Ce livre raconte la contribution exceptionnelle des Vilmorin à l’amélioration des plantes comestibles et d’ornement. Il s’appuie sur la richesse de cet herbier dont les planches ont, pour la première fois, été photographiées. Sa parution coïncide avec le 200e anniversaire de l’installation de la famille de Vilmorin à Verrières-le-Buisson et avec le 10e anniversaire de son classement Monument historique.
Dans le village de Verrières-le-Buisson, en Essonne, sur des terres qui ont accueilli nombres d’illustres Familles, à mi-chemin entre Paris et Versailles, relié à Paris par la Bièvre, une poignée d’hommes ont œuvré pour sauver l’incroyable herbier consti-tué par la Famille Vilmorin, célèbre dans le monde entier pour avoir inventé le commerce scientifique des graines avant la Révolution Française, puis pour avoir découvert comment améliorer les plantes destinées à l’agriculture, au maraîchage et à l’orne-ment des jardins pendant près de 200 ans. e À la fin du XX siècle, l’herbier, devenu orphelin, est en attente d’un placement hypothétique. Il est finalement adopté par la commune de Verrières-le-Buisson qui le Fait classer Monument historique pour sa valeur à la Fois botanique, historique et agronomique. Ainsi l’herbier privé est aujourd’hui un bien commun. Il rassemble des plantes collec-tées dans la nature par de nombreux botanistes avec lesquels la Famille Vilmorin était en contact ou qui travaillèrent directement dans l’entreprise. Il contient des documents exceptionnels, comme cet herbier dédié à la mémoire de Parmen-tier et de nombreuses plantes issues d’espèces botaniques utiles pour l’homme, qui témoignent du travail patient, exigeant et créatiF ayant permis d’adapter ou de créer des céréales productives, des légumes nouveaux, des fleurs dont les Formes et les couleurs ravissaient les jurys des concours d’horticulture. L’herbier Vilmorin montre aussi le talent de cette Famille pour la communication et l’organisa-tion d’événements extraordinaires, qu’il s’agisse des expositions universelles de 1889 et 1900 ou des
peintures de plantes potagères ou de fleurs com-mandées à des artistes pour valoriser les produc-tions de la maison Vilmorin-Andrieux. Ce patrimoine est d’un maniement Fragile. Près de dix ans après le classement de l’herbier comme Monument historique (en 2006), les planches les plus intéressantes d’un point de vue scientifique ou patrimonial sont en cours de sélection pour être numérisées par le Muséum national d’histoire natu-relle. Une Fois achevé, ce travail laborieux permet-tra une nouvelle lecture de l’œuvre des Vilmorin. Dans ce contexte, raconter cet herbier était une entreprise délicate car il n’était pas possible d’embrasser toutes les plantes qui le composent. Chaque planche, chaque plante racontent une his-toire diférente et participent à la compréhension de l’ensemble. Les archives des sociétés savantes, la presse horticole, les interviews, les recherches diverses et les plantes efectivement présentes dans l’herbier ont guidé une lecture Forcément incom-plète de ce monument végétal exceptionnel. Comme des archéologues avant un chantier d’aménagement, il nous Fallait photographier les plantes avant qu’elles ne soient rangées dans leur papier aseptisé, avant qu’elles ne soient mises en caisse pour la numérisation, avant leur entrée dans le grand herbier numérique du monde. Car au-delà de l’émotion que suscitent en nous ces Frêles tiges, ces couleurs délavées, cette matière sèche et pourtant si vivante, l’herbier Vilmorin nous plonge dans l’âge d’or de l’horticulture Fran-çaise. On y croise ses acteurs et on y découvre leur méthode de travail et leur passion. Les scanners sauront-ils préserver cette intégrité ?
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Dans les années soixante, les cultures s’étendent sur 100 hectares entre Verrières-le-Buisson et Massy-Palaiseau. Un trésor Foncier pour les promoteurs.
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L’herbier sauvé xJX
En 1815, Philippe-André de Vilmorin achète à Verrières le château et le parc que la famille Vilmorin habite encore aujourd’hui. C’est à cette époque, entre 1815 et 1820, que fut plantée dans le parc une riche collection d’arbres encore étudiés pour leur acclimatation ! Nombre d’exemplaires existent toujours, qui constituent une véritable richesse historique. Parallèlement furent entrepris à Verrières les tout premiers travaux de sélection de la betterave à sucre, puis ceux sur les blés et les plantes légumières et florales. Depuis, les services de recherche des établissements Vilmorin ont participé activement à l’amélioration des espèces végétales. Mais en 1966, une page se tourne avec le départ de Verrières de cette grande maison de semences.
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Roger de Vilmorin a récolté cette scorsonère à Feuilles poilues (Scorzonera hirsuta) sur la montagne d’Alaric dans les Corbières, er le 1 juin 1952.
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La ruîne-de-Rome, orîgînaîre de la Médîterranée (Cymbalaria muralis)et cultîée à verrîères-le-Buîsson alors que Roger de vîlmorîn étaît responsable de la recerce au seîn de l’entreprîse.
