La critique du modèle industriel comme histoire de la rareté. Une introduction à la pensée d Ivan Illich - article ; n°81 ; vol.89, pg 47-62
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Revue Philosophique de Louvain - Année 1991 - Volume 89 - Numéro 81 - Pages 47-62
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Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 39
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Hans Achterhuis
La critique du modèle industriel comme histoire de la rareté. Une
introduction à la pensée d'Ivan Illich
In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 89, N°81, 1991. pp. 47-62.
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Achterhuis Hans. La critique du modèle industriel comme histoire de la rareté. Une introduction à la pensée d'Ivan Illich. In:
Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 89, N°81, 1991. pp. 47-62.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1991_num_89_81_6670La critique du modèle industriel
comme histoire de la rareté
Une introduction à la pensée d'Ivan Illich
Dans le cadre de cet article, j'ai choisi d'adopter principalement
une ligne chronologique 1 . A partir de ses premiers articles, je suivrai les
différents concepts qu'Illich a forgés pour comprendre la modernité. Je
terminerai par une discussion approfondie du concept de rareté. Par
cette approche chronologique, j'espère pouvoir montrer qu'il existe une
unité fondamentale dans sa philosophie, une unité dont le concept de
rareté est plus ou moins le corollaire logique. Je ne veux pas pour
autant nier qu'il y ait des décalages dans sa thématique. Justement, ce
sont ces décalages qui sont à l'origine des objections et déceptions de
beaucoup de ses lecteurs et partisans initiaux, auxquels je vais essayer
ici de répondre dans le cadre même de l'œuvre d'Illich.
La déyankification
Le premier concept important, quoique guère philosophique —
c'est plutôt une devise pour l'action, — ce fut la déyankification. Dans
son travail de prêtre à New York, Porto Rico et enfin au CIDOC à
Cuernavaca, Illich défendait de toutes ses forces les valeurs culturell
es des très diverses cultures d'Amérique Latine contre l'invasion du
modèle unique des États-Unis. C'était l'époque des croisades optimistes
pour le développement du Tiers-Monde, dans lesquelles la civilisation
occidentale et l'interprétation occidentale de la religion chrétienne
étaient promulguées dans le Tiers-Monde. C'était l'époque aussi où le
président Kennedy installait le Peace Corps (Corps de Paix) et annonç
ait l'Alliance pour le Progrès. Selon Illich, toutes ces activités mission
naires homogénéisaient et uniformisaient l'espace mondial. Les multi
ples cultures, avec toutes les différences qualitatives existant en leur sein
1 Comme dans l'article d'introduction à la philosophie d'Illich de mon ancien
étudiant Niko Koning (1985), que je suivrai ici assez fidèlement. 48 Hans Achterhuis
et avec d'autres cultures existantes, risquaient d'être remplacées par la
culture occidentale moderne qui ne connaît que les differences quantitat
ives entre personnes et cultures. Au CIDOC, Illich a essayé de déyan-
kifier les prêtres et les assistants sociaux nord-américains. Il les a
confrontés aux valeurs positives de la culture latino-américaine et à la
relativité de leur propre civilisation.
Dès ses premiers articles on note déjà la présence implicite de l'idée
selon laquelle la société industrielle moderne est vouée par nécessité à
l'expansion. Elle est construite sur un fondement qui nécessite la
croissance et l'incorporation de domaines géographiques et culturels
toujours nouveaux. La résistance ouverte et active d'Illich à cette
époque était dirigée surtout contre l'expansion violente des États-Unis
au Vietnam. En même temps, dans certains articles, il soutenait que
l'expansion douce et bien intentionnée de l'aide au développement
menaçait d'être plus violente, parce que, pour utiliser un concept récent
de Jûrgen Habermas, elle menaçait de coloniser partout le monde vécu
des cultures les plus différentes.
