Fermer POLITIQUE Quel Etat et pour quoi faire ? Professeur des universités, auteur de plusieurs ouvrages, Claude Rochet analyse dans Politiques publiques le rôle de l’Etat d’hier à aujourd’hui en s’interrogeant sur sa réforme dans un temps où l’économie tend à prendre le pas sur le politique. Entretien. La réforme de l’Etat et sa modernisation sont un serpent de mer du débat politique. Ce thème est-il idéologiquement neutre ou véhicule-t-il intrinsèquement une vision néo- libérale ? De fait, oui, car ce sont les «néo-libéraux» qui se sont emparés de ce thème, au début des années 1980 avec la conversion au marché de l’économie chinoise, l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher. L’idée générale est que le marché étant rationnel et autorégulateur, il faut alléger la contrainte – et surtout le coût – du gouvernement. Elle est partagée par les politiciens de droite comme de gauche dans tous les pays développés. Cette théorie a vite montré ses limites : tous les pays qui l’ont adoptée en font un bilan très mitigé à part la modernisation de la comptabilité publique. Elle s’est définitivement effondrée avec la crise révélée en 2007-2008 sans que l’on ait aucune théorie de rechange. Il faut éviter de tomber dans un piège assez grossier : opposer Etat et marché, ne pas dépasser l’opposition factice entre efficacité du marché et bureaucratie de l’Etat.
POLITIQUE Quel Etat et pour quoi faire ? Professeur des universités, auteur de plusieurs ouvrages, Claude Rochet analyse dans Politiques publiques le rôle de lEtat dhier à aujourdhuien sinterrogeant sur sa réforme dans un tempsoù léconomie tend à prendre le pas sur le politique. Entretien.
La réforme de lEtat et sa modernisation sontun serpent de mer du débat politique. Ce thème est-il idéologiquement neutre ou véhicule-t-il intrinsèquement unevision néo-libérale ?
De fait, oui, car ce sont les néo-libéraux» qui se sont emparés dece thème, au début des années 1980 avec la conversion au marché de léconomiechinoise, larrivée au pouvoir de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher. Lidée générale est que le marché étant rationnelet autorégulateur, il faut alléger la contrainte – et surtout le coût – du gouvernement. Elleest partagée par les politiciens de droite comme de gauche dans tous les pays développés. Cette théorie a vite montré ses limites : tous les pays qui lont adoptée en font un bilan très mitigé à part la modernisation de la comptabilité publique. Elle sest définitivement effondrée avec la crise révélée en 2007-2008 sans que lon aitaucune théorie de rechange. Il faut éviter de tomber dans un piège assezgrossier : opposer Etat et marché, ne pas dépasser lopposition facticeentre efficacité du marché et bureaucratie de lEtat. Les pays gagnants, depuis le débutde lère industrielle, ont su faire évoluer leurs institutions pour capter le potentielde la technologie. On na pas encore trouvé mieux pour incarner le long termeet lintérêt général quun Etat efficace au service de la République Je consacre un tiers du livre à montrer comment la maîtrise des techniques modernes permet une gestion qui sait releverles défis des politiques publiques sans sombrer dans une bureaucratie stérilisante.
Selon un certain discours dominant que vous analysez, le marché gère mieux que le public. Vous montrez à travers plusieurs exemples, comme lesrenseignements téléphoniques ou louverture dEDF à la concurrence qui provoque unehausse des tarifs, que cette idée reçue est fausse
Depuis le 15 août, chacunsubit une hausse des tarifs délectricité qui ne répond à aucune logique industrielle, mais aux injonctions de la Commission européenne de faire profiter les distributeurs de la rente nucléaire» constituée grâce aux investissements des Français.La France ayant lélectricité la moins chère dEurope, le seul moyen de ne pas bouleverser ailleurs le marché est daugmenter les prix de vente en France. Adam Smith avait vu juste : dans le livreV de La richesse des nations», il définissait les investissements publics comme étant ceuxdont le rendement pour la collectivité étaitsupérieur au rendement que pourrait en tirer un entrepreneur privé. Ceci nimplique pas une gestion directe par lEtat car linnovation nest pas le fortde ladministration. Je montre par plusieurs exemples quil existe des domaines-clés où lEtatdoit garder le contrôle mais par une multitude de formules associantpublic et privé. Il ny a pas de recette universelle debonne uvernance»comme laétendu us en2005 laBan e
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mondiale. Depuis le premier programme laisser-fairiste» en Grande-Bretagne, en 1834, il est apparu que le laisser-faire implique un activisme administratif débordant confié à des organismes indépendants du pouvoir politique. La conséquence est une progressionimpressionnante de la réglementation et des effectifs publics, comme lont démontré laGrande-Bretagne et lesEtats-Unis.
Les Français semblent entretenir un rapport paradoxal face à lEtat et lapuissance publique. Ils y sont attachés tout en déplorant son poids. Cela nevient -ilpas du fait quil y a trop dEtat là où cest inutile et pas assez là où cest utile ?
