Les autobiographies littéraires. Objets et outils de recherche sur les milieux populaires - article ; n°27 ; vol.7, pg 32-44
14 pages
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Description

Politix - Année 1994 - Volume 7 - Numéro 27 - Pages 32-44
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 45
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Gérard Mauger
Les autobiographies littéraires. Objets et outils de recherche sur
les milieux populaires
In: Politix. Vol. 7, N°27. Troisième trimestre 1994. pp. 32-44.
Citer ce document / Cite this document :
Mauger Gérard. Les autobiographies littéraires. Objets et outils de recherche sur les milieux populaires. In: Politix. Vol. 7, N°27.
Troisième trimestre 1994. pp. 32-44.
doi : 10.3406/polix.1994.1862
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1994_num_7_27_1862Les autobiographies littéraires
Objets et outils de recherche sur les milieux populaires
Gérard Mauger
Centre de sociologie urbaine
IRESCO-CNRS
PEUT-ON FAIRE de la sociologie avec de la littérature ? On connaît la
réponse de Jean-Claude Passeron : «On a souvent vu faire de la bonne
littérature avec de la mauvaise sociologie, parfois même avec de la
bonne, écrit-il, jamais de la bonne sociologie avec de la littérature,
bonne ou mauvaise»1. On voudrait essayer de montrer ici que les
autobiographies littéraires peuvent être à la fois un objet et un outil de
recherche pour les sciences sociales2 : un objet, cela va de soi ; mais pour en
faire un outil, il faut d'abord en faire un objet.
Par «autobiographie», on désigne, comme le propose Philippe Lejeune, «un
récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence
lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de
sa personnalité»3 : il y a identité nominale de l'auteur, du narrateur et du
personnage principal. Par «autobiographie littéraire», on désigne celles qui
sont reconnues, labellisées comme telles par le champ littéraire .
On se limitera ici au cas des «autobiographies littéraires d'en bas». L'intérêt de
ce type de sources pour les sciences sociales est au moins double : intérêt
d'abord pour «la culture populaire», «le vécu de ceux d'en bas», les
représentations qu'ils ont d'eux-mêmes et de leur condition ; intérêt ensuite
pour les trajectoires d'exception des «déclassés par le haut», déracinés,
transfuges, boursiers et autodidactes, qui ont écrit ces textes rares. Mais —
plutôt que rares — ces «autobiographies littéraires d'en bas» ne sont-elles pas
à proprement parler «impossibles» ? Une autobiographie peut-elle être à la
fois «littéraire» et «d'en bas» ? Comme dit Pierre Bourdieu, «les classes
dominées ne parlent pas, elles sont parlées»5, et si elles parlent, ou bien on les
fait parler, ou bien elles ne sont plus «en bas». Les paysans de Montaillou6 ou
Menocchio7 parlent mais ils répondent aux questions des inquisiteurs et leurs
réponses sont réécrites par des scribes. L'écart qui permet à un paysan qui ne
1. Passeron (J--C), 'L'illusion du monde réel : -graphie, -logie, -nomie», in Grignon (C), Passeron
(J.-C), Le savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris,
Hautes Études/Gallimard/Seuil, 1989, p- 249.
2. Dans une perspective analogue à celle de M. Bakhtine déchiffrant l'œuvre de F. Rabelais pour
•faire la lumière sur la culture comique populaire« : le vocabulaire de la place publique, les gestes
et images de la fête populaire, le banquet, l'image grotesque du corps, le bas matériel et corporel
(L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance, Paris,
Gallimard, 1970).
3. Lejeune (Ph.), Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975, p. 14.
4. Faisant ainsi l'économie d'une définition «essential iste» de -la littérarité».
5. Bourdieu (P.), «Une classe-objet», Actes de la recherche en sciences sociales, 17-18, 1977.
6. Le Roy-Ladurie (E.), Montaillou, village Occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1982.
7. Ginzburg (C), Le fromage et les vers. L'univers d'un meunier du XVIe siècle, Paris, Flammarion,
1980.
