Culture et gestion en russie : entre l effiCaCité et l inCertitude
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Culture et gestion en russie : entre l'effiCaCité et l'inCertitude

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Chapitre V.13
Culture et gestion en russie : entre l’effiCaCité et l’inCertitude
Valeri Krylov1
Rsum.À l’époque du Régime soviétique, l’État prévisible, hiérarchisé et paternaliste, avait produit des organisations qui avaient dû accomplir sous la contrainte les plans fixés au sommet. Le contrôle idéologique se rajoutait donc à la tutelle économique. Quand le régime s’est affaibli, les arrangements informels ont graduellement remplacé l’idéologie inopérante. La chute de la façade planifiée de l’URSS a dévoilé des logiques opérationnelles qui ont été projetées dans le marché. Ainsi, l’aversion pour l’incertitude conduit fortement à formaliser de nombreux processus organisationnels. Depuis 1991, les cultures organisationnelles absorbent les valeurs associées au marché. L’efficacité exprimée par le chiffre d’affaires est devenue la condition de survie. La concurrence exige de la rigueur pour la gestion des facteurs techniques et humains. Des coercitions autoritaires associées au rythme tendu entraînent des décalages dans les valeurs déclarées et partagées. Or, la communication et la transparence favorisent l’interaction de celles qui sont à la source de l’enrichissement des pratiques. La divergence qui existe entre les pratiques et les normes produit des incohérences entre les compor -tements informels et ceux qui sont prescrits, concernant le travail et le repos, 1. Valeri Krylov détient le DEA de sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales, le DESS Analyse de travail, organisation et gestion de l’emploi de l’Université Paris X Nanterre. Il est doctorant en gestion à l’Institut d’administration des entreprises de Paris 1 Panthéon Sorbonne. Ses intérêts de recherche portent sur la théorie des organisations, la gestion et la communication intercul -turelle. Il est auteur de plusieurs articles universitaires. Krylov, Valeri, « Culture et gestion en Russie : entre l’efficacité et l’incertitude », dans Eduardo Davel, Jean-Pierre Dupuis et Jean-François Chanlat (dir.),Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et Télé-université (UQAM), 2008.
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ainsi que les divers statuts des acteurs. Le succès de l’action organisée est conditionné par le maintien d’un équilibre dynamique entre l’implication et la discipline, les objectifs professionnels et personnels des gestionnaires, la confiance et la motivation des salariés et, enfin, entre les circuits officiels et officieux. IntduroIoctn eux événements majeurs de l’histoire russe du XXesiècle, la création Det les axes de transformation possibles. La création de l’URSS s’est de l’URSS et sa chute, ont déterminé le développement de la Russie accompagnée de la destruction ciblée des bases normatives de la culture économique antérieure, simultanément avec l élimination physique de ces représentants. Les mutations de la culture russe doivent être aujourd’hui comparées avec l’État soviétique, dont les fondements s’appuient sur l’idéo -logie socialiste. État sans précédent, l’URSS a produit un échantillon culturel complexe et parfois contradictoire. Son intégration dans l’économie mondiale est passée par le choc causé par la rupture des pratiques : l’orga -nisation planifiée sous la tutelle de l’État s’est retrouvée livrée à elle-même au marché « sauvage ». La gestion des organisations comporte toujours des tensions entre les valeurs divergentes, que ce soit la tradition et la modernité, le formel et l’informel ou l’individu et le collectif. Depuis quinze ans, l ex -périence au quotidien amalgame les conduites hétérogènes. Depuis quinze ans, dans l’expérience au quotidien, nous sommes témoins de ces deux types de conduites oscillant entre la tradition et la modernité. L’adaptation rapide efface des normes préexistantes sans les remplacer. À défaut de normes