L Échanson et le Cratère - article ; n°1 ; vol.147, pg 335-348
15 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

L'Échanson et le Cratère - article ; n°1 ; vol.147, pg 335-348

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
15 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres - Année 2003 - Volume 147 - Numéro 1 - Pages 335-348
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 34
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Marc Philonenko
L'Échanson et le Cratère
In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 147e année, N. 1, 2003. pp. 335-
348.
Citer ce document / Cite this document :
Philonenko Marc. L'Échanson et le Cratère. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
147e année, N. 1, 2003. pp. 335-348.
doi : 10.3406/crai.2003.22564
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_2003_num_147_1_22564COMMUNICATION
L'ÉCHANSON ET LE CRATÈRE,
PAR M. MARC PHILONENKO, MEMBRE DE L'ACADÉMIE
Nommer Péchanson et le cratère, c'est évoquer une scène de la
vie sociale de la Grèce ancienne : celle du banquet lors duquel un
jeune serviteur puise le vin dans le cratère pour servir à boire aux
convives1. Un passage de VIliade, au chant IX, suffit à l'illustrer.
Achille donne à Patrocle cet ordre :
« Prends le plus grand cratère, ô fils de Ménoetios, fais un plus fort
mélange et donne à tous des coupes, car des amis très chers sont
maintenant chez moi2. »
Le vin pur, fort et épais était mêlé à l'eau dans un grand vase,
le « cratère » (Kpatfip).
Au point de départ de cette étude se placent trois textes tirés
d'un même traité de Philon d'Alexandrie, le De somniis. Ce
traité, par bonheur, nous est parvenu. De nombreux écrits de
Philon sont, en effet, perdus. Ce qui a été sauvé l'a été par les
chrétiens. Les juifs se sont très tôt détournés de l'Alexandrin qui
avait été, sans nul doute, l'un des leurs. Car Philon était ardem
ment attaché à la Loi juive. Son œuvre peut être considérée, pour
l'essentiel, comme un immense commentaire du Pentateuque. En
37 ap. J.-C, Philon avait atteint la cinquantaine, sans que l'on
puisse préciser, avec certitude, la date de sa naissance ou celle de
sa mort3. C'est une personnalité riche et complexe. Philosophe,
mystique, exégète, juriste, citoyen influent de la communauté
juive d'Alexandrie4, il a exercé une influence considérable sur
l'exégèse et la théologie chrétiennes.
1. Voir, par exemple, A.-J. Festugière, « Le baptême dans le cratère (C. H., IV, 3-4) »,
dans Hermétisme et mystique païenne, Paris, 1967, p. 102, n. 6.
2. Iliade, IX, 202-203 (traduction Flacelière).
3. J. Schwartz, « L'Egypte de Philon », dans Philon d'Alexandrie (Lyon 11-15 septembre
1966), Paris, 1967, p. 35-44 [35].
4. Voir E. R. Goodenough, An Introduction to Philo Judaeus2, Oxford, 1962. 336 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
Philon, rappelons-le, est un maître de la méthode allégorique.
Tout texte de l'Écriture appelle, selon lui, une exégèse littérale
d'abord, une exégèse allégorique ensuite. Il en a donné des
exemples superbes de subtilité dans ses Questions et réponses sur
la Genèse et sur V Exode.
Cette méthode interprétative n'est pas sans rapport avec un
principe fondamental de Philon qui est de voir toute réalité
comme une dualité. Il y a là, naturellement, une influence de la
théorie platonicienne des Idées, mais, chez Philon, souvent, « les
idées se présentent par couples contraires dont l'une est bonne,
l'autre mauvaise »5. L'exemple le plus connu de cette exégèse est
celui des deux Adam6, mais il en est d'autres, on va le voir imméd
iatement.
Prenons le De somniis et souvenons-nous, que Philon est égyp-
tophobe7. C'est en termes méprisants qu'il traite le grand
échanson (àp%iowo%ôoç) de Pharaon qui a « reçu en partage
l'ivrognerie »8. Face à ce grand échanson, Philon met à trois
reprises, dans le De somniis, un autre l'« échanson de
Dieu » dont la Bible ne sait rien9. Nous avons déjà signalé ce
mode de pensée de l'Alexandrin qui le conduit à la duplication.
