[NOTE] Pour une stratégie globale de lutte contre la radicalisation islamiste
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Note du pôle intérieur et justice Pour une stratégie globale de lutte contre la radicalisation islamiste 15 propositions pour une stratégie globale de lutte contre la radicalisation islamiste. CONSTAT L a F r a n c e a p r i s u n r e t a r d c o n s i d é r a b l e s u r s e s v o i s i n s e u r o p é e n s e n m a t i è r e d e l u t t e c o n t r e l a r a d i c a l i s a t i o n i s l a m i s t e . Le réveil a été d’autant plus brutal après les attentats de janvier 2015. L’action privilégiée par le Gouvernement repose aujourd’hui sur une approche essentiellement sécuritaire, à l’image de la loi sur le renseignement en cours d’examen au Parlement, qui ne permet pas de traiter dans la durée et en profondeur le phénomène de la radicalisation islamiste sur notre territoire. PROPOSITIONS L a B o î t e à I d é e s p r o p o s e d ’ é l a b o r e r u n e s t r a t é g i e g l o b a l e d e l u t t e c o n t r e l a r a d i c a l i s a t i o n a r t i c u l a n t p r é v e n t i o n e t r é p r e s s i o n , a s s o c i a n t u n n o m b r e é l a r g i d ’ a c t e u r s p u b l i c s e t p r i v é s , n a t i o n a u x e t l o c a u x , l a ï c s e t r e l i g i e u x . Cette stratégie doit être portée par une structure pérenne dédiée et sa mise en œuvre régulièrement évaluée. Elle doit reposer sur un réseau d’intervenants formés à la prévention de la radicalisation et à la déradicalisation.

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Publié le 27 juin 2015
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Langue Français
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Rapport du pôle intérieur et justicePour une stratégie globale de lutte contre la radicalisation islamiste 15 propositions pour une stratégie globale de lutte contre la radicalisation islamiste. CONSTAT La France a pris un retard considérable sur ses voisins européens en matière de lutte contre la radicalisation islamiste.réveil a été d’autant plus brutal après Le les attentats de janvier 2015. L’action privilégiée par le Gouvernement repose aujourd’hui sur une approche essentiellement sécuritaire, à l’image de la loi sur le renseignement en cours d’examen au Parlement, qui ne permet pas de traiter dans la durée et en profondeur le phénomène de la radicalisation islamiste sur notre territoire. 15 PROPOSITIONS La Boîte à Idées propose d’élaborer une stratégie globale de lutte contre la radicalisation articulant prévention et répression, associant un nombre élargi d’acteurs publics et privés, nationaux et locaux, laïcs et religieux. Cette stratégie doit être portée par une structure pérenne dédiée et sa mise en œuvre régulièrement évaluée. Elle doit reposer sur un réseau d’intervenants formés à la prévention de la radicalisation et à la déradicalisation. L’action préventive doit viser en premier lieu une meilleure intégration, notamment des jeunes, et un renforcement de la résilience de la société au discours radical. La prévention doit être prolongée par des programmes individuels de déradicalisation à destination des personnes de retour des zones de combat et des détenus afin de les réinsérer durablement dans la société.
