Le prix du baril de pétrole a connu ces dernières années des évolutions heurtées : parti de 9 dollars en décembre 1998, il a culminé à 145 dollars en juillet 2008, pour redescendre à 32 dollars en décembre 2008 et remonter à 86 dollars début mai 2010. Confrontée à ce nouvel environnement énergétique, l'économie française doit-elle craindre un prix du pétrole élevé et volatil ? Dans leur réponse à cette question, Patrick Artus, Antoine d'Autume, Philippe Chalmin et Jean-Marie Chevalier délivrent quatre messages principaux : la tendance à la hausse du prix du pétrole est inévitable. Elle s'accompagnera d'une volatilité importante qui reflète les nombreuses incertitudes sur les fondamentaux réels mais qui tient également à l'environnement financier, soumis à des mouvements spéculatifs, dans lequel s'inscrit le marché pétrolier ; le pétrole occupe aujourd'hui une place plus réduite dans l'économie française par rapport aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. En plus de cette baisse de l'intensité pétrolière, trois autres phénomènes peuvent expliquer l'atténuation des effets économiques négatifs constatée dans l'épisode récent de hausse sensible du prix du pétrole brut : l'appréciation de l'euro, la part élevée de la fiscalité dans le prix pour les consommateurs et une meilleure réponse des politiques macroéconomiques ; même si l'impact de la hausse du pétrole semble plus faible qu'il ne l'était lors des premiers chocs des années soixante-dix, les auteurs nous invitent à ne pas sous-estimer les effets de ce choc d'offre négatif. Une hausse du prix de 80 à 150 dollars réduirait le PIB français d'un ou deux points ; la politique économique doit encourager et accompagner les ajustements et redéploiements nécessaires du côté de l'offre, sans chercher à les freiner. Une politique indifférenciée de soutien à la demande serait inefficace. Les auteurs développent un certain nombre de préconisations qui vont dans ce sens.
Paternité, pas d'utilisation commerciale, partage des conditions initiales à l'identique
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Extrait
Les effets dun prix du pétrole élevé et volatil
Rapport Patrick Artus, Antoine dAutume, Philippe Chalmin et Jean-Marie Chevalier
Commentaires Benoît Curé Roger Guesnerie
Compléments Gaël Callonnec, Marie Clerc, Thomas Gaudin, Yannick Kalantizs, Caroline Klein, Guy Lalanne, François Lescaroux, Vincent Marcus, Valérie Mignon, François Moisan, Erwan Pouliquen et Olivier Simon
Conception et réalisation graphique en PAO au Conseil danalyse économique (CAE) par Christine Carl
Introduction............................................................................................ 5 Christian de Boissieu
RAPPORT Les effets dun prix du pétrole élevé et volatil.............................. 7 Patrick Artus, Antoine dAutume, Philippe Chalmin et Jean-Marie Chevalier
1. La place du pétrole............................................................................. 11 1.1. Faut-il encore craindre les chocs pétroliers ? .............................. 11 1.2. La consommation dénergie et de pétrole ................................... 15
2. Lévolution du prix du pétrole............................................................ 26 2.1. Les fondamentaux de loffre ....................................................... 26 2.2. La demande ................................................................................. 38 2.3. La volatilité du prix du pétrole .................................................... 41 2.4. Lévolution future du marché pétrolier ....................................... 54
3. Limpact dun choc pétrolier.............................................................. 60 3.1. Les effets macroéconomiques dun choc pétrolier ...................... 60 3.2. Prendre la mesure du choc doffre .............................................. 67 3.3. Les effets sectoriels de la hausse du prix du pétrole ................... 75 3.4. Les effets sur les ménages ........................................................... 80
4. Préconisations..................................................................................... 82 4.1. Régulation macroéconomique ..................................................... 82 4.2. Une spécialisation productive efficace pour exporter vers les pays producteurs de pétrole .......................................... 83 4.3. La croissance verte ...................................................................... 90 4.4. Réduire la volatilité des cours et réglementer davantage les marchés dérivés des matières premières ............................... 96 4.5. Fiscalité ....................................................................................... 98
