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Psychothérapies psychanalytiques Cours pour le DES de psychiatrie, 26 janvier 2006 Dr Jean-Paul Matot I. Définition préalable du niveau d’intervention thérapeutique adéquat Les premiers contacts et entretiens avec un patient et son entourage doivent avoir pour objectif de déterminer avec suffisamment de précision l’indication thérapeutique. Ce temps extrêmement important nécessite une démarche d’indication qui se fonde à la fois sur la nature du problème exposé et sur la nature de la demande. Il doit nous permettre de déterminer le cadre de travail a priori nécessaire pour traiter le problème. Une hospitalisation est-elle peut-être indiquée ? Risque-t-elle de l’être ? Un travail thérapeutique isolé sera-t-il suffisant, ou bien faudra-t-il travailler à plusieurs (collaboration avec d’autres intervenants, travailleurs sociaux, médecin généraliste ou spécialiste, collaboration avec des ressources institutionnelles – équipe pluridisciplinaire, centre de jour, … -, collaboration avec des services tiers - service social, instance judiciaire, …) ? Se baser sur la demande ne suffit pas. Un patient, sa famille, voire même parfois le médecin traitant peuvent demander une hospitalisation, mais l’analyse de la situation peut mettre en évidence que cette demande n’est pas opportune voire même contre-indiquée ; inversement, une demande de traitement ambulatoire peut être inappropriée, d’autres abords étant davantage indiqués. D’autre part, analyser ...

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1
Psychothérapies psychanalytiques
Cours pour le DES de psychiatrie, 26 janvier 2006
Dr Jean-Paul Matot
I. Définition préalable du niveau d’intervention thérapeutique adéquat
Les premiers contacts et entretiens avec un patient et son entourage doivent avoir pour objectif
de déterminer avec suffisamment de précision l’indication thérapeutique.
Ce temps extrêmement important nécessite une
démarche d’indication
qui se fonde à la fois
sur la
nature du problème
exposé et sur la
nature de la demande.
Il doit nous permettre de
déterminer le cadre de travail
a priori
nécessaire pour traiter le problème.
Une hospitalisation est-elle peut-être indiquée ? Risque-t-elle de l’être ? Un travail
thérapeutique isolé sera-t-il suffisant, ou bien faudra-t-il travailler à plusieurs
(collaboration avec d’autres intervenants, travailleurs sociaux, médecin généraliste ou
spécialiste, collaboration avec des ressources institutionnelles – équipe
pluridisciplinaire, centre de jour, … -, collaboration avec des services tiers - service
social, instance judiciaire, …) ?
Se baser sur la demande ne suffit pas.
Un patient, sa famille, voire même parfois le médecin traitant peuvent demander une
hospitalisation, mais l’analyse de la situation peut mettre en évidence que cette
demande n’est pas opportune voire même contre-indiquée ; inversement, une demande
de traitement ambulatoire peut être inappropriée, d’autres abords étant davantage
indiqués.
D’autre part, analyser le problème sans tenir compte de la demande n’est pas tenable non plus.
On risquerait en effet de passer à côté de ce qui est acceptable pour le patient ou son
entourage.
Il est donc nécessaire de trouver une articulation, un compromis, entre les deux versants.
Ce qui entre en ligne de compte dans la démarche d’indication thérapeutique, c’est :
1°) un niveau diagnostique ;
2°) les facteurs qui interviennent dans l’émergence de la demande, à ce moment, et dans
ce lieu particulier ;
3°) les traitements en cours ou antérieurs ;
4°) les ressources et étayages sociaux dont bénéficie le patient : famille, travail, etc
Ces différents axes d’analyse sont bien entendu à envisager dans leur ensemble, mais il est
important à la fois de les avoir tous à l’esprit, et de considérer leurs interactions.
2
1.1. Le niveau diagnostique
Il comporte à la fois :
a) une évaluation du caractère
aigu ou relativement installé et stable du problème
b) une évaluation de l’intensité de la souffrance éprouvée par le patient et, en lien avec cette
intensité,
c) une évaluation des capacités de contenance de cette souffrance en termes de résistance du
moi.
Si certains patients expriment de manière assez manifeste, agressive, plaintive ou
théatrale leur souffrance, il en est d’autres, plus démunis sur le plan de la
verbalisation, ou fonctionnant de manière opératoire, ou en faux self, ou encore se
trouvant dans un état de confusion ou de morcellement qui empêche la
communication d’affects, chez lesquels l’intensité de la souffrance endurée et
l’absence ou l’insuffisance dramatique de moyens pour y faire face peut être
méconnue très longtemps au cours de l’entretien, et ne se révéler que sur le pas de
la porte : «
docteur, est-ce que je ne pourrais pas être hospitalisé
», prenant alors le
thérapeute au dépourvu et lui faisant courir le risque, s’il est pressé par le temps,
de passer à côté d’une véritable situation d’urgence.
