1 Chaque oîs que mon père décrîvaît e deux pîèces qu’î partageaît avec ma mère sur Peachtree Street, î me paraît des poîssons. Lorsqu’îs emménagèrent ensembe, îs avaîent peu d’argent pour a décoratîon. Tapîs orîentaux curîeusement tachés, bufets ayant jadîs eu ière aure et dîférentes partîes de canapés urent récupérés ors de ventes-îquîdatîons et rapportés à a maîson dans un pîck-up emprunté. L’argent dont îs dîsposaîent, donné par es parents de ma mère, îs e consacrèrent à des poîssons tropîcaux qu’îs achetèrent un beau jour d’enthousîasme romantîque. Dans ’entrée de eur appartement se trouvaît un aquarîum împosant, au verre épaîs, dans eque îs avaîent mîs des scaaîres. On passaît un rîdeau de peres quî tîntaîent, et, une oîs dans e bureau, î y avaît deux autres aquarîums. Dans e premîer, des gouramîs embrasseurs nageaîent aux côtés de mînuscues guppys beu et vert autour d’arbres en pastîque et d’une petîte igurîne de Neptune recouverte d’agues. Dans ’autre, sur e mur d’en ace, évouaîent des pîranhas d’Amérîque du Sud, à quî mes parents donnaîent de a vîande à hamburger crue chaque soîr avant de se coucher. Quand mes parents se sont rencontrés pour a premîère oîs, à une ête du SDS, et que mon père a apprîs à ma mère qu’î étaît bîsexue, ee a répondu : « Ça sîgnîie que tu peux aîmer ’humanîté entîère et pas seuement une moîtîé. » On étaît en 1968, et tout e monde paraît de révoutîon.
Chaque oîs que mon père décrîvaît e deux pîèces qu’î partageaît avec ma mère sur Peachtree Street, î me paraît des poîssons. Lorsqu’îs emménagèrent ensembe, îs avaîent peu d’argent pour a décoratîon. Tapîs orîentaux curîeusement tachés, bufets ayant jadîs eu ière aure et dîférentes partîes de canapés urent récupérés ors de ventes-îquîdatîons et rapportés à a maîson dans un pîck-up emprunté. L’argent dont îs dîspo-saîent, donné par es parents de ma mère, îs e consacrèrent à des poîssons tropîcaux qu’îs achetèrent un beau jour d’enthou-sîasme romantîque. Dans ’entrée de eur appartement se trouvaît un aquarîum împosant, au verre épaîs, dans eque îs avaîent mîs des scaaîres. On passaît un rîdeau de peres quî tîntaîent, et, une oîs dans e bureau, î y avaît deux autres aquarîums. Dans e premîer, des gouramîs embrasseurs nageaîent aux côtés de mînuscues guppys beu et vert autour d’arbres en pastîque et d’une petîte igurîne de Neptune recouverte d’agues. Dans ’autre, sur e mur d’en ace, évouaîent des pîranhas d’Amérîque du Sud, à quî mes parents donnaîent de a vîande à hamburger crue chaque soîr avant de se coucher. Quand mes parents se sont rencontrés pour a premîère oîs, à une ête du SDS, et que mon père a apprîs à ma mère qu’î étaît bîsexue, ee a répondu : « Ça sîgnîie que tu peux aîmer ’humanîté entîère et pas seuement une moîtîé.» On étaît en 1968, et tout e monde paraît de révoutîon. Mon père revenaît
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tout juste d’un été passé à Parîs ; a vîe bouîonnaît encore des révotes du moîs de maî, quand es étudîants camaîent : « Soyez réaîstes, demandez ’împossîbe ! » Maîntenant, dans es has des unîversîtés amérîcaînes, es étudîants quî s’opposaîent à a guerre duVîetnam aîsaîent ermer es campus de Berkeey et de Coumbîa. Ma mère étaît întrîguée par ’ouverture d’esprît de mon père en matîère de sexuaîté. Ee ne s’est jamaîs ormaîsée de ses béguîns pour des garçons, contraîrement aux autres petîtes amîes que mon père avaît eues. Ee étaît unîquement jaouse des reatîons qu’î pouvaît avoîr avec des emmes et, seon papa, ee aaît jusqu’à apprécîer es garçons par quî î étaît attîré. Les week-ends, îs aaîent au Cove ou dans d’autres bars gays et mîxtes dîssémînés en pérîphérîe d’Atanta. Là, ma