Lutte contre la radicalisation islamiste – Juin 2015
INTRODUCTION D’après Farhad Khosrokhavar, sociologue franco-iranien spécialiste des questions liées à la radicalisation, les victimes d’humiliations et de racisme ainsi que les exclus peuvent basculer dans la délinquance ou la violence individuelle, « mais ceux qui s’insurgent et entendent agir le font en idéologisant leur expérience intérieure et en élargissant leur haine contre les « non-musulmans » par l’adoption d’une vision jihadiste, l’islam proposant une alternative activiste que les idéologies d’extrême-gauche ne sont plus à même de fournir». Au-delà des mesures d’urgence à mettre en œuvre pour renforcer la sécurité, les moyens du renseignement, la cybersurveillance, qui ont beaucoup tardé, il est donc impératif de conduire des actions en profondeur, dans la durée, afin de lutter contre la radicalisation. La lutte contre la radicalisation ne peut être réduite à sa dimension sécuritaire et doit comporter un important volet préventif. C’est l’articulation entre répression et prévention qui doit permettre, tout à la fois, d’assurer la protection des populations et de lutter simultanément contre toute stigmatisation de la communauté musulmane. La France a pris beaucoup de retard par rapport à ses partenaires européens et il est temps de mettre sur pied une organisation durable pour prévenir le terrorisme islamiste dans notre pays. La mobilisation doit être constante et ne jamais se relâcher si l’on veut gagner la guerre contre le radicalisme islamiste. La lutte contre la radicalisation doit être conduite à plusieurs niveaux : la prévention à destination du grand public et en particulier de la jeunesse, qui passe par des actions en faveur d’une meilleure intégration et le renforcement de la cohésion nationale, celle ciblée vers les personnes à risque qui sont en train de se radicaliser ou prêtes à partir pour faire le Jihad, la « des personnes fanatisées, en particulier lesdé-radicalisation » djihadistes à leur retour en France.C’est donc un véritable continuum préventif qui doit être mis en place. Ce continuum préventif doit s’inscrire dans le cadre d’une stratégie globale de lutte contre la radicalisation et pouvoir s’appuyer sur des moyens opérationnels afin de mettre en œuvre de manière effective les actions de prévention.Ces actions préventives doivent être entreprises au niveau national mais aussi au niveau local et une coordination doit être assurée entre tous les acteurs pour amplifier leur impact.
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15 PROPOSITIONS POUR LUTTER CONTRE LA RADICALISATION ISLAMISTE LA PRÉVENTION PAR UNE MEILLEURE INTÉGRATION 1Proposition n° : Elaborer une stratégie nationale de lutte contre la radicalisation articulant un volet préventif et un volet répressif en association avec l’ensemble des acteurs publics et privés 2Proposition n° : Enseigner l’histoire du fait religieux et l’histoire des migrations dans le cadre de l’éducation civique dans les collèges, en insistant davantage sur l’histoire commune de l’Europe et des pays arabes 3Proposition n° : Mettre en place un réseau d’intervenants (associatifs, représentants des cultes, etc.) dans les établissements scolaires afin de favoriser le dialogue interculturel et interreligieux et de lutter contre les préjugés Proposition n° 4: Renforcer la résilience de la jeunesse en développant l’esprit critique, notamment vis-à-vis d’internet et des réseaux sociaux, et soutenir les projets de la société civile qui cherchent à déconstruire le discours radical, à travers l’intervention de repentis, le témoignage de victimes, la dérision, etc. LA PRÉVENTION PAR LA CONCERTATION D’UNE PLURALITÉ D’ACTEURS PUBLICS, PRIVÉS ET RELIGIEUX Proposition n° 5:Créer une agence française pour l’intégration, la cohésion et la déradicalisation (AFICoD)chargée de la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la radicalisation, de la coordination des acteurs et de la mise en place de réseaux locaux de prévention de la radicalisation en partenariat avec les collectivités territoriales Proposition n° 6: Donner plus de responsabilités aux communes et intercommunalités dans la lutte contre la radicalisation, sur