Une toute première dimension de la consultation est d’évaluer correctement le rapport
souffrance/contenance afin de proposer des mesures de sauvegarde adéquates, allant de
l’hospitalisation à des consultations rapprochées, un contact rapide avec la famille, le
médecin traitant, éventuellement une prescription d’anxiolytiques ou de neuroleptiques.
d) le diagnostic traditionnel, celui de l’organisation psychopathologique du patient. Celle-ci
détermine en effet, au delà du court terme, les possibilités de mobilisation de cette
organisation ainsi que les risques qui y sont éventuellement liés. C’est à partir de là que,
dans l’hypothèse d’une indication de psychothérapie, nous serons en mesure de mieux
prévoir le type de dispositif dont pourra avoir besoin le patient dans le décours d’une
prise en charge.
Sera-t-il peut-être nécessaire de prescrire un traitement médicamenteux ? Risque t-
on d’être confronté à une décompensation imposant une hospitalisation ? Faudra-
t-il travailler de concert avec un médecin traitant ? Y aura-t-il des interventions
administratives à assurer (ITT, mise en invalidité, contacts avec l’école, contacts
avec la famille, …) ?
Le cas échéant, cette exploration diagnostique peut nous amener à privilégier une prise en
charge s’étayant sur une équipe, en SSM ou dans une consultation hospitalière.
1.2. L’investigation des facteurs qui interviennent dans l’émergence de la demande
, à ce
moment, et dans ce lieu particulier.
Elle permet :
a) une
localisation de la souffrance du patient.
Le fait que le patient fasse état d’une souffrance ancienne, voire de nombreux traitements
antérieurs, ne doit pas nous amener à minimiser l’importance d’éléments actuels qui ont
déclenché la consultation. On peut ainsi s’apercevoir qu’en fait ce qui amène le patient à
consulter, c’est par exemple la crainte que sa compagne ne le quitte, ou des sentiments de
3
culpabilité, voire un mouvement masochiste, face à une agression non reconnue comme
telle, à laquelle le patient est incapable de faire face. Dans l’un et l’autre cas, le clinicien
sera alerté sur le risque d’engager le patient dans une démarche de soin qui aggraverait sa
situation : ainsi, par exemple, dans le premier cas, d’entretenir une attitude inauthentique
de soumission agressive à l’autre, assortie d’une mise en échec ; dans le second,
d’accentuer la dimension d’auto-destructivité incluse dans la demande de soin. La mise en
évidence de telles situations annonciatrices d’impasses thérapeutiques permet de montrer
au patient ce qui se joue d’emblée dans sa démarche, ce qu’elle a de paradoxal, et
d’envisager à partir de là avec lui une reformulation du problème débouchant le cas
échéant sur une autre demande.
b) Elle permet également de préciser le degré d’interdépendance des difficultés du patient par
rapport à son entourage.
C’est une question à laquelle seront particulièrement sensibles les cliniciens s’occupant
d’enfants, et ceux qui ont une formation systémique. La question qui se pose est la
suivante : dans quelle mesure l’individu qui consulte, que ce soit un enfant, un adolescent
ou un adulte, peut-il modifier quelque chose de son fonctionnement sans que cela ne
nécessite une mobilisation parallèle de sont entourage. La réponse à cette question, et le
choix qui en découlera le cas échéant de s’orienter vers des entretiens familiaux ou de
couple, peut nous éviter d’engager le patient dans un processus thérapeutique qui soit le
mettra continuellement en porte-à-faux avec son entourage, soit sera sans effet durable.
1.3. Exploration des antécédents thérapeutiques du patient.
La
notion
d’hospitalisations
psychiatriques,
de
psychothérapies,
de
traitements
psychotropes, sera explorée avec soin car elle permet de se faire une idée du niveau de
prise en charge qui peut être envisagé ainsi que des écueils prévisibles, compte tenu de la
tendance à la répétition des impasses thérapeutiques.
1.4. Evaluation des ressources et étayages familiaux et sociaux
On touche ici à l’autre face de l’évaluation de l’entourage du patient, celle des ressources dont il
peut bénéficier, en termes de contenant. L’adéquation ainsi que la solidité de ses appuis externes,
mais aussi le degré de réalisation personnelle, de valorisation narcissique et de satisfaction
affective constituent des indicateurs qui vont déterminer les modalités et les objectifs
thérapeutiques.
