Civilisation et philosophie - article ; n°74 ; vol.19, pg 157-176
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Revue néo-scolastique de philosophie - Année 1912 - Volume 19 - Numéro 74 - Pages 157-176
20 pages

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Publié le 01 janvier 1912
Nombre de lectures 23
Langue Français
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Extrait

Maurice De Wulf
Civilisation et philosophie
In: Revue néo-scolastique de philosophie. 19° année, N°74, 1912. pp. 157-176.
Citer ce document / Cite this document :
De Wulf Maurice. Civilisation et philosophie. In: Revue néo-scolastique de philosophie. 19° année, N°74, 1912. pp. 157-176.
doi : 10.3406/phlou.1912.2015
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0776-555X_1912_num_19_74_2015VI.
CIVILISATION ET PHILOSOPHIE.*)
Mesdames, Messieurs,
La Renaissance fit peser sur la civilisation du moyen
âge un long et injuste mépris.
Ses mœurs furent taxées de barbarie, sa science d'enfant
illage, sa religion de fanatisme, sa philosophie de vaine
dialectique. Ces accusations, qui ont traîné chez une multi
tude d'historiens, ont pu vivre de l'ignorance générale et
volontaire, personne n'entreprenant l'étude impartiale qui,
seule, les pouvait dissiper. Ce qui est plus étrange, et
montre la puissance du préjugé, c'est que même l'art médié
val ait, pendant trois siècles, pâti de ce mépris, et que des
hommes de goût l'aient côtoyé sans en apercevoir les
beautés.
Fénelon, Molière, Montesquieu, Schopenhauer n'ont-ils
pas médi des cathédrales gothiques ? Et Goethe, chez qui
l'on avait entretenu ces répugnances, n'a-t-il pas dû faire
effort pour s'éprendre de la majestueuse cathédrale de
Strasbourg qui dresse sa flèche rouge au-dessus des plaines
de l'Alsace ?
sous dans Cette *) Conférence la première présidence série des conférence faite Cours de à Mgr l'Institut et conférences Baudrillart, paraît Catholique aussi de recteur dans la de Revue la Paris, de Revue l'Institut de le 17 Philosophie, de janvier Catholique. Philoso1912,
phie. Deux autres conférences (24 et 31 janvier) eurent pour sujet: L'essor
de la scolastique et Le choc des idées au moyen âge. Les trois conférences
furent inscrites sous le titre général : < Les courants philosophiques du
moyen âge occidental.
1 M. DE WULP 158
Aujourd'hui les choses ont changé. L'art gothique a fait
l'objet de patientes études ; et, au fur et à mesure qu'on
apprit à le comprendre, on apprit à l'aimer. La philosophie
du moyen âge, d'une exploration plus difficile, ressemble
depuis vingt ans à un vaste champ de fouilles qu'on remue
de tous côtés. Déjà des constructions d'idées se dessinent et
se superposent, et les travailleurs sont frappés de la richesse
des systèmes mis au jour. Il en est de même de l'histoire
des sciences médiévales, que l'on ne peut traiter sans une
préparation très spéciale ; recherches nées d'hier, qui déjà
ont fait découvrir dans le passé les sources de plus d'une
théorie moderne. Enfin, comme dans les travaux de Pompéi
ou de Timgad, toute la civilisation qui couvrait le sol
médiéval est mise à nu, et ses facteurs apparaissent entre
lacés dans un vaste réseau d'influences réciproques.
L'art et la philosophie sont la fleur de cette culture, et
je me propose de vous montrer que les systèmes philoso
phiques éclos dans ce milieu lui sont redevables de certains
caractères, très généraux, qui leur donnent une physio
nomie commune, et qu'il importe de fixer.
I.
Le premier est le caractère religieux de la philosophie ;
il dérive de l'absolue souveraineté du catholicisme.
Le génie de la civilisation médiévale est le produit de
trois facteurs : la culture latine, le tempérament propre des
races teutonnes et celtiques, la religion chrétienne. Le
monde romain survécut à la chute de l'Empire, non seul
ement par ses institutions sociales et ses conceptions juri
diques, mais par sa langue, sa littérature, ses idées ; et,
jusqu'au xne siècle, c'est par le canal du latin que la phi
losophie grecque se répandit sur l'Occident. Les peuples
italiques dont les ancêtres avaient gouverné le monde, les