le modèle de ce qui a été fait en Belgique et au Danemark Proposition n° 7: Refonder le Conseil français du culte musulman en créant un Conseil représentatif des musulmans de France (CRMF) qui serait élargi à des personnalités qualifiées et le rendre opérationnel en lui adjoignant une structure pérenne chargée des propositions, du suivi et de la mise en œuvre des décisions prises par le CRMF Proposition n° 8: A court terme, mobiliser le CRMF pour qu’il rende obligatoire la traduction des prêches en français et pour que les imams soient incités à suivre les formations civiques et républicaines en tant qu’auditeurs libres dans les universités ; à moyen terme, engager une action diplomatique auprès des Etats principaux pourvoyeurs d’imams étrangers en France afin de réorienter leur soutien en faveur d’imams français ou francophones résidant en France 9Proposition n° : Créer une faculté de théologie musulmane au sein de l’université de Strasbourg à l’exemple des facultés de théologie catholique et protestante existantes
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Proposition n° 10: Créer un véritable statut pour les aumôniers dans les établissements pénitentiaires à l’instar de l’aumônerie militaire et rééquilibrer le nombre d’aumôniers en fonction des besoins religieux des détenus. UNE DÉRADICALISATION PROFESSIONALISÉE ET INDIVIDUALISÉE 11Proposition n° : Financer des travaux de recherche pour mieux comprendre les processus de radicalisation et développer l’expertise sur la déradicalisation en s’appuyant notamment sur les expériences étrangères Proposition n° 12: Professionnaliser la déradicalisation en formant les acteurs publics et privés aux méthodes de déradicalisation 13Proposition n° : Organiser le repérage des jeunes en voie de radicalisation, à travers des procédures prédéfinies et des interlocuteurs identifiés, en y associant l’ensemble des acteurs publics (Education nationale, collectivités territoriales, etc.) et les acteurs privés (associations) 14Proposition n° : Développer des programmes individuels de déradicalisation des jeunes sur le départ ou de retour des zones de combat en faisant appel, sous forme de mentorat, à des radicaux repentis Proposition n° 15: Mettre en place une déradicalisation individuelle des détenus afin de s’assurer de leur désengagement à leur sortie de prison. 1 .L ’ I S L A M I S M E : É R A D I C A L D E ST A T L I E U X 1.1.QU’EST-CE QUE L’ISLAMISME RADICAL ? Les sociologues définissent la radicalisation comme l’articulation entre une idéologie extrémiste et une action violente plus ou moins organisée.existe Il plusieurs formes d’idéologie radicale : l’islam djihadiste, aujourd’hui perçu comme la forme dominante de la radicalisation, mais aussi des visions violentes d’extrême droite ou d’extrême gauche. La radicalisation reste certes un phénomène ultra-minoritaire (d’après les chiffres publiés par Europol Te-Sat en 2013, 186 personnes ont été arrêtées en France en 2012 pour terrorisme (537 en Europe), dont 91 pour djihadisme (159 en Europe) et 95 pour séparatisme), mais l’islamisme radical n’en est pas moins une forme de violence extrême, tant il se caractérise par l’horreur de ses actes et par la peur, dans laquelle la population vit, qu’un nouvel attentat soit commis. Alors que les djihadistes n’hésitent pas à user d’amalgames religieux pour mieux servir leur propagande, il relève de notre responsabilité à tous de ne pas céder à cette facilité. Le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI) précise ainsi que le phénomène d’embrigadement des mineurs qui partent en Syrie ou en Irak ne doit pas s’appréhender sur un registre religieux mais sur le plan des ruptures sociales et familiales, comme n’importe quel endoctrinement qui utilise les techniques de dérive sectaire. Le CPDSI définit ainsi le radicalisme comme le discours qui utilise des préceptes religieux présentés comme