4
Toute une série d’éléments sont déjà présents lors de la demande de rendez-vous. Ils seront le
cas échéant approfondis et complétés au cours du premier entretien. A l’issue de celui-ci, on
peut le plus souvent, mais pas toujours, avoir une idée du type de cadre de travail qui sera
indiqué ou possible. Si ce n’est pas le cas, il est important de conserver un cadre de
consultation souple, permettant que se dégage progressivement l’espace thérapeutique
possible.
Avec tous ces éléments, nous devrions habituellement être en mesure d’avoir une idée assez claire
de ce qu’il convient de faire avec le patient qui nous consulte, en fonction de
ce qui est possible
et utile, compte tenu de la demande, de la pathologie, des antécédents (cf. TOC pédiatre) et du
contexte (cf. une demande de thérapie d’enfant dans un contexte de séparation parentale)
:
ƒ
une prise en charge psychiatrique de crise, au moins dans un temps initial,
permettant de faire face à la souffrance du patient et au risque vital qu’elle
détermine ;
ƒ
un suivi psychiatrique assorti d’entretiens de soutien ;
ƒ
des entretiens de clarification de la demande ;
ƒ
des entretiens familiaux ou de couple, pouvant dans un second temps s’orienter
vers une thérapie familiale ou de couple, ou bien vers un traitement individuel ;
ƒ
des entretiens ou une psychothérapie individuels, éventuellement dans un
dispositif à plusieurs, où seront alors réparties les fonctions psychothérapeutiques
et les fonctions d’assistance (prescription de médicaments, organisation le cas
échéant d’une hospitalisation, démarches sociales, etc …) ;
ƒ
parfois, il va falloir
déterminer, dans les situations où les niveaux de souffrance
sont très intriqués, ce qui prime : si un patient présente une dépression dans le
cadre d’un conflit de couple, il faut décider de ce qui est à privilégier : le
traitement de la dépression, ou celui du conflit de couple (cf. de Beer).
Il est cependant des situations où, même après un temps suffisant d’exploration, le thérapeute
continue à ne pas « sentir » le déploiement d’un espace de travail psychothérapeutique, mais
où néanmoins il lui apparaît qu’il n’y a pas d’autre possibilité que de proposer un cadre de
travail régulier, de type psychothérapeutique. Une telle proposition doit être conçue alors
comme un cadre d’essai, visant à faciliter l’émergence d’une relation thérapeutique
« travaillable ».
L’idée directrice de ce qui précède est de permettre une
contextualisation de la demande et
du problème
, afin de dégager une vision suffisamment large de la situation clinique que pour
insérer le cadre d’une éventuelle psychothérapie dans ce que j’appellerais un
métacadre
.
Une indication de psychothérapie ne suppose pas seulement une adéquation du
dispositif et de la technique à la psychopathologie et à la demande, elle exige aussi que
le dispositif psychothérapeutique puisse être inséré dans le système de vie du patient
de manière telle qu’il puisse à la fois être toléré par ce système, et qu’il soit néanmoins
ressenti par le patient comme lui appartenant en propre.
Le métacadre est défini comme articulation de plusieurs dispositifs entre eux, et insertion de
ce ou ces dispositif(s) dans le système de vie du patient. Il vise
z
une requalification des liens interpersonnels
z
et une facilitation de l’ajustement mutuel des espaces individuels, groupaux et sociaux
Illustration clinique
5
II. Définition des psychothérapies psychanalytiques par rapport aux autres formaes de
psychothérapies : le commun et le différent
2.1. Le commun entre les différentes formes de psychothérapies individuelles
Remarque préalable : les différents modèles du soin en psychiatrie peuvent se répartir selon
un gradient dont un des extrêmes est palliatif, l’autre curatif. Tous les traitements comportent
une proportion variable de ces deux dimensions. Une dimension du soin est l’accueil de la
souffrance et son atténuation ; elle « va dans le sens de la maladie », prenant le relais des
défenses pour obtenir un soulagement. Une autre dimension du soin est celle de la
transformation des processus pathologiques, qui implique un certain degré de souffrance liée
au fait de prendre les défenses « à rebrousse-poil » (Sassolas). La prescription de
psychotropes se situe principalement du côté du soulagement, bien qu’ils puissent offrir les
conditions d’une transformation. Les dispositifs thérapeutiques qui poussent à la mobilisation
de l’équilibre défensif se situent du côté de la transformation, bien qu’ils puissent parfois
manquer leur cible.