Pour une révolution des institutions
Dans ces articles, parus dans Libérer l'avenir, Illich prônait déjà
une révolution institutionnelle. Dans son premier livre Une société sans
école, il analyse et critique une des institutions centrales du monde
moderne: l'enseignement. A l'aide de beaucoup d'exemples bien choisis
et d'arguments tranchants, il démystifie cette institution-clé de la société
industrielle. Les écoles ne donnent pas aux élèves l'autonomie et
l'indépendance, mais au contraire elles les préparent pour toute une vie
de dépendance. Des enfants, qui pendant environ 16 années ont appris
qu'ils ne peuvent acquérir des connaissances que grâce à une consom
mation passive au sein d'une institution, sont accoutumés pour le reste
de leur vie à consommer, au lieu de faire et découvrir des choses par
eux-mêmes.
Un autre argument contre l'enseignement est qu'il ne promeut pas
du tout l'égalité, comme le veut l'idéologie moderne. Au contraire, les
inégalités traditionnelles de la naissance et de la richesse sont partiell
ement remplacées et partiellement renforcées par les inégalités dans
l'enseignement. Et celles-ci sont d'autant plus navrantes que l'idéologie
des chances égales suggère qu'on doit se les reprocher à soi-même.
Dans Une société sans école, les exemples tirés du Tiers-Monde
sont particulièrement frappants. La croissance continuelle et la richesse La critique du modèle industriel comme histoire de la rareté 49
du monde occidental — nous sommes encore avant la crise de 1974 — y
masquent les effets néfastes de l'école. Dans le Tiers-Monde, par contre,
on ne peut pas manquer de les remarquer. La grande majorité très
pauvre du peuple ne finit guère l'école élémentaire. Mais avec les taxes
qu'elle paie, elle rend possible l'enseignement universitaire à une très
petite minorité. Dans le Tiers-Monde plus qu'en Occident, il est évident
également pour tous que sert surtout à propager les
valeurs modernes. Les traditions culturelles originelles sont discréditées,
il est suggéré qu'hors du mode de vie occidental il n'y a point de salut.
Il est significatif que le mot-clé du livre d'Illich, la déscolarisation
(qui figure dans le titre anglais original, Deschooling Society) est encore
une devise pour l'action. L'institution de l'école doit être détruite, elle
doit céder la place aux réseaux d'éducation multiples, dans lesquels il
est possible à tous d'apprendre librement et créativement. Si nous
regardons maintenant l'accueil réservé à Une société sans école et aux
suggestions qu'Illich y fait pour une alternative à l'école, il nous devient
possible de mieux comprendre la tournure ultérieure de son œuvre, qui
sera si sévèrement critiquée par beaucoup de ses lecteurs actuels. Une
société sans école connaît un accueil chaleureux aussi bien en Occident
que dans beaucoup de pays du Tiers-Monde. De nombreux lecteurs y
voient le reflet de leurs sentiments confus de malaise face à l'enseigne
ment. Et Illich avait beau dire explicitement à la fin de son livre qu'il
s'agissait plutôt d'instaurer une autre économie qu'un autre système
éducatif, c'étaient surtout ses remarques sur les nouveaux réseaux
d'enseignement qu'on retenait de son livre. Un peu partout dans le
monde ces types de réseaux, visant souvent à une éducation dite
permanente, virent le jour. Les bureaucrates de l'enseignement em
ployaient la critique illichienne de l'école pour étendre leur prise au-delà
des frontières de cette institution. Les propositions d'Illich étaient
privées de leur contexte critique pour être appliquées dans un sens tout
à fait contraire à ses intentions.
Dans une publication ultérieure au titre significatif Imprisoned in
the Global Class Room («Emprisonnés dans la salle de classe planét
aire»), Illich a combattu avec beaucoup de force ces développements
qui avaient lieu en partie en faisant appel à son livre. Quand tout
l'espace de la vie est en train de devenir un terrain de chasse privilégié
pour l'enseignement professionnel, Illich avoue qu'il rêve nostalgique-
ment à l'école traditionnelle, que pourtant il avait attaquée avec véhé
mence. Quand toute expérience humaine risque d'être employée comme 50 Hans Achterh

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