Les compagnons de l'enfer. Xolotl et le dieu du zéro - article ; n°3 ; vol.213, pg 301-319

Jean-Claude Delhalle, Albert Luykx

Description

Revue de l'histoire des religions - Année 1996 - Volume 213 - Numéro 3 - Pages 301-319
The Companions of the Underworld : Xolotl and the God of the Number Zero
Two Mesoamerican gods, coming from different cultures, show many common aspects. The former, Xolotl, is particularly well represented in the Aztec civilization at the Post-classic period. The latter, the God of the Number Zero, is originated from the Maya culture at the Classic period. Both are related to the underworld ; they preside over the ballgame and the sacrificial death. They also seem to be related with the sacrifice for removal of the jaw.
Deux dieux méso-américains, issus de cultures différentes, présentent bien des caractéristiques communes. Le premier, Xolotl, est particulièrement représenté chez les Aztèques à l'époque postclassique. Le second, le dieu du chiffre zéro, émane de la culture maya à l'époque classique. Tous deux fréquentent l'enfer ; ils patronnent le jeu de balle et la mort sacrificielle. Ils semblent également en relation, de près ou de loin, avec le sacrifice par arrachement de la mâchoire.
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: REVUE_DE_L-HISTOIRE_DES_RELIGIONS0
• Publié le: 01 janvier 1996
• Nombre de lectures: 24
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Jean-Claude Delhalle
Albert Luykx
Les compagnons de l'enfer. Xolotl et le dieu du zéro
In: Revue de l'histoire des religions, tome 213 n°3, 1996. pp. 301-319.
Abstract
The Companions of the Underworld : Xolotl and the God of the Number Zero
Two Mesoamerican gods, coming from different cultures, show many common aspects. The former, Xolotl, is particularly well
represented in the Aztec civilization at the Post-classic period. The latter, the God of the Number Zero, is originated from the
Maya culture at the Classic period. Both are related to the underworld ; they preside over the ballgame and the sacrificial death.
They also seem to be related with the sacrifice for removal of the jaw.
Résumé
Deux dieux méso-américains, issus de cultures différentes, présentent bien des caractéristiques communes. Le premier, Xolotl,
est particulièrement représenté chez les Aztèques à l'époque postclassique. Le second, le dieu du chiffre zéro, émane de la
culture maya à l'époque classique. Tous deux fréquentent l'enfer ; ils patronnent le jeu de balle et la mort sacrificielle. Ils
semblent également en relation, de près ou de loin, avec le sacrifice par arrachement de la mâchoire.
Citer ce document / Cite this document :
Delhalle Jean-Claude, Luykx Albert. Les compagnons de l'enfer. Xolotl et le dieu du zéro. In: Revue de l'histoire des religions,
tome 213 n°3, 1996. pp. 301-319.
doi : 10.3406/rhr.1996.1204
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1996_num_213_3_1204JEAN-CLAUDE DELHALLE
ALBERT LUYKX
Les compagnons de l'enfer:
Xolotl et le dieu du zéro
Deux dieux méso-américains, issus de cultures différentes, présent
ent bien des caractéristiques communes. Le premier, Xolotl, est parti
culièrement représenté chez les Aztèques à l'époque postclassique. Le
second, le dieu du chiffre zéro, émane de la culture maya à l'époque clas
sique. Tous deux fréquentent l'enfer ; ils patronnent le jeu de balle et la
mort sacrificielle. Ils semblent également en relation, de près ou de loin,
avec le sacrifice par arrachement de la mâchoire.
The Companions of the Underworld :
Xolotl and the God of the Number Zero
Two Mesoamerican gods, coming from different cultures, show
many common aspects. The former, Xolotl, is particularly well represen
ted in the Aztec civilization at the Post-classic period. The latter, the
God of the Number Zero, is originated from the Maya culture at the
Classic period. Both are related to the underworld ; they preside over
the ballgame and the sacrificial death. They also seem to be related with
the sacrifice for removal of the jaw.
Revue de l'Histoire des Religions, 213-3/1996, p. 301 à 319 Diego de Landa relate les observations qu'il a faites lors
de son séjour en son diocèse de Yucatan (1560) ; il ne manque
pas de marquer son étonnement devant certaines coutumes
des Indiens de cette terre étrange. Dans cette longue pénin
sule qui sépare le golfe du Mexique de la mer des Caraïbes,
les Maya Yucatèques avaient l'habitude, après les combats,
de parcourir le champ de bataille et de prélever les mâchoires
inférieures des guerriers ennemis morts. Ces mandibules
décharnées et convenablement nettoyées étaient assemblées
pour former des bracelets que portaient fièrement les guerriers
vainqueurs1.
Les fouilles entreprises à Teotihuacan en 1988-1989 à proxi
mité de la pyramide de Quetzalcoatl ont mis au jour un grand