Classer pour écrire l’histoire des plantes @%+52
Roger de Vilmorin va consacrer plusieurs années à mettre de l’ordre dans les dizaines de milliers de planches botaniques rapportées de Verrières-le-Buisson, et accumulées par l’un des premiers éta-blissements agro-industriels à rayonnement inter-national. Chaque génération a ajouté ses dossiers à ceux de la génération précédente, si bien que les plantes séchées d’une même espèce sont éparpil-lées dans des pochettesdîférentes. Dans d’autres pocettes, à tître de comparaîson, plusîeurs espèces dîférentes sont rassemblées. Plantes sau-ages et plantes cultîées sont mélangées. Son objectî est d’extraîre de cette masse de papîer et de égétaux secs les plances purement botanîques afin de les ranger selon les règles de la taxînomîe (du grectaxisetpour « classement » nomosquî permettent à tous les bota-pour « loî ») nîstes à traers le monde de se comprendre quand îls parlent de plantes. À partîr du système bînomînal établî par Carl on Lînné en 1753, les naturalîstes ont commencé à mettre en œure des pratîques afin que caque espèce n’aît qu’un seul nom alable et que des espèces dîférentes ne puîssent pas porter le même nom. Le Congrès înternatîonal de botanîque de vîenne en 1904 accou-ca dans la douleur d’un code de nomenclature bota-nîque auquel les botanîstes amérîcaîns ne oulurent pas s’assocîer. ïl allut attendre 1947 pour qu’un « code jurîdîque » admîs par tous se mette en place, permettant d’appréender et de résoudre les pro-blèmes lîés à l’îdentîté des plantes. Depuîs cette date, pour être alablement nommée, une nouelle espèce
doît aîre objet d’une descrîptîon en latîn précîsant sa place dans l’arbre généalogîque des plantes, com-portant le bînôme coîsî (genre et épîtète en latîn) et cîtant un écantîllon-type conseré dans un er-bîer oicîellement répertorîé. Cette dîscîplîne que l’on nomme la « systéma-tîque » a éolué au cours du temps. Jusqu’à la fin du e XVIII sîècle, elle a ondé ses règles sur l’îdée que la Terre porte un nombre finî d’espèces qu’îl conîent d’înentorîer et de classer en onctîon de leur mor-pologîe, c’est-à-dîre leurs caractères apparents. Parmî ces caractères, le sexe a joué à cette époque un rôle détermînant. Les espèces sont regroupées au seîn du genre et les genres au seîn des amîlles. Au e XIX sîècle, la découerte de la arîabîlîté du monde égétal bat en brèce cette îdée ermement établîe par Arîstote selon laquelle les espèces sont fixes. La téorîe du transormîsme déeloppée par Lamarck dès 1800, puîs celle de l’éolutîon des espèces par Darwîn à partîr de 1860, ont basculer les onde-ments de la systématîque. Dès lors, îl ne s’agît plus de ranger les espèces dans des botes à la açon de poupées russes, maîs d’écrîre l’îstoîre des plantes en les classant sur un arbre généalogîque rendant compte de leur filîatîon.
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Une anémone épatîque (Hepatica triloba, renommée depuîs Anemone hepatica), rapportée de La Capelle d’Abondance en maî 1937.
Une euporbe de Dual (Euphorbia duvalii) cueîllîe par Roger de vîlmorîn le 28 maî 1950 sur la route menant de Meyrueîs à la grotte de Dargîlan, en Lozère.
Une nouvelle flore de France @%+52
L’apparîtîon de mîcroscopes suisamment puîs-sants et de nouelles tecnîques de génétîque ont permettre de oîr l’întérîeur des cellules égétales, puîs d’étudîer la composîtîon des cromosomes et aînsî de corrîger certaînes filîatîons établîes à l’œîl nu en comparant le génome des plantes (leur ADN). Et aec l’étude des pollens ancîens, les bota-nîstes parîennent à remonter dans le temps. Cette nouelle botanîque, quî s’est stabîlîsée au début du e XXI sîècle, est toujours sujette à înterprétatîon et entretîent les dîergences entre systématîcîens. Pendant plus de îngt ans, Roger de vîlmorîn a partîcîpé à ces débats arîdes quî permîrent d’unîfier les règles de nomenclature au nîeau înternatîonal. Ses connaîssances étendues, des plantes sauages aux plantes cultîées, luî alurent même de présî-der le groupe spécîal quî s’occupa des plantes cultî-ées au seîn de la Commîssîon înternatîonale de la nomenclature. ïl est aussî à l’orîgîne de l’utîlîsatîon du terme « cultîar » pour désîgner les plantes agrî-coles ou ortîcoles, et les dîstînguer sans équîoque des espèces botanîques dont elles sont îssues. Cette connaîssance approondîe des règles du Code înternatîonal de nomenclature botanîque
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fixées lors des congrès înternatîonaux a amener Roger de vîlmorîn à réîser laFlore descriptive et illustrée de Francedu canoîne Hîppolyte Coste. Ce curé de îllage, né en 1858 près de Saînt-Sernîn-sur-Rance dans l’Aeyron, s’est passîonné très jeune pour la botanîque, aîsant adolescent le mur du grand sémînaîre de Rodez pour aller erborîser ! Ordonné prêtre en 1884, îl poursuît ses excursîons botanîques, passant au peîgne fin les Céennes, les Pyrénées, les Alpes, les Causses. ïl rejoînt la Socîété botanîque de France dont îl deîendra îce-présî-dent en 1922. SaFlorule du Larzac, du Causse noir et du Causse de Saint-Afrique, puîs saFlore illustrée de l’Aveyronattîrent l’attentîon de l’édîteur de la Lîbraî-rîe des scîences naturelles de Parîs, Paul Klîncksîeck, quî luî propose de répertorîer toutes les espèces de plantes à fleurs présentes en France. Pendant sîx ans, de 1900 à 1906, paraîssent ascîcule après as-cîcule, les troîs olumes de la flore de l’abbé Coste. 4 354 plantes y sont décrîtes, îllustrées de figures orîgînales, claîres et rîgoureuses. Les sept suppléments réalîsés par Roger de vîl-morîn aec le ondateur de la botanîque urbaîne Paul Joet sont publîés entre 1984 et 1990. ïls complètent
Cette plance montre les ésîtatîons de Roger de vîlmorîn pour nommer un écantîllon que luî ont adressé Mme et M. Conrad, entre la scabîeuse des jardîns(Sixalix atropurpurea (L.))et la scabîeuse marîtîme (Scabiosa maritima L.ar.atropurpurea). Désormaîs, ces deux espèces ne ont plus qu’une(Sixalis atopurpurea).
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Mal nommé par son grand-père Henry de vîlmorîn, ce séneçon à une fleur, cueîllî fin août 1844 sur le mont Cerîn à la rontîère îtalo-suîsse, a été corrîgé en 1968 par Roger aec cette remarque amusante : «Faute de jeunesse de mon grand-père ! »
Notes de Roger de vîlmorîn sur dîférentes ormes de colcîque de Corse.
Gentîane prîntanîère cueîllîe en arîl 1954 dans la allée des Mereîlles, Alpes de Haute-Proence.
la flore de Coste de tous les acquîs de la botanîque au e cours du XX sîècle. La réédîtîon de cette flore constî-tue encore aujourd’uî un înstrument de traaîl îrremplaçable pour les botanîstes proessîonnels. Traaîlleur înatîgable, Roger de vîmorîn rédîge en même temps une flore de France aec son oîsîn de laboratoîre Marcel Guînocet. Celuî-cî a débuté sa carrîère vîlla huret au cap d’Antîbes, sous la dîrectîon de Marc Sîmonet, lequel traaîlla à ver-rîères-le-Buîsson au côté de Roger de vîlmorîn sur les premîères expérîences de modîficatîon géné-tîque utîlîsant la colcîcîne. Marcel Guînocet est un précurseur de la botanîque contemporaîne. ïl s’înté-resse aux plantes dans une globalîté allant de l’enî-ronnement dans lequel elles poussent à l’întîmîté de leur ADN. ïl eut comprendre comment les espèces arîent en onctîon des plantes quî les entourent. Pour y parenîr, îl croîse dîférentes dîscîplînes comme la socîologîe des plantes, les matématîques et l’analyse génétîque. Ses traaux ont ouert la oîe à l’écologîe égétale et l’étude de la dynamîque des peuplements sî utîle aujourd’uî pour élaborer des stratégîes de préseratîon de la bîodîersîté.
ïl allaît bîen que cette nouelle approce de la botanîque puîsse se doter d’un outîl de traaîl. Commandée par le CNRS en 1966, laFlore de Francede Marcel Guînocet et Roger de vîlmorîn décrît l’ensemble des espèces égétales, maîs aussî de nombreuses sous espèces permettant d’étudîer la arîabîlîté au seîn d’une même espèce en onctîon de son mîlîeu de îe. Bîen qu’un peu ardue pour des botanîstes amateurs, elle étaît alors la seule flore de France à îndîquer pour caque espèce les grou-pements pytosocîologîques. La collaboratîon des deux ommes durera quînze ans, înterrompue par la mort de Roger de vîlmorîn en 1980. ïl ne erra pas la publîcatîon des deux dernîers tomes de cette flore en cînq olumes. À partîr des années 1980, les scîences naturalîstes perdent progressîement de leur împortance au pro-fit de la bîocîmîe, de la génétîque et de la modélîsa-tîon. Le rôle prépondérant des erbîers s’en troue peu à peu estompé. Au poînt qu’en 1999, quand le laboratoîre de botanîque de l’unîersîté d’Orsay doît ermer, son dîrecteur, le proesseur Alaîn Lacoste, se retroue aec l’erbîer sur les bras.