Un psy dans la cité
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Description

Un psy dans la cité Jalil Bennani (extraits) Editions la Croisée des chemins 2013/2014 Prix Grand Atlas 2013 Le patient, l'inconscient et le social Ahmed et Amraoui : Comment voyez-vous l’extension de la psychanalyse au Maroc ? Jalil Bennani : À ce jour, on peut dire que plusieurs facteurs ont rendu possibles l’existence puis l’extension de la psychanalyse au Maroc. La présence d’une pratique analytique depuis les années cinquante, l’introduction de la psychanalyse au sein de la pratique psychiatrique, la fondation d’associations et de groupes psychanalytiques au cours des dernières années, attestent de cette existence. La dernière décennie a connu une ouverture démocratique, un élargissement de la liberté de parole, des changements au niveau du statut de la femme. On sait que ces années ont constitué, au Maroc, une étape importante à travers certaines avancées sociales. Il faut également mentionner l’importance du plurilinguisme (arabe, berbère, français, anglais et espagnol) au sein de la société. Tous ces facteurs ont contribué à une ouverture des discours, une levée de tabous et l’émergence d’une parole individuelle […] (p. 15) Au vu des situations connues au Maroc et dans d’autres pays arabes et musulmans, avec des phénomènes tels que le charlatanisme, l’instrumentalisation du religieux, considérez-vous que la psychanalyse puisse entraîner une adhésion des individus ?

Informations

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Publié le 04 juillet 2014
Nombre de lectures 434
Langue Français

Extrait

Un psy dans la cité
Jalil Bennani
(extraits)
Editions la Croisée des chemins 2013/2014
Prix Grand Atlas 2013

Le patient, l'inconscient et le social

Ahmed et Amraoui : Comment voyez-vous l’extension de la psychanalyse au
Maroc ?
Jalil Bennani : À ce jour, on peut dire que plusieurs facteurs ont rendu possibles
l’existence puis l’extension de la psychanalyse au Maroc. La présence d’une pratique
analytique depuis les années cinquante, l’introduction de la psychanalyse au sein de la
pratique psychiatrique, la fondation d’associations et de groupes psychanalytiques au
cours des dernières années, attestent de cette existence. La dernière décennie a connu une
ouverture démocratique, un élargissement de la liberté de parole, des changements au
niveau du statut de la femme. On sait que ces années ont constitué, au Maroc, une étape
importante à travers certaines avancées sociales. Il faut également mentionner
l’importance du plurilinguisme (arabe, berbère, français, anglais et espagnol) au sein de la
société. Tous ces facteurs ont contribué à une ouverture des discours, une levée de tabous
et l’émergence d’une parole individuelle […] (p. 15)
Au vu des situations connues au Maroc et dans d’autres pays arabes et musulmans,
avec des phénomènes tels que le charlatanisme, l’instrumentalisation du religieux,
considérez-vous que la psychanalyse puisse entraîner une adhésion des individus ?
La psychologie individuelle et la psychologie collective sont étroitement associées,
du fait des rapports du langage avec l’inconscient. Il s’agit en quelque sorte d’un «
inconscient social ». La pratique du psychanalyste concerne l’individu et non la masse. Par
les changements qui peuvent s’opérer en lui, un individu peut avoir une influence sur son
groupe, sa famille ou son entourage. À défaut de pouvoir changer les autres, il peut au
moins changer le rapport qu’il entretient avec son entourage. La psychanalyse cohabite
avec la liberté de penser.
Avec le charlatanisme, nous assistons au voile de la conscience et au frein de la
pensée. Lorsqu’un individu souffrant s’adresse à un guérisseur prétendant détenir ses
secrets, celui-ci le dispense de penser et lui fournit des solutions toutes prêtes qui mettent
le charlatan en position de vérité et de pouvoir. Il en vient ainsi à servir ses intérêts
2 personnels, à installer ses adeptes dans l’obscurantisme et l’aliénation. Pour le
psychanalyste, le recours à des explications faisant appel à des forces obscures ne peut pas
dispenser le patient de s’interroger sur ses implications personnelles dans le
déclenchement de ses symptômes.
Dans le cas de la foule, lorsqu’elle concerne le religieux instrumentalisé en
idéologie, le leader est mis en position de chef vis-à-vis duquel les individus s’identifient.
Ils sont comme dans un état d’hypnose, évitant de penser ou de remettre en question quoi
que ce soit. Ce qui se joue inconsciemment chez un individu produit des effets dans le
collectif. (p. 16-17)
Qu’en est-il de la pensée irrationnelle ? Sa propagation a-t-elle un effet sur la
situation de la psychanalyse au Maroc ?
La pensée irrationnelle a la vie longue. Elle concerne fréquemment les superstitions,
l’interprétation des signes, le recours à la magie et à la sorcellerie. Elle traduit des peurs
profondes qui se rapportent généralement à la maladie et à la mort. Les procédés pour
conjurer les mauvais sorts ne manquent pas : évitement du mauvais œil (aïn), protection
par le chiffre cinq (khamsa), utilisation de talismans (herz), sur lesquels sont inscrits des
signes auxquels on attribue des vertus magiques de protection et de pouvoir. Les écritures
sont censées protéger leur porteur du mauvais œil et des maladies. Cette pensée
irrationnelle a sa propre logique : les phénomènes vécus, ressentis ou redoutés, sont
attribués à des forces obscures, extérieures au sujet et s’inscrivent dans un monde de
signes, d’influences surnaturelles et cosmiques. Bien que les thérapies modernes se soient
développées, bien que la science médicale ait largement pris place dans la société, ces
croyances et ces pratiques demeurent très présentes au Maroc. La psychanalyse s’inscrit
dans une pensée rationnelle : le trouble est en soi et peut être projeté sur les autres. La
psychanalyse n’est pas la pensée magique et ces pratiques s’opposent donc à elles. Mais
lorsque le sujet porteur de croyances en vient à s’interroger sur ce qui lui arrive, de
manière subjective, alors la psychanalyse peut questionner ses croyances et les intégrer
dans son histoire. La psychanalyse soutient des positions inverses de celles de la pensée
irrationnelle en libérant le sujet des identifications à des représentations qui véhiculent des
illusions collectives […] (p. 17-18)