mère choîsîssaît des jeunes hommes que mon père n’auraît jamaîs attîrés à uî tout seu – des hommes quî n’envîsageaîent pas une reatîon homosexuee, maîs quî pourraîent être partants pour une aventure à troîs acooîsée. Dans ces premîères années de a révoutîon sexuee, î étaît de bon ton chez es jeunes gens de tenter de nouvees combînaîsons. ï arrîvaît que ma mère s’habîe en homme orsqu’îs sortaîent. Papa dîsaît qu’î a trouvaît charmant garçon. Certaîns week-ends, mes parents organîsaîent des êtes à a maîson, îs recevaîent eurs amîs pacîistes et étudîants de troîsîème cyce, eur servaîent des spaghettîs, du vîn rouge bon marché et ’on jouaît à se aîre devîner des mets. Papa a écrît sa satîsactîon à a in de ces soîrées ; îs se voyaîent, uî et ma mère, comme ches de ie d’un saon d’étudîants înteectues et engagés.Tandîs qu’îs rangeaîent, un soîr, à a in d’une de ces soîrées, ma mère a suggéré qu’îs se marîent : « Les proprîétaîres d’appartements ne nous enquîquîneront pus autant, it-ee vaoîr. On pourra équîper a cuîsîne et a maîson grâce aux cadeaux de marîage. Mes parents nous donneront pus d’argent.
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À part ça, notre vîe ne changera pas vraîment.» Mon père a écrît qu’ee s’est mîse à baayer e îno, éîmé, « comme sî toutes es questîons en suspens dans notre vîe pouvaîent être rassembées dans une pee à poussîère et jetées à a poubee ». Mes parents se sont marîés e 20 évrîer 1969 dans e bureau d’un juge de paîx du centre-vîe d’Atanta. Aucun membre de a amîe ne ut învîté. Aucune photo de marîage ne ut prîse. Au début, îs ont apprécîé a nouveauté de a vîe matrîmonîae. « C’étaît comme un jeu, ou une sîtcom», a écrît mon père. Mes parents dîsaîent en paîsantant qu’î étaît comme un pîonnîer, tout de lanee vêtu, quî rentraît à a maîson après sa ongue journée de cours, pour retrouver une emme bîenveîante, quî prépa-raît à dner ou aîsaît a vaîssee pendant qu’î se consacraît au travaî sérîeux d’étudîant de matrîse et d’aspîrant écrîvaîn. Maîs, queques moîs seuement après eur marîage, eur vîe a néanmoîns changé. Leurs amîs étudîants ont prîs eurs dîstances, décîdant peut-être que maîntenant que mes parents étaîent marîés îs préé-raîent être seus. Ma mère commençaît à être agacée par a scène gay, à s’en asser, tandîs que mon père, uî, s’ennuyaît dans a vîe domestîque. ïs étaîent marîés depuîs quatre moîs quand mon père eut vent de perturbatîons dans GreenwîchVîage, à NewYork. Dans a nuît du 28 juîn 1969, une oue d’homosexues hommes et de travestîs s’opposèrent à une descente de poîce de routîne au Stonewa ïnn, un bar gay tenu par a maia, sur Chrîstopher Street. Les nuîts suîvantes, de vîoents afrontements et des manîestatîons marquèrent e début du mouvement en aveur des droîts des homosexues. ïnspîré par cet événement et par sa découverte du pérîodîque cutureGay Sunshîne, mon étaît aors présîdent dupère, quî Conseî des étudîants d’Emory, rédîgea pour e journa étudîant un artîce dans eque î aîsaît pubîquement son comîng-out, expérîence qu’î commenta par écrît utérîeurement :
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Comme j’avaîs une femme, personne ne pouvaît remettre en cause ma vîrîîté.À ’évîdence, je n’étaîs pas gay, pour cause de compexe sexue vîs-à-vîs des femmes. Assurément, cea m’a permîs de faîre mon « comîng-out » de manîère bîen pus pubîque et agressîve que je ne ’auraîs faît sînon. Et pourtant, on me ’a faît payer cher. J’aî perdu des amîs. D’après Barb, e pus dur, a-t-ee dît, ce fut a « compassîon » de ses amîes hétéros. « Comment tu peux e supporter ? » demandaîent-ees. Ees refusaîent d’accepter que ça ne ’ennuyaît pas tant que ça.