peuplades de la Gaule et de l'Espagne, fixées sur un sol de
colonisation romaine, se laissèrent profondément imprégner CIVILISATION BT PHILOSOPHIE 150
par la culture ancienne ; et on la retrouve même chez les
descendants de ces peuples germaniques qui, autrefois, sous
le nom de barbares, montèrent à l'assaut de l'empire
romain. Le christianisme est la force qui transforma ces
deux éléments, le creuset où tout se fusionna. Il assouplit
les races, changea les mœurs, insuffla un esprit nouveau,
et le moyen âge occidental lui est redevable d'une ment
alité spécifique qui différencie cette époque de toute autre
époque de l'histoire.
Un moment vint où la longue élaboration, commencée au
ive siècle, aboutit à un point culminant. C'est le xme siècle,
qui confère à la civilisation du moyen âge son maximum
d'originalité, à sa philosophie le maximum de puissance.
Or, la religion catholique est l'âme de cette civilisation,
l'inspiratrice de son état social et de sa politique, la régul
atrice de son art, de sa science, de sa philosophie. La cité
terrestre est la réplique de la cité divine, conformément
aux plans de la Civitas Dei de saint Augustin, dont les con
ceptions téléologiques exercent un ascendant considérable.
Voilà pourquoi l'Etat est subordonné à l'Eglise, l'empire
chrétien à la Papauté. Le Pape occupe une place centrale
en Occident, et c'est lui qui couronne les princes et les rois.
La hiérarchie ecclésiastique fixe dans leurs grandes lignes
les divisions administratives des royaumes et des empires ;
l'esprit de foi provoque les croisades, suscite les grandes
associations monastiques, pénètre la féodalité, inspire la
vie familiale et domine le groupement corporatif.
Dans la corporation, le travail est une chose sainte, les
maîtres sont égaux, l'art est allié au métier, l'institution
du chef-d'œuvre garantit la qualité du produit. C'est parce
qu'on travaillait pour Dieu que le xme siècle a su couvrir
le sol de la France d'abord, celui de la Germanie ensuite,
de gigantesques cathédrales, ciselées comme des bijoux.
Et là aussi éclate l'union intime de la religion et de la
beauté. Les cathédrales sont à la fois des merveilles d'art
et des symboles de prière. L'église d'Amiens, qui fut le M. DE WULf 160
prototype des grands monuments français, est une démons
tration éclatante des ressources esthétiques de la formule
ogivale. Celle de Chartres étale non moins brillamment ses
ressources iconographiques. Chaque pierre y a son langage.
Tapissée de sculptures, elle présente un programme rel
igieux complet. Elle est pour le peuple le grand livre d'his
toire sainte, le catéchisme en images. La peinture des
vitraux, la poésie sous toutes ses formes, accusent les mêmes
alliances indéfectibles. Considérez Amiens ou Chartres,
Paris ou Laon, partout est soulignée la fonction du temple
destiné aux masses ; partout les regards convergent vers
l'autel qui résume l'idée du sacrifice. Les fresques de Giotto
dégagent un parfum de vie religieuse ; les poèmes de saint
François et la Divine Comédie, en chantant la nature,
élèvent l'âme vers Dieu.
Si des choses de l'art on passe aux choses de la science,
le souffle religieux se fait sentir de plus en plus puissant.
Pendant tout le moyen âge la science est inféodée à l'état
clérical. Écoles capitulaires et monacales, populaires et
chevaleresques, sont religieuses par leur fondation et leur
organisation. On sait que le merveilleux essor des sciences,
de la philosophie et de la théologie qui fait la gloire du xme
siècle est dû à l'action convergente et heureuse de divers
facteurs, savoir : l'initiation de l'Occident aux œuvres fon
damentales des philosophies grecque et arabe ; l'érection
des Ordres mendiants ; la création d'une grande métropole
d'études à Paris. Or, tous les ouvriers de ce travail de
renaissance sont des gens d'Église ; les grandes œuvres
d'Aristote, de Proclus, d'Averroès, d'Avicenne, qui plon
gèrent les Occidentaux dans l'émerveillement, furent tra
duites par des clercs et des moines fixés en Grèce et en Sicile,
ou encore à Tolède, où l'évêque Raymond entretenait un

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