Morale sexuelle des clercs et des laïcs à Fréjus au XIVe siècle - article ; n°4 ; vol.209, pg 349-380

Andrée Courtemanche

Description

Revue de l'histoire des religions - Année 1992 - Volume 209 - Numéro 4 - Pages 349-380
Sexual morals among the clergy and laymen at Fréjus in the fourteenth century.
Based on extant lists of judgements for the diocese of Fréjus in the fourteenth century, this study attempts to analyse to what extent the clergy and laymen respected norms for sexual behaviour decreed by the authorities. As for the clergy, the Gregorian reform prescribed celibacy and chastity, values which not all of them had successfully integrated into their behaviour. As for the lay, it appears that the secular courts, less strict on this matter than the Church, only repressed offences of a sexual nature in so far as they attacked marriage and the family or endangered public and social order. This explains the tolerant attitude shown towards the extra-marital relationships of young men and its corollary, prostitution.
A partir des listes de condamnations conservées pour le diocèse de Fréjus au XIVe siècle, cette étude propose d'analyser le degré de respect des clercs et des laïcs pour les normes édictées par les autorités sur les usages du sexe. Aux premiers, les prescriptions de la réforme grégorienne ont imposé célibat et chasteté, valeurs que tous n'ont pas encore réussi à intégrer à leurs pratiques. Quant aux seconds, il appert que la justice laïque, moins rigoureuse en la matière que l'Eglise, ne s'attache à la répression de leurs délits de nature sexuelle que dans la mesure où le mariage et la famille sont attaqués et l'ordre public et social, menacé. D'où une tolérance pour les relations extra-conjugales des jeunes hommes et leur corollaire, la prostitution.
32 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: REVUE_DE_L-HISTOIRE_DES_RELIGIONS0
• Publié le: 01 janvier 1992
• Nombre de lectures: 21
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Andrée Courtemanche
Morale sexuelle des clercs et des laïcs à Fréjus au XIVe siècle
In: Revue de l'histoire des religions, tome 209 n°4, 1992. pp. 349-380.
Abstract
Sexual morals among the clergy and laymen at Fréjus in the fourteenth century.
Based on extant lists of judgements for the diocese of Fréjus in the fourteenth century, this study attempts to analyse to what
extent the clergy and laymen respected norms for sexual behaviour decreed by the authorities. As for the clergy, the Gregorian
reform prescribed celibacy and chastity, values which not all of them had successfully integrated into their behaviour. As for the
lay, it appears that the secular courts, less strict on this matter than the Church, only repressed offences of a sexual nature in so
far as they attacked marriage and the family or endangered public and social order. This explains the tolerant attitude shown
towards the extra-marital relationships of young men and its corollary, prostitution.
Résumé
A partir des listes de condamnations conservées pour le diocèse de Fréjus au XIVe siècle, cette étude propose d'analyser le
degré de respect des clercs et des laïcs pour les normes édictées par les autorités sur les usages du sexe. Aux premiers, les
prescriptions de la réforme grégorienne ont imposé célibat et chasteté, valeurs que tous n'ont pas encore réussi à intégrer à leurs
pratiques. Quant aux seconds, il appert que la justice laïque, moins rigoureuse en la matière que l'Eglise, ne s'attache à la
répression de leurs délits de nature sexuelle que dans la mesure où le mariage et la famille sont attaqués et l'ordre public et
social, menacé. D'où une tolérance pour les relations extra-conjugales des jeunes hommes et leur corollaire, la prostitution.
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Courtemanche Andrée. Morale sexuelle des clercs et des laïcs à Fréjus au XIVe siècle. In: Revue de l'histoire des religions,
tome 209 n°4, 1992. pp. 349-380.
doi : 10.3406/rhr.1992.1512
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1992_num_209_4_1512COURTEMANCHE ANDRÉE
MORALE SEXUELLE DES CLERCS
ET DES LAÏCS
A FRÉJUS AU XIVe SIÈCLE
A partir des listes de condamnations conservées pour le
diocèse de Fréjus au XIVe siècle, celte étude propose d'analyser
le degré de respect des clercs et des laïcs pour les normes édictées
par les autorités sur les usages du sexe. Aux premiers, les
prescriptions de la réforme grégorienne ont imposé célibat et
chasteté, valeurs que tous n'ont pas encore réussi à intégrer à
leurs pratiques. Quant aux seconds, il appert que la justice
laïque, moins rigoureuse en la matière que VEglise, ne s'attache à
la répression de leurs délits de nature sexuelle que dans la
mesure où le mariage et la famille sont attaqués et l'ordre public
et social, menacé. D'où une tolérance pour les relations extra-
conjugales des jeunes hommes et leur corollaire, la prostitution.
Sexual morals among the clergy and laymen at Fréjus
