Bonheur au jeu
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Description

E. T. A. Hoffmann — C o n t e sBonheur au jeu1820BONHEUR AU JEUTraduit par Henry Egmont> Pyrmont fut plus fréquenté que jamais dans l’été de l’année 18…. L’affluenced’étrangers riches et de distinction augmentait de jour en jour, et stimulait le génieentreprenant des spéculateurs de toute espèce. Aussi les banquiers du Pharaoneurent grand soin de multiplier les piles de ducats plus que de coutume, etd’entasser devant eux assez d’or pour que l’appât fût relatif au gibier plus noblequ’en chasseurs adroits et consommés, ils comptaient attirer dans leurs filets.Qui ne sait pas que dans ces réunions des bains, où chacun, distrait de seshabitudes, se livre avec préméditation à une oisiveté indépendante, et n’a soucique des plaisirs qui délassent l’esprit, le charme attrayant du jeu devient irrésistible.On voit alors des gens, qui hors de là ne touchent jamais une carte, assis autour dutapis vert comme les joueurs les plus zélés ; et d’ailleurs le bon ton exige, du moinsdans la classe la plus distinguée, qu’on se montre chaque soir dans les salons dejeu, et qu’on y perde quelque argent.Un jeune baron allemand, — nous l’appellerons Siegfried, — semblait seul ne teniraucun compte de ce charme irrésistible, ni de cette règle du bon ton. Lorsque toutle monde se pressait au rendez-vous du jeu, et qu’on lui enlevait ainsi touteressource, tout espoir d’un entretien agréable, ce qui lui plaisait par-dessus tout, ilpréférait encore suivre le jeu de ses propres ...

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E. T. A. Hoffmann — ContesBonhe18u2r 0au jeuBONHEUR AU JEUTraduit par Henry Egmont> Pyrmont fut plus fréquenté que jamais dans l’été de l’année 18…. L’affluenced’étrangers riches et de distinction augmentait de jour en jour, et stimulait le génieentreprenant des spéculateurs de toute espèce. Aussi les banquiers du Pharaoneurent grand soin de multiplier les piles de ducats plus que de coutume, etd’entasser devant eux assez d’or pour que l’appât fût relatif au gibier plus noblequ’en chasseurs adroits et consommés, ils comptaient attirer dans leurs filets.Qui ne sait pas que dans ces réunions des bains, où chacun, distrait de seshabitudes, se livre avec préméditation à une oisiveté indépendante, et n’a soucique des plaisirs qui délassent l’esprit, le charme attrayant du jeu devient irrésistible.On voit alors des gens, qui hors de là ne touchent jamais une carte, assis autour dutapis vert comme les joueurs les plus zélés ; et d’ailleurs le bon ton exige, du moinsdans la classe la plus distinguée, qu’on se montre chaque soir dans les salons dejeu, et qu’on y perde quelque argent.Un jeune baron allemand, — nous l’appellerons Siegfried, — semblait seul ne teniraucun compte de ce charme irrésistible, ni de cette règle du bon ton. Lorsque toutle monde se pressait au rendez-vous du jeu, et qu’on lui enlevait ainsi touteressource, tout espoir d’un entretien agréable, ce qui lui plaisait par-dessus tout, ilpréférait encore suivre le jeu de ses propres fantaisies dans des promenadessalutaires, ou s’occuper dans sa chambre, soit d’une lecture, soit de quelque travaillittéraire, car il s’adonnait à la poésie.Siegfried était jeune, indépendant, riche ; il avait une tournure noble et desmanières élégantes, de sorte que la considération et les amis ne pouvaient luimanquer, et qu’il était prédestiné à réussir auprès des femmes. Mais, en outre,dans toutes ses actions et ses entreprises, une étoile de bonheur singulier semblaitle favoriser. On citait mille aventures, mille intrigues d’amour scabreuses, et quidans l’ordre naturel des choses auraient été funestes à tout autre, dénouées à sonavantage avec une facilité et une réussite inouïes. Les vieillards qui connaissaientle baron avaient coutume de mentionner surtout une histoire de montre, quiremontait aux premières années de sa jeunesse.Voici le fait : Siegfried étant encore mineur s’était trouvé un jour en voyage dansune pénurie d’argent si extrême qu’il fut obligé, pour continuer sa route, de sedéfaire de sa montre en or et richement garnie de diamants. Il s’attendait à vendrece bijou précieux à vil prix, lorsqu’il arriva, dans le même hôtel où il était logé, unjeune seigneur précisément en quête d’une montre pareille, et qui acheta la sienneà un taux supérieur à sa valeur réelle. Un an s’était écoulé, et Siegfried était devenuson maître, quand il lut un jour dans une gazette l’annonce d’une montre mise enloterie ; il prit un billet pour une bagatelle, et gagna la montre en or garnie debrillants qu’il avait vendue. Peu de temps après, il la troqua contre une bague deprix. Depuis il s’engagea temporairement au service du prince G***, et celui-ci lui fitremettre, lors de son départ, comme un gage de sa bienveillance, la même montred’or garnie de diamants avec une chaîne magnifique.À propos de cette histoire on en vint à parler de la répugnance obstinée du jeunebaron pour le jeu, quoique son bonheur constant eût dû lui inspirer plus qu’àpersonne la disposition contraire ; et bientôt l’on tomba d’accord que Siegfried,malgré la foule de ses qualités brillantes, était intéressé et beaucoup tropméticuleux et trop près regardant pour s’exposer à la perte même la plus modique.On ne remarqua pas que la conduite du baron démentait formellement tout soupçond’avarice ; et comme presque toujours le plus grand nombre est enchanté depouvoir se venger de la réputation d’un homme remarquable, grâce au correctifd’un mais insidieux, comme ce mais se trouve toujours quelque part, dût-il n’avoirde fondement que dans l’imagination des détracteurs, on adopta généralementcomme très satisfaisante cette explication de l’antipathie de Siegfried contre le jeu.
