Le Romance de Dona Blanca
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Description

Leconte de Lisle — Poèmes tragiques
La Romance de dona Blanca

Or, étant à Burgos, en sa chambre royale,
Don Pedro fait mander Juan De Hinestrosa :
- Ami Juan Fernandez, dit le roi, venez çà.
J’ai souci d’un cœur ferme et d’une foi loyale.
Quand mes frères bâtards, m’assaillant à l’envi,
Saccageaient mes châteaux et me vidaient mes coffres,
Quasi seul, entre tous, au mépris de leurs offres,
Vous me fûtes fidèle, et m’avez bien servi.
Donc, je vous sais sans peur, sans feintise ni trame,
Aimant l’homme non moins que le roi, soucieux
De faire ainsi, tant que vivrez, et pour le mieux.
Et c’est pourquoi, don Juan, je me fie en votre âme.
Voici. Prenez mon seing, bouclez vos éperons,
Et courez au château de Xerez où demeure
Dona Blanca. Je veux qu’en secret elle meure.
Je vous remercierai quand nous nous reverrons. -
Mais le bon chevalier Juan Fernandez ne bouge :
- Sire roi, mon épée est vôtre, non l’honneur.
Je ne suis meurtrier, ni vil empoisonneur ;
Ma lignée est trop haute et mon sang est trop rouge.
Employez à cela quelque autre, s’il en est
Qui le veuille. D’ailleurs, sire, prenez ma vie.
- Saint Jacques ! Dit le roi, je n’en ai nulle envie.
La touche est sûre, et l’or vierge s’y reconnaît.
Allez ! Je suis content de votre prud’homie.
Je riais. Pensez-vous que je sois si méchant
De vous faire tuer cette femme, sachant
Ce que vous êtes ? Non. Surtout n’en parlez mie.
- Sire, j’ai bouche close et vous baise les mains.
- C’est bien. - Hinestrosa gravement le salue,
Et ...

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Extrait

Leconte de LislePoèmes tragiques
La Romance de dona Blanca
Or, étant à Burgos, en sa chambre royale, Don Pedro fait mander Juan De Hinestrosa : - Ami Juan Fernandez, dit le roi, venez çà. J’ai souci d’un cœur ferme et d’une foi loyale.
Quand mes frères bâtards, m’assaillant à l’envi, Saccageaient mes châteaux et me vidaient mes coffres, Quasi seul, entre tous, au mépris de leurs offres, Vous me fûtes fidèle, et m’avez bien servi.
Donc, je vous sais sans peur, sans feintise ni trame, Aimant l’homme non moins que le roi, soucieux De faire ainsi, tant que vivrez, et pour le mieux. Et c’est pourquoi, don Juan, je me fie en votre âme.
Voici. Prenez mon seing, bouclez vos éperons, Et courez au château de Xerez où demeure Dona Blanca. Je veux qu’en secret elle meure. Je vous remercierai quand nous nous reverrons. -
Mais le bon chevalier Juan Fernandez ne bouge : - Sire roi, mon épée est vôtre, non l’honneur. Je ne suis meurtrier, ni vil empoisonneur ; Ma lignée est trop haute et mon sang est trop rouge.
Employez à cela quelque autre, s’il en est Qui le veuille. D’ailleurs, sire, prenez ma vie. - Saint Jacques ! Dit le roi, je n’en ai nulle envie. La touche est sûre, et l’or vierge s’y reconnaît.
Allez ! Je suis content de votre prud’homie. Je riais. Pensez-vous que je sois si méchant De vous faire tuer cette femme, sachant Ce que vous êtes ? Non. Surtout n’en parlez mie.
- Sire, j’ai bouche close et vous baise les mains. - C’est bien. - Hinestrosa gravement le salue, Et s’en va. Néanmoins, la chose est résolue. Ceux que hait don Pedro n’ont point de lendemains.
Il appelle un massier de la garde, qu’on nomme, Étant aragonais, Rebolledo Perez : - Va-t’en tuer la reine au donjon de Xerez. Ortiz, le châtelain du lieu, n’est pas mon homme.
Voici l’ordre. Tu prends sa place. Agis, sois prompt. Tu diras qu’elle était malade, et qu’elle est morte. Sinon, je te fais mettre en quatre, à chaque porte De la ville, où corbeaux et chiens te mangeront.
Écoute. D’une part, or, fief, chevalerie Et ma faveur ; de l’autre, une hache, un billot, Et la mise en quartiers. Choisis. Quel est ton lot ? Songe pourtant qu’il faut celer cette tuerie.
Ni lutte, ni cris. Point de vestige sanglant Qui puisse après la mort apparaître sur elle. Qu’elle semble finir de façon naturelle, En proie à quelque mal sans remède et très lent !
As-tu compris ? Réponds. - Ce m’est un jour de fête,
Sire ! J’obéirai, dit le rude massier. -Certe, à voir ce poil fauve et cet œil carnassier, Le roi ne doute pas que ce soit chose faite.
Pendant que le Perez chevauche allègrement Vers son crime, au grand trot du genet qu’il active, De châteaux en donjons depuis dix ans captive, La jeune reine pleure et plaint son long tourment.
Ortiz, qui la gardait, noble de race et d’âme, L’a quittée. Un grand mal lentement la détruit, Dit-on. Perez, un soir, dans son retrait, sans bruit, Entre : - Le roi le veut, il faut mourir, madame.
- Jésus ! Ne puis-je au moins confesser mes péchés ? Faites venir un clerc tonsuré qui m’envoie Au paradis, après ma douloureuse voie. - Confessez-vous à Dieu, madame, et dépêchez !
- Ô douce France ! Ô cher pays où je suis née ! Jamais plus, ô beau ciel, ne te verront mes yeux ! Ô royale maison des princes mes aïeux, Dès mon aube pourquoi t’avoir abandonnée ?
Que t’ai-je fait, Castille ? Et d’où vient mon malheur Que mes seize ans n’ont pu t’attendrir et te plaire ? Mais, hélas ! Par un vent de haine et de colère Ma rapide jeunesse est fauchée en sa fleur !
Pourtant, je n’ai failli d’acte ni de pensée Envers ce roi cruel qui me veut tant de mal. Épouse, et vierge encor, comme au jour baptismal, Ô Jésus ! Je descends dans la terre glacée.
Et vous, rayons vivants de l’éternel flambeau, Anges du paradis, qui brûlez de saints zèles, Dans la paix et l’amour emportez sur vos ailes Mon âme immaculée au sortir du tombeau !
Maintenant, Dieu m’assiste ! Achève ma misère, Ami ! Je te pardonne, ainsi que je le dois. -Alors le meurtrier féroce, des dix doigts, Prend le col délicat, frêle et doux, et le serre.
Puis il clôt les yeux bleus voilés de longs cils d’or, Dispose la figure au pâle lys pareille, Et, livide, muet, furtif, prêtant l’oreille, Disparaît dans le noir et profond corridor.
Telle, à Xerez, finit dona Blanca De France, Dès le berceau vouée au royal assassin ; Dieu, qui peut tout, ayant, dans un secret dessein, Empli son peu de jours d’angoisse et de souffrance.
Mais le diable, qui sait que son homme est à point, Pousse déjà, du haut des blanches Pyrénées, Les routiers dévalant par bandes forcenées, Et le bâtard, la haine au cœur et dague au poing.
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