Sur Marx, l'art et la vérité - article ; n°14 ; vol.72, pg 311-327

Jacques Taminiaux

Description

Revue Philosophique de Louvain - Année 1974 - Volume 72 - Numéro 14 - Pages 311-327
This study attempts to show that a certain ontology of production as access to self-presence and to self-enjoyment grounds Marx's thoughts on art. It is this ontology of production which guides in particular the interpretation of art as ideology, and the suspicion which- is attached to it as such. But it is also this ontology of production which grounds, apparently in contrary fashion, the attribution of an aesthetic connotation to the original movement of praxis. The author points out the aspects which mark the continuity of this approach to art with metaphysics from its foundation with Plato up to its completion with Hegel.
Cette étude tente de montrer qu'une certaine ontologie de la production comme accès à la présence à soi et à la jouissance de soi fonde les considérations de Marx sur l'art. C'est elle qui guide en particulier l'interprétation de l'art comme idéologie, et la suspicion qui lui est adressée à ce titre. Mais c'est elle aussi qui fonde en sens apparemment inverse l'attribution au mouvement originaire de la praxis d'une connotation esthétiste. L'auteur indique les traits qui marquent la continuité de cette approche de l'art avec la métaphysique depuis sa fondation platonicienne jusqu'à son achèvement hégélien.
17 pages

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: REVUE_PHILOSOPHIQUE_DE_LOUVAIN
• Publié le: 01 janvier 1974
• Nombre de lectures: 36
• Langue: Français
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Extrait