Siegfried apprit bientôt de quelle médisance il était l’objet, et comme avec soncaractère libéral et magnanime, il ne haïssait et ne méprisait rien tant que laladrerie, il résolut de confondre les calomniateurs et, quelle que fût son aversionpour le jeu, de se racheter de cet injurieux soupçon en perdant deux cents louis, etmême davantage. — Il se rendit donc au Pharaon avec le parti pris de perdre lasomme importante dont il s’était nanti ; mais le bonheur, qui le suivait dans toutesses entreprises, lui fut aussi fidèle dans l’épreuve du jeu. Chaque carte choisie parlui était favorisée. Les calculs cabalistiques des vieux joueurs consomméséchouaient devant la fortune du baron. Soit qu’il gardât la même carte, soit qu’il enchangeât, n’importe ! la chance était toujours pour lui. Siegfried donnait le rarespectacle d’un joueur hors de lui de dépit, parce que les cartes lui sont favorables,et, quelque simple que fût la raison de cette conduite, les assistants se regardaientpourtant avec un air pensif, et l’on donnait assez clairement à entendre qu’entraînépar son penchant à la singularité, le baron pouvait bien, au bout du compte, êtreatteint d’un grain de folie : car n’était-il pas nécessairement aliéné le joueur quedésolait son propre bonheur ?La circonstance même du gain d’une somme considérable obligea le baron àcontinuer de jouer pour accomplir son projet de perdre, une chance défavorabledevant bientôt, suivant toute probabilité, compenser et dépasser sa veine de gain.Mais cette supposition naturelle ne fut nullement réalisée : le bonheur imperturbablede Siegfried resta constamment le même ; et la passion du jeu, que les simplescombinaisons du Pharaon aiguillonnent à l’excès, pénétra de plus en plus dans sonâme, sans qu’il s’en aperçût.Il ne s’irritait plus contre son bonheur, le jeu enchaînait toutes ses facultés et il ypassait des nuits entières ; bref, il fut obligé de reconnaître la réalité de cetteséduction que ses amis lui avaient dépeinte mainte fois, et à laquelle il avaittoujours refusé de croire ; car enfin ce n’était pas le gain qui le captivait, c’étaituniquement la fascination du jeu.Une nuit, comme le banquier venait de finir une taille, Siegfried leva les yeux etaperçut un homme âgé placé vis-à-vis de lui, et qui le regardait fixement d’un airtriste et sérieux ; et chaque fois que le baron détournait la vue de dessus les cartes,son regard rencontrait l’œil sombre de l’étranger, ce qui finit par lui causer unesensation pénible et importune. L’étranger ne quitta le salon que lorsque le jeu futterminé. Le lendemain, il était encore assis en face du baron, et ne cessait pas dele regarder d’un œil sombre et presque sinistre ; mais lorsque la nuit suivanteSiegfried le vit encore au même poste, et tenant attaché sur lui son regardscrutateur qui brillait d’un feu diabolique, il ne put se contenir plus longtemps :« Monsieur, dit-il tout haut, je me vois obligé de vous prier de choisir une autreplace, vous gênez mon jeu. »L’étranger s’inclina avec un sourire chagrin, et quitta, sans mot dire, la table ellesalon de jeu.Néanmoins, la nuit suivante, l’étranger avait repris sa place vis-à-vis du baron, qu’ilpénétrait de son regard inflexible et perçant.Cette fois le baron exaspéré éclata plus violemment : « Monsieur ! si cela vousamuse de me regarder, vous voudrez bien choisir un autre temps et un autre lieu,mais dans ce moment, je vous prie… »Un geste désignant la porte tint lieu de la parole offensante que le baron s’abstintde prononcer.Et comme dans la nuit précédente, l’étranger, s’inclinant avec le même souriredouloureux, sortit du salon.L’excitation du jeu, celle du vin qu’il avait bu, et le souvenir de la scène avecl’étranger empêchèrent Siegfried de dormir. Le jour commençait à poindre, quand ilvit, pour ainsi dire, apparaître devant lui le fantôme de cet étranger. Il lisait sur cevisage expressif, aux traits accentués, et abîmé par le chagrin, il retrouvait le regardsombre de ces yeux profondément creusés et cernés, et il ne pouvait s’empêcherde remarquer quelle noble contenance, en dépit d’une mise pauvre, trahissaitl’homme d’un rang distingué. — Et puis cette résignation douloureuse de l’étrangerà ses dures paroles, et sa disparition passive du salon malgré la violence qu’ilsemblait faire à un sentiment plein d’amertume ! — « Non, s’écria Siegfried, j’aides torts envers lui… des torts graves ! Est-il donc dans mes manières dem’emporter comme un grossier personnage, et d’offenser quelqu’un par uneimpolitesse non moins commune que gratuite ? » — Le baron en vint à sepersuader que cet homme, en l’envisageant ainsi, n’avait cédé qu’à la sensationhorriblement pénible du contraste choquant qu’il supposait l’avoir frappé, au
moment où il luttait peut-être contre les angoisses du besoin, tandis qu’il voyait lebaron, livré à un jeu insolent, entasser tant d’or devant lui. Il résolut de chercher àson lever l’étranger et de lui faire réparation.Le hasard fit précisément que la première personne que Siegfried rencontra sur lapromenade fut l’étranger.Le baron l’aborda, s’excusa énergiquement de sa conduite de la nuit passée, etconclut par demander formellement pardon à l’étranger. Celui-ci dit qu’il nereconnaissait au baron aucun tort, qu’il fallait pardonner beaucoup de choses aujoueur dans la chaleur du jeu ; mais que du reste, il avait lui-même provoquél’apostrophe en question par son opiniâtreté à garder une place où il devait gêner lebaron.Le baron alla plus loin, il dit qu’il y avait souvent dans la vie des embarrasmomentanés qui portaient le coup le plus sensible à l’homme bien élevé ; bref, ildonna à entendre à l’étranger qu’il mettrait volontiers à sa disposition la sommequ’il avait gagnée, et plus s’il le fallait pour lui rendre service.« Monsieur, répliqua l’étranger, vous me croyez dans le besoin : je n’y suis pasprécisément ; car, bien que je sois plutôt pauvre que riche, j’ai pourtant de quoisuffire à ma simple manière de vivre. En outre, vous concevrez vous-même que,dès que vous croyez m’avoir offensé, m’offrir une somme d’argent, comme uneespèce de réparation, est un arrangement auquel, en homme d’honneur, il meserait impossible de souscrire quand même je ne serais pas gentilhomme.— Je crois vous comprendre, répondit le baron troublé, et je suis prêt à vous donnerla satisfaction que vous exigez.