Les différentes formes de psychothérapies partagent à mon sens une série d’
organisateurs
, à
la fois du coté du cadre de soins et du côté du maniement de la relation thérapeutique, les
deux étant évidemment étroitement liés.
Organisateurs du cadre
1
:
-
Fonction tierce, « paternelle » (contre la collusion, l’omnipotence)
-
Fonction d’enveloppe, « maternelle » (contenant)
Organisateurs de la relation thérapeutique :
-
Asymétrie (transfert ; contre-transfert)
-
Adaptation au patient (transitionnalité)
2.2. Spécificités des psychothérapies psychanalytiques :
2.2.1. Ensemble de dispositifs psychothérapeutiques qui se donnent pour
objectifs
d’aider le
patient à :
ƒ
développer sa capacité de prendre conscience, de faire une place et de communiquer
ses propres pensées et ses états affectifs ;
ƒ
développer sa capacité à diminuer son contrôle conscient sur ses associations de
pensées, lui permettant de se laisser surprendre par des liens inattendus ;
ƒ
prendre conscience, grâce à cet élargissement du champ de pensée et des vécus
affectifs, et par leur actualisation en séance, des phénomènes de répétition à l’oeuvre
dans sa vie mentale et dans sa vie de relation, et opérer des rapprochements (liens
d’induction davantage que de causalité) entre ces phénomènes et les souvenirs et
vécus d’enfance ;
ƒ
relâcher les investissements narcissiques défensifs sous-tendant ces phénomènes de
répétition et permettre un réaménagement de l’économie narcissique, plus favorable
aux investissements narcissiques et objectaux
1
Cf. M. Van Lysebeth,
La bisexualité du cadre
6
Selon les cas, un ou plusieurs de ces différents objectifs pourront être privilégiés. Chez
certains patients, les deux premiers objectifs peuvent être prioritaires, et déterminer le choix
d’un cadre qui en favorise le déploiement, même si la dimension de prise de conscience en est
relativement absente.
2.2.2.
Méthode :
ces dispositifs ont en commun de viser au développement d’une dimension
de la relation thérapeutique,
le transfert
. Ils visent tous à en favoriser le déploiement, à en
assurer le maintien et la contention, puis la transformation permettant son abandon final.
2.3. Dispositifs :
On peut distinguer la cure-type, les psychothérapies en face à face, les psychothérapies de
famille, les psychothérapies de groupe, les psychodrames psychanalytiques.
Actuellement la vision « traditionnelle » du champ psychanalytique est remise en question.
On peut opposer de manière schématique deux visions du champ des traitements
psychanalytiques.
La vision traditionnelle définit ce champ comme l’ensemble des pratiques et des théories
issues du dispositif de la cure-type, divan-fauteuil, tel que Freud l’a systématisé à partir de
1903.
Ce dispositif spécifique, qui est le seul que Freud ait pratiqué en tant que
psychanalyste, construit un espace thérapeutique où l’activité motrice est suspendue,
où les stimulations externes sont réduites, où l’activité de l’analysant se concentre en
alternance sur deux activités auto-réflexives :
ƒ
une activité associant la perception des pensées, images, sentiments et émotions
qui lui « viennent à l’esprit », qui serait en quelque sorte « l’écoute flottante » de
sa propre activité psychique, et sa communication verbale « à l’état brut », cad
avec aussi peu de censure et de souci de cohérence que possible, en isomorphie
avec les caractéristiques des processus primaires (« règle fondamentale »);
ƒ
et une activité de réflexion sur ce matériel associatif, d’écoute de sa propre
énonciation, de prise de conscience des émotions et sentiments qu’elle génère, qui
fait ensuite l’objet d’une communication plus secondarisée à l’analyste
(« insight »).
Les interventions de l’analyste ont pour fonction de soutenir ces processus de pensée,
notamment en interprétant les résistances qui s’organisent dans le cadre de la névrose
de transfert, et de favoriser l’alternance entre ces deux modalités auto-réflexives
témoignant du fonctionnement du Préconscient.
