Sens et absence dans les calligrammes d Apollinaire - article ; n°1 ; vol.47, pg 455-470
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1995 - Volume 47 - Numéro 1 - Pages 455-470
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 57
Langue Français

Extrait

Willard Bohn
Sens et absence dans les calligrammes d'Apollinaire
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1995, N°47. pp. 455-470.
Citer ce document / Cite this document :
Bohn Willard. Sens et absence dans les calligrammes d'Apollinaire. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1995, N°47. pp. 455-470.
doi : 10.3406/caief.1995.1888
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1995_num_47_1_1888ET ABSENCE DANS LES SENS
CALLIGRAMMES D'APOLLINAIRE
Communication de M. Willard BOHN
(Illinois State University)
au XLVIe Congrès de l'Association, le 21 juillet 1994
Les observations qui suivent prennent la forme d'une
méditation et d'une médiation. Si d'une part elles cher
chent à éclairer les procédés qui caractérisent la poésie
visuelle, d'autre part elles essaient de jeter un pont entre
deux catégories, entre deux façons de penser, opposées.
Le terme « absence » qui figure dans le titre ne se réfère
pas à un manque physique, à un objet ou une personne
qui fait défaut, par exemple, mais à l'absence de sens
qui, paradoxalement, semble être une des conditions
fondamentales de l'écriture. Quoique la communication
et la représentation linguistiques se fondent sur l'habileté
de l'auteur à transmettre de l'information au lecteur, et
sur l'habileté de ce dernier à la comprendre, ce qui
n'est pas énoncé est aussi important que ce qui l'est.
Puisque la signification dépend d'un système différentiel,
comme Ferdinand de Saussure l'a démontré et comme
Jacques Derrida continue à le dire, la présence de sens
implique son absence et réciproquement. De nécessité,
sens et « ab-sens » coexistent, s'affirment et s'interpéné
trent en même temps qu'ils s'annulent l'un l'autre.
Comme les mots, Saussure y insiste, les concepts sont 456 WILLARD BOHN
définis «non pas positivement par leur contenu, mais
négativement par leurs rapports avec les autres termes
du système. Leur plus exacte caractéristique est d'être
ce que les autres ne sont pas» (1).
D'où il s'ensuit que, pareil au péché, la signification
peut résulter soit d'un acte, soit d'une omission. Dans
la discussion suivante je voudrais examiner les stratégies
développées par Apollinaire et par le lecteur, en vue
d'arracher du sens d'un univers sémantique qui est su
rdéterminé (ou sous-déterminé). Je voudrais considérer
également les limites naturelles ou culturelles qui inter
disent à Apollinaire d'éviter la polysémie, l'ambiguïté
et l'indétermination. Mon investigation s'occupera de
trois domaines en particulier: le signe visuel, le texte
verbal et la réponse qu'ils engendrent chez le lecteur.
Un moyen d'éclaircir la fonction du signe visuel est
de l'approcher d'une perspective linguistique. Ainsi que
Saussure l'a constaté il y a longtemps, le rapport qui
existe entre un mot et l'objet qu'il désigne est complète
ment arbitraire. La raison que le mot «cheval» dénote
l'animal que l'on connaît — pour reprendre un exemple
fourni par Saussure — dépend entièrement des convent
ions adoptées par un groupe spécifique (en l'espèce,
les Français). La dichotomie fondamentale entre mot
et concept illustre l'aspect arbitraire du signe linguisti
que. La signification verbale est avant tout un phéno
mène social. C'est-à-dire que, selon le contexte social,
chaque signifiant possède au moins un signifié constant
qui est basé sur l'expérience commune. D'où l'on peut
(1) Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique, éd. Rudolf Engler, Wies
baden, Harrassowitz, 1967, p. 262. Voir aussi Jacques Dernda, Positions,
Pans, Minuit, 1972. LES CALLIGRAMMES D'APOLLINAIRE 457
déduire une des propriétés du signe linguistique — la
spécificité. Dans le cas du mot «cheval», la plupart des
gens seraient sans doute d'accord avec la définition pro