— Ô ciel, reprit l’étranger, les chances d’un combat entre nous deux seraient tropinégales. Car je suis persuadé que vous voyez comme moi dans le duel autrechose qu’un enfantillage dérisoire, et que vous ne regardez pas comme suffisantes,pour laver une tache faite à notre honneur, quelques gouttes de sang quis’échappent une fois par hasard d’une écorchure au doigt. Mais il y a tellescirconstances qui peuvent rendre impossible l’existence simultanée de deuxhommes sur la terre, et l’un vécût-il sur le Caucase, l’autre aux bords du Tibre, laséparation est illusoire tant que la conscience de l’un nourrit la pensée del’existence de son ennemi. Alors le duel est une nécessité pour décider lequel desdeux doit céder la place à l’autre en ce monde. Entre nous, je vous le répète, lesrisques ne seraient pas égaux, ma vie n’étant nullement à priser aussi haut que lavôtre. Si je vous tue, je détruis tout un monde des plus belles espérances ; si c’estmoi qui reste sur la place, vous aurez mis fin à une vie des plus misérables, enproie aux souvenirs les plus amers et les plus déchirants ! — Enfin, le pointessentiel est que je ne me tiens nullement pour offensé. Vous me priâtes de sortir…et je sortis. »Le son de voix de l’étranger en prononçant ces derniers mots trahit une secrètemortification, ce qui donna lieu au baron de s’excuser de nouveau, d’autant, disait-il,que, sans qu’il sût pourquoi, le regard de l’étranger l’avait ému, pénétré jusqu’aufond de l’âme, au point qu’il n’avait plus eu la force de le supporter.« Fasse le ciel, dit l’étranger, que mon regard, s’il vous a réellement causé cetteémotion intime, vous ait fait pressentir le danger imminent que vous courez. Degaîté de cœur, et dans l’imprévoyance de la jeunesse, vous marchez sur le bordd’un abîme : un seul coup fatal et vous y êtes précipité sans ressource. En un mot,vous êtes sur le point de devenir un joueur passionné et de vous ruiner. »Le baron assura à l’étranger qu’il se trompait positivement. Il raconta avec détailcomment il avait été amené à jouer, et prétendit que le véritable instinct du jeu luiétait tout à fait étranger ; que tout ce qu’il souhaitait enfin, c’était de perdre deuxcents louis d’or, et qu’il cesserait de paraître au jeu dès qu’il aurait vu son butrempli ; mais que jusqu’à ce moment, au contraire, le bonheur le plus décidé avaitsuivi toutes ses tentatives.« Ah ! s’écria l’étranger, c’est précisément ce bonheur qui est la séduction la plusperfide et la plus funeste de la puissance diabolique ! Oui, ce bonheur qui préside àvotre jeu, baron ! les circonstances qui vous ont déterminé à jouer, vos procédésmême et votre conduite au jeu, qui ne révèle que trop clairement quel intérêt de plusen plus vif il vous inspire, tout, tout me rappelle d’une manière frappante la destinéeaffreuse d’un infortuné qui, semblable à vous sous plus d’un rapport, débutaprécisément de la même façon. Voilà pourquoi je ne pouvais détourner mes yeux àvotre aspect, et je pus à peine m’empêcher de dire de vive voix ce que mon regardvous devait donner à deviner : — Oh ! ne vois-tu pas les démons étendre leurs
griffes pour t’entraîner dans l’enfer ! — Voilà ce que j’aurais voulu vous faireentendre. — Mon désir était de lier connaissance avec vous et en cela du moins j’airéussi. — Écoutez l’histoire de ce malheureux dont je parlais : peut-être alors serez-vous convaincu que ce n’est pas une chimère de mon imagination que le dangerdont je vous vois menacé et dont je vous préviens. »Tous deux, le baron et l’étranger, s’assirent sur un banc écarté, et celui-cicommença son récit en ces termes :Les mêmes qualités brillantes qui vous distinguent, monsieur le baron, acquirent auchevalier de Ménars l’estime et l’admiration des hommes, et le rendirent le favorides femmes. Seulement, à l’égard de la richesse, la fortune l’avait moins bienpartagé que vous. Il était presque dans la gène, et ce n’était que par un genre devie des plus strictement réglés qu’il trouvait le moyen de paraître dans le mondeavec la dignité convenable à son rang et à l’honneur de la famille illustre dont ildescendait. Outre que le jeu lui était interdit, par cela seul que la moindre perte luiaurait été sensible et aurait causé du dérangement dans sa manière de vivre, iln’avait d’ailleurs aucun penchant pour cette passion, et en s’abstenant de jouer il nes’imposait, par conséquent, pas de sacrifice. Du reste, le succès le plusextraordinaire répondait à toutes ses entreprises, et le bonheur du chevalier deMénars finit par passer en proverbe.Une nuit, contre son habitude, il s’était laissé persuader de visiter une maison dejeu. Les amis qu’il accompagnait ne tardèrent pas à engager pour eux la partie.Sans suivre leur exemple, le chevalier, absorbé par des pensées toutes différentes,se promenait dans la salle de long en large, et s’arrêtait parfois devant la table dujeu où des piles d’or s’amoncelaient, de minute en minute, sous les mains dubanquier.Un vieux colonel vint à remarquer tout à coup le chevalier, et il s’écria à haute voix :« Par tous les diables ! voici le chevalier de Ménars ici avec son bonheur, et si nousne parvenons à rien gagner c’est qu’il ne s’est encore déclaré ni pour la banque, nipour les ponteurs ; mais cela ne doit pas durer plus longtemps, parbleu ! et je veuxque M. le chevalier ponte pour moi immédiatement. »Le chevalier eut beau prétexter sa maladresse et son défaut absolu d’expérience,le colonel tint bon, et le chevalier se vit contraint de s’asseoir à la table du jeu.Il arriva au chevalier exactement la même chose qu’à vous, monsieur le baron ;chaque carte lui était favorable, de sorte qu’il eut bientôt gagné une sommeconsidérable pour le colonel, qui ne pouvait assez se féliciter de l’excellente idéed’avoir mis à contribution le bonheur à toute épreuve du chevalier de Ménars.Ce bonheur, qui causait à tout le monde une surprise extrême, ne fit pas la moindreimpression sur le chevalier lui-même, et il ne s’expliqua pas comment sonantipathie pour le jeu ne fit que s’accroître encore davantage, si bien que lelendemain matin, sous l’influence de la fatigue de corps et d’esprit causée par laveille et l’échauffement de la nuit, il prit très sérieusement la résolution de ne plusmettre le pied sous aucun prétexte dans une maison de jeu.Il s’affermit encore dans cette résolution par suite de la conduite du vieux colonel,qui ne pouvait toucher une carte sans un malheur inconcevable, et qui, par uneextravagance singulière, mettait maintenant son malheur sur le dos du chevalier. Ilvint le prier souvent avec instance de venir jouer pour lui, ou, tout au moins, de setenir à ses côtés pendant qu’il jouerait, pour chasser, par sa présence, le mauvaisdémon qui lui mettait dans la main des cartes frappées de malédiction. — On sait àquelles superstitions absurdes l’esprit des joueurs est accessible. — Bref, ce ne futque par un refus solennel, et même en déclarant qu’il se battrait plutôt avec lecolonel que de consentir à jouer pour lui, que le chevalier parvint à se débarrasserde ses importunités, le colonel n’étant pas précisément jaloux des affaires de duel.Le chevalier maudit de grand cœur l’acte de condescendance qui lui avait attiré lespersécutions de ce vieux fou.Du reste, il était immanquable que l’histoire du bonheur miraculeux du chevalier aujeu ne courût de bouche en bouche, progressivement accrue d’une foule decirconstances énigmatiques et merveilleuses, qui peignaient le chevalier comme unhomme en relation avec les puissances surnaturelles. — Mais aussi en voyant lechevalier, malgré son étoile, s’abstenir de toucher une carte, on conçut l’idée la plushaute de la fermeté de son caractère, et l’estime dont il jouissait ne fitqu’augmenter.Il pouvait s’être écoulé une année, lorsque le chevalier, par le retard imprévu du