Au i des deux années suîvantes, mon père partîcîpa à ’orga-nîsatîon du Front de îbératîon gay d’Atanta, un mouvement parmî des centaînes d’autres quî vîrent e jour sur es campus amérîcaîns dans e sîage des émeutes de Stonewa. ï ut aussî nommé rédacteur spécîaîste des questîons homosexuees dans The Great Specked Bîrdtoutaternatî d’Atanta, , ’hebdomadaîre en partageant sa vîe et son ît avec sa emme. Et puîs, par une chaude soîrée du prîntemps 1970 – mes parents étaîent aors marîés depuîs un an –, ma mère entra dans e bureau où mon père étaît assîs et, avec une certaîne sévérîté et de manîère înutîe, se mît à réarranger es chaîses, à mettre en tas bîen nets es papîers étaés en désordre sur e bureau. Je ’îmagîne en chemîsîer mauve roncé et mînîjupe en veours côteé brun, quî remontaît e ong de ses jambes nues chaque oîs qu’ee se penchaît pour ramasser une euîe éparse. Mon père admîraît sa carrure compacte, émînîne et eIcace dans ses mouvements. Fînaement, après avoîr remîs d’équerre un caendrîer suspendu au mur, ee s’est campée ace à uî. Dans son journa întîme, mon père se rappeera qu’aînsî écaîrée par a umîère beu-vert des aquarîums quî es entou-raîent ma mère uî apparut comme une créature marîne. Avec son eye-îner noîr et du mascara quî mettaîent en vaeur ses grands yeux, on auraît dît une méchante sortîe d’une tanîère sous a mer.
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« Je suîs enceînte, uî annonça-t-ee. – Je croyaîs que tu avaîs un stérîet. – Je ’aî retîré.Tu ne t’en souvîens pas ? » ï ne s’en souvenaît pas.Au bout d’un moment, î a demandé : «Tu penses qu’on devraît garder e bébé ? Je ne nous voîs pas vraîment avec un bébé îcî.» ï a îndîqué d’un geste ’apparte-ment, quî semba rapetîsser autour de uî. « Je veux ce bébé. – Je ne saîs pas sî nous sommesprêts… Et puîs î y a ’aspect inancîer. Même avec ton saaîre et ’argent de ma bourse, on arrîve à peîne à joîndre es deux bouts. Je veux dîre… sî tu veux te aîre avorter, tu saîs, je seraî avec toî.» – Je veux ce bébé.» Mon père s’est sentî dans a peau de Fash Gordon, attaché sur une chaîse dans es proondeurs sous-marînes. ï a eu soudaîn très chaud, et du ma à respîrer. ï a scruté a pîèce à a recherche d’une échappatoîre. Maîs a sîrène peride a aît rétîer sa angue de serpent et réîtéré sa demande : Je veux ce bébé.
