L'apologétique catholique française à l'âge des Lumières - article ; n°2 ; vol.205, pg 151-180

Sylviane Albertan-Coppola

Description

Revue de l'histoire des religions - Année 1988 - Volume 205 - Numéro 2 - Pages 151-180
Négligée par la critique malgré son abondance, cette littérature est pourtant intéressante à plus d'un titre. Son effort d'adaptation aux goûts littéraires du temps lui vaut plusieurs succès de librairie. Et l'orientation qu'elle imprime à des arguments séculaires en fait une fille de son siècle : l'accent mis sur les faits, la raison, voire le sentiment, l'inscrit bien dans le mouvement général des Lumières. Les contacts entre philosophes et apologistes, qui se réclament souvent de valeurs communes, inclinent à conclure à une contamination de l'apologétique par la philosophie. Mais si les écrivains catholiques utilisent le langage de leurs adversaires, c'est pour le retourner contre eux. Ils rejettent profondément la philosophie des Lumières, qu'ils entendent dépasser au profil de la « vraie philosophie », soutenant ainsi la gageure de maintenir la tradition tout en briguant le titre de philosophes.
The French Catholic Apologetics in the Age of Enlightenment
Neglected by critics in spite of its abundance, this literature is nevertheless interesting for more than one reason. Its effort to adapt to the literary tastes of the time brought it several bestsellers. And the orientation it gave to secular arguments makes it a daughter of its century : the accent put on facts, reason, even feelings, is in keeping with the general Englihtenment movement. Contacts between philosophers and apologists, who often took their inspiration from similar values, could make us think we are dealing here with some sort of contamination of apologetics by philosophy. But if catholic writers used their rivals' language, it was to turn it against them. They radically rejected the Enlightenment philosophy they intended to outmatch for the benefit of the « true philosophy » and did their best to maintain the tradition while longing for the title of philosophers.
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: REVUE_DE_L-HISTOIRE_DES_RELIGIONS0
• Publié le: 01 janvier 1988
• Nombre de lectures: 25
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Sylviane Albertan-Coppola
L'apologétique catholique française à l'âge des Lumières
In: Revue de l'histoire des religions, tome 205 n°2, 1988. pp. 151-180.
Résumé
Négligée par la critique malgré son abondance, cette littérature est pourtant intéressante à plus d'un titre. Son effort d'adaptation
aux goûts littéraires du temps lui vaut plusieurs succès de librairie. Et l'orientation qu'elle imprime à des arguments séculaires en
fait une fille de son siècle : l'accent mis sur les faits, la raison, voire le sentiment, l'inscrit bien dans le mouvement général des
Lumières. Les contacts entre philosophes et apologistes, qui se réclament souvent de valeurs communes, inclinent à conclure à
une contamination de l'apologétique par la philosophie. Mais si les écrivains catholiques utilisent le langage de leurs adversaires,
c'est pour le retourner contre eux. Ils rejettent profondément la philosophie des Lumières, qu'ils entendent dépasser au profil de
la « vraie philosophie », soutenant ainsi la gageure de maintenir la tradition tout en briguant le titre de philosophes.
Abstract
The French Catholic Apologetics in the Age of Enlightenment
Neglected by critics in spite of its abundance, this literature is nevertheless interesting for more than one reason. Its effort to
adapt to the literary tastes of the time brought it several bestsellers. And the orientation it gave to secular arguments makes it a
daughter of its century : the accent put on facts, reason, even feelings, is in keeping with the general Englihtenment movement.
Contacts between philosophers and apologists, who often took their inspiration from similar values, could make us think we are
dealing here with some sort of contamination of apologetics by philosophy. But if catholic writers used their rivals' language, it
was to turn it against them. They radically rejected the Enlightenment philosophy they intended to outmatch for the benefit of the
« true philosophy » and did their best to maintain the tradition while longing for the title of philosophers.
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Albertan-Coppola Sylviane. L'apologétique catholique française à l'âge des Lumières. In: Revue de l'histoire des religions, tome
205 n°2, 1988. pp. 151-180.
doi : 10.3406/rhr.1988.1915
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1988_num_205_2_1915SYLVIANE ALBERTAN-COPPOLA
L'APOLOGÉTIQUE CATHOLIQUE FRANÇAISE
A L'ÂGE DES LUMIÈRES
Négligée par la critique malgré son abondance, celte littérature
est pourtant intéressante à plus d'un litre. Son effort d'adapt
ation aux goûts littéraires du temps lui vaut plusieurs succès
de librairie. Et V orientation qu'elle imprime à des arguments
séculaires en fait une fille de son siècle : l 'accent mis sur les faits,
la raison, voire le sentiment, l'inscrit bien dans te mouvement
général des Lumières. Les contacts entre philosophes et apolog