Elles se fondent sur une activité de l’analyste qui comporte les mêmes ingrédients que
ceux de l’analysant, à ceci près que l’écoute flottante concerne les communications
essentiellement vocales (les mots mais aussi les signifiants non verbaux et les affects
que véhicule l’énonciation et la prosodie
2
) de l’analysant, et qu’elle se conjugue à la
2
Ce qui implique, comme le relève Roussillon (2005), qu’une des conditions de possibilité de la cure type réside
dans le fait que les modalités d’expression non verbales, en particulier visuelles, gestuelles et posturales, puissent
trouver à se « transférer » suffisamment – il y a toujours, dit-il, une perte dans cette transposition - dans
7
perception de ses propres pensées, images, sentiments et émotions. De cette écoute
flottante « en double » se dégage à certains moments l’appréhension d’un élément actif
dans la dynamique transféro-contre transférentielle, qui pourra éventuellement faire
l’objet d’une interprétation.
La modalité du fonctionnement mental que ce dispositif tend, dans l’idéal, à produire,
permet un travail sur les représentations de choses, les représentations de mots et sur la
circulation des affects, qui peut être rapproché du modèle freudien du rêve.
Par rapport à ce dispositif de la cure-type, au fonctionnement mental qu’il induit et au travail
psychique qu’il permet, les aménagements de cadre, qu’on assimile alors au champ des
psychothérapies, fussent-elles pratiquées par des psychanalystes « reconnus » – face à face,
analyse de groupe, psychodrame, mais aussi les traitements psychanalytiques d’enfants et
d’adolescents – constituent des « concessions » techniques visant à permettre « malgré tout »
de faire bénéficier des patients « moins analysables » des bienfaits de la psychanalyse.
Les développements théoriques que ces pratiques considérées comme nécessaires bien que
« bâtardes » (le « cuivre » freudien) amènent peuvent aller jusqu’à fonder un nouveau courant
théorico-clinique (kleinien, winnicottien, bionien, …), ou sont admis comme des ajouts aux
théories princeps, ou encore figurent comme des annexes intéressantes mais marginales et un
peu encombrantes (l’espace psychique groupal, par exemple). Mais, quoiqu’il en soit, il est
admis que le modèle psychanalytique du fonctionnement mental et du traitement
psychanalytique reste, et cela quel que soit le courant psychanalytique, un modèle unitaire
centré sur ce qui se déploie dans le dispositif de la cure-type.
Dans une telle vision, la cure type constitue un idéal psychothérapeutique, et les
aménagements (face à face, séances moins fréquentes, utilisation de média, …)
constituent des concessions par rapport à cet idéal qui permettent de faire bénéficier,
de manière moins complète et satisfaisante, les patients d’une approche de type
psychanalytique.
La seconde vision envisage le dispositif de la cure-type comme le premier modèle, historique,
de la psychanalyse, modèle qui garde sa pertinence mais dont les limites, tant sur le plan des
indications et des résultats thérapeutiques, que sur celui des concepts théoriques, a imposé la
mise en oeuvre d’autres dispositifs qui ne constituent pas des « aménagements » du cadre mais
bien de nouveaux cadres, qui font émerger de nouveaux concepts, hétérogènes à ceux qui sont
issus de la pratique de la cure type, ou du moins non réductibles à eux.
Cette seconde vision est étroitement liée à une conception des traitements psychiques comme
agissant au niveau d’une activité psychique essentielle, l’activité de symbolisation.
Longtemps, la symbolisation a été envisagée sous l’angle unique de la symbolisation
langagière. Sous l’influence des traitements d’enfants, et notamment d’enfants autistes et
d’enfants psychotiques, mais également du fait des expériences de prise en charge de patients
adultes borderline et psychotiques, l’intérêt s’est progressivement porté vers d’autres
modalités de symbolisation, amenant une autre perspective, plus large, des processus de
symbolisation.
Ainsi pour Jeammet (1998) c’est la prédominance d’un des trois modes préférentiels
de figuration : le travail de représentation, la motricité à travers l’agi, et
l’appareil de langage. Or, note-t-il, «
de tels transferts, intrapsychiques et interpsychiques, sont loin d’aller de
soi
», ce qui peut déterminer, pense-t-il, des passages à l’acte ou des somatisations.
8
l’investissement du perceptif (comme défense contre, et comme figuration de, la
réalité interne), qui détermine le type de cadre « susceptible de permettre l’émergence
et le déroulement d’un processus psychanalytique. Les aménagements du cadre vont
donc dans le sens «
de la plus grande place faite à la perception et à la motricité et
d’une moindre césure entre le temps de la séance et celui de la vie habituelle
».