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musulmans pour mener un jeune à l’auto-exclusion et à l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas comme lui. Et lorsqu’un discours religieux conduit l’individu à la rupture (sociale, sociétale, familiale) allant jusqu’à le priver de ses droits les plus fondamentaux,on doit, selon le CPDSI, parler d’effet sectaire: les groupuscules djihadistes se ferment au monde extérieur ; la radicalisation s’y fait par l’enfermement dans une organisation sectaire dotée d’une identité forte, opposée à celle de la société globale. Cette analyse est partagée par Jean-Pierre Filiu, historien et spécialiste de l’Islam contemporain, pour qui le djihadisme islamique n’est pas un phénomène religieux mais un phénomène politique : «Daesh est une secte. Elle frappe d’autres musulmans.Son discours totalitaire ne peut prendre que chez ceux qui n’ont aucune culture musulmane. Plus vous aurez de culture religieuse, moins vous serez susceptible d’y adhérer. On est dans le monde de l’infra-religieux, de la sous-culture». Pour Farhad Khosrokhavar, «la transposition dans le registre religieux se fait en Europe avec d’autant plus de facilité que la personne est ignorante de l’islam et que sa méconnaissance lui ouvre les perspectives d’une identification aisée avec la religion d’Allah par l’unique registre du jihad». Il considère ainsi que le véritable problème n’est pas l’idéologie religieuse : certains radicalisés sont tout simplement déséquilibrés, au sens pathologique du terme, tandis que d’autres utilisent l’islam pour défier l’institution carcérale et la société. Etablir la distinction entre le djihadisme qui se prétend islamique et la pratique religieuse de l’islam est fondamental, pour que cesse toute stigmatisation envers les musulmans dans notre société. Il importe d’aller plus loin, en distinguant également le fondamentalisme musulman, conception radicale de l’islam qui n’est pas synonyme de haine ou de violence, et la radicalisation islamiste. Cette confusion est d’autant plus facile que le fondamentalisme est facilement repérable alors que la radicalisation islamiste se fait de plus en plus discrète. 1.2.L’ISLAMISME RADICAL A CONNU DES ÉVOLUTIONS RAPIDES SUR LA PÉRIODE RÉCENTE Il est fondamental, dans la construction d’une stratégie globale de lutte contre l’islamisme radical, de prendre pleinement conscience de son évolution, qui se caractérise en premier lieupar le fait qu’il est de moins en moins visible et qu’il prend des formes toujours plus diversifiées. L’origine d’Al-Qaida remonte aux années 1980, lorsque des camps ont été créés en Afghanistan, sous l’impulsion de Ben Laden, pour lutter contre le régime soviétique. Par la suite, une nouvelle génération de djihadistes a émergé, composée de jeunes dont l’apprentissage guerrier s’est fait sur la Toile beaucoup plus que sur le terrain. «On peut maintenant parler d’une troisième génération de jihadistes dont la formation se fait dans les pays arabes à l’Etat défaillant, à la suite de la crise induite par les révolutions arabes, notamment au Yémen, en Libye, sur la frontière algéro-tunisienne, mais aussi et surtout en Syrie» (Farhad Khosrokhavar). Cinq mutations récentes de l’islamisme radical peuvent être recensées :
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Alors que les islamistes impliqués dans les attentats du 11 septembre venaient tous du Moyen-Orient, un terroriste « maison », loin des groupes radicaux du Moyen-Orient, a émergé plus récemment, par l’entremise de connaissances personnelles et d’internet. Depuis la dernière décennie, on assiste à une mutation des formes visibles de la radicalisation en Europe. Le modèle ancien était marqué par le fait que l’individu en voie de radicalisation affichait un comportement proche de celui des fondamentalistes religieux. Désormais, un nouveau modèle de radicalisation, introverti et moins visible, émerge : en invoquant la «taqyia», c’est-à-dire la permission faite aux musulmans vivant dans des pays de guerre de dissimuler leur foi et d’en violer les préceptes pour mieux la défendre face aux infidèles, la plupart de ceux qui se radicalisent dissimulent leur foi pour échapper à la vigilance de la police et des services de renseignement. Ils refusent également, pour la plupart, tout contact avec les imams « modérés » des mosquées. La radicalisation est en quête de petits réseaux plutôt que de larges groupes. Depuis les attentats de Londres en 2005, toutes les tentatives d’attentats