32 Politix,n°J7 1994, pages 32 à 44 Les autobiographies littéraires
l'est plus d'écrire son passé, qu'il s'agisse de Rétif de la Bretonne1 ou de
Valentin Jamerey-Duval2, à une fille ou un fils d'ouvrier d'écrire son enfance,
qu'il s'agisse d'Annie Ernaux^ ou de Richard Hoggart4, les exclut des espaces
qu'ils décrivent ou plutôt les contraint à décrire ce passé dans un code
étranger à celui que leur témoignage donne à lire5. En fait, il ne peut y avoir
«d'écriture d'en bas» qu'émanant de ceux qui n'y sont plus par le fait même
de leur accession à la culture lettrée. Parce que la compréhension du récit des
origines (l'enfance, la jeunesse «populaires», i.e. le point de départ de
l'autobiographie) passe par celle de l'origine du récit (l'écrivain «issu du
peuple», i.e. le point d'aboutissement de l'autobiographie), l'étude de la
position d'arrivée et de l'itinéraire de sortie est la condition d'intelligibilité du
témoignage sur les origines.
La double illusion
Mais essayer de montrer à quelles conditions ces autobiographies littéraires
d'en bas peuvent constituer un matériau utile pour les sciences sociales, c'est
aller à rencontre du discrédit scientifique du littéraire, sembler succomber à
«l'illusion referentielle»^ et céder au chant des sirènes de «l'illusion
biographique».
Le discrédit scientifique du littéraire est d'abord inscrit dans l'histoire des
disciplines scientifiques et littéraires. Buffon est sans doute le dernier savant a
avoir conquis une grande réputation grâce à son style littéraire. Wolf Lepenies
a montré que la fin de l'histoire naturelle est aussi celle de l'unité entre la
science et la littérature (de là date la mise en place de deux cultures étanches :
«humaniste» et «scientifique»7) et que la sociologie est la discipline-emblème
de cette rupture entre science et littérature8. La conception durkheimienne de
la sociologie enferme un principe d'exclusion de ce qui est littéraire.
Durkheim, écrit Rémi Ponton, est en «continuité étroite avec la définition de
l'esprit positiviste telle qu'elle est posée au début du XIXe siècle par Saint-
Simon qui classe la littérature avec les formes du savoir entachées d'un esprit
métaphysique et vouées de ce fait à disparaître»9. Rupture historique entre
sociologie et littérature régulièrement réactivée : récemment encore, par la
1. Rétif de la Bretonne, Monsieur Nicolas, 6 vol., Paris, Pauvert, 1959-
2 Jamerey-Duval (V.), Mémoires. Enfance et éducation d'un paysan au XVTJIe siècle, avant-propos,
introduction, notes et annexes par J.-M. Goulernot, Paris, Le Sycomore, 1981.
3. Emaux (A.), Les armoires vides (1974) ; Ce qu'ils disent ou rien (1977) ; La femme gelée (1981) ;
La Place (1983) ; Une femme (1987) ; Passion simple (199D ; fournal du dehors (1993) — tous
publiés chez Gallimard.
4. Hoggart (R.), 33 Newport Street. Autobiographie d'un intellectuel issu des classes populaires
anglaises, présentation de C. Grignon, Paris, Hautes Études/Gallimard/Seuil, 1991 (autobiographie
à base de sociologie) ; La culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes en
Angleterre, et index de J.-C. Passeron, Paris, Minuit, 1970 (sociologie sur fond
d'autobiographie).
5. A fortiori s'il ne s'agit pas de parler mais d'écrire et «d'écrire littéraire».
6. L'expression est de M. Riffaterre pour qui la littérature loin d'être une représentation fidèle et
transparente du monde n'est qu'agencement et surdétermination interne : «Elle ne parle de rien
mais dissimule ce silence sous le bruit de sa vraisemblance« («L'illusion referentielle« in Genette
(G.), Todorov (T.), dir., Littérature et réalité, Paris, Seuil, 1982).
7- Lepenies (W.), Das Ende des Naturgeschichte, Munich, Hanser, 1976.
8. Die drei Kulturen. Soziologie zwischen Literatur und Wissenschaß , Munich,
Hanser, 1985.
9- Ponton (R.), •Durkheim et Lanson«, in Espagne (M.), Werner (M.), dir., Philologiques l.
Contribution à l'histoire des disciplines littéraires en France et en Allemagne au XIXe siècle, Paris,
Maison des sciences de l'homme, 1990.
33 Mauger Gérard
mise en garde déjà citée de J.-C. Passeron1. Mais cette d&

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