Les « invariants » de la politique étrangère de la France - article ; n°1 ; vol.51, pg 13-23
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Description

Politique étrangère - Année 1986 - Volume 51 - Numéro 1 - Pages 13-23
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 50
Langue Français

Extrait

Jean-Baptiste Duroselle
Les « invariants » de la politique étrangère de la France
In: Politique étrangère N°1 - 1986 - 51e année pp. 13-23.
Citer ce document / Cite this document :
Duroselle Jean-Baptiste. Les « invariants » de la politique étrangère de la France. In: Politique étrangère N°1 - 1986 - 51e
année pp. 13-23.
doi : 10.3406/polit.1986.3546
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1986_num_51_1_3546POLITIQUE ÉTRANGÈRE I 13
Les « invariants »
Jean-Baptiste DUROSELLE de la politique étrangère
de la France
Albert Demangeon, André Siegfried : j'ai eu le privilège d'être
l'élève du premier, mort au moment de la défaite française,
et, sans l'être directement, du second, j'ai subi profondément
son influence. Et voici mon problème. Ces deux très grands géo
graphes eussent-ils accepté la notion d'« invariant » ? Parce que
l'homme est l'homme, avec la même structure cérébrale depuis
35 000 ans, il y a peut-être pour lui des « régularités » : la guerre
périodique, la dissémination des techniques, etc. Mais l'homme fran
çais est-il déterminé de quelque façon par cette réalité géographique
qu'est la France ? Certes oui ! aurait répondu Ratzel, le grand
géographe allemand de l'« espace », qui fleurissait avant 1914, et
s'est trouvé, sans le vouloir, être l'inspirateur des géopoliticiens. Je
pense que Demangeon et Siegfried auraient répondu non !, le second
peut-être moins fermement que le premier.
** *
Reprenons le problème. Ne fabriquons pas de façon anachronique
une France de Vercingétorix ou de Charlemagne. L'éminent historien
allemand Karl-Ferdinand Werner vient encore de nous aider à
détruire ces faux semblants — il le fait avec la même vigueur pour
l'Allemagne l.
Prenons seulement deux siècles, avec quatre repères : la France de
1789, celle de 1900, celle de 1930, celle d'aujourd'hui. Voyons
d'abord quelques points bien connus de transformation, de « varia
tions ».
• Pour aller de Dunkerque à Marseille, il faut neuf jours en 1789,
24 heures en 1900, une heure aujourd'hui. Et cela coûte beaucoup
moins cher.
* Président de l'Institut de France.
1. Karl-Ferdinand Werner, Les origines. Tome I de V Histoire de France sous la
direction de Jean Favier, Fayard, Paris, 1984, 540 pages. 14 I POLITIQUE ÉTRANGÈRE
• En 1789, la France est, après la Russie, la puissance la plus
peuplée du continent. La « levée en masse » de 1793 lui permet de
mobiliser tant de troupes qu'elle peut tenir tête pendant vingt ans à
toutes les coalitions. Aujourd'hui, elle est dépassée aussi par le
Royaume-Uni, l'Italie, l'Allemagne, et, au surplus, l'évolution diffé
rentielle entre peuples blancs et de couleur abaisse sans cesse sa
place quantitative dans l'Univers.
• Sinon en 1789, au moins en 1901 et 1930, la France possède un
immense « Empire » (terme non officiel, à la différence de la
Grande-Bretagne). De nos jours, elle l'a perdu sauf un territoire
continental, la Guyane, et de nombreuses petites îles.
• En 1789, la France, très tournée vers le continent, et gardant très
peu de colonies, peut estimer qu'elle n'a pas d'ennemi fondamental,
« héréditaire ». Elle s'est vengée de l'Angleterre sans chercher à se
réinstaller au Canada, et depuis 1713-1714, elle est débarrassée de
l'« encerclement » par les Habsbourg grâce à l'accession des Bour
bons sur le trône d'Espagne. C'est en essayant de rouvrir Anvers,
dont le port était fermé depuis 1609, que la Convention nationale
restaure en 1792 l'hostilité britannique.
En 1900, c'est un tout autre ennemi « héréditaire » qui domine la
scène : l'Allemagne, construite autour de la Prusse. L'historien all
emand Heinz-Otto Sieburg a bien montré que ce concept d'ennemis
« héréditaires » réciproques ne naît en Allemagne que vers 1840, en