versement de la modique somme qui subvenait à son entretien, fut mis dansl’embarras le plus pénible et le plus pressant. Il fut obligé de s’en ouvrir à son plusfidèle ami, qui lui avança sans délai l’argent dont il avait besoin, mais en l’appelanten même temps le plus grand original qui eût jamais existé.« Il est des signes du destin, dit-il, qui nous révèlent la voie où nous devonschercher et trouver notre salut. C’est la faute de notre indolence si nous négligeonsces avertissements et si nous n’en profitons pas. Or, la puissance suprême, quirègle notre vie, s’est exprimée à ton égard en termes assez clairs. N’a-t-elle pasmurmuré à ton oreille : Si tu veux acquérir de la richesse, va et joue : autrement turesteras pauvre, nécessiteux et dans une perpétuelle dépendance. »Alors seulement le chevalier vit se représenter vivement dans son esprit l’idée dubonheur prodigieux qui l’avait favorisé à la banque du Pharaon, et dans ses rêves,et même éveillé, il voyait des cartes passer devant ses yeux, il entendait cesparoles monotones du banquier : « Gagne ! — Perd ! » — Et le son des pièces d’ortintait sans cesse à son oreille.« Il est vrai ! se disait-il à lui-même, une seule nuit comme celle-là m’arrache à lamisère, à l’embarras pénible de devenir à charge à mes amis… Oui, c’est undevoir pour moi de suivre le présage du destin. »Son ami, qui l’avait engagé à jouer, l’accompagna dans la maison de jeu, et luiprêta vingt louis d’or pour qu’il pût tenter la fortune sans d’inquiètes restrictions.Si le chevalier avait eu la main heureuse en pontant pour le vieux colonel, cette foissa veine fut doublement prospère. Les cartes sur lesquelles il faisait son jeu, samain les tirait sans choix, aveuglément, ou plutôt dirigée par une puissancesuprême et invisible d’accord avec le hasard, que dis-je ? la même que nousappelons hasard dans un langage confus. Quand le jeu cessa, le chevalier avaitgagné mille louis d’or.Il se réveilla le lendemain dans une espèce d’étourdissement. La somme gagnéeétait entassée près de lui sur une table. À la première vue, il crut rêver, se frotta lesyeux, puis il étendit le bras et attira la table plus près ; mais lorsqu’il eut rappelé sessouvenirs, lorsqu’il palpa les pièces d’or, lorsqu’il les compta et recompta aveccomplaisance, alors, pour la première fois, tout son être se sentit pénétré, commeau souffle d’un génie fatal, du poison de l’envie des richesses. Ce jour porta uncoup mortel à la pureté de sentiments qu’il avait si longtemps gardée intacte.Il eut peine à attendre le soir pour se trouver de nouveau à la table de jeu. Sonbonheur ne se démentit pas, et en peu de semaines, durant lesquelles il avait jouépresque chaque nuit, il gagna une somme considérable.Il y a deux espèces de joueurs. Pour quelques-uns, le jeu lui-même, en tant que jeuet sans égard au gain, est la source d’une jouissance secrète et inexprimable.Dans l’enchaînement et le contraste des chances s’offrent les plus bizarresaccidents du hasard ; c’est là que se manifeste le plus clairement l’influence d’unepuissance supérieure, et c’est ce qui provoque notre esprit à prendre son essorpour essayer de pénétrer dans la sphère mystérieuse, dans les arcanes de lafatalité suprême, et d’y voir s’éclaircir l’obscur problème de ses œuvres. — J’aiconnu un homme qui passait des jours, des nuits entières à faire la banque seuldans sa chambre, en pontant contre lui-même : celui-ci, à mon avis, était unvéritable joueur. D’autres ont seulement le gain en perspective et considèrent le jeucomme un moyen de s’enrichir promptement. C’est dans cette classe que serangea le chevalier, et il confirma ainsi cette vérité que la passion abstraite etvéritable du jeu est un sentiment inné et dépendant d’une organisation individuelle.Par suite de ses idées de fortune, le chevalier trouva bientôt son jeu trop restreintdans les limites imposées au ponte. Avec la somme importante qu’il avait gagnée,il établit une banque, laquelle devint en peu de temps, grâce à l’avantagepersévérant qui ne cessa de le favoriser, la plus riche de tout Paris. Ainsi qu’il arrivetoujours, la richesse et le singulier bonheur du nouveau banquier attirèrent chez lui leplus grand nombre de joueurs.La vie déréglée et licencieuse du joueur corrompit bientôt toutes les qualités del’esprit et du corps qui avaient autrefois concilié au chevalier autant d’estime qued’affection. Ce n’était plus l’ami fidèle, le compagnon franc et joyeux, le galant etchevaleresque adorateur des dames. L’amour de l’art et de la science était mortdans son esprit, et son goût pour l’étude complètement éteint. Son visage pâlecomme la mort, ses yeux caves et étincelants d’un feu sombre portaient l’empreintede la passion désastreuse qui le tenait asservi ; et ce n’était point la passion du jeu,mais une cupidité effrénée allumée dans son cœur par Satan lui-même ! — En un
mot, c’était le banquier le plus accompli qui fût jamais.Une nuit, sans avoir précisément éprouvé une perte grave, le chevalier avait vu pâlirlégèrement son étoile de bonheur. Sur ces entrefaites, un petit homme, vieux, sec,pauvrement vêtu, d’un aspect déplaisant, s’était approché de la table de jeu, etd’une main tremblante avait tiré une carte sur laquelle il mit une pièce d’or.Plusieurs des assistants parurent extrêmement surpris du fait, mais aucun nedissimula son profond mépris pour le vieillard, qui ne témoigna sonmécontentement par la moindre parole, ni par le moindre froncement de sourcils.Il perdit. — Il renouvela sa mise et perdit encore ; mais plus il perdait, plus les autresjoueurs se réjouissaient, et quand le vieillard, qui martingalait toujours, finit parmettre un enjeu de cinq cents louis qu’il perdit du coup, l’un des témoins s’écria enriant tout haut : « Bonne chance, signor Vertua ! hardi ! ne perdez pas courage :forcez toujours votre jeu ; j’imagine que vous finirez par faire sauter la banque avecun gain énorme ! »Le vieillard lança à ce railleur un regard de basilic, puis il disparut en courant ; maisce fut pour revenir au bout d’une demi heure, les poches pleines d’or. Et pourtant ilse vit obligé d’assister à la dernière taille sans ponter, ayant perdu rapidement lasomme entière qu’il avait apportée.Le chevalier, qui, malgré l’égarement de sa conduite, tenait cependant à faireobserver certaines bienséances dans ses salons, était irrité d’avoir vu traiter levieillard avec tant de dédain et de mépris. En conséquence, à la fin de la séance etquand le vieillard fut parti, il retint, pour s’en expliquer sérieusement, le joueur quil’avait interpellé et quelques autres qui s’étaient fait distinguer par leurs procédésméprisants à l’égard du vieillard.