3 Le psychanalyste dans la cité

Je voudrais savoir quelle est la relation des Marocains avec les troubles psychiques.
Est-ce que la psychanalyse a pris place parmi les autres traitements ?
Les Marocains sont de plus en plus ouverts aux traitements modernes. Autrefois, la
consultation chez le psychiatre était taboue. Tout au plus parlait-on d’aller voir le
psychologue. Cette tendance existe toujours, mais de façon bien moindre. Les personnes
souffrant de troubles psychiques, de conflits ou de simples symptômes hésitent beaucoup
moins à consulter un spécialiste. L’entourage peut jouer un rôle pour conseiller un suivi
psychiatrique, psychologique ou psychanalytique. Mais il peut aussi freiner cette
démarche […] (p. 39)
Quels sont les traitements traditionnels les plus répandus et quelles raisons font
qu’ils le sont, en dépit de la place prise par les traitements modernes au Maroc ?
Les gens fréquentent souvent les marabouts (sadates), les hommes de religion
(fouqaha), les voyantes (chouafat), les guérisseurs et les charlatans. Ces derniers exploitent
souvent la misère et l’ignorance des personnes qui sollicitent leurs services. Les sadates et
fouqaha font partie de la mémoire de notre culture et de notre patrimoine culturel.
Consulter un siyed ou un fqih relève d’une démarche culturelle spontanée et se rattache
aux croyances. Ces pratiques existent depuis le fond des âges et la médecine moderne
ainsi que la psychanalyse ne les concurrencent pas. Les mêmes demandes peuvent être
adressées aux uns et aux autres, mais la réponse n’est pas la même. Quant au phénomène
de la voyance, ses acteurs se multiplient de façon tout à fait nouvelle. Certains affirment
tenir leur don de la présence d’un jinn qui les pousse à faire ce métier et qui se trouverait
derrière leurs prédictions. D’autres s’improvisent pour répondre de manière facile et
mercantile aux angoisses de leurs adeptes. Devant l’angoisse de l’avenir, l’insécurité
matérielle ou l’attente du bien-aimé, des faiseurs de songes viennent alimenter les espoirs,
ou au contraire prononcer des verdicts qui obscurcissent la pensée de ceux qui fondent en
eux leurs croyances. (p. 40)
[…]

4 La famille, ses liens et ses ruptures

Les enfants dits de «classes favorisées» marocaines s’éloignent-ils des valeurs
traditionnelles ou est-ce un symbole parmi d’autres de l’ouverture aux autres cultures ?
Pourquoi, à votre avis, les fêtes religieuses marocaines n’ont-elles plus la même valeur que
par le passé ? Pourquoi ces enfants aiment-ils aujourd’hui fêter Noël, la Saint-Sylvestre,
Halloween ?
Les valeurs traditionnelles sont en train de vaciller, et non seulement les fêtes. Les
tabous tombent, l’autorité traditionnelle est remise en question. Nous assistons à travers les
mutations sociales à une transformation et même, dans certains cas, à la dissolution des
groupes traditionnels. Avec l’émergence de la notion d’individu, le groupe se recompose.
D’où la difficulté de certains groupes à se reconstruire. Comme s’il fallait inventer de
nouveaux modèles. Certains éprouvent, de ce fait, des difficultés à leur équilibre.
Comment peut-on penser que, dans ce contexte, les fêtes gardent la même valeur
qu’autrefois ? Les fêtes sont l’expression de rituels, de communion, de joies, de plaisirs,
d’échanges et de partages. Lorsque le con

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