stables, les conduites suivent les évolutions des contextes. Cette situation crée des comportements flexibles et qui ne sont pas toujours prévisibles. IeIdéogol,roagItnoInas et tranonsItI Les organisations sovitiques La gestion soviétique de la main-d’œuvre a été prédéterminée par un problème de désaccord entre la compétence et la confiance, qui sévissait dans l’Armée rouge pendant la guerre civile : le commandement de l’armée du tsar refusait d’y prendre part, ce qui signifiait une perte de compétences particulièrement importantes pour la survie de l’État. Un nombre réduit d’officiers du tsar avait accepté d’intégrer l’Armée rouge, ce qui posait un problème de confiance : est-il possible de confier l’armée à des officiers appartenant à la classe contre laquelle on lutte? L’Institut des commissaires
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avait apporté la solution : un commissaire « politiquement correct » dirige -rait une unité militaire conjointement avec l’officier compétent. La tâche du commissaire consistait à établir un contrôle idéologique au nom du Parti communiste. Tous les deux étaient habilités à prendre des décisions. Cepen -dant, le commissaire pouvait annuler celle de l’officier, mais pas l’inverse. Cette solution fut ensuite multipliée et appliquée dans l’économie avec quelques adaptations. La discipline du travail en URSS s’appuyait sur l’éducation basée, elle, sur l’idéologie. Après la révolution et la guerre civile, l’industrialisation a exigé la mobilisation de la population soviétique. À la fin des années 1920 ont été créées les principales institutions de l’économie et les mécanismes assurant leurs interactions. L’égalité sociale, le travail pour la société et l’éducation au travail ont été institutionnalisés. La « valeur travail », sans rapport au résultat, a été proposée comme force créatrice. Le fondateur du système éducatif soviétique, Makarenko (1957), jugeait le succès de l’homme et ses caractéristiques morales selon l’apport social de son travail, qui est ainsi devenu une catégorie morale. Cette idéologie, selon laquelle un salarié devait se livrer corps et âme à son travail, exigeait la mobilisation totale des travailleurs, et induisait une logique d’obéissance appelant à l’exemplarité vertueuse. L’autoritarisme s’appuyait, d’une part, sur la conviction que les citoyens se doivent de construire une société plus juste et, d’autre part, que ceux qui dirigent savent comment il faut le faire. Le système de valeurs proposé par le marxisme dans l’interprétation socialiste est proche des valeurs orthodoxes (« travailler sans compter pour le bien de tous », « l’attention à la classe la plus pauvre »), ce qui a facilité son assimilation en Russie (Slobodskoï, 1994). L’idéologie au sein des organisations représente un modèle d’intégration communautaire, dont la mobilisation se fait en fonction des finalités productives et selon le modèle sociopolitique actuel (Le goff, 1995). La conformité aux normes politiques étant le principe dominant, le gouvernement avait un poids déterminant dans la gestion de l’économie : les entreprises dépendaient du Parti, du plan et du ministère de tutelle. Ainsi, l’idéologie socialiste a créé un mythe dont le contenu a déterminé la réalité sociale (Slobodskoï, 1994). Dans toute organisation, un secrétaire du Comité de Parti percevait une rétribution supérieure à celle du directeur; il avait le droit de prendre des décisions à n’importe quelle étape de l’activité (Tableau V.13.1). Le rapport horizontal des statuts était simple : le « camarade directeur et le » « camarade ouvrier » suivaient les obligations et répondaient aux attentes de l’État (Cherchneva et Feldhoff, 1999). Tous les deux étaient responsables
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de l’exécution du plan et ils en partageaient les risques en cas d’échec. De plus, vu la disproportion des sanctions, le « camarade directeur » dépendait du « camarade ouvrier ». Ce type de responsabilité contribuait à renforcer la solidarité entre les membres d’une organisation.