Cînq ans pus tôt, en hîver, durant sa premîère année unîver-sîtaîre, ma mère avaît obtenu du Smîth Coege une autorîsatîon d’absence et avaît emménagé à a Chander House, une cînîque d’accouchement pour jeunes ies enceîntes, à Evanston, dans ’ïînoîs, à troîs heures de voîture de chez mes parents, en dîrectîon du nord-est. Ce ut une pérîode dîIcîe. Mes grands-parents irent de nombreux eforts pour que a grossesse de ma mère demeure un secret, car, dans eur petîte bourgade du Mîdwest, cea auraît jeté ’opprobre sur a amîe. Ma mère ut admîse au oyer de jeunes ies sous un aux nom et ne revînt auprès de ses parents qu’après avoîr accouché de son bébé. Les regîstres du oyer îndîquent que ma mère étaît soîtaîre ; souvent, ee îsaît ou se promenaît par tous es temps sur es bords du ac
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Mîchîgan. Après a naîssance de sa ie, en maî 1965, ee sîgna es papîers par esques ee donnaît son enant à des gens qu’ee ne rencontreraît jamaîs. Durant es cînq moîs de son séjour au oyer, ma mère appea ma grand-mère presque chaque soîr. Mon once Davîd, quî avaît aors dîx ans, se souvîent avoîr décroché e combîné et entendu ma mère peurer. Les chambres étaîent à peîne chaufées, se paîgnaît-ee auprès de ma grand-mère. La dîrectrîce étaît brutae. Après cea, ma mère dormîraît chaque hîver avec une couverture chaufante verte d’une texture douce maîs granu-euse. Ma mère détestaît avoîr roîd, m’a conié mon père. Donc, en cette soîrée du prîntemps 1970, ma mère décara à mon père qu’ee vouaît me garder. Peut-être pensaît-ee que e aît d’avoîr un bébé changeraît mon père, e transormeraît en un marî pus attentîonné, ou bîen uî eraît oubîer son jeune amant, John Dae. Dans son journa întîme, papa se souvenaît qu’ee uî avaît dît que, s’î vouaît partîr, î e pouvaît. J’îmagîne eur conversatîon, papa croîsant et décroîsant es jambes, aîsant tomber a cendre de sa cîgarette dans une oreîe de mer quî servaît de cendrîer, sans pîper mot. Ee a u de ’hésîta-tîon et de a peur sur son vîsage, puîs uî a proposé un compromîs. « Sî j’aî ce bébé et que c’est trop pour toî, tu pourras t’en aer. Je ne te courraî pas après.Tu n’auras même pas à payer de pensîon aîmentaîre. J’en prendraî ’entîère responsabîîté.» Ma mère a înspîré proondément, puîs expîré. Ee a écarquîé ses yeux bruns avant de es pîsser en regardant ixement mon père.Assîs à côté d’ee, quî se tenaît debout, î a eu ’împressîon d’être un petît garçon. ï n’avaît aucun argument à aîre vaoîr. « Nous sommes marîés, écrîvît-î dans son journa. Ee est îbre d’être ee-même. En que honneur ’en empêcheraîs-je ? »
La nuît de ma naîssance, John Dae m’a dît que a puîe tombaît déîcatement dans es rues bordées de patanes devant
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’hôpîta de ’unîversîté Emory. ï attendaît avec mon père dans un couoîr de a maternîté. Mon père umaît une cîgarette et paraît avec nervosîté en attendant a naîssance de son enant. « Paroîs, je me surprends à vouoîr que ce soît un garçon, et je me demande ensuîte pourquoî je veux ça.» Mon père a croîsé a jambe droîte par-dessus a gauche, et son pîed baant étaît agîté d’un mouvement ébrîe. « Est-ce parce que… j’aî étécondî-tîonné? Ou bîen parce que j’aî besoîn depour vouoîr un garçon voîr une versîon de moî-même dans ce bébé ? » John a haussé es épaues, en se endant d’un sourîre pâe. ïs ont contînué à parer jusqu’à ce qu’une înirmîère apparaîsse dans ’encadre-ment d’une petîte porte. « Monsîeur Abbott ?Votre emme vîent de donner naîssance à une petîte ie en bonne santé. Ee se repose pour ’înstant, maîs vous pouvez voîr e bébé par a vître de a nursery de ’aîe sud, juste au bout du couoîr.» Mon père est venu se coer à a vître de a nursery, sî près qu’î y a eu de a buée. ï a scruté es nombreux vîsages à a recherche du mîen. Dans une ettre qu’î m’adressa utérîeurement, î décrîvît tous es nouveau-nés comme « autant de ruîts sur un étaage ». Quand î a trouvé e bébé correspondant à a iche «Abbott », î a étudîé es traîts de mon vîsage en se demandant sî je seraîs comme Angea Davîs, ’actîvîste des Back Panthers ameuse pour sa coupe aro, e poîng brandî en ’aîr au trîbuna. « Mon espoîr, écrîvît-î, étaît que tu prennes e monde par es oreîes et que tu poursuîves a révoutîon pour “Le Bîen”.» Maîs on ne m’a pas prénommée Angea. Mes parents vouaîent un prénom composé, « comme une vraîe beauté du Sud, expî-queraît pus tard mon père, du genre Peggy-Sue ou Betty-Joe ». Après avoîr compusé des îvres de prénoms à a maternîté, mes parents ont opté pour Aysîa-Rebeccah, quî sîgnîie « captîvante concîîatrîce ». ïs utîîseraîent ’abrévîatîon A-R. Pus tard, dans sa chambre de a maternîté, ma mère étaît aongée, me tenant contre sa poîtrîne. Tout son corps étaît
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dououreux. En voyant mon père, ee a sourî et m’a pacée dans ses bras. J’étaîs pus petîte que ce à quoî î s’attendaît. ï ne savaît pas me tenîr, et ma mère a rî et uî a montré comment aîre. Mon père a dît que je me tortîaîs dans sa maîn comme un petît reptîe et que j’aî ensuîte aît pîpî sur son bras. ï étaît aux anges.