Le psychodrame psychanalytique, par exemple, installe dans le dispositif l’expression
perceptivo-motrice et le plaisir du jeu comme modalité centrale de figuration, tandis
que la diffraction des investissements transférentiels et la mise en scène dans l’espace
de jeu de démarcations entre des espaces distincts favorise la différenciation des
instances intrapsychiques. Ce dispositif offre dès lors les moyens de compenser la
carence des auto-érotismes en utilisant et en transformant le potentiel symbolisant de
ce qui les a remplacés dans le fonctionnement mental de patients aux assises
narcissiques très fragiles, l’investissement des sensations, des perceptions et de la
motricité.
Néanmoins, Jeammet reste dans une certaine contradiction car à la fois il considère
que
« le dispositif de la cure type est a priori le plus en harmonie avec l’activité de
représentation
» mais en même temps il affirme également que «
l’objectif de la
psychanalyse n’est pas tant de rabattre (ces modalités de fonctionnement différentes)
vers un hypothétique modèle idéal, ni de les évaluer par rapport à ce modèle, que
d’essayer de permettre aux sujets de fonctionner mieux … avec leurs moyens
propres
». De plus, il admet que le travail psychanalytique dans le cadre de la cure
type laisse -
« au moins en potentialité et selon des modalités très variables
» - en
dehors de l’élaboration et de la représentation des zones qui peuvent dans certains cas
paralyser le processus.
Il me semble que cette contradiction est liée au maintien d’une ambiguïté quand à ce
qui est entendu par « travail de représentation » : soit on considère que le paradigme
de ce travail de représentation est celui que favorise la cure type ; soit on pense qu’il
n’y a pas une fonction de représentation, mais différentes modalités de représentation,
qui trouvent à se réaliser dans des dispositifs appropriés.
Cette seconde conception est défendue très clairement par R. Roussillon (1998) pour qui
«
chaque dispositif analysant modifie, d’une manière qui lui est propre, le mode de
fonctionnement de l’appareil psychique pour le rendre « utilisable » pour l’analyse
», et il
ajoute que c’est là que réside à la fois l’efficacité et la limite de tout dispositif, en ce compris
la cure-type, puisque en même temps que «
ce qui est ainsi « sélectionné » de la vie psychique
(…) trouve accès au travail d’élaboration
», se trouve du même coup ignoré «
du même coup
un autre pan de la réalité psychique non activé et non activable dans le transfert
».
Dès lors, le plein développement des dispositifs analysants autres que la cure type suppose
qu’on ne les étudie pas en référence à celle-ci. Roussillon souligne que ce parti pris
épistémologique met à mal l’idéalisation du dispositif « historique » de la psychanalyse ; il
propose en effet de «
partir de l’idée que l’analyse divan/fauteuil est un cas particulier de la
psychanalyse, particulièrement pertinent mais restreint néanmoins, et que celle-ci trouve une
définition plus large d’elle-même, et plus heuristique, à être considérée comme une méthode
d’analyse se différenciant suivant les effets des dispositifs pluriels qui entourent son
exercice
».
Selon cette perspective, chaque dispositif analysant permettrait de « processualiser », de
mettre au travail, des aspects du fonctionnement mental qui dans d’autres dispositifs est traité
par effet de cadre. Une telle idée est une vraie révolution pour beaucoup de psychanalystes et
de sociétés de psychanalyse : cela signifie en effet que la question de l’indication n’est plus de
9
savoir si un patient peut ou non être « allongé », mais bien d’identifier, au cours des entretiens
préliminaires, à quels niveaux de son fonctionnement mental se situent principalement les
obstacles au développement de ses capacités de symbolisation, et de lui proposer un dispositif
thérapeutique qui permettra au mieux d’en permettre la figuration et l’élaboration.
III. Critères pour engager une psychothérapie psychanalytique :
NB : nous nous limiterons, pour la suite de cet exposé, aux psychothérapies duelles pour
adultes (cad en excluant donc du champ les psychothérapies psychanalytiques de groupe, le
psychodrame psychanalytique, les psychothérapies d’enfants et d’adolescents jeunes)
-
que le patient soit suffisamment en mesure d’
identifier ses pensées
comme lui
appartenant en propre (cad qu’il ne soit pas susceptible de développer des états
délirants ou confusionnels) ; dans l’hypothèse contraire, il faut s’attendre à ce que le
patient développe une psychose de transfert, ce qui suppose un cadre où la
psychothérapie soit associée à un suivi psychiatrique attentif, avec possibilité
d’hospitalisations de jour ou à temps complet ;
sinon, une psychothérapie de soutien, plus directive, associée éventuellement à une
thérapie familiale ou de couple, est mieux indiquée ;
-
que le patient dispose d’une capacité réaliste de
départager, dans les problèmes qu’il
rencontre, ce qui lui appartient
, ou du moins ce sur quoi il a une prise, et ce qui
appartient à autrui.