tableau V.13.1 Schéma Soviétique de geStion de L’entRepRiSe
Ministère de la branche
Comité central du Parti communiste
Comité régional du Parti communiste
Directeur de l’entreprise
Source: Slobodskoï et Krylov, 2006, p. 1188. Avant la révolution de 1917, la société russe était structurée par les rapports des « États » (dont la logique est décrite pour la France par d’Iribarne, 1989). Le régime soviétique avait commencé par la destruction des bases normatives de la culture économique antérieure. Simultanément, « l’approche de classe » aguidé l’élimination de ses représentants: les « bourgeoiiss»»rreegrrou--pant des nobles, des négociants, des clergés et tout autre personne riche ont été la cible de la « terreur rouge » pendant et après la révolution. La nouvelle société s’est construite sur la base de l’expropriation de toute forme de pro -priété, à l’exception de celle de l’État qui se substituait à l’employeur : per -sonne n’étant propriétaire, n’en retirait de revenu et ne pouvait la transférer ou en hériter. Lanomenklaturagérait sans être propriétaire : son rôle était l’administration basée sur le contrôle idéologique. La pression des mesures répressives, imposant le respect de l’idéologie et de l’éthique, séparait la gestion économique du contrôle idéologique. La première empreinte sur la culture d’entreprise a été laissée par la morale collective du Parti communiste. Jusqu’en 1991, l’exclusion du Parti signifiait pour un gestionnaire la fin de sa carrière. Les ordres, souvent verbaux, appuyaient le principe d’une double responsabilité : politique et économique. Créé rapidement sur la base de l’idéologie, le système cohérent centralisé, hiérarchisé et planifié, avait converti la main-d œuvre russe en ressources humaines pour l’URSS. La gestion des effectifs reproduisait le système au niveau de l’entreprise. Des fonctions stratégiques de gestion des ressources
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humaines, comme la mobilité, la gestion des carrières et des compétences, étaient assurées par le Parti. Le dernier maillon de la chaîne du pouvoir, les entreprises, mettait en œuvre la fonction paternaliste de l’État. L’idéologie dominante, basée sur des valeurs homogènes, permettait de prévoir, de gérer et de contrôler les normes de conduite dans l’accomplissement des tâches professionnelles. Avec un niveau de consommation peu élevé, l’État gardait un équilibre entre l’incitation au travail et la satisfaction des besoins indivi -duels. Simultanément, un nombre important de prisonniers politiques ont été condamnés aux travaux dans les goulags. Des conditions inhumaines ont eu pour effet de faire haïr le travail physique et le travail en général (Chalamov, 1998). L’attitude vis-à-vis du travail dans les camps était carac -térisée soit par l’obéissance passive des prisonniers, soit par le refus de tra -vailler, notamment dans le cas des caïds. L’écart entre ces deux attitudes vis-à-vis du travail − soumis à l’idéologie ou forcé par elle – s’est accentué de 1928 à 1956. Pour le collectif et pour cette société sans classes sociales, le travail contribuait à privilégier le statut des ouvriers et, ainsi, à valoriser leurs efforts. Le mythe était construit autour du travail pour le bien de tous et condamnait les motifs égoïstes. La terreur et la peur du châtiment renforçaient la réalité du mythe, les travailleurs socialistes faisaient tout leur possible pour ne pas perdre leur statut. L’affaiblissement du régime en 1956 avait modéré l’opposition entre le travail fait sous la contrainte de l’idéologie officielle et le travail forcé, tout en préservant le système centralisé, hiérarchisé et planifié, et en cultivant l’esprit paternaliste à tous les niveaux. Après le vingtième congrès du Parti communiste, le mythe n’a pas supporté la critique, ce qui a entraîné plus tard son effondrement (Slobodskoï, 1994). À partir de ce moment, l’idéo -logie socialiste est progressivement devenue un « ffanttôme »..  Le dévelloppe-ment des organisations soviétiques témoigne du fait que l’écart entre le travail forcé et celui fait en obéissance à l’idéologie s’est déplacé dans la vie au travail : les travailleurs ont appris à maintenir le discours idéologique et à accomplir les plans imposés « d’en haut », tout en évitant de prendre des initiatives ou de faire des efforts supplémentaires. Les modes de gestion tayloriens, basés sur l’incitation idéologique, en œuvre dans le système socialiste de production, offraient des salaires aussi bas que le niveau de motivation. Cette équation entraînait une implication limitée, un absentéisme élevé et un faible niveau de discipline (Durand, 1997). Le compromis social s’établissait sous la forme d’une acceptation par les ouvriers d’un niveau de vie relativement peu élevé contre un travail
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