Quel est donc cet échanson dont l'apparition surprend ? C'est
Philon lui-même qui pose la question, pour y répondre :
« Celui qui répand les libations, le véritable archi-Grand Prêtre, qui,
ayant reçu avant boire les vœux des grâces éternelles, y répond en
versant toute la libation d'une liqueur forte non étendue d'eau, sa
personne10. »
Philon parle à nouveau de l'Échanson de Dieu, dans le De
somniis, en II, 249 :
« Et à une âme heureuse qui tend la très sainte coupe, c'est-à-dire sa
propre raison, quel est celui qui verse les mesures sacrées du véri
table contentement, si ce n'est l'Échanson de Dieu, le roi du festin :
5. É. Bréhier, Les idées philosophiques et religieuses de Philon d'Alexandrie1", Paris,
1950, p. 155.
6. Voir, parmi beaucoup d'autres, W. Bousset, Hauptprobleme der Gnosis, Gôttingen,
1907, p. 194-196 ; É. Bréhier, op. cit. n. 4, p. 122-124 ; H. Lietzmann, An die Korinther, III5,
Tubingen, 1969, p. 85-86.
7. Voir, par exemple, Questions sur la Genèse, 6, 177 : « 'Egypte' se traduit 'oppres
seur' ».
8. Philon, De somniis, II, 158.
9. Voir De II, 183 ; 190 ; 249.
10. De somniis, II, 183 (traduction Savinel). L'ÉCHANSON ET LE CRATÈRE 337
la parole qui n'est pas différente de la boisson qu'elle verse, elle-
même sans mélange, qui est la gaieté, l'agrément, l'épanchement de
l'âme, l'allégresse et, pour parler, nous aussi, en termes poétiques, le
philtre d'ambroisie qui dispense la joie et le contentement11 ? »
Le passage décisif se lit en II, 190 où se trouve évoqué
« l'Échanson qui puise dans le cratère divin que Dieu lui-même a
rempli de vertus jusqu'aux bords ».
Ainsi donc l'Échanson de Dieu est l'archétype de l'archi-
échanson de Pharaon. Mieux encore, comme l'ont bien vu
Colson12 et Goodenough13, c'est une figure du Logos, personnage
central de la pensée philonienne14.
Il n'est nullement exclu, enfin, si l'on suit l'interprétation de
Goodenough, que le De somniis fasse ici écho à des cérémonies
liturgiques célébrées par des communautés juives d'Egypte. Il y
aurait alors comme une correspondance secrète entre les rites
terrestres et leur modèle céleste.
Il n'est pas fait mention d'un cratère dans le texte hébreu de la
Genèse ou dans sa traduction grecque. C'est dans la version des
Septante du livre des Proverbes que Philon a trouvé le cratère :
« La sagesse s'est bâti une maison, elle a dressé sept colonnes. Elle a
immolé ses victimes, elle a mêlé dans le cratère son vin, elle a préparé
sa table. Elle a envoyé ses esclaves, invitant par une proclamation
solennelle (à venir) au cratère, disant : 'Que celui qui n'a pas l'inte
lligence se mette à table auprès de moi'. Et à ceux qui sont dépourvus
de sens elle dit : 'Venez, mangez de mes pains, buvez le vin que j'ai
mélangé pour vous, quittez l'inintelligence, afin de régner dans l'éter
nité, et recherchez l'intelligence et redressez la voie de votre enten
dement dans la connaissance'15. »
On observera que les deux mentions du cratère dans le livre
des Proverbes sont propres à la version des Septante16. Enfin,
Philon a peut-être reconnu dans un passage du Timée, où le
Démiurge façonne l'Âme du Tout dans un cratère, une justifica
tion platonicienne de son exégèse17.
11. De somniis, 11,249.
12. F. H. Colson, Philo, V, Londres, 1959, p. 524, n. a.
13. E. R. Goodenough, Jewish Symbols in the Greco-Roman Period, VI, New York, 1956,
p. 204-205 ; XII, New York, 1965, p. 128-129 ; 195, 197.
14. Voir l'exposé, très clair, de Bréhier, op. cit. n. 5, p. 83-111.
15. Proverbes, 9, 1-6 (traduction Festugière, op. cit. n. 1, p. 103-104).
16. Voir H. Lewy, Sobria Ebrietas, Giessen, 1929, p. 15, n. 3.
17. Timée, 41 d. 338 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
Philon reconstitue ainsi, en rapprochant le texte de la Genèse
de celui des Proverbes, une scène ordinaire de la vie quotidienne,
dont la portée allégorique reste à définir.
L'Échanson est le Logos, avons-nous dit, mais qu'est-ce qu'un
cratère « rempli de vertus » (àpexrôv) ? L'expression est singul

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents