Genre, histoire des femmes et histoire sociale - article ; n°1 ; vol.2, pg 148-167

Louise Tilly

Description

Genèses - Année 1990 - Volume 2 - Numéro 1 - Pages 148-167
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: GENESES
• Publié le: 01 janvier 1990
• Nombre de lectures: 94
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Louise A. Tilly
Brigitte Yvon-Deyme
Michel Deyme
Genre, histoire des femmes et histoire sociale
In: Genèses, 2, 1990. pp. 148-167.
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Tilly Louise A., Yvon-Deyme Brigitte, Deyme Michel. Genre, histoire des femmes et histoire sociale. In: Genèses, 2, 1990. pp.
148-167.
doi : 10.3406/genes.1990.1037
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1990_num_2_1_1037N R
J'assistais récemment à un séminaire du
rant lequel un historien des femmes pré
sentait une éblouissante interprétation
des écrits polémiques d'Olympe de Gouges
et de l'accueil qui leur a été réservé (sans
parler de celui qui fut réservé à l'auteur) du
rant la Révolution française. Un historien de
Genre, la Révolution, vieux et bourru, se leva au
moment des questions et demanda, avec son
accent nasillard de l'est des États-Unis : histoire des
« Maintenant que je sais que des femmes ont
participé à la Révolution, quelle différence
femmes et cela fait-il ? » Cette rencontre me suggéra
ce que je vais essayer de montrer ; il y a
histoire sociale* deux tâches de plus en plus urgentes qui se
présentent à l'histoire des femmes : ne pas
produire seulement des études descriptives
et interprétatives, mais aussi des études qui
résolvent des problèmes analytiques, et re
Louise A. Tilly lier les découvertes qui en découlent aux
questions générales qui se posent d'ores et
déjà à l'histoire.
► ► ►
* Plusieurs historiens ont lu et commenté une Ceci n'est pas un appel à intégrer l'histoire
version précédente de cet article. Je remercie plus des femmes dans une autre histoire, ce qui
particulièrement Gay Gullickson et Judith Bennett,
pourrait signifier simplement ajouter des maainsi que Stéphanie Coontz, Patricia Cooper, Nancy
tériaux sur les femmes et le genre1 sans anaCott, Cheryl Johnson-Odim, Alice Kessler-Harris,
Charles Tilly et Carole Turbin pour leurs lyser leurs implications, mais c'est un appel à
remarques judicieuses et stimulantes. Une version
écrire une histoire des femmes analytique et à légèrement différente de ce texte a été publiée dans
Social Science History, vol.13, n°4, Winter 1989, relier ses problèmes à ceux des autres his
sous History" le titre (NdlR). "Gender, Women's History, and Social toires. C'est seulement par cette confrontation
que l'histoire des femmes aura des chances de
modifier le cadre général de l'histoire dans son 1. Nous avons choisi de rendre le terme Gender
par son équivalent français « genre » qui, ensemble.
contrairement à « sexe », implique que la
différenciation « hommes/femmes » est sociale et Il ne s'agit pas ici de passer en revue de non simplement biologique (NdlR).
façon exhaustive la bibliographie. Les travaux
2. Marc Bloch, Apologie pour l'histoire, Paris, cités portent sur une période limitée - depuis
A. Colin, « U2 », éd. 1974 (lre éd. 1947), p. 36. environ 1750 jusqu'à maintenant-, concer
nent principalement les États-Unis et l'Anglet3. Philip Abrams, Historical Sociology, Ithaca-New
erre, et ont été publiés récemment - la plupart York, Cornell University Press, 1982.
depuis 1985 et tous depuis 1980. Je n'ai choisi
4. Nancy Cott, The Grounding of Modern que de très rares exemples provenant de l'EuFeminism, New Haven, Yale University Press,
rope continentale et j'ai complètement négligé 1987, p. 4-5.
le reste du monde. Cet essai commence par
5. Ellen C. Dubois et al., Feminist Scholarship: considérer la façon dont l'histoire des femmes Kindling in the Groves of Academe, Urbana,
s'est développée, dans quelle mesure on peut University of Illinois Press, 1985, p. 8.
Genèses 2, déc. 1990, p. 148-166 148 N R
dire qu'elle a « abouti » et quelles ont été ses ment et d'action que l'histoire des femmes.
contributions majeures. Il examine ensuite le Que les historiennes aient été ou non membres
