Possum Gully, près de Goulburn Nouvelle-Galles du Sud, Australie,er 1 mars1899.
Mes chers compatriotes, Juste quelques lignes pour vous dire que cette histoire parle exclusivement de moi – je ne l’écris pas dans un autre but. Je ne me défendrai pas de mon égotisme. Cette auto-biographie essaie sur ce point d’être supérieure à d’autres qui nous ennuient à force d’excuses. Que vous importe que je sois narcissique ? Que vous importe, même s’il est important que je le sois? Ce n’est pas une histoire d’amour – j’ai trop souvent tenu tête à la vie sur l’air de la privation pour gaspiller mon temps en larmoiements, fantasmes et rêves ; ce n’est pas non plus un roman, mais simplement une histoire – une histoire vraie. Qu’elle est donc vraie, si réellement vraie – à moins que la vie elle-même ne soit qu’une
Extrait de la publication
cruelle petite chimère! Aussi vraie dans sa lassitude et l’amertume de son cœur en peine que le sont dans leur force imposante les grands eucalyptus sous lesquels j’ai pour la première fois vu le jour. Je ne me sens aucune affinité avec le milieu dans lequel je vis. Combien je hais cette mort vive qui a avalé toute mon adolescence, qui dévore avidement ma jeunesse, qui minera la fleur de mon âge, et dans laquelle ma vieillesse, si je dois en être affligée, se consumera !Tandis que ma vie monotone, étriquée et totalement dépourvue d’intérêt se traîne à jamais au long d’interminables journées chargées de labeur, mon esprit se tourmente et ronge ses chaînes que rien ne peut briser – tout cela en vain! Vous pouvez plonger dans cette histoire la tête la première, comme on dit, sans crainte d’y trouver cette littérature de bas étage pleine de descriptions de beaux couchers de soleil et de murmures du vent. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent d’entre nous étant incapables de voir dans un coucher de soleil autre chose que les signes et indications du temps qu’il fera demain, nous laisserons ces vaines et folles rêveries aux poètes et aux peintres – pauvres fous! Réjouissons-nous de ne pas avoir leur caractère fantasque! Mieux vaut naître esclave que poète, mieux vaut naître noir, mieux vaut naître infirme! Un poète doit rester sans compagnon – seul! affreusement seul parmi 8
ses semblables, qu’il aime sincèrement. Seul, car son âme est aussi éloignée du commun des mortels que le commun des mortels l’est du singe. Cette histoire ne comporte pas d’intrigue, ma vie ou tout autre vie qu’il m’ait été donné de connaître n’en ayant comporté aucune. Je fais partie de cette classe d’in-dividus qui dans leur vie n’ont pas de temps à consacrer aux intrigues, qui n’ont que le temps de faire leur travail sans s’attarder à de telles frivolités.