terroristes faites par des réseaux de plus de 3 ou 4 personnes ont échoué, alors que les attentats perpétrés par un individu isolé ou un microgroupe n’ont pu être évités (cf. l’affaire Merah ou les crimes commis dans les locaux de Charlie Hebdo). «A côté des jeunes de banlieues exclus et nourris de la haine de la société, émergent de nouveaux adeptes qui ont une relation beaucoup moins conflictuelle avec la société, leur quête de guerre contre l’ennemi trouvant une signification religieuse qui ne recoupe pas avec celle du rejet de la société française» (Farhad Khosrokhavar). Le départ des jeunes pour la Syrie est aussi l’expression d’un romantisme révolutionnaire et est souvent conçu par les djihadistes comme une « mission humanitaire », expression souvent évoquée dans leurs interviews ou messages avant leur départ. Enfin, d’après Dounia Bouzar, l'islamisme radical a affiné ses techniques d'embrigadement. Il touchait auparavant des jeunes plutôt fragiles, sans espoir social, qui surinvestissaient la religion comme seul support existentiel. Aujourd'hui, les recruteurs font basculer des jeunes sans problèmes particuliers. Toutes ces évolutions doivent être prises en compte dans la lutte contre l’islamisme radical. 1.3.QUI SONT LES PERSONNES RADICALISÉES ? Le profil des cibles radicalisées D’après Jean-Pierre Filiu, il n’existe pas de profil type du djihadiste. Les djihadistes sont issus de familles athées, catholiques, musulmanes, désunies, unies, insérées ou désocialisées, de banlieue ou de province. Il s’agit en majorité de jeunes, entre 15 et 28 ans. Le CPDSI, qui a analysé le cas de 55 familles, estime par ailleurs que les jeunes fragilisés socialement et familialement ne sont pas les seuls touchés et que la plupart appartiennent à des classes sociales moyennes ou supérieures.
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Il existe par ailleurs une forte proportion de convertis parmi les djihadistes. Sur les 376 Français présents en Syrie, 23 % n’ont pas été élevés dans la culture musulmane, d’après une information communiquée par le Parquet de Paris en novembre 2014. Enfin, d’après le CPDSI, dans les familles qui ont pris contact avec la structure, seuls 5 % des jeunes ont commis des actes de « petite délinquance » au début de leur adolescence. En revanche, 40 % d’entre eux ont connu des épisodes de dépression avec différents symptômes : états dépressifs, anorexie, scarification, isolement. Le nombre de djihadistes français 1 132 Français seraient « impliqués » dans le djihadisme, c’est-à-dire désireux de partir en Syrie ou en Irak, déjà sur place ou revenus.seraient actuellement 376 sur place, dont 88 femmes et 10 mineurs, selon les chiffres communiqués par le Parquet de Paris en novembre 2014. En avril 2013, l’étude « ICSR Insight: European Foreign Fighters in Syria » estimait que 30 à 92 Français étaient présents en Syrie. Les chiffres ont donc significativement évolué en un peu plus d’un an. D’après Gilles de Kerchove, coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, environ 3 000 européens au total seraient présents en Irak et en Syrie. Enfin, plus de 100 procédures judiciaires concernant près de 500 personnes sont à ce jour ouvertes en France (source : communiqué du Ministère de l’Intérieur du 15 décembre 2014). 2.LA PRÉVENTION DOIT ÊTRE UN AXE MAJEUR DE LA LUTTE CONTRE LA RADICALISATION 2 . 1 .UNE STRATÉGIE GLOBALE DE LUTTE CONTRE LA RADICALISATION DOIT ARTICULER PRÉVENTION ET RÉPRESSIONLe premier moyen d’action des pouvoirs publics dans la lutte contre l’islamisme radical doit consister à mettre en place des mesures de prévention. C’est un aspect qui a été largement délaissé en France jusqu’à présent, notamment en raison de notre conception de la laïcité. La lutte contre la radicalisation doit s’inscrire dans la durée et doit donc être pensée de manière stratégique avec un plan d’action complet et cohérent dont la mise en œuvre doit faire l’objet d’un suivi et d’une évaluation régulière. Cette organisation globale a d’ores et déjà été instaurée dans d’autres Etats européens depuis plusieurs années. Aux Pays-Bas, par exemple, a été mise en place, à partir de 2002, une approche globale, la « Stratégie nationale du contre-terrorisme pour 2011 – 2015 », qui se concentre sur 3 priorités :