nombre de tombes. Ces tombes disséminées autour et à l'inté
rieur de la pyramide permirent de découvrir les restes de 260
victimes sacrifiées lors de l'inauguration du monument dédié
au Serpent à Plumes (150-200). Parmi les offrandes accompa
gnant les morts, apparurent des maxillaires supérieurs et des
mandibules humains, des imitations de mâchoires confection
nées avec des coquillages et des de canidés, chiens
ou coyotes2.
La collecte de mâchoires et leur utilisation à des fins déco
ratives ou cérémonielles s'observe ici et là, en deux régions du
Mexique très éloignées l'une de l'autre, aussi bien par l'espace
que par le temps. Nous allons voir que ces pratiques étaient
loin d'être rares et qu'elles devaient relever du souvenir et de la
réactualisation de mythes anciens.
1. D. de Landa, Relación de las Cosas de Yucatan, Editorial Porrúa,
p. 52, 1978.
2. S. Sugiyama, Rulership, Warfare, and Human Sacrifice at the Ciuda-
dela : An Iconographie Study of Feathered Serpent Representations, in Art,
Ideology, and the City of Teotihuacan, J. C. Berlo (éd.), Dumbarton Oaks,
Trustees for Harvard University, 205-226, 1992; R. Cabrera Castro, Human
Sacrifice at the Temple of the Feathered Serpent, in Teotihuacan, Art from the
City of the Gods, K. Berrin, E. Pasztory (ed.),Thames and Hudson, 100-107,
1993. COMPAGNONS DE L'ENFER 303 LES
Dans le Codex Borgia, Xolotl apparaît comme dieu-régent
du dix-septième jour du calendrier divinatoire. Pour les Aztè
ques, le jour était dédié au Mouvement (ОШп)г.
La relation entre Xolotl et le symbole Ollin qui désigne le Cin
quième Soleil, est fort complexe et sera développée plus loin.
Sur le dessin du livre sacré, figure ce personnage étrange dont
les mains et les pieds sont fortement déformés (fig. 1). Sa coiffe
très élaborée expose deux croix de couleur blanche qui symbol
isent chacune les quatre directions cardinales, les quatre voies
de l'univers. Une sorte de rostre émerge de la partie antérieure
de cette coiffe. A l'exception des pieds et des mains, le corps du
dieu est peint en noir. Sur la poitrine s'inscrit un pectoral qui
figure un maxillaire inférieur humain décharné. Cette macabre
parure semble retenue par une bride faite d'herbe tressée4. Sur
la joue de Xolotl se dessine une main de couleur blanche qui
Fig. 1. — Xolotl comme dieu-régent du calendrier divinatoire.
Codex Borgia. D'après Séjourné 1983
3. Códice Borgia, Fondo de Cultura Económica, pl. 10, 1980.
4. E. Seler, Comentarios al Códice Borgia, Fondo de Cultura Econó
mica, p. 142, 1980. 304 JEAN-CLAUDE DELHALLE ET ALBERT LUYKX
couvre tout le bas du visage. Une plage rectangulaire claire
entoure la cavité orbitaire droite - la seule visible - d'où un œil
arraché reste suspendu au bout de son nerf optique.
En face de Xolotl, se découvre une grande croix formée de
deux bandes coudées unies en leur centre. Il s'agit du glyphe
Ollin, nom du Cinquième et dernier Soleil, le Soleil du Mouvem
ent. La partie supérieure du graphisme dédié au dix-septième
jour propose une image curieuse. On peut y voir la représenta
tion d'un grand vase (olla) d'où émergent des restes humains
disloqués. Ce récipient repose sur deux crânes qui pourraient
symboliser l'enfer. Cette olla rappelle singulièrement le vase qui
servait à recueillir les restes des morts mais fait également
resurgir le mythe de la descente de Quetzalcoatl et de son
Double aux enfers pour s'emparer des restes des hommes
détruits lors de l'effondrement du Quatrième Soleil5.
Cette image du Codex Borgia résume avec une concision
remarquable, une grande partie des caractéristiques, de la per
sonnalité et de la symbolique de Xolotl. Ce dieu procède d'une
dualité et s'impose comme la forme opposée et complémentaire
de Quetzalcoatl. L'étymologie de Xolotl propose nombre d'in
terprétations mais la traduction réelle demeure incertaine et ne
définit probablement pas toutes les nuances que les anciens
Mexicains y percevaient. Ce nom énigmatique pourrait se tra
duire par jumeau, monstre, page, serviteur ou encore par le
vigilant6. Invariablement, Xolotl représente la face nocturne de
Quetzalcoatl ; sa personnalité chtonienne voire néfaste. Il s'im
pose comme avorton surnaturel, être larvaire par excellence.
Cette notion de larve est particulièrement intéressante ; elle
résume bien tout le devenir et l'extraordinaire potentialité de ce
double monstrueux : de lui renaîtra le Quetzalcoatl resplendis
sant. Chrysalide dans son cocon, il est l'ébauche de la lumière.
Chargé d'une grand quantité de symboles, Xolotl concrétise
5. Leyenda de los Soles, in Códice Chimalpopoca (P. F. Velazquez,
trad.), Universidad Nacionál Autonoma de Mexico, 1975.
6. С. Robelo, Diccionario de Mitologia Nahuatl, Editorial Innovation,
vol. I, 1980. LES COMPAGNONS DE L'ENFER 305
probablement le phénomè