« Oh ! s’écria l’un d’eux, vous ne connaissez pas le vieux Francesco Vertua,chevalier, autrement, loin de vous plaindre de nous et de notre conduite, vous latrouveriez fort sensée. Apprenez que ce Vertua, Napolitain de naissance, et depuisquinze ans à Paris, est le plus abject, le plus sordide avare et le plus détestableusurier de la terre. Tout sentiment d’humanité lui est étranger ; il verrait son proprefrère se tordre à ses pieds dans les convulsions de l’agonie, et un seul écu suffiraitpour le sauver, qu’on ferait de vains efforts pour l’obtenir de lui. Il vit sous le poidsfatal des imprécations et de la malédiction de mille individus, de familles toutentières plongées dans la misère et le désespoir par ses spéculations sataniques.Il est haï profondément de quiconque le connaît, et c’est un vœu unanime qu’unemain vengeresse le punisse de tant de méfaits, et mette un terme à cette viesouillée d’opprobres. — Il n’a jamais joué, du moins, depuis qu’il est à Paris, etvous ne devez plus vous étonner de notre saisissement en le voyant paraître à latable de jeu. Il est aussi bien naturel que nous nous soyons réjouis de sa perte, carn’aurait-il pas été odieux de voir un pareil scélérat favorisé par la fortune. Il n’est quetrop positif, chevalier, que la richesse de votre banque a ébloui le vieux fou ; ilméditait de vous plumer et il en a été la dupe. Cependant il n’en est pas moinsincompréhensible que Vertua, un avare fieffé de cette nature, ait pu se résoudre àexposer tant d’argent. Et, à coup sûr, il ne reviendra plus. Nous en voilàdébarrassés ! »Cette supposition ne fut pourtant pas réalisée, car, dès la nuit suivante, Vertua étaitdéjà de retour à la banque du chevalier, où il joua et perdit dans une proportion plusforte que la veille. Néanmoins il restait calme et souriait seulement parfois avec uneironie amère, comme s’il eût prévu avec certitude un prochain revirement defortune. Mais la perte du vieillard s’accrut et grossit comme une avalanche avec unerapidité progressive dans chacune des nuits suivantes, après lesquelles on calculaqu’il avait payé au banquier environ trente mille louis d’or. À quelque temps de là, ilparut un soir dans le salon de jeu quand déjà la séance était fort avancée. Pâlecomme la mort et les yeux hagards, il se plaça à quelque distance de la table, leregard fixé sur les cartes qu’amenait le chevalier. Enfin, comme celui-ci, après avoirrefait et donné à couper, allait commencer une nouvelle taille, le vieillard s’écriad’une voix si aiguë : « Arrêtez ! » que tout le monde tressaillit et regarda en arrière.Le vieillard alors se fit jour jusqu’auprès du chevalier et d’une voix sourde il lui dit àl’oreille : « Chevalier ! ma maison de la rue Saint-Honoré avec tout l’ameublement,ma vaisselle d’or et d’argent et tous mes bijoux, est estimée quatre-vingt millefrancs : voulez-vous tenir la mise ? — Soit ! » répliqua le chevalier froidement sansdétourner la tête, et il commença à tailler.« La dame ! » dit le vieillard, et à la première main la dame perdit ! — Le vieillardchancela et alla s’appuyer contre la muraille, immobile, glacé comme une statue.Personne ne s’inquiéta de lui davantage. La séance terminée, les joueurs seretirèrent et le chevalier avec ses croupiers encaissait le gain de la soirée. Alors le
vieux Vertua sortit de son coin, s’approcha du chevalier d’un pas mal affermi, pâlecomme un spectre, et d’une voix creuse et étouffée : « Encore un mot, dit-il,chevalier ! un seul mot !— Eh bien, qu’y a-t-il ? » répondit le chevalier en retirant la clef de sa cassette ettoisant avec mépris le vieillard de la tête aux pieds.Le vieillard continua : « J’ai perdu à votre banque toute ma fortune, chevalier ! rien,rien ne me reste : je ne sais pas où demain je reposerai ma tête, avec quoij’apaiserai ma faim. Chevalier, c’est à vous que j’ai recours : prêtez-moi la dixièmepartie de la somme que vous m’avez gagnée, afin que je puisse recommencer lesaffaires, et que j’échappe à une honteuse misère.— À quoi pensez-vous, signer Vertua ? répliqua le chevalier, ne savez-vous pasqu’un banquier ne doit jamais prêter de l’argent de son gain ! cela serait contraire àla vieille règle dont je ne me dépars jamais.— Vous avez raison, chevalier, reprit Vertua, ma demande était exagérée,déraisonnable ! prêtez-moi la vingtième…, non, la centième partie ! — Je vousrépète, dit le chevalier avec humeur, que je ne prête absolument rien sur mon gain.— C’est vrai, dit Vertua, dont le visage pâlissait de plus en plus, dont le regarddevenait de plus en plus morne, vous ne pouvez rien me prêter. — Non, je nel’aurais pas fait non plus autrefois. — Mais donnez, accordez au mendiant uneaumône…, prenez sur la richesse que la fortune aveugle vous a dispenséeaujourd’hui, cent louis…— Oh ! en vérité, repartit le chevalier, avec colère, vous vous entendez à tourmenterles gens, signor Vertua ! je vous dis que vous n’obtiendrez de moi ni cent, nicinquante, ni vingt-cinq louis, — pas un seul ! il faudrait que je fusse fou pour vousaccorder le moindre secours, afin que vous puissiez recommencer votre infâmemétier, n’est-ce pas ? Le sort vous a abattu dans la poussière tel qu’un vervenimeux, et ce serait un crime que de vous relever. Allez, et restez ruiné commevous le méritez. »Le visage caché dans ses deux mains, le vieux Vertua tomba à terre. Le chevaliercommanda à son domestique d’emporter la cassette dans sa voiture, puis il s’écriaà haute voix : « Quand me remettrez-vous votre maison et vos effets, signorVertua ! »Alors Vertua se releva et d’un ton assuré : « Tout de suite, dit-il, à l’instant,chevalier, venez avec moi.— C’est bien, reprit le chevalier, nous pouvons aller ensemble dans ma voiturejusqu’à votre maison, qu’il faudra quitter irrévocablement demain matin. »Pendant toute la route ni le chevalier, ni Vertua ne prononcèrent une seule parole.— Arrivés à la maison de la rue Saint-Honoré, Vertua tira la sonnette. Une vieillefemme ouvrit aussitôt et s’écria, à la vue de Vertua : « Ô bon Jésus ! vous voilàenfin, signor Vertua ! Angela est pour vous dans une inquiétude mortelle !