Roger Guesnerie................................................................................. 129
COMPLÉMENTS
A. La transmission de la variation du prix du pétrole à léconomie....................................................................................... 133 François Lescaroux et Valérie Mignon
B. Élasticité-prix des consommations énergétiques des ménages...................................................................................... 149 Marie Clerc et Vincent Marcus
C. Prix du pétrole et croissance potentielle à long terme..... 169 Guy Lalanne, Erwan Pouliquen et Olivier Simon
D. Évaluation de limpact macroéconomique dune hausse du prix du pétrole de 20 % à laide des modèles macroéconométriques Mésange et NiGEM...... 199 Yannick Kalantizs et Caroline Klein
E. Le Grenelle de lenvironnement et la croissance verte : le regard de lADEME sur lesinvestissements visant les économies dénergie et les énergies renouvelables........ 211 Gaël Callonnec, Thomas Gaudin et François Moisan
Avec un peu de recul, il apparaît que les prix du pétrole augmentent tendanciellement mais quils restent à court terme soumis à une forte vola-tilité. Lobjet du rapport qui suit est triple : analyser les principales causes de ces faits dobservation ; en déterminer limpact pour léconomie réelle (la croissance, lemploi) ; en déduire un certain nombre de recommandations pour les politiques publiques. Le prix du pétrole reste crucial pour la macroéconomie, pour les entre-prises et les ménages. Autant le consensus est large lorsquil sagit détu-dier les ressorts des prix pétroliers, dévoquer leur « financiarisation » ex-cessive avec lessor des marchés dérivés, autant il se dissipe dès quil faut désigner clairement les responsabilités. Un exemple parmi dautres : le baril à 150 dollars en juin-juillet 2008, était-ce dû pour lessentiel à la spé-culation et à lactivisme de certains «hedge funds», ou bien à des facteurs relevant de léconomie réelle ? Sans doute de linteraction entre la finance et léconomie réelle, avec une grande difficulté à démêler, par exemple, le rôle des « fondamentaux » relatifs à loffre et à la demande, du jeu des anticipations et de la psychologie des marchés. Lautre volet de ce rapport concerne la mesure des effets des chocs pé-troliers. Des effets macroéconomiques somme toute limités, conséquence des changements structurels et de comportements intervenus à la suite des chocs pétroliers des années soixante-dix, ce qui contraste avec la persis-tance dimpacts sectoriels (illustrés par le secteur des transports) consé-quents. Au rang des recommandations, on notera des pistes touchant des facettes complémentaires du sujet, quil sagisse de la pédagogie à faire auprès des consommateurs et relative à laugmentation tendancielle des prix du pétrole, de lindispensable présence française dans des projets in-ternationaux relatifs à lénergie, de la stratégie de croissance verte et de développement durable ou des voies et moyens pour réduire la finan-ciarisation des marchés pétroliers.
LES EFFETS DUN PRIX DU PÉTROLE ÉLEVÉ ET VOLATIL
5
6
Ce rapport a été présenté à Madame Christine Lagarde, ministre de lÉconomie, de lIndustrie et de lEmploi, lors de la séance plénière du CAE du 9 juillet 2010. Il a bénéficié du concours efficace de Lionel Ragot, conseiller scientifique au CAE.
Christian de Boissieu Président délégué du Conseil danalyse économique
CONSEIL DANALYSE ÉCONOMIQUE
Les effets dun prix du pétrole élevé et volatil(*)
Patrick Artus Directeur de la Recherche et des Études, Natixis
Antoine dAutume Professeur à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Philippe Chalmin Professeur à Université de Paris-Dauphine
Jean-Marie Chevalier Professeur à Université de Paris-Dauphine
Introduction Le prix du pétrole brut est passé de 9 dollars le baril en décembre 1998 à 145 dollars en juillet 2008. Il a ensuite chuté jusquà 32 dollars, en dé-cembre 2008,avant de croître de nouveau en 2009 et datteindre en fin dannée un niveau de 80 dollars. Cette conjonction dune tendance à la hausse et dune forte volatilité a toutes les chances de se poursuivre dans les prochaines années. Bien sûr, lexpérience a montré combien il était dif-ficile de prévoir lévolution du prix du pétrole. Des phases de pessimisme et doptimisme se sont succédé, mettant tantôt laccent sur lépuisement inévitable des réserves ou soulignant, au contraire, que de nouvelles décou-vertes ont régulièrement amené à revoir à la hausse lestimation de ces réserves. Doit-on alors penser que nous avons encore devant nous deux décennies de pétrole bon marché et quil est trop tôt pour se préparer à un avenir sans pétrole, qui reste incertain et éloigné ? Nous ne partageons ni cette prévision optimiste ni lappel à limmobi-lisme qui en découlerait.