posée par le Petit Robert : « Grand mammifère à crinière,
plus grand que l'âne, domestiqué par l'homme comme
animal de trait et de transport ». Le problème avec cette
définition, c'est qu'elle est manifestement incomplète.
Pourquoi a-t-on choisi de signaler la crinière du cheval,
par exemple, au lieu de sa queue ou de ses sabots? Ne
faut-il pas ajouter que l'animal a quatre pieds et qu'il
court rapidement? N'y-a-t-il pas des chevaux sauvages
aussi bien que domestiqués? Plus on examine cette dé
finition, plus elle semble manquer de précision. La ver
sion zoologique est encore moins satisfaisante : « Mamm
ifère ongulé solipède».
Dirigeons notre attention vers un autre objet, donc,
et essayons de créer notre propre définition. Rien de
plus simple en apparence que la phrase choisie par
Saussure pour illustrer la notion de complément direct :
«je cueille une fleur». Mais cette fleur, à quelles épreuves
devrait-on la mettre pour vérifier son identité? Voici la
définition que je propose, qui cette fois profite de la
métaphore: la fleur est une sorte d'ornement coloré et
parfumé dont les plantes se parent pour attirer les
abeilles et pour garantir ainsi la propagation de l'espèce.
Comme auparavant, cependant, cette description néglige
de nombreux détails. La version du Petit Robert laisse
beaucoup plus à désirer : « Production colorée, souvent
odorante, de certains végétaux ». La définition botanique
n'est guère plus révélatrice : « Partie des plantes phané
rogames qui porte les organes reproducteurs ». Décidé
ment, le langage scientifique offre peu d'avantages.
Comme ces exemples le montrent clairement, il est
très difficile de trouver une définition satisfaisante. On
commence à comprendre l'attitude de Saussure, qui r
emarque que «toute définition faite à propos d'un mot 458 WILLARD BOHN
est vaine» (2). Dans les deux cas, la recherche de la
précision produit un portrait abstrait. D'où l'on peut
déduire une deuxième propriété du signe linguistique:
l'ambiguïté. Ainsi, le rapport entre un mot et l'objet
qu'il désigne se révèle être plutôt décevant. Si d'une
part le lien entre signifiant et signifié est tenace, d'autre
part, et en même temps, il est extrêmement fragile.
Dans Le Monde comme volonté et comme représentat
ion, Schopenhauer loue l'aspect abstrait des mots parce
que cette qualité permet au lecteur de fournir les détails
concrets qui manquent en utilisant son imagination,
d'après son expérience personnelle et sa connaissance
du sujet. En extrapolant, il finit par définir la littérature
comme «l'art d'évoquer l'imagination par le moyen des
mots » (3). A son avis, la capacité du texte pour absorber
un sens imposé du dehors explique le fait que « la litt
érature produit un effet plus fort, plus profond, plus
universel que la peinture ou la sculpture ».
Quoi qu'il en soit, il apparaît que la communication
linguistique est étroitement liée à l'abstraction. Rudolf
Arnheim explique que le vide au centre de chaque
concept facilite des déclarations qui n'impliquent que
les caractéristiques, peu nombreuses, sur lesquelles l'i
nterlocuteur et l'auditeur s'accordent: «Ainsi, la langue
convient à un trait important de la pensée humaine;
nous tendons à ne pas spécifier et différencier hors du
degré exigé par la situation. Ou, en d'autre termes,
nous faisons nos concepts, nos intentions, etc. aussi
abstraits que les circonstances le permettent» (4). Arn
heim est persuadé que la langue est gouvernée par un
mécanisme qui permet à l'interlocuteur — ou à l'écrivain
(2) Ibid., p. 41.
(3) Arthur Schopenhaueur, The World as Will and Representation, tr. E.
F.J Payne, New York, Dover, 1966, vol 2, p. 424.
(4) Rudolf Arnheim, Toward a Psychology of Art: Collected Essays, Ber
keley, University of California Press, 1966, p. 267. LES CALLIGRAMMES D'APOLLINAIRE 459
— d'économiser ses paroles, ce qu'il nomme «la loi de
parcimonie». Selon lui, les auteurs modernes sont ex
posés à

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