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-favoriser l’intégration des populations musulmanes en introduisant des mesures de lutte contre les discriminations et en encourageant la participation sociale et politique ; -de la population musulmane à la radicalisation enaccroître la « résilience » soutenant les associations musulmanes porteuses d’un message modéré ; -isoler et combattre les phénomènes de radicalisation en mettant en place des procédures de tutorat pour les individus considérés « à risque ». La Belgique a adopté en avril 2013 un « programme de prévention de la radicalisation violente ». Ce programme repose sur 6 axes multidisciplinaires : approfondir les connaissances et l’information sur les phénomènes de radicalisation violente, l’échange d’informations et de bonnes pratiques et la constitution de groupes et réseaux d’experts ; prévenir la polarisation et la radicalisation violentes dans la société en limitant le terreau des frustrations qui peuvent en être à l’origine (lutte contre les discriminations et le racisme ; lutte contre le chômage des jeunes) ; accroître la résistance des individus, jeunes, groupes et communautés vulnérables contre la polarisation et la radicalisation violentes ; soutenir les stratégies locales, pédagogiques, associatives et médiatiques de prévention et impliquer, renforcer et soutenir les différents acteurs concernés (acteurs locaux, police, secteur associatif, responsables des politiques de la jeunesse, secteur médical, médias, implication des acteurs du monde religieux); lutter contre le radicalisme sur Internet et l’utiliser pour diffuser des contre-discours ; prévenir la radicalisation et développer la déradicalisation en prison. En France, le Gouvernement a présenté les grandes lignes d’un plan de lutte contre la radicalisation violente en avril 2014 qui vise à démanteler les filières, à empêcher les déplacements sources de menaces, à lutter contre la diffusion de contenus illicites sur les réseaux et à coopérer plus efficacement au niveau international. Ce plan a abouti à l’adoption de la loi du 14 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.A la suite des événements de janvier 2015, plusieurs mesures nouvelles ont été annoncées (augmentation des moyens de la police et de la justice, création d’un site Internet, sensibilisation à l’école, projet de loi sur le renseignement, crédits octroyés pour la prévention via le fonds interministériel de prévention de la délinquance).Ces mesures ponctuelles, décidées dans l’urgence, n’ont pas été articulées au sein d’une stratégie d’ensemble de lutte contre la radicalisation et aucun mécanisme de suivi n’a été créé pour s’assurer de leur mise en œuvre effective et évaluer leur efficacité. Par ailleurs, ces mesures mobilisent essentiellement les autorités publiques nationales au lieu de rechercher la mobilisation d’un nombre élargi d’acteurs. Il est donc impératif de donner de la cohérence à la lutte contre l’islamisme radical et d’élargir son champ à des actions durables de prévention. L’élaboration d’une stratégie globale (proposition n°1) doit associer l’ensemble des acteurs publics (ministères concernés mais aussi collectivités territoriales) et privés (représentants associatifs, intervenants auprès de la jeunesse, représentants
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de la communauté musulmane, experts, etc.). Parce que la prévention constitue une action structurante, en profondeur, cette stratégie doit être conçue pour être mise en œuvre de manière pluriannuelle. 