…— Silence ! répliqua Vertua, fasse le ciel qu’Angela n’ait pas entendu lamalheureuse sonnette ! il faut qu’elle ignore que je suis rentré. »En parlant ainsi, il prit des mains de la vieille consternée le flambeau à branchesqu’elle portait, et éclaira le chevalier en marchant devant lui jusqu’à l’appartementdu premier.Là, Vertua s’adressant au chevalier lui dit : « Je suis résigné à tout, chevalier ; je nevous inspire que haine et mépris : ma ruine cause votre plaisir et celui d’autrui, maisvous ne me connaissez pas. — Apprenez donc que je fus autrefois un joueurcomme vous, que le bonheur capricieux me fut tout aussi favorable qu’à vous, quej’ai parcouru la moitié de l’Europe, m’arrêtant partout où je trouvais l’appât d’un jeuriche et l’espoir d’un gain considérable, que l’or enfin s’amoncelait partout à mabanque comme il afflue à la vôtre. J’avais une femme aussi vertueuse que belle, etje la négligeais, et elle était malheureuse au milieu des satisfactions du luxe. — Ilarriva un soir à Gènes, où je tenais une banque, qu’un jeune Romain perdit contremoi la totalité de son riche patrimoine. Il me pria, de même que je le faisaujourd’hui, de lui prêter au moins de quoi subvenir à son retour dans sa patrie. Jele lui refusai avec un sourire ironique, et lui, dans l’égarement de son désespoirfurieux, me porta dans la poitrine un coup violent de son stylet. Ce fut avec peineque les médecins parvinrent à me sauver, et mon état de souffrance fut long etpénible. Ma femme me prodigua des soins assidus, me consolant, soutenant mon
courage prêt à succomber à l’excès de mes douleurs ; et je me sentis pénétré d’unsentiment inconnu que chaque jour de ma convalescence rendit plus puissant enmoi. Le joueur finit par devenir étranger à toute émotion naturelle, et j’ignoraisencore ce que c’était que l’amour, et le tendre attachement d’une femme dévouée.Au souvenir de mes torts et de mon ingratitude envers la mienne, à la pensée de lavie criminelle à laquelle je l’avais sacrifiée, mon cœur était rongé de remords. Jevoyais m’apparaître, comme autant de fantômes vengeurs, tous ceux dont j’avaistué le bonheur et ruiné l’existence avec une indifférence atroce, et j’entendais leursvoix rauques et sépulcrales me reprocher les calamités et les crimes sans nombredont j’avais semé le germe ! Ma femme seule parvenait alors à calmer mon affreuxdésespoir et à bannir l’horreur dont j’étais saisi ! — Je fis vœu de ne plus toucherune carte de ma vie ! — Je me dérobai, je m’arrachai aux liens qui me tenaientengagé, je résistai aux prières, aux séductions de mes associés qui voulaient meretenir, séduits par mon étoile. Après ma parfaite guérison, j’achetai près de Romeune petite maison de campagne où je me retirai avec ma femme. Hélas ! je n’ai jouique pendant un an d’une tranquillité, d’une béatitude telles que je n’en concevaismême pas l’idée. Ma femme me donna une fille et mourut peu de semaines après.Je fus au désespoir. J’accusais le ciel, je me maudissais moi-même, je maudissaisma vie infâme, dont la puissance éternelle tirait vengeance en me ravissant mafemme, à qui je devais mon salut, le seul être en qui je trouvasse consolation etespérance ! Pareil au criminel qui craint l’horreur de la solitude, je me sentis pousséà quitter ma maison de campagne pour venir à Paris. Angela grandissait etembellissait, vivant portrait de sa mère, et je l’aimais à l’adoration. Pour elle je prisà cœur de me maintenir à la tête d’une riche fortune, et même d’en acquérir uneplus considérable. Il est vrai, je prêtai de l’argent à haut intérêt, mais c’est uneinfâme calomnie que de m’accuser d’usure frauduleuse. Et qui sont mesaccusateurs ? de jeunes fous qui me fatiguent de leurs instances, jusqu’à ce que jeleur prête un argent qu’ils dissipent comme une chose sans valeur, et puis quis’emportent et se récrient quand je poursuis rigoureusement la rentrée de mesavances. Mais cet argent ne m’appartient pas, il est à ma fille, et je me regardeseulement comme le gérant de son bien. Il n’y a pas longtemps que j’ai sauvé unjeune homme de la ruine et de l’infamie par le secours d’une somme considérable.Je ne regardai pas un seul instant la restitution comme probable, car je savais qu’ilétait fort pauvre avant qu’il n’eût fait un riche héritage. Alors je réclamai la restitutionde mes avances. Croiriez-vous, chevalier, que le coupable étourdi, qui me devaitson existence, osa nier la dette, et me traita de misérable avare lorsqu’il fut réduitaprès sentence à s’acquitter envers moi ? — Je pourrais vous raconter encoreplusieurs traits semblables qui m’ont rendu l’âme dure et insensible pour laprodigalité et la bassesse. Bien plus ! je pourrais vous dire que plus d’une fois j’aiséché des larmes amères, et que mainte prière, pour moi et pour mon Angela, estmontée au ciel ; mais cela passerait à vos yeux pour une vanterie sans fondement,et d’ailleurs vous n’en feriez aucun cas, car vous êtes un joueur. — Je crus avoirapaisé enfin la puissance éternelle : vaine illusion ! puisqu’il fut permis à Satan dem’éblouir d’une manière plus funeste que jamais. — J’entendis parler de votrebonheur, chevalier ; chaque jour j’apprenais que tel ou tel ponte à votre banqueavait perdu jusqu’à son dernier écu : il me vint alors à l’esprit que mon bonheur aujeu si persévérant était réservé à balancer le vôtre et qu’il dépendait de moi demettre un terme à vos bénéfices. Dès lors cette pensée, qui ne pouvait provenir qued’une folie singulière, ne me laissa plus ni repos, ni trêve. C’est ainsi que je fusprovoqué à jouer contre vous, c’est ainsi que je fus aveuglé par cette horriblefascination jusqu’à ce que ma fortune, ou plutôt la fortune de mon Angela, eût passéentre vos mains ! — À présent tout est fini ! — Ne permettrez-vous pas que ma filleemporte sa garde-robe ?» Le trousseau de votre fille ne me regarde pas, répliqua le chevalier. Vous pouvezencore faire enlever les lits et les ustensiles de ménage indispensables. Quevoulez-vous que je fasse d’un pareil attirail ? mais prenez bien garde qu’il ne s’ymêle aucun des objets de quelque prix qui me sont échus. »Le vieux Vertua tint quelques secondes ses regards fixés sur le chevalier sans diremot. Puis un torrent de larmes s’échappa de ses yeux ; abîmé de douleur et dedésespoir, il tomba à genoux devant le chevalier en gémissant, et s’écria, les mainsjointes et tendues vers lui : « Chevalier ! s’il vous reste quelque sentimentd’humanité dans le coeur, — soyez miséricordieux ! — par pitié !… Ce n’est pasmoi, c’est ma fille, mon Angela ! un enfant, un ange d’innocence que vous précipitezdans la misère ! — Oh prenez pitié d’elle ! prêtez-lui, à elle, à mon Angela, lavingtième partie de sa fortune dont vous l’avez dépouillée ! — Oui, j’en suis sûr,vous vous laisserez attendrir par mes prières : ô Angela , ma fille !… »Le vieillard sanglotait, pleurait, se frappait le front et invoquait d’une voix déchirantele nom de sa fille.