in the fourteenth century
Based on extant lists of judgements for the diocese of Fréjus
in the fourteenth century, this study attempts to analyse to
what extent the clergy and laymen respected norms for sexual
behaviour decreed by the authorities. As for the clergy, the
Gregorian reform prescribed celibacy and chastity, values
which not all of them had successfully integrated into their
behaviour. As for the lay, it appears that the secular courts,
less strict on this matter than the Church, only repressed offences
of a sexual nature in so far as they attacked marriage and the
family or endangered public and social order. This explains the
tolerant attitude shown towards the extra-marital relationships
of young men and its corollary, prostitution.
Revue de l'Histoire des Beligions, ccix-4/1992, p. 349 à 380 travaux récents sur les régimes sexuels ont bien Les
montré que les règles les régissant ne relèvent en rien de
l'ordre de la nature, mais qu'elles ressortissent à la sphère
culturelle, c'est-à-dire à l'autorité religieuse ou à la volonté
politique « laïque », voire les deux à la fois1. Ainsi en est-il
pour l'Occident médiéval, où il s'avère toutefois difficile de
départager sans ambiguïté les interdits qui relèvent de l'une
ou de l'autre.
Dans une optique de salut éternel, l'Eglise conçoit un
dispositif, véritable économie générale du sexe, visant à
codifier la conduite du clergé et des fidèles en matière de
sexualité. A la lecture des Pênitentiels, ces catalogues de
péchés assortis de leur sanction rédigés entre les vie et
xie siècles, on retire l'impression que sexualité et péché sont
étroitement associés, et seule la procréation inscrite dans le
cadre conjugal, où la notion de plaisir est bannie, justifie le
commerce charnel. Issus en large partie d'une culture monast
ique, où l'abstinence sexuelle constitue la forme ultime de
mortification pour atteindre un véritable « gouvernement
de soi », ces textes prescrivent aux clercs comme aux laïcs
un contrôle sévère de leurs pulsions sexuelles. Une rigueur
qui ne suscite pas une adhésion immédiate ou totale. C'est
pourquoi, au xie siècle, l'offensive de l'Eglise se fait plus
marquante. Elle s'adresse d'abord aux clercs à qui elle
entend imposer, par le biais de la réforme grégorienne,
l'idéal monastique de la continence qui implique de renoncer
au mariage et d'observer une chasteté absolue. Des sanctions
sévères sont dès lors prévues pour les contrevenants, dont la
perte de leurs bénéfices.
A l'usage du peuple des fidèles à qui est concédée la
1. A ce sujet voir la synthèse que présente Serge Gagnon dans Plaisir
ďamour et crainte de Dieu. Sexualité et confession au Bas-Canada, Québec,
Presses de l'Université Laval, 1991, p. 1-6. sexuelle des clercs et des laïcs 351 Morale
faculté de se marier pour écarter un mal plus grand, la for
nication, l'Eglise définit les règles sur lesquelles s'articule
désormais le mariage chrétien. Fondé sur le consentement
mutuel des futurs conjoints, et non plus sur la seule copula
carnalis, il est voulu monogamique, indissoluble et non
incestueux, c'est-à-dire fortement exogamique. La société
conjugale ainsi formée constitue l'espace unique où peut se
déployer l'usage des plaisirs. Un usage qui reste toutefois fort
réglementé.
Bien que le contrôle des infractions à ce modèle matri
monial soit une prérogative des tribunaux ecclésiastiques, les
autorités laïques jugent, pendant les derniers siècles du Moyen
Age, qu'elles n'ont pas la capacité ni les moyens nécessaires de
s'acquitter adéquatement de cette tâche. Aussi s'intéressent-
elles progressivement aux problèmes associés à la sexualité.
Cependant, leur délimitation des « frontières de l'Eros », pour
reprendre l'expression de G. Ruggiero, ne se confond pas tou
jours. En effet, pour la justice laïque, les activités sexuelles
nécessitent une réglementation stricte pour éviter qu'elles
entraînent la dissolution de l'organisation sociale. En bref, la
primauté est d'abord et avant tout accordée au maintien de
l'ordre public. Cet objectif politique explique que soient
autorisées des pratiques réprouvées par l'Eglise, comme la
prostitution exercée sous une forme plus ou moins légalisée
et codifiée à mesure que progresse le xive siècle, et son corol
laire l'activité sexuelle des jeunes gens encore célibataires.
Si la fornication est interdite par la morale religieuse, elle est
tolérée par la société laïque qui la considère comme un
moyen mis à la disposition des célibataires dans l'attente
d'un mariage trop souvent tardif2.
2. J'ai conscience de ce que cet exposé a de schématique, voire de réducteur.
Depuis les travaux de Michel Foucault, il semble en effet peu adéquat d'utiliser
le terme de « morale chrétienne » pour un phénomène dont les racines puisent
largement aux conceptions hellénistes de la sexualité. Cependant mon propos
n'a pour seul objectif que la présentation du contexte général dans lequel s'ins<