(*) Nous remercions Pierre Joly et Lionel Ragot pour leur aide et leurs conseils ainsi que tous les participants au groupe de travail et les auteurs de compléments.
LES EFFETS DUN PRIX DU PÉTROLE ÉLEVÉ ET VOLATIL
7
8
Les facteurs dincertitude quant à lévolution du marché pétrolier sont assurément nombreux. Quelle sera lampleur des nouvelles découvertes et, surtout, quel sera leur coût de mise en exploitation ? Ce nest dailleurs pas le montant de réserves mais leur coût qui constitue le facteur limitant du côté de loffre. Les réserves non conventionnelles, comme les schistes bitumineux cana-diens ou vénézuéliens, ont des coûts dexploitation très élevés auxquels sajoutent dailleurs des dommages environnementaux. Les gisements dé-couverts au large du Brésil sont profonds et situés sous une couche de sel quil sera coûteux de traverser. Les progrès technologiques permettront sans doute dabaisser les coûts dextraction mais lampleur de cette réduction reste très incertaine. Des incertitudes de type géopolitique pèsent aussi fortement. Elles peu-vent concerner, comme en Irak, la possibilité de mettre en exploitation len-semble des champs déjà explorés ou résulter du regain de nationalisme pétrolier qui touche le Venezuela, lIran, la Russie et bien dautres pays, et rend plus aléatoires les programmes dinvestissement menés par les com-pagnies nationales. Le rôle que pourra et voudra jouer lOrganisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) pour maintenir un prix rémunérateur mais suffisamment stable est également difficile à prévoir. Il y a peu dincertitude en revanche en ce qui concerne lévolution géné-rale de la demande. Depuis le premier choc pétrolier, les pays développés ont su réduire lintensité énergétique et pétrolière de leur production. Il faut aujourdhui, en France, un tiers de baril de pétrole pour produire mille euros de PIB, alors quil en fallait trois fois plus en 1973 pour produire la même valeur réelle. La hausse des prix continuera à amener entreprises et ména-ges à réduire leur consommation en adoptant des technologies plus écono-mes en énergie et en substituant au pétrole dautres sources dénergie comme le gaz, lélectricité dorigine nucléaire ou les énergies renouvelables. Mais la croissance de la demande émanant des pays émergents et en dévelop-pement est inéluctable et prendra le relais de la demande OCDE. La Chine consomme dores et déjà 9 % du pétrole mondial et apparaît comme le deuxième consommateur après les États-Unis qui en consomment 23 %. Sa consommation comme celle de lInde et d autres pays émergents conti-nuera certainement à augmenter fortement. Cette augmentation de la de-mande mondiale de pétrole ne pourra se concrétiser quen saccompagnant dune hausse des prix permettant de mettre en exploitation de nouveaux champs, non conventionnels ou à coûts dexploitation élevés. Lorientation à la hausse du prix du pétrole est donc difficilement con-testable. Son rythme précis, dans les dix années à venir, dépendra de la qualité de la reprise mondiale. Même si la crise continue à réduire la de-mande mondiale de pétrole, la croissance de la demande des pays émer-gents créera dici là une forte tension sur les capacités de production de pétrole.
CONSEIL DANALYSE ÉCONOMIQUE
Cette tendance à la hausse du prix du pétrole saccompagnera dune volatilité importante qui reflète les nombreuses incertitudes que nous ve-nons dévoquer mais tient également à lenvironnement financier dans le-quel sinscrivent le marché du pétrole et la fixation de son prix.
Lintégration croissante des marchés financiers contribue à faire du pé-trole, comme des autres matières premières, un actif dautant plus attrayant que son prix risque de sélever et quun ensemble de marchés à terme per-met de se couvrir mais aussi de spéculer sur lévolution de son prix. Les premiers spéculateurs peuvent dailleurs être les producteurs eux-mêmes, qui devraient en principe freiner lextraction et conserver leurs actifs dans le sol quand ils anticipent une forte hausse du prix. Le développement dune véritable bulle spéculative est néanmoins entravé par la limitation des pos-sibilités de stockage du pétrole déjà extrait. On peut pourtant sattendre, à lavenir, à ce que les anticipations des opérateurs affectent de plus en plus le fonctionnement du marché pétrolier et que des mouvements de type spé-culatif ninduisent une volatilité des prix assez importante.
