Prosper Mérimée
CHRONIQUE DU RÈGNE DE
CHARLES IX
(1829)
Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » Table des matières
4 AVANT PROPOS CHARLES IX................................................
PRÉFACE ..................................................................................6
I – LES REÎTRES.................................................................... 17
II – LE LENDEMAIN D’UNE FÊTE ...................................... 41
III – LES JEUNES COURTISANS..........................................52
IV – LE CONVERTI ................................................................72
V – LE SERMON ....................................................................85
VI – UN CHEF DE PARTI ......................................................94
VII – UN CHEF DE PARTI (SUITE) ....................................105
VIII – DIALOGUE ENTRE LE LECTEUR ET L’AUTEUR .. 107
IX – LE GANT........................................................................111
X – LA CHASSE.................................................................... 123
XI – LE RAFFINÉ ET LE PRÉ-AUX-CLERCS.....................140
XII – MAGIE BLANCHE...................................................... 152
XIII – LA CALOMNIE .......................................................... 165
XIV – LE RENDEZ-VOUS.................................................... 170
XV – L’OBSCURITÉ .............................................................188
XVI – L’AVEU........................................................................191
XVII – L’AUDIENCE PARTICULIÈRE................................198
XVIII – LE CATÉCHUMÈNE.............................................. 208 XIX – LE CORDELIER......................................................... 215
XX – LES CHEVAU-LÉGERS .............................................. 221
XXI – DERNIER EFFORT ...................................................234
XXII – LE VINGT-QUATRE AOÛT .....................................253
XXIII – LES DEUX MOINES 260
XXIV – LE SIÈGE DE LA ROCHELLE ................................279
XXV – LA NOUE ................................................................. 284
XXVI – LA SORTIE ..............................................................293
XXVII – L’HÔPITAL ........................................................... 300
À propos de cette édition électronique................................. 316
– 3 – AVANT PROPOS
CHARLES IX
Saint-Germain-en-Laye (1550) – Vincennes (1574)
Roi de France (1560-1574)
Il fut le deuxième fils d’Henri II et de Catherine de Médicis.
Il succéda à son frère François II qui n’avait régné que
quelques mois. Il monta sur le trône à un âge encore plus pré-
coce : dix ans. Ce fut bien sûr sa mère qui continua l’exercice du
pouvoir. Plus exactement, elle profita de ce changement de
souverain pour contrebalancer l’influence des Guise en faisant
participer le champion de la cause huguenote, Coligny. Charles
IX était tout aussi fragile physiquement et psychologiquement
que ses frères. Il était inconstant, tantôt sous l’influence de sa
mère, tantôt sous celle de Coligny.
En 1570, sa mère mit fin à la troisième guerre de religion
en lui faisant signer la paix de Saint-Germain qui accordait la
liberté de culte aux protestants, ainsi que plusieurs places for-
tes, dont La Rochelle. Il se lia peu à peu d’amitié avec Coligny
qui en profita pour le convaincre de relancer la guerre des
Flandres, dans laquelle la France devait porter secours aux
protestants contre l’intolérance du pouvoir espagnol. Sa mère,
qu’une guerre ouverte avec l’Espagne inquiétait, décida avec
l’aide des Guise l’élimination de Coligny. Mais l’attentat rata.
Affolée par les conséquences de ce ratage, alors que Paris hé-
bergeait un grand nombre de protestants venus assister au
mariage d’Henri de Navarre, Catherine, avec l’aide de son au-
– 4 – tre fils Henri, convainquit Charles IX de l’élimination de tous
les chefs protestants. Ce massacre qui eut lieu lors de la Saint-
Barthélémy (24 août 1572) s’emballa avec la participation de
tout le peuple et s’étendit à toute la France.
Tout au long de son règne, il souffrit de la préférence de sa
mère pour son frère Henri. Il se réjouit lorsque celui-ci dut par-
tir après son élection au trône de Pologne (1573). Mais, ma-
lade, il mourut à la veille de ses 24 ans. Il fut remplacé par son
frère Henri, le duc d’Anjou et bref roi de Pologne.
– 5 – PRÉFACE
Je venais de lire un assez grand nombre de mémoires et de
èmepamphlets relatifs à la fin du XVI siècle. J’ai voulu faire un
extrait de mes lectures, et cet extrait, le voici.
Je n’aime dans l’histoire que les anecdotes, et parmi les
anecdotes je préfère celles où j’imagine trouver une peinture
vraie des mœurs et des caractères à une époque donnée. Ce goût
n’est pas très noble ; mais, je l’avoue à ma honte, je donnerais
volontiers Thucydide pour des mémoires authentiques
d’Aspasie ou d’un esclave de Périclès ; car les mémoires, qui
sont des causeries familières de l’auteur avec son lecteur, four-
nissent seuls ces portraits de l’homme qui m’amusent et qui
m’intéressent. Ce n’est point dans Mézeray, mais dans Montluc,
Brantôme, d’Aubigné, Tavannes, La Noue, etc.… que l’on se fait
èmeune idée du Français au XVI siècle. Le style de ces auteurs
contemporains en apprend autant que leurs récits.