genre comme un concept qui a conduit à la d'organisations féministes ou de groupes de
fois à une réorientation de l'histoire des conscientisation, qu'elles se définisssent ou
femmes et à de nouvelles préoccupations à non comme féministes, leurs travaux n'en ont
l'intérieur de celle-ci puis, il évalue l'utilité pas moins été marqués par le mouvement f
pour l'histoire des différentes façons dont le éministe des années 1970 et 1980.
genre a été conceptualisé. Enfin il démontre Une remarquable étude récente de Nancy
qu'une histoire sociale orientée vers une ana Cott replace le féminisme dans un contexte his
lyse des problèmes offre une réelle possibilité torique et démontre que ce mot n'a commencé
d'opérer une liaison entre connaissance du à être utilisé en Amérique dans son sens actuel
genre, expérience des femmes dans le passé, que dans la première décennie de ce siècle. La
et histoire en général. « définition opérationnelle » qu'elle propose est
fonctionnelle et complète : les trois composantes
Histoire des femmes en sont 1. - la défense de l'égalité des sexes ou
opposition à la hiérarchie des sexes ; 2. - la rLa définition du sujet est particulièrement
econnaissance de ce que « la condition des décisive pour cette discussion. Marc В loch a
femmes est construite socialement [...] histordonné de l'histoire une définition simple et ac
iquement déterminée par les usages sociaux » ; cessible, comme « science des hommes dans
et 3. - l'identification avec les femmes en tant le temps2 ». Cette formule peut être transposée
que groupe social et soutien à celui-ci. En tant et ajustée au sexe en définissant l'histoire des
qu'idéologie, le féminisme est accessible aux femmes comme « la science des femmes dans
hommes comme aux femmes bien qu'elles (ou le temps ».
ils, dans ce cas) ne l'acceptent pas toutes4. La Les femmes, bien que définies par le sexe,
plus grande partie de l'histoire universitaire des sont plus qu'une catégorie biologique ; elles
femmes s'appuie sur ces convictions du fémiexistent socialement, et comprennent des per
nisme contemporain. Dans le cadre de cet article, sonnes de sexe féminin d'âges différents, de
à l'exemple d'EUen Dubois et de ses collègues, situations familiales différentes, appartenant à
je considérerai toute l'histoire des femmes différentes classes sociales, nations et commun
comme féministe et reliée au mouvement féminautés ; leurs vies sont modelées par des règles
iste, au moins par ses racines5. Il est en effet sociales et des coutumes différentes, dans un
difficile ď établir des critères appropriés et imenvironnement que façonnent des croyances et
possible intellectuellement et politiquement de des opinions qui découlent des structures du
déterminer qui est ou non féministe. Ceci peut pouvoir. Mais surtout, en raison du processus
apparaître comme une entrave potentielle à la permanent de la structuration sociale, comme
légitimation de l'histoire des femmes comme un l'appelle Philip Abrams, pour l'historien, les
champ de l'histoire, mais ce qui va suivre sugfemmes vivent et agissent dans le temps .
gère que cela n'a empêché ni son institutionnaIl est un aspect de l'histoire des femmes qui
lisation ni sa reconnaissance. la distingue particulièrement des autres, c'est
Dans un article important, récemment pule fait qu'elle a été une histoire liée à un mou
blié, traitant du genre comme catégorie utile à vement social : pour une large part elle a été
l'analyse historique, Joan Scott regrette « le déécrite à partir de convictions féministes. Toute
histoire est bien sûr issue d'un contexte poli calage entre la haute qualité des travaux ré
tique, mais relativement peu d'histoires ont un cents d'histoire des femmes et leur statut tou
lien aussi fort avec un programme de jours marginal par rapport à l'ensemble de la
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discipline (qui peut être mesuré par les man
uels, les programmes universitaires et les
monographies) [ce qui] montre les limites des
approches descriptives qui n'interrogent pas
les concepts dominants de la discipline, ou du
moins qui n'interrogent pas ces concepts de
façon &#