DIMANCHE Aysîa – 1 œuf, 1 petît pot céréaes. 2 morceaux de paîn. Un petît pot compote. Barbara – 1 tartîne beurrée – jus de fruîts. Steve – 2 tartînes + coniture.
Steve – 3 tranches de bacon – 2 œufs. 4 tartînes. 1 verre de jus de fruîts. Barbara – 1 tartîne – fromage. Marshmaow. Jus de fruîts. Une poîgnée de noîx, noîsettes et fruîts secs. Aysîa – 6 cuîères à café de yaourt. ¼ petît pot pruneau. 1 marshmaow.
Ce message constîtue une surprîse au mîîeu du carnet de mon père daté de 1971. C’est a seue trace de ’écrîture de ma mère. Contraîrement aux pattes de mouches paternees, son écrîture à ee est soîgnée et contrôée, penchée à droîte, vers ’avenîr. Ee écrît avec un styo-eutre beu à poînte ine. Peut-être a sîtuatîon inancîère est-ee déîcate. Peut-être s’înquîète-t-ee de notre ratîon aîmentaîre quotîdîenne. C’est d’une maîn soucîeuse, d’une maîn maternee aîmante qu’ee dresse a îste des repas de a journée. La semaîne précédente, mon père avaît perdu son poste au Centre pour maades et arrîérés mentaux d’Atanta – un bouot que ma mère ’avaît aîdé à décrocher. Sî bîen que durant cette pérîode, pendant que ma mère poursuîvaît sa matrîse de psychoogîe en travaîant tous es jours au centre médîco-socîa, mon père s’empoyaît à vendre ses bandes dessînées à des
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journaux underground. ï restaît égaement à a maîson avec sa iette âgée de dîx-huît moîs, jouant e rôe révoutîonnaîre d’homme au oyer. Chaque jour, après avoîr passé des coups de i et envoyé des ettres exposant ses projets d’écrîture, papa me mettaît dans une poussette et me promenaît au Luwater Park. D’un petît sac en papîer, î sortaît des morceaux de paîn rassîs qu’î rompaît et me donnaît ain que je es ance aux canards. J’adoraîs regarder es canards aîre coîn-coîn et s’écabousser tout en bataîant pour ne pas manquer une mîette. Pour des raîsons d’argent, ma mère et mon père ont înstaé eur aquarîum dans un appartement pus grand, qu’îs parta-geaîent avec un coocataîre, un étudîant pacîiste quî s’appeaît Bî. En revenant du travaî un après-mîdî, ma mère a trouvé mon père en compagnîe de Bî et de ses amîs Jef et Phoenîx sur e canapé pendant que je jouaîs sur e tapîs orîenta avec une gîrae rose quî aîsaît de a musîque quand on a remontaît. Ma mère a annoncé qu’ee éprouvaît « d’întenses sentîments d’amour pour tout e monde ». Mon père m’a raconté qu’ee se paîsaît à îmagîner chacun comme aîsant partîe d’une grande amîe. Ma mère m’a prîse dans ses bras puîs m’a assîse sur e canapé tandîs que mon père, înterrompu par son arrîvée, reprenaît sa dîscussîon surMort de a famîe, de Davîd Cooper. « Cooper montre que a amîe en tant qu’înstîtutîon génère une vîoence subtîe vîsant à détruîre ’îndîvîdu.» La sonnerîe du tééphone a de nouveau suspendu eur conversatîon. Mon père a décroché. « C’est John ! » ï a emporté e tééphone dans a pîèce d’à côté maîs, magré sa voîx basse, ma mère pouvaît entendre à travers es portes-enêtres combîen î étaît excîté. John rendaît vîsîte à sa amîe à St. Louîs pendant ’été. « Comment va Aysîa ? a demandé John.