France qu'en 1866, Néanmoins, l'idée de revanche empoisonne
l'atmosphère. En 1930, c'est toujours le même ennemi, à son tour
obnubilé par la « revanche ».
Aujourd'hui, l'Angleterre d'autrefois, l'Allemagne de naguère, ont
absolument disparu de la liste des ennemis possibles. L'ennemi
potentiel, pour des raisons principalement idéologiques et politiques,
c'est l'URSS.
• En 1789, 1900, 1930, la France fait officiellement partie de ce que
Metternich va appeler le « Concert européen », c'est-à-dire le concert
des grandes puissances. Elles sont 5 en Europe (partiellement pour la
Russie) en 1789, 8 en 1900 (avec au surplus l'Italie, le Japon et les
Etats-Unis), 7 en 1930 (l' Autriche-Hongrie a disparu). De nos jours,
ne subsistent que les Etats-Unis et l'URSS.
La France n'en fait plus partie, c'est-à-dire que, selon la définition
tirée de Clausewitz, elle n'est plus à même d'assurer sa sécurité
contre toute puissance prise isolément. On la qualifie de « puissance
moyenne », encore que cette notion ne soit pas d'une clarté totale.
• Plus incertaine serait une incursion dans le domaine des mentalités
successives : en 1789, un « patriotisme » (au sens de la révolution
interne) universaliste (c'est-à-dire croyant appliquer des principes LES « INVARIANTS » I 15
communs à toute l'humanité). En 1900, face aux « provinces per
dues », à la « revanche », à l'impérialisme colonial, elle voit se
dresser un violent, mais très minoritaire courant de pacifisme par le
syndicalisme révolutionnaire. En 1930, ensanglantée, elle vit dans
l'hébétude de ce que l'homme d'Etat grec Nicola Politis appelle « la
dépression pacifiste ». En 1980, sa jeunesse s'interroge pour savoir
s'il vaut la peine de la défendre.
• Enfin, l'économique et le social nous présentent aussi de bien
changeants tableaux. Certes l'agriculture, libérée en 1789-1793 des
droits féodaux, reste profondément semblable à elle-même, malgré
un lent mouvement, en 1900, en 1930. Mais aujourd'hui la révolution
agricole est largement faite, ce qui a également abouti au brusque
gonflement de ces villes, qui gardaient presque séculairement des
populations stables, et qui ont imité, après 1945, les phénomènes
existant déjà en Angleterre ou en Allemagne. Et la nouvelle révolu
tion industrielle paraît avoir aboli ce qui existait comme « cycles »
dans l'histoire économique du pays. Si l'on y ajoute le lent mouve
ment vers la connaissance, par la scolarisation, puis la radio, final
ement avec l'immense révolution de la télévision, on se demande ce
qui, dans l'esprit du Français, peut rester comme « invariant ».
• Dans un autre domaine essentiel, on ne peut guère parler que de
fréquentes « variantes » : II s'agit des droits de douane, puissant
moyen d'action étatique sur le commerce extérieur. Il y a, depuis
Colbert, une puissante tradition protectionniste, parfois légèrement
tempérée (Turgot, le traité de franco-anglais de 1786) en
attendant les abus du blocus continental.
Or, il existe une théorie libre-échangiste qui affirma non seulement
que la suppression ou l'abaissement massif des droits de douane
stimulera le grand commerce mondial et abaissera les prix à la
consommation, mais encore que le libre-échange est le principal
facteur de paix. L'Angleterre, fortement influencée par Cobden,
l'adopte entre 1846 et 1850. Napoléon III, poussé par l'économiste
saint-simonien Michel Chevalier, et malgré la majorité du corps
législatif, établit le quasi libre-échange par le fameux traité franco-
anglais, dit Cobden-Chevalier, de 1860. Toute l'Europe occidentale y
adhère.
Las ! Comme le constate tristement Chevalier en 1871, la décennie
du libre-échange européen produit trois grandes guerres : des duchés,
de Sadowa, et finalement la guerre de 1870-1871. Dès 1872, Thiers
hausse les droits de douane. Bismarck le fera en 1879. En France
viendront les lois Méline. A notre date de référence de 1900, le
protectionnisme est énorme. En 1930, il est encore pire. Et l'ère du produit les deu

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