’éveille. Elle lui dit : Vois comme on s’est trompé. Minuit est passé. » « Il rit. « Clarinda avance les pendules. « Il voit passer l’heure et il rit. Il fait un long discours sur la destinée (dans ce long discours doivent se trouver toutes les vanités de la rhétorique philosophique par laquelle les hommes se rassurent sur la rigueur du Destin, qu’ils craignent au fond du cœur), rentre dans sa chambre et tire sa montre, une montre oubliée. Il est minuit ! » « Il dit : « C’est singulier ! » devint rouge et mourut. »
Note 1. ↑ Vignycommença en 1847 ce poème, qu'il aurait intégré auxDestinées mais laissa inachevé. Il esquissa toutefois en prose un résumé de la conclusion.(Note Wikisource)
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