2.2.UNE MEILLEURE INTÉGRATION FAIT PLEINEMENT PARTIE DE LA PRÉVENTION Comme indiqué précédemment, il est essentiel d’opérer une distinction claire entre islam et islamisme radical. Les djihadistes prétendent mener des combats terroristes pour défendre la religion musulmane contre les « mécréants », mais il s’agit en réalité d’une secte, qui répond aux mêmes caractéristiques que d’autres formes de sectes, et qui sert surtout à la défense des intérêts personnels, y compris économiques, de ceux qui la dirigent. Faire l’amalgame entre la religion musulmane et les actions terroristes des djihadistes revient à tomber dans le piège qu’ils nous tendent et à les servir. C’est exactement ce que les médias font lorsqu’ils reprennent à leur compte, sans s’interroger sur son bienfondé, l’expression d’ « Etat islamique ». Non, Daesh n’est ni un Etat ni une organisation islamique : c’est un groupe de terroristes islamistes. Accepter de le qualifier d’ « Etat islamique » revient à le mettre au même niveau que nos Etats-nations, à le légitimer aux yeux de jeunes qui n’ont pas le recul nécessaire pour comprendre sa véritable nature et à susciter des concurrences entre différents groupes islamistes (Daesh, Al Qaida, Boko Haram, etc.) qui rivalisent dans l’horreur pour exister médiatiquement. Pour faire reculer les amalgames, il est nécessaire de répéter sans relâche que la religion musulmane n’a rien à voir avec ces groupes terroristes et que les musulmans sont les premières victimes, dans le monde, des actes de barbarie des intégristes radicaux, non seulement pour que ne s’installe pas dans notre pays un climat islamophobe, mais aussi pour aider les jeunes tentés par le djihad à faire la part des choses. Il est également plus que jamais nécessaire de poursuivre les efforts pour rendre notre société plus cohésive, plus inclusive, notamment à l’égard des populations d’origine étrangère et/ou musulmanes. Ce combat doit être livré dès le plus jeune âge, dans les établissements scolaires.Il apparaît ainsi indispensable d’enseigner l’histoire du fait religieux et l’histoire des migrations dans le cadre l’éducation civique dans les collèges, en insistant davantage sur ce qu’il y a de commun entre l’Europe et les pays arabes (proposition n°2).Il ne s’agit pas pour autant de vider de tout contenu national les programmes d’histoire. Par ailleurs, il est nécessaire de mettre en place un réseau d’intervenants (associatifs, représentants des cultes, etc.) dans les établissements scolaires afin de favoriser le dialogue interculturel et interreligieux et de lutter cont re les préjugés (proposition n°3). Ceci ne peut reposer sur les seuls enseignants dont ce n’est pas le métier et qui doivent pouvoir se concentrer sur l’acquisition de connaissances et de compétences. L’agence française pour l’intégration, la cohésion et la déradicalisation - AFICoD (voir ci-dessous) pourrait faciliter la structuration d’un tel réseau d’intervenants et organiser leurs interventions en lien avec l’Education nationale.
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2.3.LA POLITIQUE DE PRÉVENTION DOIT RENDRE LA SOCIÉTÉ PLUS RÉSILIENTE AU DISCOURS RADICAL Des actions de prévention pourraient, à l’instar de ce qui est fait à l’étranger, être mises en place en France. Celles-ci s’articuleraient autour de deux axes visant à mettre fin au recrutement de djihadistes : le renforcement de la résilience de la société et de la jeunesse au discours radical ; la déconstruction du discours djihadiste permettant de montrer la vraie nature du djihadisme. Ces mesures nécessitent toutefois, pour qu’elles puissent être mises en œuvre, que les pouvoirs publics aient une vision de la laïcité plus souple, pour qu’elles n’empêchent pas la coopération des autorités religieuses et civiles. Afin de prévenir les départs, il est important de développer les facteurs de protection des jeunes, plus facilement influençables, contre les recruteurs qui exploitent leurs vulnérabilités. Des acteurs associatifs œuvrent au Royaume-Uni dans ce sens au moyen d’outils de sensibilisation et d’intervention afin derendre la société plus cohésive et plus résiliente.En Allemagne, des interventions auprès des associations de jeunes, des écoles, des jeunes délinquants sont organisées dans un but de déradicalisation. Ces interventions sont centrées sur une approche pédagogique de la démocratie, de l’éducation civique. Cette approche est complétée par une approche plus « psychologique » dans le cadre de groupes de travail dédiés. Une autre initiative britannique vise à renforcer la résilience contre les discours absolutistes et réactionnaires enapportant des contre-narrations aux discours terroristes. Les individus radicalisés font l’objet d’une prise en charge individuelle intensive et leurs