La France, qui importe tout son pétrole, doit donc se préparer à faire face à un prix du pétrole élevé et volatil. La tendance à la hausse du prix est inévitable. Les perspectives de lissage de ce prix, par une action concertée au niveau national ou international, sont très faibles. Il convient donc daider léconomie à sadapter et à le faire le plus vite possible. Beaucoup a été fait depuis le premier choc pétrolier pour réduire notre dépendance, mais le pétrole reste une matière première essentielle et la hausse de son prix tou-che toute léconomie.
Une hausse du prix du pétrole constitue un choc doffre négatif pour léconomie française au sens où elle réduit sa capacité à créer et à distribuer des richesses. La facture pétrolière accrue doit simputer sur les revenus nationaux et frappe notamment le pouvoir dachat des salaires et le niveau de lemploi. Même si limpact de la hausse du prix du pétrole est plus faible quil ne létait lors des premiers chocs des années soixante-dix, cet impact reste loin dêtre négligeable. Une hausse du prix de 80 à 150 dollars rédui-rait le PIB français dun ou deux points par rapport à ce quil aurait été en son absence.
Une politique indifférenciée de soutien à la demande est inefficace face à ce choc doffre. La meilleure voie consiste donc à laisser sopérer les ajustements en faveur des secteurs moins consommateurs de pétrole. Ce redéploiement doit aussi être guidé par la demande mondiale. Être capable dy répondre, comme le fait lAllemagne, est le meilleur moyen de créer des emplois et daméliorer nos termes de léchange et, ce faisant, daug-menter le pouvoir dachat de nos salaires.
La politique économique doit donc encourager et accompagner les évo-lutions nécessaires, sans les freiner. Par définition, la hausse du prix du
LES EFFETS DUN PRIX DU PÉTROLE ÉLEVÉ ET VOLATIL
9
10
pétrole frappe inégalement les secteurs économiques et les individus. Un soutien personnalisé en faveur des plus touchés est souhaitable mais il ne doit pas revenir à subventionner lutilisation dun pétrole devenu plus cher et doit au contraire inciter et aider aux ajustements nécessaires. La meilleure politique consiste à réduire la dépendance au pétrole de notre économie. On doit dabord poursuivre le mouvement de substitution dautres sources dénergie au pétrole. Lénergie nucléaire occupe une place considérable et originale en France. Un recours accru au gaz est possible dans certains secteurs et il devrait profiter dune baisse de son prix par rapport à celui du pétrole. La politique climatique, justifiée évidemment en premier lieu par ses bénéfices environnementaux, favorise les évolutions technologiques et peut contribuer fortement à rendre léconomie française moins sensible à la hausse et aux fluctuations du prix du pétrole. La mise en place dune fiscalité car-bone à un taux suffisamment élevé simpose. Pour être efficace, elle doit toucher tous les secteurs consommateurs de pétrole et de carburants sans exception. Les mesures de soutien dans des secteurs comme le transport routier, la pêche et lagriculture doivent aider à des investissements appro-priés et non pas permettre le maintien de consommations élevées. Le développement des énergies renouvelables réunit les mêmes avanta-ges sur le plan climatique et sur celui de lindépendance énergétique. Un soutien spécifique est nécessaire pour permettre un développement indus-triel dans ce secteur où les équipements sont jusquà présent importés de pays en avance dans le domaine, par exemple, en matière déoliennes. Notre démarche est articulée en quatre sections. Dans une première section, nous examinons la place occupée par le pé-trole dans léconomie française et lévolution importante quelle a connue depuis les années soixante-dix. Ceci nous permet de cerner la vulnérabilité de léconomie française aux chocs pétroliers. Dans une deuxième section, nous analysons les causes dévolution des prix du pétrole. Aux fondamentaux traditionnels, niveau des réserves, coûts dextraction, rentes de rareté et de monopole, taxes, contexte géopolitique sajoutent des éléments de nature financière. Nous discutons en particulier le rôle qua pu jouer la spéculation dans lévolution récente du prix. La troisième section examine les effets des chocs pétroliers sur lécono-mie française. Nous décrivons les différents canaux par lesquels le prix du pétrole affecte la capacité doffre de léconomie française, la demande qui sadresse à elle, léquilibre des rémunérations et la situation du marché du travail. Nous insistons sur limportance des effets doffre résultant de la hausse des coûts de production. Nous montrons en particulier que la varia-tion du PIB en rend compte de manière incomplète et que les variations du prix de la demande finale en amplifient limpact. Les effets sectoriels et les effets sur les différentes catégories de ménages du prix du pétrole sont éga-lement décrits.