Il est le plus souvent inutile d’engager une psychothérapie psychanalytique avec un
patient qui pense que l’origine ou la solution du problème qu’il rencontre est chez
l’autre (recouvre plus ou moins les fonctionnements projectifs) ; inversement, il est
risqué d’engager un patient qui s’attribue systématiquement et erronément des
problèmes qui ne sont pas les siens (recouvre approximativement la notion de
masochisme moral) dans une psychothérapie, car la démarche va aggraver ce qui est
précisément son problème central.
Ces situations bénéficient davantage d’une thérapie dite « de soutien », au cadre
souple et adaptable, visant à confronter prudemment le patient à son fonctionnement
pathologique en l’amenant à imaginer ce que l’autre peut penser ou ressentir, ce qui
peut motiver les attitudes et les actes d’autrui à son égard ;
-
que le patient dispose d’une certaine
stabilité dans sa vie réelle
: à la fois un temps
suffisant devant lui (au moins une année), pas de décision urgente à prendre ou de
contexte de crise à gérer (dans la phase critique ou imminente d’une séparation
conjugale p.ex.), pas de bouleversement important dans sa vie actuelle (diagnostic
d’une maladie grave, deuil récent, …) ;
sinon, il est préférable de proposer au patient des entretiens de clarification, assez
actifs, qui lui permettront de voir plus clair dans les choix qui s’offrent à lui ;
-
que l’émergence de capacités nouvelles de développement personnel puissent trouver
des
possibilités de réalisation
, cad que le travail psychothérapeutique n’aggrave pas
une blessure narcissique sans aucun espoir de compensation dans une réalisation
personnelle.
10
IV. Aspects matériels du cadre
4.1. Choix du dispositif en psychothérapie psychanalytique :
le face à face ou le dispositif divan-
fauteuil
NB : pas face à face mais légèrement décalé ; cf. patients qui déplacent leur siège pour être
tout à fait en face du thérapeute, avec un effet d’intrusion et d’emprise. En fait dans le face à
face, il existe un gradient et une possibilité pour le patient de « jouer » (au sens de Winnicott)
avec le registre perceptif visuel : de l’accrochage visuel au croisement des regards, d’une
vision périphérique du thérapeute à une simple présence en marge du champ visuel.
Roussillon (1998) souligne que le dispositif en face à face n’invite pas, comme celui
divan/fauteuil, à l’élaboration de l’absence, ce sollicite pas prioritairement la « capacité d’être
seul en présence de la mère » ; il fait par contre apparaître avec force les effets sur la psyché
de la présence de l’objet, du côté de l’insuffisance ou de l’excès, et met l’accent sur les
conditions de construction de l’absence possible de l’objet : «
il faut produire les conditions
internes de la capacité d’être seul en face de l’autre, celles-ci ne sont pas une « donne » de la
situation
».
Dans un article plus récent, Roussillon (2005) précise quelques aspects du fonctionnement
mental qui indiquent un dispositif en face à face. Une première dimension est celle de la
difficulté, pour certains patients chez lesquels les modalités non verbales de communication
sont restées importantes et non reprises de manière satisfaisante par l’appareil de langage, de
« montrer » des contenus psychiques non verbalisés. J’ajouterais que cela vaut également
pour des aspects clivés qui se manifestent à travers une discordance entre expressions
corporelles et verbales.
Un second aspect sur lequel Roussillon attire notre attention est celui de la diversité des
modalités du fonctionnement associatif. L’association libre ne peut s’accompagner du
maintien d’une certaine cohérence de la pensée et du discours que si elle reste soumise à une
forme d’activité de focalisation ou de synthèse qui évite une désorganisation complète de
l’activité de pensée. Il remarque chez certains patients une tendance à la désorganisation de la
communication en association libre, se manifestant par une diffluence, par un discours
tournant en rond, ou par un mutisme
3
. Lorsque cela se manifeste dans un dispositif en face à
face, il a alors été amené à instaurer par moments ce qu’il nomme une « conversation
psychanalytique », travail actif de co-construction qu’il qualifie de « squiggle game verbal »,
marquant le fait «
que chacun des partenaires de la relation, mais au moins l’analyste,
« assume » de transformer et d’interpréter ce que l’autre lui offre ou lui propose et donc du
même coup introduit un certain jeu là où la menace de désymbolisation risque d’écraser les
potentialités représentatives
» (Roussillon, 2005). On retrouve là l’idée développée dans un
3
P. Israël (1998) signale, dans un registre qui me semble assez proche, de l’usage par certains patients «
d’un
mode de fonctionnement qu’on pourrait dire au « premier degré » de la pensée et du langage qui en rend compte.