istes, qui se réclament souvent de valeurs communes, inclinent
à conclure à une contamination de l'apologétique par la philo
sophie. Mais si les écrivains catholiques utilisent le langage de
leurs adversaires, c'est pour le retourner contre eux. Ils rejettent
profondément la philosophie des Lumières, qu'ils entendent
dépasser au profil de la « vraie philosophie », soutenant ainsi la
gageure de maintenir la tradition tout en briguant le litre de
philosophes.
The French Catholic Apologetics in the Age of Enlightenment
Neglected by critics in spite of its abundance, this literature is
nevertheless interesting for more than one reason. Its effort to
adapt to the literary tastes of the time brought it several best
sellers. And the orientation it gave to secular arguments makes
it a daughter of its century : the accent put on facts, reason,
even feelings, is in keeping with the general Englihtenment
movement. Contacts between philosophers and apologists, who
often took their inspiration from similar values, could make us
think we are dealing here with some sort of contamination of
apologetics rivals' language, by philosophy. it was to turn Bui it if against catholic them. writers They used radically their
rejected the Enlightenment philosophy they intended to outmatch
for the benefit of the «true » and did their best to
maintain the tradition while longing for the title of philosophers.
Revue de l'Histoire des Religions, ccv-2/1988, p. 151 à 180 « On peut être contemporain sans l'être
pourtant, on peut être contemporain et
tout en exploitant cet avantage (au
sens immédiat), on peut cependant être
non-contemporain. »
Kierkegaard1
Aujourd'hui ignorée ou méconnue, non sans raisons, la
ittérature apologétique du xvnie siècle a pourtant constitué
une force de résistance non négligeable à la philosophie des
Lumières. Les centaines d'auteurs, essayistes, dramaturges,
poètes, savants, hommes d'Eglise ou simples particuliers qui,
tout au long du siècle, se font les défenseurs de la foi chré
tienne ne ménagent pas leurs efforts contre l'irréligion mont
ante. Il paraît en France, de 1715 à 1789, environ 900 ouvrages
apologétiques, au rythme annuel d'une dizaine en moyenne
et d'une vingtaine entre 1760 et 17702.
Les études qui sont véritablement consacrées à cette
abondante littérature sont rares, souvent anciennes ou diffi
ciles d'accès. Pierre Lanfrey proposait en 1879, dans L'Eglise
et les philosophes au XVIIIe siècle, une vision partisane et
rapide de ce qu'il appelait « l'Eglise militante »3. On connaît
aussi l'ouvrage de Pierre-Maurice Masson, Rousseau et la
restauration religieuse, paru en 1916, qui fait encore autorité4.
Au même moment, Albert Monod recensa, dans un ouvrage
intitulé De Pascal à Chateaubriand..., « les défenseurs français
du christianisme de 1670 à 1802 », travail précieux, encyclo-
1. Soren Kierkegaard, Miellés philosophiques, Paris,. Ed. de l'Orante,
chap. IV, p. 62-63.
2. Voir Albert Soboul, Le siècle des Lumières, Paris, puf, 1977, t. I, p. 440,
et Albert Monod, De Pascal à Chateaubriand, les défenseurs français du christi
anisme de 1670 à 1802, Paris, Alcan, 1916, p. 4. Les temps forts de la production
apologétique correspondent aux affaires de Prades et Berruyer en 1752-1753,
à la publication de Y Encyclopédie entre 1751 et 1765, à laquelle s'ajoutent De,
VEsprit (Helvétius) en 1758, Emile (Rousseau) en 1762 et le Dictionnaire philo
sophique (Voltaire) en 1764.
3. Voir chapitre I.
4. Il s'agit en fait du troisième et dernier volume d'un ensemble intitulé
La religion de J.-J. Rousseau, Paris, Hachette, 1916. L'apologétique catholique française 153
pédique, mais plus descriptif qu'analytique6. Plus près de
nous, l'Américain Robert Palmer a donné, avec Catholics
and Unbelievers in Eighteenth Century, France (1939), ouvrage
non traduit, une unité à ce vaste corpus6, tandis que l'on doit
à son compatriote William Everdell un suggestif Christian
Apologetics in France, 1730-1790, hélas peu diffusé7. Il existe
également, dispersés dans des recueils, quelques articles très
utiles consacrés à des aspects particuliers de la littérature
apologétique du xvine siècle8.
Au total, l'apologétique chrétienne, dont l'étude soulève
maints problèmes — pour cette raison, seules les apologies
catholiques seront ici examinées — , a suscité bien peu
d'études. C'est peut-être que, comme le note l'apologiste
N. Bergier, il faut, pour l'aborder, « mâcher de la méta
physique »9.' Il convient d'ajouter que la littérature apologé
tique catholique du xvine siècle a souffert d'une double
comparaison : privée d'un Pascal ou d'un Bossuet, confrontée
au talent des philosophes, elle a pu donner l'impression d'être
soit insignifiante par rapport à ses glorieux modèles, soit
écrasée par ses brillants adversaires. Au-delà de ces consi
dérations littéraires, l'apologétique catholique du siècle des
Lumières est victime d'un préjugé, hérité des philosophes
eux-mêmes, qui, l'associant au fanatisme et la superstition,
en ont fait une discipline obscurantiste et ridicule.
C'est oublier que le catholicisme eut, à côté de médiocres
5. Imprimé à Paris chez Alcan en 1916, reproduit à Genève par les éditions
Slatkine en 1970.