L’Évangile selon Jean
Cycle de douze conférences
faites à Hambourg du 18 au 31 mai 1908
par
Rudolf Steiner
GA 103
1Édition de 1935, revue et corrigée en 2006
1 Le titre de l’édition française de 1935 était l’Évangile de Saint-Jean. (Das Johannes-Evangelium) - GA 103 -
Cycle 3.
Cette édition électronique a subi quelques corrections mineures afin de rendre le texte plus compréhensible et
plus conforme à l’esprit de l’original allemand.
L’expression " Évangile de saint Jean " a été remplacée par " Évangile selon Jean ". Le mot " Moi " par " Je ".
L’orthographe de certains noms propres a été aussi corrigée.
Première édition : Association de la Science Spirituelle, Paris 1935
Seconde édition : Association de la Science Spirituelle, Paris 1950
Troisième édition : comme supplément N°30 de la revue Triades. Paris 1970
Quatrième édition : Editions du Centre Triades, Paris 1979 PRÉFACE
aux études de Rudolf STEINER sur l’Évangile selon Jean
par Marie STEINER
***
Par ce livre nous pénétrons au cœur même de l’activité de Rudolf Steiner. Car son
action entière eut pour unique but de frayer pour tous la voie vers le Christ. Le Christ
s’est perdu pour nous à l’époque du rationalisme et du matérialisme ; les églises se
vidaient désespérément, et, à moins d’avoir encore une âme d’enfant intacte, on
n’avait plus dans la tête et le cœur que vide et contradictions. Les paroles de ceux qui
représentaient la doctrine chrétienne ne rendaient pas le son de la vérité, n’en portaient
pas la conviction. L’Église était imbue de formalisme, de convention, cédant à des
compromis à l’égard de la science, sans pouvoir lui opposer une réalité agissante
elle en arrivait peu à peu à réduire ses exigences en matière de foi, car elle ne pouvait
opposer au scepticisme des faits suffisants pour transformer la foi en une certitude et
en une connaissance. La jeunesse renonçait à poser des questions à ses prêtres, qui se
dérobaient manifestement devant les problèmes de la foi ; et jusqu’aux enfants livrés à
eux-mêmes, ne rencontrant qu’un vide spirituel, sentaient intérieurement le sol
chanceler sous leurs pieds. Les protestants se détournaient de l’église catholique à
cause de son manque de liberté et de la frivolité de ses serviteurs, dont tout le
comportement tournait souvent en ridicule ce qu’ils auraient dû représenter. Et
pourtant, les rites révélaient encore l’esprit qui s’était perdu ; comment le retrouver ?
Pas au moyen de la science moderne. Celle-ci fixait d’autorité des limites à la
connaissance. Il manquait une vie qui maintînt le tout dans une forme unie ; on pouvait
admirer le fini de chacun des fragments, mais il manquait à l’organisme des parties
essentielles. Par contre, des tableaux de la religion brahmanique parlaient à l’imagina-
tion : par exemple celui de la grande tortue cosmique qui supporte le disque terrestre
donnait pour ainsi dire l’impression qu’on était enveloppé des ondes de l’éther
universel ; on sentait qu’il y avait plus encore derrière cette image que ce qu’elle était
par elle-même, plus qu’un effet mécanique qui met en mouvement un automatisme
cosmique auquel peu à peu des hommes apparus non moins automatiquement donnent
un sens passager et bientôt disparu.
Il se dégageait de ces religions antiques un souffle substantiel. Lorsqu’on
suivait leur route, on avait l’impression d’être élevé d’une conscience d’abord
assourdie vers des sphères de pensées toujours plus lumineuses. De grandes
civilisations sont nées de ces religions, elles ont donné naissance à des images qui
vivent encore jusqu’à notre époque ; l’art et la philosophie s’y sont développés au
point de nous avoir laissé des monuments sublimes.
Mais cette route se perdit toujours plus dans des ténèbres mystérieuses. Au seuil
des temples antiques, certaines questions étaient posées par le gardien qui punissait de
mort celui qui n’avait pas su y répondre. Ces énigmes se sont résumées dans l’injonction : « Connais-toi toi-même. » Ce sentier perdu, il fallait le redécouvrir ;
mais comment ?
Des temples qui s’étaient tus et dont les portes étaient closes s’échappaient des
traces vers le dehors. Le sens de ces traces s’exprima dans des civilisations toujours
plus florissantes, embrassant une humanité toujours plus nombreuse jusqu’à ce que
finalement la personnalité humaine se dégage. Il n’y avait plus un maître inspiré, un
guide, un chef, et à côté de lui un peuple obscur, mais l’individu qui n’avait de valeur
que par lui-même. C’est au temps de la Grèce qu’on voit le plus clairement le type
divin se rapprocher du type humain, le suprasensible se fondre par l’art dans le
sensible.
La personnalité mûrissait ; les mystères reculèrent, se dissimulèrent. Leur sens,
qui avait jadis été mystérieux, mais sûr et à l’abri du doute, se voila.
La pensée humaine commença son chemin propre ; les écoles de philosophie
apparurent ; les sceptiques gagnèrent du terrain ; par là disparut peu à peu la grandeur
de ce peuple qui avait vu se former la personnalité humaine. Il perdit sa valeur propre,
ses racines profondes, et attendit le « dieu inconnu ».
Or ce Dieu inconnu fut celui qui permit par son sacrifice à la personnalité
humaine de s’élever au-dessus d’elle-même, pour qu’après avoir traversé la
connaissance, elle retrouve au delà du monde sensible son origine avec une conscience
claire, ajoutant aux forces primordiales un nouvel élément élaboré dans les
profondeurs de la matière dense.
Ce chemin fut préparé dans le sein du peuple juif qui se développa
parallèlement au peuple grec et qui donna aux hommes le sens du dieu un, du dieu-
moi, en fait et en principe.
Après l’esclavage et la décadence du peuple grec qui suivirent les campagnes
d’Alexandre, quand la louve romaine célébra ses orgies, faisant un dieu de César saisi
de la folie des grandeurs, lui édifiant des autels et contraignant les sujets à l’adorer,
dans un peuple éloigné et solitaire s’accomplissait ce qui allait sauver l’humanité de
l’animalisation menaçante : le sacrifice du Golgotha. Voilà ce qui brisa la puissance de
la louve romaine, ce symbole des primautés de l’instinct. Rome s’écroula. Des peuples
neufs déferlèrent sur l’empire en décomposition ; une nouvelle substance humaine
recueillit ce qui, plus tard, allait aboutir à un nouvel état d’âme.
Ainsi le nouvel élément spirituel reçut l’héritage de cette notion de puissance
édifiée par l’empire romain. Le nouveau et frêle apport spirituel reçut l’influence de
cette passion du pouvoir qui s’était emparée des formes sociales aux derniers temps de
l’empire romain.
Mais ces formes furent en grande partie reprises avec l’esprit déjà décadent qui
les