« Cette sotte comédie commence à m’ennuyer, » dit le chevalier avec humeur etinsouciance ; mais au même instant la porte s’ouvrit, et une jeune fille se précipitadans la chambre, vètue d’un peignoir de nuit blanc, les cheveux épars, la mortpeinte sur le visage : elle s’élança vers le vieillard, le releva, et l’entoura de ses brasen s’écriant : « Ô mon père ! — mon père ! — j’étais là, j’ai tout entendu. — Avez-vous donc tout perdu ? tout ? — Et votre Angela, l’avez-vous donc oubliée ? à quoibon des biens et de l’argent ? Angela ne saura-t-elle vous nourrir, vous soigner ? —Ô mon père ! ne vous abaissez pas davantage devant ce monstre méprisable. —Ce n’est pas nous, c’est lui qui reste pauvre et misérable au milieu de sa vainerichesse ; car il demeure en proie à un abandon affreux et mortel, sans un cœur surla terre qu’il puisse serrer contre le sien, où il trouve à s’épancher, quand ildésespère de sa vie et de son âme ! — Venez, mon père, quittez avec moi cettemaison, venez : hâtons-nous de partir pour que cet homme abominable ne puissese repaître plus long-temps de votre désespoir. »Vertua tomba presque évanoui dans un fauteuil. Angela s’agenouilla devant lui,saisit ses mains et les couvrit de baisers et de caresses ; elle énuméra avec uneprolixité naïve tous les petits talents, toutes les connaissances qu’elle possédait, età l’aide desquels elle comptait rendre l’aisance à son père, le suppliant â chaudeslarmes de bannir toute inquiétude, et protestant qu’à dater de ce jour seulement, lavie aurait à ses yeux un prix véritable, puisqu’au lieu de la dissiper en plaisirs, elle laconsacrerait à broder, à coudre, à chanter, à jouer de la guitare, et tout cela pardevoir, par piété filiale.Quel pécheur endurci aurait pu rester indifférent en voyant Angela resplendissanted’une beauté céleste, en l’entendant consoler son vieux père de sa voix douce ettouchante, organe des purs sentiments du cœur le plus noble et le plus tendre ?Bien loin de là, le chevalier sentit sa conscience en proie à tous les tourments etaux angoisses de l’enfer. Comme revenu d’un songe, il crut voir dans la jeune fillel’ange de la vengeance divine dissipant d’une main radieuse les voiles épais qui lefascinaient au gré d’une puissance fatale, et sa criminelle conduite lui apparut dansune nudité repoussante et exécrable. — Pourtant du fond de ce sombre abîme, dontles terreurs glaçaient l’âme du chevalier, surgissait un rayon pur et brillant,semblable à un reflet de la splendeur éternelle, au présage visible d’une béatitudeinfinie. Mais l’éclat de cette vision ajoutait encore à l’horreur de son suppliceintérieur.Le chevalier n’avait pas encore connu l’amour. Au moment où il vit Angela, iléprouva en même temps l’émotion profonde d’une passion irrésistible, etl’inexprimable douleur du plus morne découragement. Car pouvait-il rester uneombre d’espoir à l’homme qui s’était révélé sous l’image du chevalier devant ce purenfant du ciel, la gracieuse Angela !Le chevalier voulut parler, il ne le put pas, comme si une crampe soudaine eûtenchaîné sa langue. Enfin il rassembla ses esprits et bégaya d’une voix tremblante :« Signor Verlua, écoutez-moi ! — je ne vous ai rien gagné…, rien du tout…, voicima cassette ; — elle est à vous : — Non, il faut… que je vous rende davantage…encore ; — je suis votre débiteur. Prenez, — prenez… — Ô ma fille ! » s’écriaVertua.Mais Angela se releva, avança vers le chevalier, lui lança un regard plein de fierté,et lui dit d’un ton calme et sévère : « Chevalier ! apprenez qu’il y a quelque choseau-dessus de l’or et de la fortune, d’intimes sentiments qui vous sont inconnus, maisqui soulagent notre âme de leur consolation suprême, et nous font repousser votreoffre, votre faveur avec mépris ! — Gardez ces trésors, gages de la malédictionfatale qui pèse sur vous, sur le joueur réprouvé et sans cœur.— Oui, s’écria le chevalier hors de lui avec des yeux hagards et un accent terrible,oui, réprouvé !… maudit ! je veux l’être et précipité dans le plus profond des enfers,si jamais cette main touche le bord d’une carte ! — Et si après cela vous merepoussez d’auprès de vous, Angela ! ce sera vous qui aurez causé ma perteinévitable. Oh ! si vous saviez...., si vous pouviez comprendre… Non, vous devezme traiter de fou. — Mais vous le verrez...., et vous me croirez quand je serai étenduà vos pieds, le cerveau fracassé. — Angela ! — il y va pour moi de la vie ou de lamort !… Adieu ! »Et le chevalier se précipita hors de la chambre dans le plus affreux désespoir.Vertua avait lu dans son âme, il devinait le changement qui s’était opéré en lui, etcherchait à faire comprendre à Angela que certaines circonstances pouvaient luiimposer l’obligation d’accepter l’offre généreuse du chevalier. — Angela repoussacette proposition avec horreur ; elle ne concevait pas que le chevalier pût jamaisarriver à obtenir autre chose que son mépris. Le destin, qui souvent prépare ses
voies au fond des cœurs à leur insu, amena un résultat contraire à toutes lesprévisions.Il semblait an chevalier qu’il sortit d’un rêve effrayant ; il se voyait au bord de l’abîmeinfernal, et c’était en vain qu’il étendait les bras vers la figure céleste et rayonnantequi lui était apparue, non pour le sauver… Non, — pour lui rappeler l’arrêt de sadamnation !À l’étonnement de tout Paris, la banque du chevalier de Ménars disparut tout àcoup. On ne le vit plus lui-même, et de là les bruits les plus étranges et les plusdénués de fondement coururent sur son compte. Le chevalier fuyait toute société,son amour le remplissait d’un chagrin sombre et profond. C’est dans cet état qu’ense promenant dans les allées solitaires du parc de Malmaison, il se trouva soudainen face de Vertua et de sa fille.Angela, à qui l’idée de voir le chevalier n’aurait inspiré que de l’horreur et dumépris, se sentit singulièrement émue à son aspect, tandis que celui-ci interdit,pâle comme un mort et dans une attitude de crainte respectueuse, osait à peinelever les yeux sur elle. Angela n’ignorait pas que, depuis la nuit fatale, le chevalieravait absolument renoncé au jeu, qu’il avait complètement changé de manière devivre. Elle, elle seule avait opéré tout cela, elle avait sauvé le chevalier de sa perte :quelle chose pouvait flatter davantage sa vanité de femme ?…Après que Vertua eut échangé avec le chevalier les civilités ordinaires, Angelademanda donc avec l’accent d’un intérêt doux et bienveillant : « Qu’avez-vous,chevalier ? vous paraissez inquiet, souffrant ; en vérité, vous devriez voir unmédecin. »Comme on peut bien le penser, les paroles d’Angela versèrent dans l’âme duchevalier un baume consolateur. Sa physionomie changea subitement : il releva latête, et de ses lèvres s’épancha de nouveau avec une effusion touchante celangage entraînant et passionné qui jadis lui subjuguait tous les cœurs. Vertua le fitsouvenir de prendre possession de la maison qui lui était échue en gain. « Oui,signor Vertua, s’écria le chevalier comme inspiré, oui, sans doute, j’irai demainchez vous. Mais souffrez que nous nous mettions bien d’accord sur les conditions,quand cela devrait exiger plusieurs mois.— Soit, répliqua Vertua en souriant, j’ai idée que cela peut nous faire penser avecle temps à bien des choses qui sont peut-être aujourd’hui loin de nos esprits. » —Comment le chevalier n’eût-il pas retrouvé avec un nouvel espoir toute l’amabilitéqui le caractérisait autrefois, avant qu’il ne devint la proie de sa passion ruineuse etdésordonnée. Ses visites chez le vieux signor Vertua devinrent de plus en plusfréquentes. Angela paraissait chaque jour mieux disposée pour celui dont ellesavait être l’ange tutélaire ; peu à peu elle vint à se persuader qu’elle l’aimaitdécidément, et s’engagea enfin à lui accorder sa main, au grand plaisir du vieuxVertua, qui, de ce jour seulement, regarda comme terminée l’affaire de sa fortuneperdue contre le chevalier.Un jour, Angela, l’heureuse fiancée du chevalier de Ménars, était assise à la fenêtreplongée dans mille pensées d’amour, de plaisir et de joie, si naturels dans sasituation. Un régiment de chasseurs, partant pour la campagne d’Espagne, vint àpasser devant elle au son joyeux des clairons. Angela considérait avec unsentiment de pitié ces hommes destinés à être victimes de cette guerre funeste,lorsqu’un tout jeune homme détournant vivement la bride de son cheval, jeta unregard sur Angela, qui retomba aussitôt sur sa chaise sans connaissance.Hélas ! le chasseur qui marchait ainsi à une mort probable n’était autre que le jeuneDuvernet, le fils d’un voisin, le compagnon assidu de son enfance, qui venait la voirpresque chaque jour, et n’avait cessé de paraître dans la maison que depuisl’introduction du chevalier.Dans le coup d’œil chargé de reproches du jeune homme on lisait son arrêt demort. Angela reconnut alors pour la première fois non seulement à quel excès ill’avait aimée, mais qu’elle même, et à son insu, l’aimait aussi d’une façoninexprimable, et n’avait été qu’éblouie, fascinée par la séduction de plus en pluscontagieuse attachée à la personne du chevalier. Elle comprit seulement alors lessoupirs inquiets du jeune homme, ses attentions silencieuses et sans prétention ;ce ne fut qu’alors qu’elle comprit l’entraînement de son propre cœur, et les secrètespalpitations qui soulevaient son sein quand Duvernet arrivait, quand elle entendaitsa voix. — « Il est trop tard ! il est perdu pour moi : » ainsi murmurait le cœurd’Angela. — Elle eut pourtant le courage de lutter contre le sentiment pénible qui ladésespérait, et l’énergie de sa volonté l’en rendit victorieuse.
