Oui, le bonheur bien vite a passé dans ma vie ! On le suit ; dans ses bras on se livre au sommeil ; Puis, comme cette vierge aux champs crétois ravie,
On se voit seul à son réveil.
On le cherche de loin dans l’avenir immense ; On lui crie : — Oh ! reviens, compagnon de mes jours. Et le plaisir accourt ; mais sans remplir l’absence
De celui qu’on pleure toujours.
Moi, si l’impur plaisir m’offre sa vaine flamme, Je lui dirai : — Va, fuis, et respecte mon sort ; Le bonheur a laissé le regret dans mon âme ;
Mais, toi, tu laisses le remord ! -
Pourtant je ne dois point troubler votre délire, Amis ; je veux paraître ignorer les douleurs ; Je souris avec vous, je vous cache ma lyre
Lorsqu’elle est humide de pleurs.
Chacun de vous peut-être, en son cœur solitaire, Sous des ris passagers étouffe un long regret ; Hélas ! nous souffrons tous ensemble sur la terre,
Et nous souffrons tous en secret !
Tu n’as qu’une colombe, à tes lois asservie ; Tu mets tous tes amours, vierge, dans une fleur. Mais à quoi bon ? La fleur passe comme la vie,
L’oiseau fuit comme le bonheur.
On est honteux des pleurs ; on rougit de ses peines, Des innocents chagrins, des souvenirs touchants ; Comme si nous n’étions sous les terrestres chaînes
Que pour la joie et pour les chants !
Hélas ! il m’a donc fui sans me laisser de trace, Mais pour le retenir j’ai fait ce que j’ai pu, Ce temps où le bonheur brille, et soudain s’efface,