Par exemple, je lis dans l’Estoile cette note concise :
« La demoiselle de Châteauneuf, l’une des mignonnes du roi
avant qu’il n’allât en Pologne, s’étant mariée par amourettes
avec Antinotti, Florentin, comité des galères à Marseille, et
l’ayant trouvé paillardant, le tua virilement de ses propres
mains. »
Au moyen de cette anecdote et de tant d’autres, dont Bran-
tôme est plein, je refais dans mon esprit un caractère, et je res-
suscite une dame de la cour de Henri III.
– 6 –
Il est curieux, ce me semble, de comparer ces mœurs avec
les nôtres, et d’observer dans ces dernières la décadence des
passions énergiques au profit de la tranquillité et peut-être du
bonheur. Reste la question de savoir si nous valons mieux que
nos ancêtres, et il n’est pas aussi facile de la décider ; car, selon
les temps, les idées ont beaucoup varié au sujet des mêmes ac-
tions.
C’est ainsi que vers 1500 un assassinat ou un empoisonne-
ment n’inspiraient pas la même horreur qu’ils inspirent au-
jourd’hui. Un gentilhomme tuait son ennemi en trahison ; il
demandait sa grâce, l’obtenait, et reparaissait dans le monde
sans que personne pensât à lui faire mauvais visage. Quelque-
fois même, si le meurtre était l’effet d’une vengeance légitime,
on parlait de l’assassin comme on parle aujourd’hui d’un galant
1homme, lorsque, grièvement offensé par un faquin , il le tue en
duel.
Il me paraît donc évident que les actions des hommes du
èmeXVI siècle ne doivent pas être jugées avec nos idées du
èmeXIX . Ce qui est crime dans un état de civilisation perfection-
né n’est que trait d’audace dans un état de civilisation moins
avancé, et peut-être est-ce une action louable dans un temps de
barbarie. Le jugement qu’il convient de porter de la même ac-
tion doit, on le sent, varier aussi suivant les pays, car entre un
peuple et un peuple il y a autant de différence qu’entre un siècle
2et un autre siècle .
1 Personnage méprisable, vaniteux, malhonnête et sot.
2 Ne peut-on pas étendre cette règle jusqu’aux individus ? et le
fils d’un voleur, qui vole, est-il aussi coupable qu’un homme éduqué
qui fait une banqueroute frauduleuse ?
– 7 – Méhémet-Ali, à qui les beys des mameluks disputaient le
pouvoir en Égypte, invite un jour les principaux chefs de cette
milice à une fête dans l’enceinte de son palais. Eux entrés, les
portes se referment. Des Albanais les fusillent à couvert du haut
des terrasses, et dès lors Méhémet-Ali règne seul en Égypte.
Eh bien ! nous traitons avec Méhémet-Ali ; il est même es-
timé des Européens, et dans tous les journaux il passe pour un
grand homme : on dit qu’il est le bienfaiteur de l’Égypte. Cepen-
dant, quoi de plus horrible que de faire tuer des gens sans dé-
fense ? À la vérité ces sortes de guet-apens sont autorisés par
l’usage du pays et par l’impossibilité de sortir d’affaire autre-
ment. C’est alors que s’applique la maxime de Figaro : Ma, per
Dio, l’utilità !
Si un ministre, que je ne nommerai pas, avait trouvé des Al-
banais disposés à fusiller à son ordre, et si, dans un dîner
d’apparat, il eût dépêché les membres marquants du côté gau-
che, son action eût été dans le fait la même que celle du pacha
d’Égypte, et en morale cent fois plus coupable. L’assassinat n’est
plus dans nos mœurs. Mais ce ministre destitua beaucoup
d’électeurs libéraux, employés obscurs du gouvernement ; il ef-
fraya les autres, et obtint ainsi des élections à son goût. Si Mé-
hémet-Ali eût été ministre en France, il n’en eût pas fait davan-
tage ; et sans doute le ministre français en Égypte aurait été
obligé d’avoir recours à la fusillade, les destitutions ne pouvant
3produire assez d’effet sur le moral des mameluks .
La Saint-Barthélémy fut un grand crime, même pour le
èmetemps ; mais, je le répète, un massacre au XVI siècle n’est
èmepoint le même crime qu’un massacre au XIX . Ajoutons que la
plus grande partie de la nation y prit part, de fait ou
3 Cette préface a été écrite en 1829.
– 8 – d’assentiment : elle s’arma pour courir sus aux huguenots,
qu’elle considérait comme des étrangers et des ennemis.
La Saint-Barthélémy fut comme une insurrection nationale,
semblable à celle des Espagnols en 1809 ; et les bourgeois de
Paris, en assassinant des hérétiques, croyaient fermement obéir
à la voix du ciel.
Il n’appartient pas à un faiseur de contes comme moi de
donner dans ce volume le précis des événement historiques de
l’année 1572 ; mais, puisque j’ai parlé de la