La morale de Spinoza et le salut par la foi - article ; n°39 ; vol.78, pg 345-364

Atilano Domínguez

Description

Revue Philosophique de Louvain - Année 1980 - Volume 78 - Numéro 39 - Pages 345-364
The author sets out to interpret Spinoza's famous text (ch. xv of the Tractatus Theologico-Politicus) on the possibility of salvation by faith and obedience, by projecting it in the general framework of Spinoza's system, understood as a metaphysics of participation (the finite is a part of the infinite) and as an ethics of gradual salvation by the degrees of knowledge. He concludes that the text analysed does not have a Christian meaning, as the supernatural does not have any place in Spinoza, but does have a Spinozan meaning: faith contributes to salvation, because it is not ignorance or error, but intimate and active conviction, bound to common notions and to reason.
L'auteur se propose d'interpréter le célèbre texte de Spinoza (chap, xv du Traité théologico-politique), sur la possibilité d'un salut par la foi et l'obéissance, en le replaçant dans le cadre général du système spinozien, entendu comme métaphysique de la participation (le fini est partie de l'infini) et comme morale du salut graduel par les degrés de la connaissance. Il conclut que le texte analysé n'a pas un sens chrétien, car le surnaturel n'a pas de place chez Spinoza, mais un sens spinozien : la foi contribue au salut, car elle n'est pas ignorance ni erreur, mais conviction intime et active, liée aux notions communes et à la raison.
20 pages