Pas plus que le marché, lEtat nest pas bon en soi». Il y a un Etat prédateur», quedécrit James K. Galbraith pour les Etats-Unis, qui ne tourne que pour ses propresintérêts, celui des politiciens et des hauts fonctionnaires. Sous de Gaulle, il y avait unministre de la réforme administrative avec rang de ministre dEtat. On séparait alors clairement lEtat politique avec ses missions traditionnelles (monnaie, économie, défense, police,éducation) et son administration. La stratégie pouvait être bonne –faire les bonnes choses – et la gestion défaillante – le bien faire les choses – mais le but était de réconcilier les deux soit bien faire les bonnes choses.Ce ministère réapparaît sous le nom de ministère de la réforme de lEtat dans les années 1990car entre temps les théories néolibérales sont devenues hégémoniques. Quand ondit aujourdhui Etat» on parle de ladministration : la gestion a effacé la politique. Nefaisant plus de stratégie, lEtat français ne peut identifier les priorités, il saupoudre.La conséquence en est une croissance lente et une rareté de fonds publics. Le budget fonctionnecomme un robinet qui fuit alors quil ny a plus de pression pour arroser là où cest sec ! Lorsque je travaillais pour le Premier ministre, le Secrétaire général du Gouvernement citait comme unique indicateurla vitesse de transcription des directives européennes soit 80 % de notre législation.Aussi, le Gouvernement pourrait être réduit à un grand secrétariat général et à quelques secrétaires dEtat. Or, moins lEtat fait de stratégie, plus ses effectifs gonflent : jai recensé plusde 3650 membres des cabinets ministériels, y compris les chauffeurs et les cuisiniers, soit plus que ladministration centrale du ministère de la Santé. Ladministration de terrain (policiers,instituteurs, infirmières.), celle qui produit effectivement le service public, manque de ressources, bras et cerveaux. Cest au niveau de lexécution que lon a besoin de compétences techniques fines
Vous évoquez la politique publiqueen matière de sécurité. Quel regard portez-vous sur celle-ci ?
Mon premier métier a été éducateur de rue. Quand un enfant errait dans larue le matin, nimporte quel adulte responsable demandait pourquoi il nétait pas à lécole. Nimportequel adulte rabrouait les adolescents traînant dans les cages descaliers ou se comportant mal. Aujourdhui il change de trottoir ! La sécurité repose sur la vitalité du lien social qui assure une discipline collective au quotidien. Ces institutions informelles ne coûtent rienet évitent lintervention publique. On les a systématiquement détruites. Il faut envoyer le GIPNpour interpeller 6 adolescents à la Villeneuve de Grenoble. Jy ai également travaillé: elle est aujourdhui tenue» par 60 voyous que lon ne sait pasarrêter. Pour assurer la paix civile, rien na changé depuis Machiavel : vitalité de la vie civique, enracinement de la loi dans la vie sociale et régulation immédiate des transgressions. Les rodomontades ne servent à rien.
Faut-il baisser les dépenses publiques et comment ?Vous rappelez que depuis le traité de Maastricht, lEtat ne peut plus emprunter sans intérêt à la Banque de France et quil doit emprunter aux banques privées, ce qui accroît la dette
Lhebdomadaire libéral The Economist le reconnaissait au début de lannée :les dépenses publiques ne baisseront pas. Au contraire, le capitalisme dEtat est florissant en Chine, au Brésil, en Russie, dans tous les pays en croissance. La dette sest constituée dune partpar des politiques publiques quinont pas assuré la croissance mais surtout par lobligation faite aux Etats demprunter aux banques privées. Cela a été indolore quand les taux dintérêt réels étaient négatifs : cest maintenant un boulet. Il ny a quune sortie : par le haut. La France de 1946 était endettée à hauteur de 290 % de son PIB. Elle a effacé sa dette par la croissance et linflation qui est un phénomène sain tant quelle nest pas supérieure à la croissance du PIB. Oncrée de la monnaie pour relancer la machine économique, mais limportant est de rétablir léquilibre quand lexcédent est revenu.
Le bien public se mesure-t -il? Que vous inspire la notion de bonheur intérieur brut» évoquée notamment en 2009 par Nicolas Sarkozy dans la fouléedu rapport Stiglitz, Sen et Fitoussi ?
Oui, et cest très difficile. Les travaux dAmartya Sen, qui ont, avec dautres, débouché sur lindice de développement humain, sont dune grande utilité : il adoptecomme mesure la capacité» à utiliser effectivement une liberté, ce qui est fonction de la situationsociale et économique de chaque pays et requiert une enquête minutieuse sur les conditions réellesdexistence des citoyens. Cest lexact opposé des déclarations grandiloquentes sur les droits à»qui ne se concrétisent jamais.
Sous leffet de la mondialisation et de la construction européenne sestdéveloppé un processus de dépolitisation fondé notamment sur une vision technique etcomptable ainsi uune ertede souveraineté des Etats. Une reconuête duoliti uevous araît-
t -ellepossible alors que les élites semblent y avoir renoncé ?
Machiavel avait vu juste : une nation ne se développe que sous la conduite dun prince qui sait changer le destin dun peuple et stimuler la vie politique et la luttesur les grands enjeux, y compris la lutte des classes, dont Guizot faisait en 1828, vingt ans avant Marx, un des facteurs de succès de la civilisation européenne ! Chacun jugera de létatde nos élites» à assumer cette tâche
Propos recueillis par Christian Authier
Politiques publiques. De la stratégie aux résultats, éditions De Boeck, 290 p.
Article paru dans l'édition du Vendredi 20 Août 2010