Ces formes « opératoires » de la communication ne se limitent pas à la clinique psychosomatique. Si l’équivoque
et la polysémie sont la garantie d’une possible circulation intratopique et du jeu, plus ou moins empêché, des
déplacements d’investissement, les énoncés délivrés dans un espace monosémique peuvent prendre un caractère
persécutoire qui complique singulièrement le travail interprétatif, et particulièrement dans ce qui touche à
l’analyse du transfert
». Anticipant les développements de Roussillon, l’auteur propose alors d’user «
de
commentaires interprétatifs cherchant à donner de l’épaisseur à un discours bidimensionnel, … d’interventions
portant sur le hic et nunc, dans la mesure où elles saisissent, sur le vif de leur adresse à l’analyste, les modalités
du fonctionnement répétitif du patient
»
11
article antérieur (Roussillon, 1998) selon laquelle, si la séance d’analyse divan/fauteuil
fonctionne sur le modèle du rêve, la séance en face à face se situerait davantage du côté du
jeu, comme dans la psychanalyse d’enfant. Le dispositif en face à face permettrait d’accentuer
l’effet de « chevauchement des aires de jeu » qui peut être envisagé comme l’espace de
symbolisation sur lequel se fonde le travail psychanalytique.
La pratique de la psychothérapie en face à face est cependant modifiée par l’expérience de la
cure type, d’une manière qu’il serait intéressant de préciser.
Une première dimension est que le dispositif de la cure-type, et les modalités de pensée qu’il
favorise, sont présents dans l’esprit du thérapeute, non seulement à travers sa propre
psychanalyse, mais aussi par sa pratique avec des patients. En outre, comme le remarque
Roussillon (2005), la présence du divan – emblème social de la psychanalyse - dans le bureau
de consultation actualise pour le thérapeute, mais également pour ses patients, la référence à
la cure type.
La pratique de la cure type permet à mon sens de mieux sentir ce qui relève, chez le patient,
d’un travail à deux sur un matériel associatif localisé dans un espace intermédiaire, et ce qui
relève d’un travail de construction, de dégagement, de cet espace intermédiaire à travers une
expérience perceptive supportant (servant de support) la constitution d’une réflexivité en
présence de l’autre
4
. Mais il est également des patients qui, dans le dispositif en face à face,
n’ont pas accès à cette fonction symbolisante de l’étayage perceptif. Pour ces patients là, dont
le fonctionnement relève d’une indifférenciation entre soi et l’autre dans un registre
psychotique, il est nécessaire qu’ils aient le thérapeute en face d’eux pour arriver à constituer
un espace entre soi et l’autre, ce qui implique notamment une expérience de négativation,
d’hallucination négative de l’autre (Blockeel, Heiderscheid).
4.2. La fréquence des séances
Le principe est que plus les séances sont rapprochées, plus il y a un effet « d’immersion »
dans le travail thérapeutique. Le transfert est stimulé, les défenses « superficielles », sociales,
sont affaiblies.
Tous ces éléments favorisent l’ouverture psychique et le développement de la relation
transféro-contre-transférentielle, et donc aussi l’accès à la conflictualité psychique et à son
déploiement dans le travail thérapeutique. Les séances rapprochées permettent au mieux
d’accéder à l’espace interne du patient dans une visée de relâchement du contrôle exercé par
le sujet sur sa vie psychique, d’affaiblissement des croyances et d’installation d’une capacité
de douter et donc aussi d’extension psychique.
L’association libre et une « présence décalée » du thérapeute se situent du côté d’une
déliaison, d’une ouverture à la « relation d’inconnu » (Rosolato). Il est dès lors indispensable
que d’autres dimensions du cadre apportent la sécurité narcissique : la fréquence et la
régularité des séances en constituent une dimension, qui bien évidemment ne prend sens qu’à
travers une syntonie avec l’attitude du thérapeute en séance.
4.3. La régularité et la durée fixe des séances
La régularité du rythme des séances est une dimension importante d’un travail
psychothérapeutique ; elle assure la sécurité et la prévisibilité de celui-ci, en fonction de
4
Dans un travail antérieur, j’ai décrit ces trois espaces en les transposant à partir du tableau de Velasquez, « les
Ménines »
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