familles bénéficient d’un accompagnement. Des ateliers sont organisés pour mieux comprendre l’Islam, les mentalités et les différences culturelles, notamment à partir d’études de cas. Il est également possible de faire témoigner les familles des jeunes qui sont partis et qui sont revenus désillusionnés. Ces programmes éducatifs basés sur des témoignages ont été mis en œuvre au Royaume-Uni. Le recours à des personnalités « modèles » (sportifs, acteurs, musiciens) peut aussi se révéler efficace. Au Danemark, le ministère des affaires sociales a mis en place depuis 2008 des programmes de mentorat destinés aux jeunes qui montrent des signes de radicalisation. La relation directe entre le mentor et le jeune radicalisé permet de mettre en œuvre une stratégie de sortie de la radicalisation sur la base d’entretiens individuels. En Suède, une association regroupant des volontaires s’efforce de décourager les jeunes sur le point de rejoindre la Syrie. Ces bénévoles, dont de jeunes musulmans, se rendent chaque jour dans trois aéroports du pays pour tenter de repérer des individus sur le départ et les convaincre de renoncer à leurs projets. L’exemple de Vilvorde : Hans Bonte, maire de Vilvorde, a été convié à la Maison Blanche en février dernier pour partager l’expérience de sa commune engagée
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depuis plusieurs années contre la radicalisation. Dans cette commune belge dont 28 jeunes sont partis combattre en Syrie, il n’y a plus eu de nouveau départ depuis mai 2014. Pour lutter contre la radicalisation des jeunes, la commune a retenu une approche « individualisée ». Un fonctionnaire chargé de la coordination des mesures anti-radicalisation a été recruté. Sur le plan religieux,les responsables du culte musulman doivent être mobilisés pour démentir le discours extrémiste. Au Royaume-Uni, un programme (STREET) à destination des jeunes musulmans a été mis en place dans les quartiers du sud de Londres. Ce programme a été développé à l’initiative de la communauté musulmane. Il vise à contrer l’impact de la propagande des mouvements radicaux parmi les jeunes musulmans, en particulier les nouveaux convertis. Un mentorat personnalisé est proposé pour « reconnecter les jeunes à la société » (formation religieuse, à la citoyenneté, au développement personnel, pour une citoyenneté positive, aide sociale). Au cours de la seule année 2010, le programme a permis d’établir un contact avec plus de 4 500 jeunes musulmans. Toujours au Royaume-Uni, partant du constat que la radicalisation des jeunes musulmans est le produit de la diffusion d’interprétations erronées de l’Islam et de l’absence de réelle formation religieuse, les praticiens expérimentés de la West London Initiative proposent interventions et ateliers visant à favoriser une meilleure compréhension des croyances et valeurs. La France pourrait elle aussi s’engager résolument dans une politique préventive en soutenant les projets de la société civile qui cherchent à contrer le discours radical, à travers l’intervention de repentis, le témoignage de victimes du terrorisme (proposition n°4). L’accent devrait également être mis sur les projets visant à renforcer la résilience de la jeunesse en développant leur esprit critique, notamment vis-à-vis d’internet et des réseaux sociaux qui sont les principaux vecteurs de la propagande djihadiste. Au lieu de tout miser comme le fait le Gouvernement sur un site internet public « informatif » (stop-djihadisme.gouv.fr), l’AFICoD (voir proposition n°5 ci-dessous) pourrait soutenir les initiatives collectives et individuelles tendant à déconstruire le discours djihadiste sur internet afin de mieux diffuser l’information et la rendre plus accessible au public cible que représentent les jeunes, plus sensibles à des spots parodiques, au recours à la dérision et au caractère interactif des réseaux sociaux qu’à une communication institutionnelle figée. Face à la communication extrêmement offensive des djihadistes sur internet, seule une action diffuse s’appuyant sur une multitude d’acteurs, de sites et de réseaux sociaux peut permettre de contrer la propagande radicale.
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