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– Super bîen. On communîque par téépathîe. C’est, genre, je saîs sur quoî ee est branchée même quand ee ne dît pas un mot. Barbara pense que je a “négîge”. Maîs je pense que A-R sent a sécurîté d’un amour proond avec moî.» John uî a annoncé qu’î vîendraît de St. Louîs pour e week-end et mon père a eu toutes es peînes du monde à contenîr sa joîe. «Vraîment ?Vendredî ? » Ma mère m’a prîse de nouveau dans ses bras et a quîtté a pîèce en tapant des pîeds. Papa s’est sentî gêné, e tééphone coîncé sous e menton comme pour se protéger. « Ee aît une scène dans a chambre d’Aysîa. ï aut que je raccroche.» Jef et Phoenîx avaîent trîppé à a mescaîne pendant tout ’après-mîdî. Ma mère es a raccompagnés en voîture chez eux pendant que mon père me gardaît en pîcorant des asagnes dans a cuîsîne. Ee est revenue vîngt mînutes pus tard et a ondu en armes, du mascara noîr dégouînaît sur son vîsage. « Pourquoî aut-î que tu débatères comme ça sur es méaîts de a amîe ? Sî on te pose probème, dîs-e-nous. – Ta réactîon ne aît que conirmer ce que je dîsaîs ! La struc-ture amîîae est corrosîve. Ee aîmente a paranoa et ’hostîîté. – Bouce-a sur ce sujet, tu veux bîen ? ’a-t-ee coupé. Ça t’arrîve, des oîs, de songer à mûrîr ? – Est-ce que je t’aî déjà rendue heureuse ? Est-ce qu’î t’est déjà arrîvé d’être peînement satîsaîte grâce à moî ? » En s’enten-dant commencer à crîer, mon père a essayé de se camer. « Ou… en supposant que je soîs tout ce que tu voudraîs que je soîs ? Eh bîen, tu seraîs quand même maheureuse.Tu es peut-être e genre de personne quî en veut toujours davantage.» Ma mère s’est remîse à peurer et est aée se réugîer à ’autre bout de a maîson en me tenant dans ses bras. Mon père ’a suîvîe. « Ça chaufe trop par îcî, a-t-î dît. Je pense qu’î seraît préérabe pour ’un et ’autre que je m’en aîe un moment.
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J’aî dîscuté avec Larry ’autre jour. ï a de quoî crécher à Frîsco et î m’a învîté. Je croîs que je vaîs accepter son învîtatîon.»
En janvîer 1973, mon père m’a envoyé une ettre îustrée :
Ce que faît papa Les pîeds de papa sont grands. Les pîeds d’Aysîa sont petîts. Aujourd’huî papa a prîs ses pîeds pour se promener dans e parc. En chemîn, papa a paré aux leurs. « Saut, Feurs.» Papa a vu un chîen-chîen. Le chîen-chîen a aboyé et remué a queue. «Wouf ! Wouf ! » Maîs papa pense à Aysîa et maman. Quand Aysîa sera endormîe, papa uî fera un gros bîsou. Bîentôt papa montera dans sa voîture et vîendra à a maîson. Ensuîte papa pourra rejouer avec Aysîa. « Saut, Bébé.» «Youp à ! » Aors on retournera voîr es canards.Aysîa pourra donner à manger aux canards. « Coîn, coîn ! »
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Quand Aysîa sera endormîe, papa uî fera un gros bîsou– détaî d’une ettre de Steve Abbott [1973]