Cependant il n’échappa point à la pénétration du chevalier qu’il était survenuquelque incident fâcheux ; mais il avait assez de délicatesse pour ne pas chercherà découvrir un secret qu’Angela croyait devoir lui cacher, et il se contenta, pour sesoustraire à toute influence dangereuse, de presser la célébration de son mariagequ’il régla avec un tact infini, et les égards les plus scrupuleux pour la position et lamélancolie de sa jeune épouse, et Angela apprécia d’autant mieux la parfaiteamabilité du chevalier.Celui-ci ne cessa point de se conduire envers Angela avec cette sincérité d’estimeet cette prévenance pour le moindre de ses désirs, qu’inspire l’amour le plus pur,de sorte que le souvenir de Duvernet s’effaça entièrement de son esprit. Le premiernuage qui vint troubler la sérénité et le calme dont ils jouissaient tous deux, ce fut lamaladie et la mort du vieux Vertua.Depuis la nuit où il avait perdu toute sa fortune à la banque du chevalier, Vertuan’avait plus touché une carte ; mais dans les derniers moments de sa vie, le jeusemblait absorber exclusivement toutes ses facultés. Pendant que le prêtre, quiétait venu pour lui donner à son heure suprême les consolations de l’église,l’entretenait de choses spirituelles, le vieillard couché et les yeux fermés murmuraitentre ses dents : « Perd ! — gagne ! » Et de ses mains tremblantes desconvulsions de l’agonie il faisait les mouvements de tailler, de couper, de tirer lescartes. Ce fut en vain qu’Angela et le chevalier, penchés sur lui, l’appelaient desnoms les plus tendres, il semblait ne plus les voir, ne plus les entendre. Avec leprofond soupir : Gagne ! il exhala son dernier souffle.Au milieu de son extrême douleur, Angela ne put se défendre d’un frisson de terreurà la pensée de cette mort sinistre. L’image de la nuit affreuse, où elle vit pour lapremière fois le chevalier sous l’aspect d’un joueur endurci et frénétique, lui revint àla mémoire, et lui inspira l’effroyable idée que le chevalier peut-être un jour quitteraitbrusquement le masque de l’ange, pour reprendre sa première vie et se raillerd’elle sous ses traits originels de démon.L’affreux pressentiment d’Angela ne devait que trop tôt se réaliser.Quelque terreur qu’eût fait naître dans l’esprit du chevalier le genre de mort du vieuxFrancesco Vertua, qui, dédaignant les secours de l’église en ce moment solennel,nourrissait encore la pensée opiniâtre de ses anciens égarements, l’effet de cespectacle fut pourtant de réveiller en lui des pensées de jeu trop actives, et sansqu’il pût lui-même se rendre compte de ses sensations, chaque nuit il se voyait enrêve assis à la banque, et récoltant de nouvelles richesses.Autant le souvenir de la première apparition du chevalier, en frappant l’espritd’Angela, l’empêchait de conserver ses manières pleines d’amour et de confiancequi lui étaient familières pour son mari, autant celui-ci conçut de méfiance dans sonâme pour sa femme, dont il attribuait la préoccupation à ce secret qu’elle lui avaitdérobé et qui l’avait une fois remplie de trouble. Cette méfiance amena des scènesde mécontentement et des témoignages d’humeur qui offensèrent Angela. Par unsingulier effet des retours de l’âme, elle sentit se ranimer en elle, avec l’image dumalheureux Duvernet, le sentiment pénible de cet amour détruit pour toujours,auquel elle avait dû de si douces émotions. Enfin la mésintelligence des deuxépoux ne fit que s’accroître et en vint à ce point, que le chevalier, las de la simplicitérégulière de sa vie et la trouvant insipide, éprouva un désir ardent de reparaîtredans le monde.La mauvaise étoile du chevalier reprit son influence. Ce qu’avaient commencé sonennui et son déplaisir intérieurs fut achevé par un homme pervers, qui avait étéautrefois croupier à la banque du chevalier, et celui-ci, cédant à ses perfidesinsinuations, finit par trouver sa conduite puérile et ridicule, et par s’étonner d’avoirpu sacrifier à l’amour d’une femme les plaisirs d’une existence seule digne d’envie.Peu de temps après, la banque du chevalier de Ménars réinstallée, brillait d’un plusriche éclat que jamais. Son bonheur ne s’était pas démenti ; les victimes sesuccédaient rapidement et l’or pleuvait sur le tapis et s’amoncelait sous les râteaux.Mais brisé, mais anéanti, le bonheur d’Angela avait eu le destin d’un court et beaurêve. Le chevalier ne la traitait plus qu’avec indifférence, presqu’avec mépris ! Dessemaines, des mois entiers s’écoulaient sans qu’elle le vit ; un vieux maître d’hôtelprenait soin des affaires de la maison, et les domestiques étaient incessammentremplacés suivant le caprice du chevalier ; de sorte qu’Angela, ainsi qu’uneétrangère dans sa propre maison, ne trouvait nulle part la moindre consolation.Souvent lorsqu’elle entendait dans ses nuits d’insomnie la voiture du chevaliers’arrêter devant la maison, le chevalier faire déposer la lourde cassette avec desparoles brèves et rudes, et puis la porte de sa chambre écartée se refermer avecfracas, alors un torrent de larmes amères coulait de ses yeux ; cent fois dans les
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