Jacques Taminiaux
Sur Marx, l'art et la vérité
In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 72, N°14, 1974. pp. 311-327.
Abstract
This study attempts to show that a certain ontology of production as access to self-presence and to self-enjoyment grounds
Marx's thoughts on art. It is this ontology of production which guides in particular the interpretation of art as ideology, and the
suspicion which- is attached to it as such. But it is also this ontology of production which grounds, apparently in contrary fashion,
the attribution of an aesthetic connotation to the original movement of praxis. The author points out the aspects which mark the
continuity of this approach to art with metaphysics from its foundation with Plato up to its completion with Hegel.
Résumé
Cette étude tente de montrer qu'une certaine ontologie de la production comme accès à la présence à soi et à la jouissance de
soi fonde les considérations de Marx sur l'art. C'est elle qui guide en particulier l'interprétation de l'art comme idéologie, et la
suspicion qui lui est adressée à ce titre. Mais c'est elle aussi qui fonde en sens apparemment inverse l'attribution au mouvement
originaire de la praxis d'une connotation esthétiste. L'auteur indique les traits qui marquent la continuité de cette approche de l'art
avec la métaphysique depuis sa fondation platonicienne jusqu'à son achèvement hégélien.
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Taminiaux Jacques. Sur Marx, l'art et la vérité. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 72, N°14, 1974. pp.
311-327.
doi : 10.3406/phlou.1974.5791
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1974_num_72_14_5791Sur Marx, Part et la vérité
Le propos limité de cette communication est de contribuer à
une interrogation des fondements de l'approche marxienne de Fart
comme idéologie. Je dis « marxienne » parce que je m'en tiendrai au
texte de Marx.
On sait que le terme «idéologie», dans l'acception péjorative
et critique qui est sienne maintenant, a été introduit par Marx et
Engels en 1845 pour désigner les conceptions philosophiques qu'ils
avaient partagées jusqu'alors avec les penseurs post-hégéliens. L'appel
lation Deutsche Idéologie vise ces conceptions, et l'ouvrage ainsi inti
tulé était destiné à établir une démarcation nette entre elles et le
champ de pensée nouveau auquel Marx et Engels viennent d'accéder.
Le mot 'Idéologie' est donc un mot d'adieu : pour Marx et Engels émigrés
à l'Ouest, il donne congé à un lieu : l'Allemagne économiquement et
politiquement arriérée, et à un temps qu'ils ont vécu, celui de la critique
philosophique. Est « idéologie » ce dont ils prennent distance après
s'en être nourris. Bien entendu, cette distance ne concerne pas que
leur biographie intellectuelle, il s'y agit de la chose même, de la Wirk-
lichkeit, de ce qui est en vérité.
La distance dans laquelle l'idéologie peut se dénoncer et se dis
créditer comme telle, c'est pour Marx l'écart qui sépare 1' « ombre »
de l'effectivité (Wirklichkeit). Sont idéologues ceux qui mènent le
combat de la critique contre des ombres, qui par là substituent des
ombres nouvelles à des ombres anciennes, sans rencontrer jamais
les choses réelles. Or le séjour de l'ombre, son lieu privilégié, n'est
autre que la conscience. Marx écrit : «La conscience ne peut jamais
être autre chose que l'être qui est conscient (das bewusste Sein),
et l'Être des hommes est le processus de leur vie effective. Si dans
toute l'idéologie les hommes et leurs rapports apparaissent posés
sur la tête comme dans une chambre noire, ce phénomène procède
du processus de leur vie historique, tout comme le renversement
des objets sur la rétine procède de leur processus immédiatement
physique » (1). Autrement dit, l'idéologie est la conscience elle-même
(*) K. Maex, L'idéologie allemande, dans Œuvres philosophiques, Trad. Molitor,
T. VI, p. 157. 312 Jacques Taminiaux
en tant qu'elle fonctionne comme une chambre noire {camera obscu-
ra) (2) dans laquelle l'être effectif délègue ses reflets inversés. Elle
se donne pour originaire mais n'est que résultat. Se prétendant vi
vante, elle n'a pas de vie propre, la vie effective n'est pas en elle,
mais simplement s'y délègue et s'y met en scène ailleurs et sous une
autre forme qu'en son lieu propre, bref, s'y représente {vorstellt). Quant à
la vie effective, on sait que pour Marx, elle est le processus par lequel
les hommes produisent dans la matérialité d'une activité sensible
les conditions de leur existence. Prendre en vue ce processus, c'est
abandonner la chambre noire avec ses ombres et ses reflets pour l'air
libre de la vie même, quitter la Vor-stellung pour la Dar-stellung, la
re-présentation pour la présentation : « là où cesse la spéculation,
dans la vie effective, commence donc la science effective, positive,
la présentation de l'activité pratique, du processus de développement
pratique des hommes »(3).
On le voit, le geste par lequel Marx instaure la critique des idéo
logies consiste à dissocier le dérivé de l'originaire, l'ombre de la réalité,
l'illusion du savoir vrai. Dans cette découpe, et dans toute la méta
phorique de l'ombre, du reflet, de l'écho, à travers laquelle elle s'ex
prime, il n'est pas arbitraire de reconnaître le lointain héritage du geste
par lequel Platon distinguait YiiSoiXou de Yovtcos ov, le (fxxuraorfxa de
YaArjdeia, la fii/juTjais de l'èmoT^/x^. Que le dérivé prétende au statut
d'originaire, voilà ce dont, de part et d'autre, il s'agit de dénoncer
la vanité, et, de ce point de vue, la camera obscur a de l'idéologie au
sens marxiste a même rang et même fonction que la caverne plato
nicienne, théâtre des ombres et des reflets.
Qu'en est-il de l'art dans ce contexte ? L'art ressortit de l'idéo
logie et y cohabite avec la morale, la religion, la philosophie, le droit.
Compte tenu de ce qui vient d'être dit, inscrire l'art dans l'idéologie,
c'est très évidemment le jauger dans l'optique de la science. Sur ce
point précis, en dépit du fait que de Platon à Marx la ligne de démarc
ation entre les simulacres et l'étant vrai s'est considérablement
déplacée, puisque la morale, le droit et la philosophie perdent chez
Marx, à l'encontre de Platon, toute prétention à une prise directe
sur l'originaire, en dépit du fait que de l'un à l'autre, l'originaire
(2) Cfr. pour une déconstruction de l'usage de cette métaphore chez Marx le petit
livre de Sarah Kofman, Camera obscura, De V idéologie, 1973, dont nous avons pris con
naissance après la rédaction de cet article.
(3) L'idéologie allemande, p. 159. Sur Marx, l'art et la vérité 313
s'est profondément modifié, il reste qu'en définissant l'art comme forme
de l'idéologie décriptable à partir de la science, c'est-à-dire de la pré
sentation de l'étant vrai, Marx adopte à son égard une attitude étro
itement parente de celle qui, dans la République, portait Platon à exclure
de la cité les peintres et les poètes, ces producteurs qui ne produisent
pas, puisque par rapport à la production originaire, celle par laquelle
le dieu suscite la venue de l'tSea, ils se situent au rang de la product
ion la plus subordonnée qui soit, pas même celle d'une image, mais
d'une image d'image. C'est bien comme dérive par rapport à l'or
iginaire que l'art, en tant qu'idéologie, se définit. L'originaire au sens
marxiste, ce que Marx dans L'idéologie allemande appelle la Voraus-
setzung, est la praxis matérielle et historique dont les côtés simultanés
et interactifs sont la production des moyens de satisfaire les besoins
naturels, la production de nouveaux besoins par ces moyens mêmes,
la reproduction des producteurs dans la procréation, le mode chaque
fois spécifique de collaboration sociale fondé sur le niveau atteint
par la production matérielle, et le langage comme produit spécifique
émanant du besoin du rapport social, produit qui, entre parenth