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: REVUE_PHILOSOPHIQUE_DE_LOUVAIN
• Publié le: 01 janvier 1980
• Nombre de lectures: 25
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Atilano Domínguez
La morale de Spinoza et le salut par la foi
In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 78, N°39, 1980. pp. 345-364.
Abstract
The author sets out to interpret Spinoza's famous text (ch. xv of the Tractatus Theologico-Politicus) on the possibility of salvation
by faith and obedience, by projecting it in the general framework of Spinoza's system, understood as a metaphysics of
participation (the finite is a part of the infinite) and as an ethics of gradual salvation by the degrees of knowledge. He concludes
that the text analysed does not have a Christian meaning, as the supernatural does not have any place in Spinoza, but does have
a Spinozan meaning: faith contributes to salvation, because it is not ignorance or error, but intimate and active conviction, bound
to common notions and to reason.
Résumé
L'auteur se propose d'interpréter le célèbre texte de Spinoza (chap, xv du Traité théologico-politique), sur la possibilité d'un salut
par la foi et l'obéissance, en le replaçant dans le cadre général du système spinozien, entendu comme métaphysique de la
participation (le fini est partie de l'infini) et comme morale du salut graduel par les degrés de la connaissance. Il conclut que le
texte analysé n'a pas un sens chrétien, car le surnaturel n'a pas de place chez Spinoza, mais un sens spinozien : la foi contribue
au salut, car elle n'est pas ignorance ni erreur, mais conviction intime et active, liée aux notions communes et à la raison.
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Domínguez Atilano. La morale de Spinoza et le salut par la foi. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 78,
N°39, 1980. pp. 345-364.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1980_num_78_39_6094La morale de Spinoza
et le salut par la foi
II y a dans l'œuvre de Spinoza un texte célèbre qui constitue la
«crux» des lecteurs du Traité théologico-politique (TTP) et des interprètes
de la philosophie spinozienne en général l . Il faut le transcrire ici dans son
intégralité.
«La puissance de la raison, dit Spinoza, ... n'arrive pas à déterminer
que les hommes puissent être heureux par l'obéissance seule, sans la
connaissance intellectuelle des choses»2. «Mais, s'il est vrai que nous ne
pouvons démontrer par la raison la vérité ou la fausseté du fondement de
la théologie, à savoir que les hommes sont sauvés aussi par l'obéissance
seule, on peut nous faire cette objection: pourquoi le croyons-nous? Si
nous l'acceptons sans raison, comme des aveugles, nous aussi agissons en
insensés et dépourvus de jugement. Si, au contraire, nous prétendons que
ce fondement peut se démontrer par la raison, la théologie deviendra
donc une partie de la philosophie et on ne devrait pas l'en séparer»3. Que
faire alors? Opterons-nous pour la philosophie ou pour la théologie?
La difficulté surgit justement de ce que Spinoza ne semble pas
douter dans son choix. «Bien qu'on ne puisse prouver par une démonst
ration mathématique ce fondement de toute la théologie et de l'Écriture,
il est prudent et raisonnable (sano tamen judicio) de l'accepter. Car il est
insensé {inscitid) de ne pas vouloir accepter quelque chose, pour la simple
raison qu'elle ne peut être démontrée mathématiquement, quand elle est
confirmée par le témoignage de tant de prophètes, qu'il en découle une si
grande consolation pour ceux qui ne sont pas si {non ita) doués de raison
et une certaine utilité pour l'État, et que nous pouvons la croire sans
aucun risque ni inconvénient. Comme si, pour ordonner sagement
(sapienter) notre vie, nous ne tenions pour vrai rien dont on puisse avoir
1 Le terme «crux» est employé par Henri Oldenburg: «quae in TTP crucem
lectoribus fixere» (Ep 71, 222; cfr. Ep 73, 225; Ep 1, 4). (Les pages correspondent à l'éd. de
J. van Vloten et J. P. N. Land, Spinoza. Opera..., 4 1. [2 vol.], La Haye, Nijhoff, 19143 et
les sigles aux œuvres de Spinoza).
2 TTP, 15, 254.
315, 254-5. 346 Atilano Dominguez
des raisons de douter»4. D'autant plus qu'il s'agit d'un dogme enseigné
aussi par le Christ, «à qui ont été révélés immédiatement, sans paroles ni
visions, les desseins de Dieu qui conduisent les hommes au salut»5, et
que, si nous ne l'acceptions pas, «nous douterions du salut de presque
tous»6.
Comment concilier cette affirmation du salut par la foi avec la
doctrine spinozienne du salut par la connaissance et l'amour de Dieu? A
cette question décisive on a donné plusieurs réponses. Les unes
s'efforcent de signaler une contradiction, consciente ou inconsciente, par
ruse, par oubli ou par force, entre les deux thèses7 ; les autres essaient de
la surmonter en rapprochant le concept de salut ou béatitude de celui de
foi ou obéissance8.
Le travail le plus complet est sans doute celui de Mathéron. L'auteur
essaie de sauver les «ignorants» en les faisant arriver à la sagesse9. En
effet, le Christ a enseigné un petit ensemble de vérités, qu'on peut appeler
«le credo minimun»10, qui coïncide justement avec la doctrine de
Y Éthique; il mérite donc le titre de philosophe, de philosophe spinozis-
te11. En outre, il a été le seul à connaître le dogme fondamental de
l'Écriture, d'après lequel l'obéissance seule suffit au salut12. Dès lors, si
nous supposons que Spinoza est sincère13, ce dogme doit être vrai. Mais
4 TTP, 15, 256.
s 1, 99.
6 TTP, 15, 258.
7 Cfr. L. de Velthuysen, Ep 4, (1671) 148; H. Oldenburg, Ep 61 (1675) 201:
«damnum molians»; Ep 62, 202: «misceas»; A. Nossig, Versuch einer praktischen Kritik
der Lehre Spinozas..., Stuttgart (1895), II, 1, § 19; Ph. Borrell, Spinoza interprète du
judaïsme et du christianisme, Ann. Phil. Chrét., Paris (1912), 288; Leo Strauss, How to
study Spinoza 's Theological-political Treatise, in Persecution and art of writing, Glencoe,
Illinois (1952), 142-201; S. Zac, Les avatars de l'interprétation de l'Écriture chez Spinoza,
Rev. Hist, et Phil. Relig., 42 (1962), 18, 29-34; Spinoza et l'interprétation de l'Écriture, Pans,
PUF (1965), 230-1 ; Fr. Kaplan, Le salut par l'obéissance et la nécessité de la révélation chez
Spinoza, Rev. Met. et Mor., 78 (1973) 1-3, 11-2, 17;
8 Ch. Appuhn, Spinoza. Œuvres, trad, etc., Paris, Garnier FI. (1964-6), II, 10-2; 362,
note 3; 371, note 4; B. Rousset, La perspective finale de «l'Éthique» et le problème de la
cohérence du spinozisme, Paris, Vrin (1968), 210-22; G. Van Riet, Actualité de Spinoza,
Rev. Phil. Louvain, 66 (1968), 66-9 ; J. Lacroix, Spinoza et le problème du salut, Paris, PUF
(1970), 98-100, 103, 109; A. Mathéron, Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza,
Paris, Aubier (1971), 150, 172, 199, 207, 221-2, 226-42.
9 A. Mathéron (cit. note 8), 246-9.
10 Ib. 72-3.
1 * Ib. 90-4, 1 22-7, 1 38-41 . « Le Christ, lui, fut exotériquement chrétien, et ésotérique-
ment philosophe» (141).
12 Ib. 143-7.
13 Ib. 149-50. La morale de Spinoza et le salut par la foi 347
l'obéissance est incompatible avec le salut14. Mathéron essaie alors de
rapprocher l'ignorant de la sagesse, en faisant appel à l'idée d'un progrès
indéfini de l'humanité et à la théorie des réincarnations successives de
l'esprit individuel15. Mais il doit reconnaître, finalement, que le résultat
est décevant16. «Peut-être subsistera-t-il un certain nombre, voire un très
grand nombre, des débiles irréductibles qui ne dépasseront jamais le
stade de la soumission contrainte»17. C'est pourquoi la science du Christ
devient elle-même problématique18.
Il nous semble que le problème n'est pas résolu, parce qu'on l'a
envisagé dans une «perspective» trop étroite, celle de TTP, 15
(Mathéron) ou celle de E, V (Rousset). A notre avis, cette perspective
doit être beaucoup plus vaste; elle doit tenir compte notamment de TTP,
1-2 et de E, II. En effet, ce qui est ici en jeu, ce sont les rapports entre
salut spinozien et salut chrétien, d'une part, entre foi et degrés de
connaissance, d'autre part. La réponse, s'il y en a une, doit consister à
garantir, en même temps, la différence et l'unité entre foi et salut, ce qui
ne peut se faire que par la théorie spinozienne des degrés de la
connaissance et par la théorie parallèle des degrés